Principes mathématiques de la philosophie naturelle/Définitions

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DÉFINITION PREMIÈRE.


La quantité de matiere ſe meſure par la denſité & le volume pris enſemble.



LAir devenant d’une denſité double eſt quadruple en quantité, lorſque l’eſpace eſt double, & ſextuple, si l’eſpace eſt triple. On en peut dire autant de la neige & de la poudre condenſées par la liquéfaction ou la compreſſion, auſſi-bien que dans tous les corps condenſés par quelque cauſe que ce puiſſe être.

Je ne fais point attention ici au milieu qui paſſe librement entre les parties des corps, ſuppoſé qu’un tel milieu éxiſte. Je déſigne la quantité de matiere par les mots de corps ou de maſſe. Cette quantité ſe connoît par le poids des corps : car j’ai trouvé par des expériences très-éxactes ſur les pendules, que les poids des corps ſont proportionnels à leur maſſe ; je rapporterai ces expériences dans la ſuite.


DÉFINITION II.


La quantité de mouvement eſt le produit de la maſſe par la vîteſſe.


Le mouvement total eſt la ſomme du mouvement de chacune des parties ; ainſi la quantité du mouvement eſt double dans un corps dont la maſſe eſt double, si la vîteſſe reſte la même ; mais ſi on double la vîteſſe, la quantité du mouvement ſera quadruple.


DÉFINITION III.


La force qui réſide dans la matiere (vis inſita) eſt le pouvoir qu’elle a de réſiſter. C’eſt par cette force que tout corps perſévere de lui-même dans ſon état actuel de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite.


Cette force eſt toujours proportionnelle à la quantité de matiere des corps, & elle ne différe de ce qu’on appelle l’inertie de la matiere, que par la maniere de la concevoir : car l’inertie eſt ce qui fait qu’on ne peut changer ſans effort l’état actuel d’un corps, ſoit qu’il se meuve, ſoit qu’il ſoit en repos ; ainſi on peut donner à la force qui réſide dans les corps le nom très-expreſſif de force d’inertie.

Le corps éxerce cette force toutes les fois qu’il s’agit de changer ſon état actuel, & on peut la conſidérer alors ſous deux différens aſpects, ou comme réſiſtante, ou comme impulſive : comme réſiſtante, en tant que le corps s’oppoſe à la force qui tend à lui faire changer d’état ; comme impulſive, en tant que le même corps fait effort pour changer l’état de l’obſtacle qui lui réſiſte.

On attribue communément la réſiſtance aux corps en repos, & la force impulſive à ceux qui ſe meuvent ; mais le mouvement & le repos, tels qu’on les conçoit communément, ne ſont que reſpectifs : car les corps qu’on croit en repos ne ſont pas toujours dans un repos abſolu.


DÉFINITION IV.


La force imprimée (vis impreſſa) eʃt l’action par laquelle l’état du corps eʃt changé, ʃoit que cet état ʃoit le repos, ou le mouvement uniforme en ligne droite.


Cette force conſiſte uniquement dans l’action, & elle ne ſubſiſte plus dans le corps, dès que l’action vient à ceſſer. Mais le corps perſévere par ſa ſeule force d’inertie dans le nouvel état dans lequel il ſe trouve. La force imprimée peut avoir diverſes origines, elle peut être produite par le choc, par la preſſion, & par la force centripete.


DÉFINITION V.


La force centripete eʃt celle qui fait tendre les corps vers quelque point, comme vers un centre, ʃoit qu’ils ʃoient tirés ou pouʃʃés vers ce point, ou qu’ils y tendent d’une façon quelconque.


La gravité qui fait tendre tous les corps vers le centre de la terre ; la force magnétique qui fait tendre le fer vers l’aimant, & la force, quelle qu’elle ſoit, qui retire à tout moment les planétes du mouvement rectiligne, & qui les fait circuler dans des courbes, ſont des forces de ce genre.

