Procès des grands criminels de guerre/Vol 1/Section 40

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RAPPORT DE LA COMMISSION DÉSIGNÉE POUR EXAMINER L’ACCUSÉ RUDOLF HESS[1].


A


Au Tribunal Militaire International.


Conformément à la décision du Tribunal, les médecins-experts de la Délégation soviétique soussignés, avec les médecins de la Délégation anglaise et en présence d’un représentant de la Délégation médicale américaine, ont examiné Rudolf Hess et rédigé un rapport de cet examen avec leurs conclusions et leur interprétation du comportement de cet accusé.

L’exposé sur les conclusions générales n’a été signé que par les médecins de la Délégation soviétique et par le Professeur Delay, médecin-expert de la Délégation française.

En appendice les conclusions et le rapport sur l’examen de l’accusé Hess.

Signé : Professeur Krasnushkin,
Docteur en Médecine.
Professeur emeritus Sepp,

Membre régulier de l’Académie de Médecine.


Professeur Kurshakov,
Docteur en Médecine, Chef thérapeutiste
au Commissariat à la Santé de l’URSS.


17 novembre 1945.


Annexe I.


CONCLUSIONS.

Après observation et examen de Rudolf Hess, les soussignés sont arrivés aux conclusions suivantes :

1. Rien d’anormal à signaler quant à la condition physique du sujet.

2. Son état mental est incertain. C’est un être instable, ce qu’on appelle en termes techniques une personnalité psychopathique. L’un des experts qui l’a eu en observation en Angleterre pendant les quatre dernières années a fait part des syndromes de sa maladie : ils montrent qu’il s’imaginait être empoisonné et qu’il vivait également sous l’obsession d’autres idées analogues.

C’est en partie à cause de l’insuccès de sa mission que les manifestations anormales se multiplièrent et le conduisirent à des tentatives de suicide. Il présente en outre des tendances hystériques marquées se manifestant par des symptômes variés, en particulier par de l’amnésie qui dura de novembre 1943 à juin 1944 et résista à toute tentative de guérison.

Les symptômes d’amnésie peuvent disparaître avec les circonstances.

La deuxième période d’amnésie débuta en février 1945 et persiste encore actuellement.

3. À l’heure actuelle, il n’est pas dément au sens strict du terme. Son amnésie ne l’empêche pas de saisir parfaitement ce qui se passe autour de lui, mais elle entrave son aptitude à conduire sa défense et à comprendre les détails du passé qui pourraient apparaître comme données de fait.

4. Afin d’éclaircir ce point, les médecins-experts recommandent que lui soit faite une narco-analyse et qu’au cas où le Tribunal déciderait de le faire comparaître devant lui, le problème soit ultérieurement reconsidéré du point de vue psychiatrique.

Les conclusions auxquelles sont arrivés le 14 novembre les médecins de la Délégation britannique : Lord Moran, le Dr T. Rees et le Dr G. Riddoch ainsi que les médecins de la Délégation soviétique : les professeurs Krasnushkin, Sepp et Kurshakov, ont été également, le 15 novembre, celles du représentant de la Délégation française, le professeur Jean Delay.

Après l’examen de l’accusé Hess, qui eut lieu le 15 novembre 1945, les soussignés, professeurs Krasnushkin, Sepp et Kurshakov, experts de la Délégation soviétique, et professeur Jean Delay, expert de la Délégation française, se sont mis d’accord sur la déclaration suivante :

L’accusé Hess a catégoriquement refusé de se soumettre à une narco-analyse, et à tout traitement tendant à la guérison de son amnésie. Il a déclaré qu’il ne serait disposé à le faire qu’à la fin du Procès. L’attitude de l’accusé Hess rend impossible l’emploi des méthodes suggérées au paragraphe 4 du rapport du 14 novembre et d’en suivre les modalités dans sa forme présente.


Signé : Professeur Krasnushkin,
Docteur en Médecine.
Signé : Professeur emeritus E. Sepp,

Membre régulier de l’Académie de Médecine.


Signé : Professeur Kurshakov,
Docteur en Médecine, Chef thérapeutiste
au Commissariat à la Santé de l’URSS.


Signé : Professeur Jean Delay,
de la Faculté de Médecine de Paris.

16 novembre 1945.


Annexe II.


RAPPORT MÉDICAL.

Suivant les renseignements obtenus le 16 novembre 1945 au cours de l’interrogatoire de Rosenberg qui avait vu Hess immédiatement avant que ce dernier ne s’échappe en Angleterre, Hess n’offrait rien d’anormal tant dans son aspect que dans sa conversation. Il était comme à l’ordinaire, calme et tranquille et on ne décelait aucun signe apparent de nervosité dans son comportement. Auparavant, il était de caractère calme, sujet à des douleurs dans la région de l’estomac.

