Principes d’économie politique/II-2-VII-VI

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VI

DE L’ESCOMPTE.


Ce capital une fois emprunté à bon compte par la Banque, il s’agit pour elle de le faire valoir en le prêtant au public.

Mais comment le prêter ? Le banquier ne peut le prêtera long terme, sous forme de prêt hypothécaire par exemple, ou en commanditant des entreprises industrielles. Il ne doit pas oublier, en effet, que ce capital n’est qu’en dépôt chez lui, c’est-à-dire qu’il peut être tenu de le rembourser à première réquisition ; par conséquent, il ne doit s’en dessaisir que par des opérations à court terme qui ne lui enlèvent la disposition de ce capital que pour peu de temps et qui, en quelque sorte, le laissent à sa portée et sous son regard.

Peut-on trouver quelque opération de prêt qui remplisse ces conditions ?

Il en est une qui les remplit admirablement. Quand un commerçant a vendu ses marchandises à terme, suivant l’usage du commerce, s’il vient à avoir besoin d’argent avant, l’arrivée du terme, il s’adresse au banquier. Celui-ci lui avance la somme qui lui est due pour la vente de ses marchandises, déduction faite d’une petite somme qui, constitue son profit, et se fait céder en échange la créance du commerçant sur son acheteur, sa lettre de change. Le banquier serre la lettre de change dans son portefeuille et au jour fixé pour l’échéance, il l’envoie toucher chez le débiteur ; il rentre ainsi dans le capital qu’il avait avancé.

C’est là ce qu’on appelle l’escompte. C’est une forme de prêt, disons-nous en effet, il est clair que le banquier qui, en échange d’une lettre de change de 1.000 francs payables dans trois mois, avance au commerçant 985 francs pour faire toucher à l’échéance les 1.000 francs chez le débiteur, se trouve en réalité avoir prêté son argent pour une période de trois amis, à 6 % et même un peu plus. Et c’est toujours un prêt à court-terme, car non seulement les lettres de change négociées par le banquier sont payables dans un délai qui, dans l’usage, ne dépasse pas trois mois, mais encore ce délai est un maximum qui, en moyenne, n’est jamais atteint. Les négociants n’ont pas toujours besoin de négocier leurs lettres de change dès le lendemain du jour où ils ont vendu ; il est possible qu’ils les gardent un certain temps en portefeuille, il est possible même qu’ils n’aient besoin de les négocier que la veille de l’échéance. À la Banque de France, le délai moyen pendant lequel les lettres de change restent en portefeuille n’est que de 3 à 4 semaines. Ce n’est donc que pour bien peu de temps que le banquier se dessaisit de l’argent qu’il a en dépôt, puisque dans la courte période de quelques semaines, chaque écu rentre dans la caisse.

Il serait donc difficile de trouver une opération de prêt qui se conciliât mieux avec les exigences du dépôt[1]. On voit qu’il suffirait que les demandes en remboursement des dépôts fussent échelonnées sur une période de six semaines, pour que le banquier fût toujours en mesure de faire face aux demandes, grâce à ses rentrées : or il est peu probable que les demandes de remboursement de dépôts soient si fréquentes, en temps normal tout au moins.

Néanmoins en temps de crise il est évident que le banquier à certains risques à courir. Si tous les déposants se précipitent pour venir réclamer leur argent le même jour, la banque sera assurément dans l’impossibilité de les satisfaire, puisque son argent ou plutôt leur argent est en train de courir le monde. Il est vrai qu’il ne tardera pas à rentrer, mais enfin entre les capitaux empruntés par la banque sous forme de dépôt et ceux prêtés par elle sous forme d’escompte, il y a toujours cette différence que les premiers peuvent lui être réclamés sans délai, tandis qu’elle ne peut réclamer les seconds qu’au bout d’un certain temps, et cette différence peut suffire, à un moment donné, pour entraîner sa faillite.

Mais ce danger si problématique est-il une raison suffisante pour empêcher les banques de faire valoir les capitaux déposés chez elles et pour les obliger à les garder intacts comme un véritable dépôt, à l’instar des vieilles banques de Venise ou d’Amsterdam ? Certainement non. Tout le monde se trouverait fort mal de cette rigueur :

1° Les déposants eux-mêmes tout d’abord, car il est clair que si la banque devait garder leur argent dans ses caves sans l’employer, bien loin de pouvoir les bonifier d’un intérêt, elle devrait au contraire leur faire payer un intérêt pour ses frais de garde, comme les banques anciennes. Mieux vaut donc pour les déposants courir le risque d’attendre quelques jours leur remboursement que d’être obligés de garder chez eux leur argent improductif ou de payer pour qu’on le leur garde.

2° Le pays lui-même, car la fonction sociale des banques consiste à réunir les capitaux épars et improductifs sous forme de numéraire pour en faire un capital actif et productif, mais cette fonction deviendrait impossible évidemment du jour où elles ne pourraient plus employer leurs dépôts.

Aussi les banques n’hésitent-elles pas à faire l’emploi des sommes à elles confiées. Seulement elles ont soin, pour faire face aux demandes qui pourraient se produire, de conserver toujours une certaine encaisse.

Aucune proportion ne peut être établie a priori entre le montant de l’encaisse et celui des dépôts (quoique certaines législations fixent la proportion d’un tiers). Une banque doit avoir une encaisse d’autant plus considérable que son crédit est moindre, que les gros dépôts sont plus nombreux, et elle doit surtout renforcer son encaisse au moment des crises commerciales, à l’approche des émissions de rentes ou d’obligations, en un mot dans toutes les circonstances où elle peut prévoir que les déposants auront besoin de leur argent.


L’escompte n’est pas du reste la seule façon dont les banques puissent faire emploi de leurs capitaux. Elles les prêtent encore :

1° sous forme d’avances sur titres, c’est-à-dire en prenant en gage des valeurs mobilières et en prenant la précaution de ne prêter qu’une somme assez inférieure à la valeur réelle du titre. Ces avances sur titres constituent une des opérations très importantes de la Banque de France ;

2° sous forme de crédits qu’elles ouvrent à leurs clients. On dit qu’elles sont avec eux en compte-courant, quand elles leur permettent de prendre chez elles plus d’argent qu’ils n’en ont déposé, ce qui équivaut évidemment à leur consentir un prêt. Toutefois, comme cette façon de prêter « à découvert », comme l’on dit, est fort dangereuse et n’offre aucune garantie réelle, certaines banques s’y refusent. Les règlements de la Banque de France la lui interdisent absolument.

  1. Ajoutez que non seulement l’escompte est un mode de prêt commode mais qu’il est encore extrêmement sûr, à raison de la solidarité de tous les signataires. Sur 14 milliards de fr. escomptés, la Banque de France n’a perdu (en 1894, par exemple) que 800.000 fr. — soit 2 centimes par 1.000 fr.