La pierre qu’on fait tourner par le moyen d’une fronde, agit ſur la main, en tendant la fronde, par un effort qui eſt d’autant plus grand, qu’on la fait tourner plus vîte, & elle s’échape auſſitôt qu’on ne la retient plus. La force éxercée par la main pour retenir la pierre, laquelle eſt égale & contraire à la force par laquelle la pierre tend la fronde, étant donc toujours dirigée vers la main, centre du cercle décrit, eſt celle que j’appelle force centripete. Il en eſt de même de tous les corps qui ſe meuvent en rond, ils font tous effort pour s’éloigner du centre de leur révolution ; & ſans le ſecours de quelque force qui s’oppoſe à cet effort & qui les retient dans leurs orbes, c’eſt-à-dire, de quelque force centripete, ils s’en iroient en ligne droite d’un mouvement uniforme.

Un projectile ne retomberoit point vers la terre, s’il n’étoit point animé par la force de la gravité, mais il s’en iroit en ligne droite dans les cieux avec un mouvement uniforme, ſi la réſiſtance de l’air étoit nulle. C’eſt donc par ſa gravité qu’il eſt retiré de la ligne droite, & qu’il s’infléchit ſans ceſſe vers la terre ; & il s’infléchit plus ou moins, ſelon sa gravité & la vîteſſe de ſon mouvement. Moins la gravité du projectile ſera grande par rapport à ſa quantité de matiére, plus il aura de vîteſſe ; moins il s’éloignera de la ligne droite, & plus il ira loin avant de retomber ſur la terre.

Ainſi, ſi un boulet de canon étoit tiré horiſontalement du haut d’une montagne, avec une vîteſſe capable de lui faire parcourir un eſpace de deux lieues avant de retomber ſur la terre : avec une vîteſſe double, il n’y retomberoit qu’après avoir parcouru à peu près quatre lieues, & avec une vîteſſe décuple, il iroit dix fois plus loin ; (pourvû qu’on n’ait point d’égard à la réſiſtance de l’air,) & en augmentant la vîteſſe de ce corps, on augmenteroit à volonté le chemin qu’il parcoureroit avant de retomber ſur la terre, & on diminueroit la courbure de la ligne qu’il décriroit ; en ſorte qu’il pourroit ne retomber ſur la terre qu’à la diſtance de 10, de 30, ou de 90 degrès ; ou qu’enfin il pourroit circuler autour, ſans y retomber jamais, & même s’en aller en ligne droite à l’infini dans le ciel.

Or, par la même raiſon qu’un projectile pourroit tourner autour de la terre par la force de la gravité, il ſe peut faire que la lune par la force de ſa gravité, (ſuppoſé qu’elle gravite) ou par quelqu’autre force qui la porte vers la terre, ſoit détournée à tout moment de la ligne droite pour s’approcher de la terre, & qu’elle ſoit contrainte à circuler dans une courbe, & ſans une telle force, la lune ne pourroit être retenue dans ſon orbite.

Si cette force étoit moindre qu’il ne convient, elle ne retireroit pas aſſez la lune de la ligne droite ; & ſi elle étoit plus grande, elle l’en retireroit trop, & elle la tireroit de ſon orbe vers la terre. La quantité de cette force doit donc être donnée ; & c’eſt aux Mathématiciens à trouver la force centripete néceſſaire pour faire circuler un corps dans un orbite donné, & à déterminer réciproquement la courbe dans laquelle un corps doit circuler par une force centripete donnée, en partant d’un lieu quelconque donné, avec une vîteſſe donnée.

La quantité de la force centripete peut être conſidérée comme abſolue, accélératrice & motrice.


DÉFINITION VI.


La quantité abʃolue de la force centripete eʃt plus grande ou moindre, ʃelon l’efficacité de la cauʃe qui la propage du centre.


C’eſt ainſi que la force magnétique eſt plus grande dans un aimant que dans un autre, ſuivant la grandeur de la pierre, & l’intenſité de ſa vertu.


DÉFINITION VII.


La quantité accélératrice de la force centripete eʃt proportionnelle à la vîteʃʃe qu’elle produit dans un temps donné.


