Principes d’économie politique/II-2-VII-VII

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VII

DE L’ÉMISSION DES BILLETS DE BANQUE.

L’intérêt d’un banquier, comme de tout commerçant, c’est d’étendre autant que possible ses opérations. En les doublant, il doublera ses bénéfices. Comment faire donc pour les développer le plus possible ?

Si le banquier pouvait créer de toutes pièces des capitaux, sous forme de numéraire, au lieu d’attendre patiemment que le public voulût bien les lui apporter, il est clair que ce serait un procédé infiniment avantageux pour lui.

Or des banquiers eurent l’idée ingénieuse de créer, en effet, de toutes pièces le capital dont ils avaient besoin, en émettant de simples promesses de payer, des billets de banque, et l’expérience a prouvé que le procédé était bon[1]. Il a admirablement réussi.

En échange des effets de commerce qui leur sont présentés à l’escompte, les banques au lieu de vous donner de l’argent vous remettent donc leurs billets. Mais on peut s’étonner que le public accepte cette combinaison. Voici un commerçant qui vient faire escompter une lettre de change de 1.000 francs, et il reçoit tout simplement en échange un autre titre de crédit, à savoir un billet de banque de 1.000 francs. « À quoi cela me sert-il ? pourrait-il dire. C’est, de l’argent qu’il me faut, non des créances créance pour créance, autant aurait valu garder celle que j’ai dans les mains ? » — Mais remarquez que quoique, le billet de banque ne soit en réalité qu’un titre de créance, tout comme la lettre de change, il représente toutefois un titre de créance infiniment plus commode. Il est très supérieur en effet aux titres de crédit et notamment à la lettre de change, par les caractères suivants :

Il est transmissible au porteur, comme une pièce de monnaie ; — tandis que la lettre de change est soumise aux formalités et aux responsabilités de l’endossement.

Il est payable à vue, c’est-à-dire quand on veut c’était même autrefois inscrit sur le billet ; — tandis que l’effet de commerce n’est payable qu’à un terme déterminé.

Il reste toujours exigible ; — tandis que les titres de créance sont prescriptibles par un certain laps de temps.

Il a une valeur ronde, — en harmonie avec le système monétaire, 50 ou 100 ou 1.000 francs ; — tandis que les autres titres de crédit, représentant une opération commerciale, ont en général une valeur fractionnaire.

Il est émis et signé par une banque connue dont le nom est familier à tout le monde, même au public étranger aux affaires, telle que, la Banque de France, par exemple ; — tandis que les noms des souscripteurs d’une lettre de change ne sont connus le plus souvent que par les personnes qui sont avec eux en relations d’affaires.

6° Enfin il ne produit pas intérêt, pas plus qu’une pièce de monnaie ; — tandis que tout titre de créance produit intérêt et, bien loin de voir ici une infériorité, il faut y voir une assimilation plus parfaite avec la monnaie, car par là sa valeur reste toujours la même et n’est pas sujette à varier selon que t’on est plus ou moins rapproché du jour de l’échéance.

Toutes ces considérations font que le billet de banque est en réalité accepté par le public comme argent comptant, et qu’il constitue tout simplement une monnaie de papier.

Il va sans dire que les banques trouvent de grands avantages à l’émission des billets : — d’une part, elles se procurent par là les ressources nécessaires pour étendre indéfiniment leurs opérations, dans les limites cependant que la prudence leur commande et que nous examinerons tout à l’heure ; — d’autre part, ce capital qu’elles se procurent ainsi sous forme de billets est bien plus avantageux que celui qu’elles se procurent sous forme de dépôts, puisque celui-ci leur coûte généralement, comme nous l’avons vu, un intérêt de 1 ou 2 %, tandis que celui-là ne leur coûte rien, sauf les frais de fabrication qui sont de peu d’importance.

Mais on ne peut se dissimuler que si cette opération est susceptible de procurer de beaux bénéfices aux banques, elle est faite aussi pour leur créer de graves dangers. En effet, le montant des billets en circulation qui peuvent à tout instant être présentés au remboursement représente une dette immédiatement exigible, tout comme celle résultant des dépôts, et, par suite, la banque se trouve exposée désormais à un double péril : elle a à répondre à la fois du remboursement de ses dépôts et du remboursement de ses billets.

Si la nécessité d’une encaisse s’imposait déjà quand la banque n’avait à faire face qu’au remboursement de ses dépôts, elle sera bien plus urgente quand la Banque ajoutera à la dette déjà résultant de ses dépôts à vue ; celle résultant de ses billets en circulation. On comprend donc que dans plusieurs pays, la loi elle-même impose cette encaisse[2].

Malheureusement, comme l’argent qui dort dans les caves ne rapporte rien, l’intérêt des banques les pousse à réduire leur encaisse au minimum et il leur est difficile de résister à la tentation. Si la Banque de France, par exemple, était une banque absolument privée, il est certain que les actionnaires protesteraient énergiquement contre l’immobilisation de ses trois milliards de numéraire et demanderaient qu’on les employât à l’escompte ou à toute autre opération lucrative.

  1. C’est à Palmstruch, fondateur de la banque de Stockholm en 1656, que l’on attribue cette ingénieuse invention.
    Les anciens banquiers d’Italie et d’Amsterdam émettaient bien des billets, mais ces billets représentaient simplement le numéraire qu’ils avaient en caisse ; c’étaient des récépissés de dépôt.
  2. Contrairement à ce qu’on croit communément, la loi française ne fixe à la Banque de France aucune proportion déterminée pour son encaisse : celle-ci pourrait être nulle, quoique d’ordinaire elle soit plutôt excessive. — En Allemagne, en Belgique, la loi fixe la proportion, tout à fait arbitraire d’ailleurs, d’un tiers. En Suisse, 40 % du montant des billets émis.