Comme on peut en juger sur la base du rapport du médecin psychiatre anglais, le docteur Rees, qui avait eu l’accusé en observation depuis les premiers jours de sa fuite en Angleterre, Hess, après l’écrasement de l’avion au sol, ne donna aucun signe de lésion cérébrale, mais lors de son arrestation et de son incarcération, il commença à exprimer des idées de persécution, il craignait d’être empoisonné ou assassiné et que sa mort soit attribuée à un suicide, tout ceci arrangé par les Anglais sous l’influence hypnotique des Juifs. De plus, cette maladie de la persécution subsista jusqu’à l’annonce de la catastrophe subie par l’armée allemande à Stalingrad et se transforma alors en amnésie. Selon le docteur Rees, les idées de persécution et d’amnésie ne se présentaient pas simultanément. De plus, Hess fit deux essais de suicide. Une blessure de canif qu’il s’infligea au second essai, près du cœur, donna la preuve d’un caractère nettement hystérico-démonstratif. À la suite de ces faits, un changement fut observé, le sujet passait de l’amnésie à la maladie de la persécution. Au cours de cette période il écrivit qu’il simulait l’amnésie et, finalement, entra de nouveau dans un état d’amnésie qui s’est prolongé jusqu’à ce jour.

Au cours de l’examen de Rudolf Hess du 14 novembre 1945, les constatations suivantes ont été faites :

Hess se plaint de crampes douloureuses et fréquentes dans la région de l’estomac qui ne semblent pas avoir de rapport avec les repas, de maux de tête dans les lobes frontaux à la suite d’un effort mental et, finalement, de perte de mémoire.

En général, on se rend compte de son état par la pâleur de sa peau et son manque d’appétit.

Quant aux organes internes de Hess, le pouls est de 92 et une légère faiblesse du cœur est remarquée. Il n’y a pas eu de changement dans l’état des autres organes internes.

En ce qui concerne le système nerveux, aucun symptôme d’affaiblissement organique n’est à noter.

Psychologiquement, Hess est tout à fait conscient ; il sait qu’il est en prison à Nuremberg en qualité de criminel de guerre selon l’Acte d’accusation ; il a lu et, pour reprendre ses propres paroles, est familiarisé avec les charges relevées contre lui. Il répond rapidement, en ne s’écartant pas du sujet, aux questions qui lui sont posées. Il parle d’une façon cohérente, ses pensées sont claires et précises et sont accompagnées de gestes expressifs. De même, il ne présente aucune manifestation de paralogisme. Il doit être noté que le présent examen mental, dirigé par le lieutenant Gilbert, Ph. D., prouve que l’intelligence de Hess est normale et dans certains cas au-dessus de la moyenne. Ses mouvements sont naturels et non forcés.

Il n’a pas exprimé d’idées incohérentes ni donné d’explications insensées au sujet de ses douleurs d’estomac ni de sa perte de mémoire, comme l’a assuré auparavant le docteur Rees, notamment lorsque Hess les attribuait à l’empoisonnement. À l’heure actuelle, en ce qui concerne la raison de ses sensations douloureuses et de sa perte de mémoire, Hess répond que c’est aux médecins d’en connaître les causes. À ce qu’il prétend, il peut à peine se rappeler quoi que ce soit de sa vie passée. Les lacunes de mémoire de Hess sont constatées seulement sur la base du changement subjectif de son témoignage concernant son incapacité à se souvenir de telle ou telle personne ou événement à des moments différents. Ce qu’il sait actuellement, et d’après ses propres paroles, est ce qu’il a probablement appris récemment de ceux qui l’entourent et des films qu’on lui a présentés.

Le 14 novembre, Hess refusa les piqûres calmantes nécessaires à l’analyse de son état mental. Le 15 novembre, en réponse à l’offre du professeur Delay, il refusa catégoriquement des narcotiques et lui expliqua, qu’en général, il ne prendrait toutes les mesures nécessaires au traitement de son amnésie qu’à l’achèvement du Procès.

Tout ce qui a été exposé ci-dessus, nous en sommes convaincus, si l’on prend comme base le comportement anormal de l’accusé, permet de conclure ainsi :

1. Il n’y a aucun changement typique dans la personnalité psychologique de M. Hess, en ce qui concerne la maladie progressive appelée schizophrénie, donc les troubles mentaux dont il souffrait périodiquement pendant son séjour en Angleterre ne peuvent être considérés comme des manifestations de psychogénie paranoïque et doivent être reconnues comme l’expression d’une réaction psychogénique paranoïde, c’est-à-dire la réaction compréhensible d’un être déséquilibré (psychologiquement) à la suite d’un événement (l’échec de sa mission, son arrestation et emprisonnement). Une telle interprétation des déclarations incohérentes de Hess en Angleterre est confirmée par leur disparition, réapparition et disparitions répétées dépendant des circonstances extérieures qui influencèrent l’état mental de Hess.

2. La perte de mémoire de Hess n’est pas le résultat d’une maladie mentale mais représente une amnésie hystérique à la base de laquelle est une tendance à la fois subconsciente et consciente vers la légitime défense. Un tel comportement cesse souvent lorsque la personne hystérique est mise en face d’une situation qui l’oblige à se conduire correctement. Donc, l’amnésie de Hess peut se terminer lorsqu’il sera obligé de comparaître devant le Tribunal.