La force magnétique du même aimant eſt plus grande à une moindre diſtance, qu’à une plus grande. La force de la gravité eſt plus grande dans les plaines, & moindre ſur le ſommet des hautes montagnes, & doit être encore moindre (comme on le prouvera dans la ſuite) à de plus grandes diſtances de la terre, & à des diſtances égales, elle eſt la même de tous côtés ; c’eſt pourquoi elle accélére également tous les corps qui tombent, ſoit qu’ils ſoient légers ou peſans, grands ou petits, abſtraction faite de la réſiſtance de l’air.


DÉFINITION VIII.


La quantité motrice de la force centripete eſt proportionnelle au mouvement qu’elle produit dans un temps donné.


Le poids des corps eſt d’autant plus grand, qu’ils ont plus de maſſe ; & le même corps péſe plus près de la ſurface de la terre, que s’il étoit tranſporté dans le ciel. La quantité motrice de la force centripete eſt la force totale avec laquelle le corps tend vers le centre, & proprement ſon poids ; & on peut toujours la connoître en connoiſſant la force contraire & égale qui peut empêcher le corps de deſcendre.

J’ai appellé ces différentes quantités de la force centripete, motrices, accélératrices, & abſolues, afin d’être plus court.

On peut, pour les diſtinguer, les rapporter aux corps qui ſont attirés vers un centre, aux lieux de ces corps, & au centre des forces.

On peut rapporter la force centripete motrice au corps, en la conſidérant comme l’effort que fait le corps entier pour s’approcher du centre, lequel effort eſt compoſé de celui de toutes ſes parties.

La force centripete accélératrice peut ſe rapporter au lieu du corps, en conſidérant cette force en tant qu’elle ſe répand du centre dans tous les lieux qui l’environnent, pour mouvoir les corps qui s’y rencontrent.

Enfin on rapporte la force centripete abſolue au centre, comme à une certaine cauſe ſans laquelle les forces motrices ne ſe propageroient point dans tous les lieux qui entourent le centre ; ſoit que cette cauſe ſoit un corps central quelconque, (comme l’aimant dans le centre de la force magnétique, & la terre dans le centre de la force gravitante,) ſoit que ce ſoit quelqu’autre cauſe qu’on n’apperçoit pas. Cette façon de conſidérer la force centripete eſt purement mathématique : & je ne prétends point en donner la cauſe phyſique.

La force centripete accélératrice eſt donc à la force centripete motrice, ce que la vîteſſe eſt au mouvement ; car de même que la quantité de mouvement eſt le produit de la maſſe par la vîteſſe, la quantité de la force centripete motrice eſt le produit de la force centripete accélératrice par la maſſe ; car la ſomme de toutes les actions de la force centripete accélératrice ſur chaque particule du corps eſt la force centripete motrice du corps entier. Donc à la ſurface de la terre où la force accélératrice de la gravité eſt la même ſur tous les corps, la gravité motrice ou le poids des corps eſt proportionnel à leur maſſe ; & ſi on étoit placé dans des régions où la force accélératrice diminuât, le poids des corps y diminueroit pareillement ; ainſi il eſt toujours comme le produit de la maſſe par la force centripete accélératrice. Dans les régions où la force centripete accélératrice ſeroit deux fois moindre, le poids d’un corps ſousdouble ou ſoustriple ſeroit quatre fois ou ſix fois moindre.

Au reſte, je prens ici dans le même ſens les attractions & les impulſions accélératrices & motrices, & je me ſers indifféremment des mots d’impulſion, d’attraction, ou de propenſion quelconque vers un centre : car je conſidere ces forces mathématiquement & non phyſiquement ; ainſi le Lecteur doit bien ſe garder de croire que j’aie voulu déſigner par ces mots une eſpece d’action, de cauſe ou de raiſon phyſique ; & lorſque je dis que les centres attirent, lorſque je parle de leurs forces, il ne doit pas penſer que j’aie voulu attribuer aucune force réelle à ces centres que je conſidere comme des points mathématiques.

SCHOLIE.

Je viens de faire voir le ſens que je donne dans cet Ouvrage à des termes qui ne ſont pas communément uſités. Quant à ceux de temps, d'eſpace, de lieu & de mouvement, ils ſont connus de tout le monde ; mais il faut remarquer que pour n’avoir conſidéré ces quantités que par leurs relations à des choſes ſensibles, on eſt tombé dans pluſieurs erreurs.

Pour les éviter, il faut diſtinguer le temps, l’eſpace, le lieu, & le mouvement, en abſolus & relatifs, vrais & apparens, mathématiques & vulgaires.

I. Le temps abſolu, vrai & mathématique, ſans relation à rien d’extérieur, coule uniformément, & s’appelle durée. Le temps relatif, apparent & vulgaire, eſt cette meſure ſenſible & externe d’une partie de durée quelconque (égale ou inégale) priſe du mouvement : telles ſont les meſures d’heures, de jours, de mois, &c. dont on ſe ſert ordinairement à la place du temps vrai.

II. L’eſpace abſolu, ſans relation aux choſes externes, demeure toujours ſimilaire & immobile.

L’eſpace relatif eſt cette meſure ou dimenſion mobile de l’eſpace abſolu, laquelle tombe ſous nos ſens par ſa relation aux corps, & que le vulgaire confond avec l’eſpace immobile. C’eſt ainſi, par exemple, qu’un eſpace, pris au dedans de la terre ou dans le ciel, eſt déterminé par la ſituation qu’il a à l’égard de la terre.

L’eſpace abſolu & l’eſpace relatif ſont les mêmes d’eſpece & de grandeur ; mais ils ne le ſont pas toujours de nombre ; car, par éxemple, lorſque la terre change de place dans l’eſpace, l’eſpace qui contient notre air demeure le même par rapport à la terre, quoique l’air occupe néceſſairement les différentes parties de l’eſpace dans leſquelles il paſſe, & qu’il en change réellement ſans ceſſe.

III. Le lieu eſt la partie de l’eſpace occupée par un corps, & par rapport à l’eſpace, il eſt ou relatif ou abſolu.

Je dis que le lieu eſt une partie de l’eſpace, & non pas ſimplement la ſituation du corps, ou la ſuperficie qui l’entoure : car les ſolides égaux ont toujours des lieux égaux, quoique leurs ſuperficies ſoient ſouvent inégales, à cauſe de la diſſemblance de leurs formes ; les ſituations, à parler éxactement, n’ont point de quantité, ce ſont plutôt des affections des lieux, que des lieux proprement dits.

De même que le mouvement ou la tranſlation du tout hors de ſon lieu eſt la ſomme des mouvemens ou des tranſlations des parties hors du leur ; ainſi le lieu du tout eſt la ſomme des lieux de toutes les parties, & ce lieu doit être interne, & être dans tout le corps entier (& propterea internus & in corpore toto.)

IV. Le mouvement abſolu eſt la tranſlation des corps d’un lieu abſolu dans un autre lieu abſolu, & le mouvement relatif eſt la tranſlation d’un lieu relatif dans un autre lieu relatif ; ainſi dans un vaiſſeau pouſſé par le vent, le lieu relatif d’un corps eſt la partie du vaiſſeau dans laquelle ce corps ſe trouve, ou l’eſpace qu’il occupe dans la cavité du vaiſſeau ; & cet eſpace ſe meut avec le vaiſſeau ; & le repos relatif de ce corps eſt ſa permanence dans la même partie de la cavité du vaiſſeau. Mais le repos vrai du corps eſt ſa permanence dans la partie de l’eſpace immobile, où l’on ſuppoſe que ſe meut le vaiſſeau & tout ce qu’il contient. Ainſi, ſi la terre étoit en repos, le corps qui eſt dans un repos relatif dans le vaiſſeau auroit un mouvement vrai & abſolu, dont la vîteſſe ſeroit égale à celle qui emporte le vaiſſeau ſur la ſurface de la terre ; mais la terre ſe mouvant dans l’eſpace, le mouvement vrai & abſolu de ce corps eſt compoſé du mouvement vrai de la terre dans l’eſpace immobile, & du mouvement relatif du vaiſſeau ſur la ſurface de la terre ; & ſi le corps avoit un mouvement relatif dans le vaiſſeau, ſon mouvement vrai & abſolu ſeroit compoſé de ſon mouvement relatif dans le vaiſſeau, du mouvement relatif du vaiſſeau ſur la terre, & du mouvement vrai de la terre dans l’eſpace abſolu. Quant au mouvement relatif de ce corps ſur la terre, il ſeroit formé dans ce cas de ſon mouvement relatif dans le vaiſſeau, & du mouvement relatif du vaiſſeau ſur la terre. Enſorte que ſi la partie de la terre où ſe trouve ce vaiſſeau avoit un mouvement vrai vers l’orient, avec une vîteſſe diviſée en 10010 parties : que le vaiſſeau fût emporté vers l’occident avec 10 parties de cette vîteſſe ; & que le Pilote ſe promenât dans le vaiſſeau vers l’orient avec une partie de cette même vîteſſe : ce Pilote auroit un mouvement réel & abſolu dans l’eſpace immobile, avec 10001 parties de vîteſſe vers l’orient, & un mouvement relatif ſur la terre vers l’occident avec 9 parties de vîteſſe.