3. Rudolf Hess avant son évasion en Angleterre ne souffrait d’aucune sorte de démence ; il n’en est pas davantage atteint actuellement. Il fait preuve d’un comportement hystérique avec les signes d’un caractère consciemment et intentionnellement simulé qui n’exclut pas sa responsabilité à l’égard de l’Acte d’accusation.


Signé ; Professeur Krasnushkin,
Docteur en Médecine.
Signé : Professeur emeritus E. Sepp,
Membre régulier de l’Académie de Médecine.


Signé : Professeur Kurshakov,
Docteur en Médecine, Chef thérapeutiste
au Commissariat à la Santé de l’URSS.


17 novembre 1945.


B


Au Tribunal Militaire International.


Après observation et examen de Rudolf Hess, les soussignés sont arrivés aux conclusions suivantes :

1. Son état physique ne révèle rien d’anormal.

2. Son état mental est incertain. C’est un être instable, ce qu’on appelle en termes techniques une personnalité psychopathique. L’un des experts qui l’a eu en observation en Angleterre pendant les quatre dernières années a fait part des syndromes de sa maladie : ils montrent qu’il s’imaginait être empoisonné et qu’il vivait également sous l’obsession d’autres idées analogues.

C’est en partie à cause de l’insuccès de sa mission que les manifestations anormales empirèrent et le conduisirent à une tentative de suicide.

Il présente en outre des tendances hystériques marquées se manifestant par des symptômes variés, en particulier par une perte de mémoire qui dura de novembre 1943 à juin 1944 et résista à toute tentative de guérison. Une deuxième période de perte de mémoire débuta en février 1945 et persiste encore actuellement. Les symptômes d’amnésie disparaîtront éventuellement avec les circonstances.

3. À l’heure actuelle, il n’est pas dément au sens strict du terme. Sa perte de mémoire ne l’empêche pas entièrement de comprendre les débats, mais elle entrave son aptitude à conduire sa défense et à comprendre les détails du passé qui pourraient apparaître comme données de fait.

4. Les médecins experts recommandent qu’une preuve supplémentaire soit recherchée par une narco-analyse et qu’au cas où le Tribunal déciderait de poursuivre le Procès, la question soit ultérieurement reconsidérée du point de vue psychiatrique.


Signé : J. R. Rees, M. D., F. R C. P.,


Signé : George Riddoch, M. D., F. R. C. P.,


Signé : Moran, M. D., F. R. C. P.


19 novembre 1945.


C
20 novembre 1945.
MÉMOIRE au Brigadier Général William L. Mitchell, Secrétaire général du Tribunal Militaire International.

En exécution de l’ordre donné par le Tribunal, les médecins psychiatres soussignés ont examiné Rudolf Hess, les 15 et 19 novembre 1945, dans sa cellule à la prison militaire de Nuremberg.

Ils ont procédé à l’examen de son état général, neurologique et psychologique.

De plus, ils ont étudié des documents susceptibles de fournir des renseignements sur son évolution personnelle et sa carrière. Ils ont scruté des rapports relatifs à son séjour en Angleterre. Les résultats de tous les examens et de toutes les observations psychologiques et psychométriques spéciales, effectués par le médecin psychiatre de la prison et son personnel, ont été étudiés. Des renseignements ont également été fournis par l’interrogatoire officiel de l’accusé des 14 et 16 novembre 1945.

I. Nous trouvons comme résultat de nos examens et de nos recherches que Rudolf Hess souffre d’hystérie caractérisée en partie par la perte de la mémoire ; cette perte de mémoire est d’une nature telle qu’elle laissera intacte sa compréhension du Procès mais qu’elle mettra obstacle à sa réponse aux questions relatives à son passé et qu’elle le gênera dans la conduite de sa défense.

De plus, il y a une exagération consciente de la perte de sa mémoire et une tendance à l’exploiter afin de se protéger contre tout interrogatoire.

II. Nous considérons que le comportement hystérique actuel que révèle l’accusé tire son origine d’une défense contre les circonstances dans lesquelles il s’est trouvé lors de son séjour en Angleterre ; c’est maintenant devenu pour lui en partie une habitude qu’il conservera aussi longtemps qu’il sera sous la menace d’un châtiment imminent, bien que cela puisse l’empêcher d’adopter un système de défense plus normal.

III. C’est la conclusion unanime des soussignés que Rudolf Hess n’est pas actuellement dément au sens propre du mot.

Signé : Dr Jean Delay,
Professeur de psychiatrie
à la Faculté de Médecine de Paris.
Signé : Dr Nolan D. C. Lewis,
Professeur de psychiatrie,
Université Columbia.
Signé : Dr D. Ewen Cameron,
Professeur de psychiatrie,
Université Mc Gill.
Signé : Col. Paul L. Schroeder,
A. U. S, consultant neuropsychiatre.

  1. Au vu de ce rapport et après avoir entendu la déclaration faite par l’accusé au cours de l’audience du 30 novembre 1945, le Tribunal a décidé, le 1er  décembre 1945, que « l’accusé Hess est apte à l’heure actuelle à comparaître devant le Tribunal et que la requête présentée par son avocat aux fins d’ajournement est rejetée. »