On diſtingue en aſtronomie le temps abſolu du temps relatif par l’équation du temps. Car les jours naturels ſont inégaux, quoiqu’on les prenne communément pour une meſure égale du temps ; & les Aſtronomes corrigent cette inégalité, afin de meſurer les mouvemens céleſtes par un temps plus éxact.

Il eſt très poſſible qu’il n’y ait point de mouvement parfaitement égal, qui puiſſe ſervir de meſure éxacte du temps ; car tous les mouvemens peuvent être accélérés & retardés, mais le temps abſolu doit toujours couler de la même maniére.

La durée ou la perſévérance des choſes eſt donc la même, ſoit que les mouvemens ſoient prompts, ſoit qu’ils ſoient lents, & elle ſeroit encore la même, quand il n’y auroit aucun mouvement ; ainſi il faut bien diſtinguer le temps de ſes meſures ſenſibles, & c’eſt ce qu’on fait par l’équation aſtronomique. La néceſſité de cette équation dans la détermination des Phénomènes ſe prouve aſſez par l’expérience des horloges à pendule, & par les obſervations des Eclipſes des ſatellites de Jupiter.

L’ordre des parties de l’eſpace eſt auſſi immuable que celui des parties du temps ; car ſi les parties de l’eſpace ſortoient de leur lieu, ce ſeroit, ſi l’on peut s’exprimer ainſi, ſortir d’elles-mêmes. Les temps & les eſpaces n’ont pas d’autres lieux qu’eux-mêmes, & ils ſont les lieux de toutes les choſes. Tout eſt dans le temps, quant à l’ordre de la ſucceſion : tout eſt dans l’eſpace, quant à l’ordre de la ſituation. C’eſt là ce qui détermine leur eſſence, & il ſeroit abſurde que les lieux primordiaux ſe mûſſent. Ces lieux ſont donc les lieux abſolus, & la ſeule tranſlation de ces lieux fait les mouvemens abſolus.

Comme les parties de l’eſpace ne peuvent être vûes ni diſtinguées les unes des autres par nos ſens, nous y ſuppléons par des meſures ſenſibles. Ainſi nous déterminons les lieux par les poſitions & les diſtances à quelque corps que nous regardons comme immobile, & nous meſurons enſuite les mouvemens des corps par rapport à ces lieux ainſi déterminés : nous nous ſervons donc des lieux & des mouvemens relatifs à la place des lieux & des mouvemens abſolus ; & il eſt à propos d’en uſer ainſi dans la vie civile : mais dans les matieres philoſophiques, il faut faire abſtraction des ſens ; car il ſe peut faire qu’il n’y ait aucun corps véritablement en repos, auquel on puiſſe rapporter les lieux & les mouvemens.

Le repos & le mouvement relatifs & abſolus ſont diſtingués par leurs propriétés, leurs cauſes & leurs effets. La propriété du repos eſt que les corps véritablement en repos y ſont les uns à l’égard des autres. Ainſi, quoiqu’il ſoit poſſible qu’il y ait quelque corps dans la région des fixes, ou beaucoup au-delà, qui ſoit dans un repos abſolu, comme on ne peut pas connoître par la ſituation qu’ont entre eux les corps d’ici-bas, ſi quelqu’un de ces corps conſerve ou non ſa ſituation par rapport à ce corps éloigné, on ne ſçauroit déterminer, par le moyen de la ſituation que ces corps ont entr’eux, s’ils ſont véritablement en repos.

La propriété du mouvement eſt que les parties qui conſervent des poſitions données par rapport aux touts participent aux mouvemens de ces touts ; car ſi un corps ſe meut autour d’un axe, toutes ſes parties font effort pour s’éloigner de cet axe, & s’il a un mouvement progreſſif, ſon mouvement total eſt la ſomme des mouvemens de toutes ſes parties. De cette propriété il ſuit, que ſi un corps ſe meut, les corps qu’il contient, & qui ſont par rapport à lui dans un repos relatif, ſe meuvent auſſi ; & par conſéquent le mouvement vrai & abſolu ne ſçauroit être défini par la tranſlation du voiſinage des corps extérieurs, que l’on conſidére comme en repos. Il faut que les corps extérieurs ſoient non ſeulement regardés comme en repos, mais qu’ils y ſoient véritablement : autrement les corps qu’ils renferment, outre leur tranſlation du voiſinage des ambians, participeront encore au mouvement vrai des ambians, & s’ils ne changeoient point de poſition par rapport aux parties des ambians, ils ne ſeroient pas pour cela véritablement en repos ; mais ils ſeroient ſeulement conſidérés comme en repos. Les corps ambians ſont à ceux qu’ils contiennent, comme toutes les parties extérieures d’un corps ſont à toutes ſes parties intérieures, ou comme l’écorce eſt au noyau. Or l’écorce étant muë, le noyau ſe meut auſſi, quoiqu’il ne change point ſa ſituation par rapport aux parties de l’écorce qui l’environnent.

Il ſuit de cette propriété du mouvement qu’un lieu étant mû, tout ce qu’il contient ſe meut auſſi, & par conſéquent qu’un corps qui ſe meut dans un lieu mobile, participe au mouvement de ce lieu. Tous les mouvemens qui s’éxécutent dans des lieux mobiles ne ſont donc que les parties des mouvemens entiers & abſolus. Le mouvement entier & abſolu d’un corps eſt compoſé du mouvement de ce corps dans le lieu où on le ſuppoſe, du mouvement de ce lieu dans le lieu où il eſt placé lui-même, & ainſi de ſuite, juſqu’à ce qu’on arrive à un lieu immobile, comme dans l’éxemple du Pilote dont on a parlé ci-deſſus. Ainſi les mouvemens entiers & abſolus ne peuvent ſe déterminer qu’en les conſidérant dans un lieu immobile : & c’eſt pourquoi j’ai rapporté ci-deſſus les mouvemens abſolus à un lieu immobile, & les mouvemens relatifs à un lieu mobile. Il n’y a de lieux immobiles que ceux qui conſervent à l’infini dans tous les ſens leurs ſituations reſpectives ; & ce ſont ces lieux qui conſtituent l’eſpace que j’appelle immobile.

Les cauſes par leſquelles on peut diſtinguer le mouvement vrai du mouvement relatif ſont les forces imprimées dans les corps pour leur donner le mouvement : car le mouvement vrai d’un corps ne peut être produit ni changé que par des forces imprimées à ce corps même ; au lieu que ſon mouvement relatif peut être produit & changé, ſans qu’il éprouve l’action d’aucune force : il ſuffit qu’il y ait des forces qui agiſſent ſur les corps par rapport auſquels on le conſidere, puiſque ces corps étant mûs, la relation dans laquelle conſiſte le repos ou le mouvement relatif change, de même, le mouvement abſolu d’un corps peut changer, ſans que ſon mouvement relatif change ; car ſi les forces qui agiſſent ſur ce corps agiſſoient en même temps ſur ceux par rapport auſquels on le conſidere, & en telle ſorte que les relations reſtaſſent toujours les mêmes, le mouvement relatif, qui n’eſt autre choſe que ces relations, ne changeroit point. Ainſi le mouvement relatif peut changer, tandis que le mouvement vrai & abſolu reſte le même, & il peut ſe conſerver auſſi, quoique le mouvement abſolu change ; il eſt donc ſûr que le mouvement abſolu ne conſiſte point dans ces ſortes de relations.

Les effets par leſquels ou peut diſtinguer le mouvement abſolu du mouvement relatif, ſont les forces qu’ont les corps qui tournent pour s’éloigner de l’axe de leur mouvement ; car dans le mouvement circulaire purement relatif, ces forces ſont nulles, & dans le mouvement circulaire vrai & abſolu elles ſont plus ou moins grandes, ſelon la quantité du mouvement.

Si on fait tourner en rond un vaſe attaché à une corde juſqu’à-ce que la corde, à force d’être torſe, devienne en quelque ſorte infléxible ; ſi on met enſuite de l’eau dans ce vaſe, & qu’après avoir laiſſé prendre à l’eau & au vaſe l’état de repos, on donne à la corde la liberté de ſe détortiller, le vaſe acquérera par ce moyen un mouvement qui ſe conſervera très long temps : au commencement de ce mouvement la ſuperficie de l’eau contenue dans le vaſe reſtera plane, ainſi qu’elle l’étoit avant que la corde ſe détortillât ; mais enſuite le mouvement du vaſe ſe communiquant peu à peu à l’eau qu’il contient, cette eau commencera à tourner, à s’élever vers les bords, & à devenir concave, comme je l’ai éprouvé, & ſon mouvement s’augmentant, les bords de cette eau s’éléveront de plus en plus, juſqu’à-ce que ſes révolutions s’achevant dans des temps égaux à ceux dans leſquels le vaſe fait un tour entier, l’eau ſera dans un repos relatif par rapport à ce vaſe. L’aſcenſion de l’eau vers les bords du vaſe marque l’effort qu’elle fait pour s’éloigner du centre de ſon mouvement, & on peut connoître & meſurer par cet effort le mouvement circulaire vrai & abſolu de cette eau, lequel eſt entiérement contraire à ſon mouvement relatif ; car dans le commencement où le mouvement relatif de l’eau dans le vaſe étoit le plus grand, ce mouvement n’excitoit en elle aucun effort pour s’éloigner de l’axe de ſon mouvement : l’eau ne s’élevoit point vers les bords du vaſe, mais elle demeuroit plane, & par conſéquent elle n’avoit pas encore de mouvement circulaire vrai & abſolu : lorſqu’enſuite le mouvement relatif de l’eau vint à diminuer, l’aſcenſion de l’eau vers les bords du vaſe marquoit l’effort qu’elle faiſoit pour s’éloigner de l’axe de ſon mouvement ; & cet effort, qui alloit toujours en augmentant, indiquoit l’augmentation de ſon mouvement circulaire vrai. Enfin ce mouvement vrai fut le plus grand, lorſque l’eau fut dans un repos relatif dans le vaſe. L’effort que faiſoit l’eau pour s’éloigner de l’axe de ſon mouvement, ne dépendoit donc point de ſa tranſlation du voiſinage des corps ambians, & par conſéquent le mouvement circulaire vrai ne peut ſe déterminer par de telles tranſlations.

Le mouvement vrai circulaire de tout corps qui tourne eſt unique, & il répond à un ſeul effort qui eſt ſa meſure naturelle & éxacte ; mais les mouvemens relatifs ſont variés à l’infini ; ſelon toutes les relations aux corps extérieurs ; & tous ces mouvemens, qui ne ſont que des relations, n’ont aucun effet réel, qu’en tant qu’ils participent du mouvement vrai & unique. De-là il ſuit que dans le ſyſtême de ceux qui prétendent que nos cieux tournent au-dessous des cieux des Étoiles fixes, & qu’ils emportent les Planetes par leurs mouvemens : toutes les parties des cieux, & les Planetes qui ſont en repos par rapport aux cieux qui les environnent ſe meuvent réellement ; car elles changent leur poſition entre elles (au contraire de ce qui arrive aux corps qui ſont dans un repos abſolu) & étant tranſportées avec les cieux qui les entourent, elles font effort, ainſi que les parties des touts qui tournent, pour s’éloigner de l’axe du mouvement.

Les quantités relatives ne ſont donc pas les véritables quantités dont elles portent le nom, mais ce ſont les meſures ſenſibles, (éxactes ou non éxactes) que l’on employe ordinairement pour les meſurer. Or comme la ſignification des mots doit répondre à l’uſage qu’on en fait, on auroit tort ſi on entendoit par les mots de temps, d'eſpace, de lieu & de mouvement, autre choſe que les meſures ſenſibles de ces quantités, excepté dans le langage purement mathématique. Lorſqu’on trouve donc ces termes dans l’Ecriture, ce ſeroit faire violence au texte ſacré, ſi au lieu de les prendre pour les quantités qui leur ſervent de meſures ſenſibles, on les prenoit pour les véritables quantités abſolues, ce ſeroit de même aller contre le but de la Philoſophie & des Mathématiques, de confondre ces mêmes meſures ſenſibles ou quantités relatives avec les quantités abſolues qu’elles meſurent.

Il faut avouer qu’il eſt très difficile de connoître les mouvemens vrais de chaque corps, & de les diſtinguer actuellement des mouvemens apparens, parce que les parties de l’eſpace immobile dans leſquelles s’éxécutent les mouvemens vrais, ne tombent pas ſous nos ſens. Cependant il ne faut pas en déſeſpérer entiérement ; car on peut ſe ſervir, pour y parvenir, tant des mouvemens apparens, qui ſont les différences des mouvemens vrais, que des forces qui ſont les cauſes & les effets des mouvemens vrais. Si, par éxemple, deux globes attachés l’un à l’autre par le moyen d’un fil de longueur donnée viennent à tourner autour de leur centre commun de gravité, la tenſion du fil fera connoître l’effort qu’ils font pour s’écarter du centre du mouvement, & donnera par ce moyen la quantité du mouvement circulaire. Enſuite, ſi en frappant ces deux globes en même temps dans des ſens oppoſés, & avec des forces égales, on augmente ou on diminue le mouvement circulaire, on connoîtra par l’augmentation ou la diminution de la tenſion du fil, l’augmentation ou la diminution du mouvement ; & enfin on trouvera par ce moyen les côtés de ces globes où les forces doivent être imprimées pour augmenter le plus qu’il eſt poſſible le mouvement, c’eſt-à-dire, les côtés qui ſe meuvent parallélement au fil, & qui ſuivent ſon mouvement ; connoiſſant donc ces côtés & leurs oppoſés qui précédent le mouvement du fil, on aura la détermination du mouvement.

On parviendroit de même à connoître la quantité & la détermination de ce mouvement circulaire dans un vuide quelconque immenſe, où il n’y auroit rien d’extérieur ni de ſenſible à quoi on pût rapporter le mouvement de ces globes.

Si dans cet eſpace il ſe trouvoit quelques autres corps très éloignés qui conſervaſſent toujours entr’eux une poſition donnée, tels que ſont les étoiles fixes, on ne pourrait ſçavoir par la tranſlation relative des globes, par rapport à ces corps, s’il faudroit attribuer le mouvement aux globes, ou s’il le faudroit ſuppoſer dans ces corps ; mais ſi en faiſant attention au fil qui joint les globes, on trouvoit ſa tenſion telle que le mouvement des globes le requiert ; alors non-ſeulement on verroit avec certitude que ce ſont les globes qui ſe meuvent, & que les autres corps ſont en repos ; mais on auroit la détermination du mouvement de ces globes par leurs tranſlations relatives à l’égard des corps.

On fera voir plus amplement dans la ſuite comment les mouvemens vrais peuvent ſe connaître par leurs cauſes, leurs effets, & leurs différences apparentes, & comment on peut connoître au contraire par les mouvemens vrais ou apparens leurs cauſes & leurs effets, & c’eſt principalement dans cette vûe qu’on a compoſé cet Ouvrage.