Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/17

La bibliothèque libre.

Séance du 10 Juillet 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


Le président dépose :

1° Une livraison de l’Art chrétien, par l’abbé J. Corblet.

2° Un envoi de M. Dardé, avoué à Carcassonne, contenant quelques brochures et divers extraits d’études et de jugements sur des hommes, des œuvres et des institutions.

M. de Caumont, membre correspondant, écrit pour remercier la Société du titre qu’elle lui a conféré.


M. Combes donne lecture de la dernière partie de son étude agronomique et littéraire sur Jacques Vanière, auteur du Prœdium rusticum.

Il reproduit d’abord une notice succincte, mais exacte et complète, de la vie et des travaux de ce célèbre versificateur latin. Il recherche la nature de son éducation, la direction de ses premiers goûts, et sa position dans l’ordre des Jésuites. Il le fait voir, tendant à utiliser ses connaissances littéraires, s’attachant, dans ce but, à vulgariser les principes, les conseils, les observations et les expériences d’Olivier de Serres qu’il imite ou traduit sans le nommer. Il explique enfin le caractère des tableaux variés, qu’il a semés en grand nombre dans son ouvrage, et par lesquels tout se trouve ramené à l’idée collective de l’amour des champs.

M. Combes se demande ensuite qu’elle était la position des choses en France, et surtout dans les provinces méridionales, lorsque Vanière commença son ouvrage. Il prouve que rien ne correspondait moins à ses généreuses intentions, que l’esprit général des dernières années du siècle de Louis XIV, siècle anti-rural, suivant les expressions de François de Neuf-Château, et qui ne fut en aucun sens le siècle des campagnes. Malgré cette direction des esprits, et sans doute même à cause de cet éloignement, le versificateur Toulousain dut exalter les bienfaits de l’agriculture, son action salutaire sur les mœurs publiques, et tonner avec force contre les passions sensuelles entretenues avec tant de danger dans les grands centres urbains. En même temps, il ne manqua pas d’animer les détails techniques et les descriptions dont son livre abonde, par les principes religieux sous l’empire desquels les rapports des cultivateurs se sont transformés, agrandis, régénérés, pour le plus grand progrès des sociétés modernes.

Vanière ainsi apprécié suivant la pensée philosophique de son œuvre, doit l’être encore d’après son action spéciale sur le perfectionnement agricole. À ce point de vue, M. Combes établit que presque toutes les prétendues découvertes contemporaines sont renfermées dans le Prœdium rusticum, comme elles se trouvent dans le Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres. Il cite particulièrement l’assèchement des terres, appelé le drainage, le renouvellement des prairies, l’emploi des bœufs et l’usage du collier pour l’attelage, l’immixtion du sel dans la nourriture du bétail, le cordage des blés contre la bruine, les semailles précoces, le labour des vignes.

En même temps, Vanière s’élève avec force contre certaines superstitions qui régnent encore aujourd’hui dans les campagnes, et il les combat avec l’autorité de la science s’exprimant en beaux vers. Il montre combien le véritable progrès agricole en souffre. Il prépare de la sorte l’avènement de l’agriculture du xixe siècle, avec ses engrais spéciaux, sa culture alterne et son système fourrager, trois grands événements dont Olivier de Serres et Vanière ont été les précurseurs.

Après avoir ainsi concentré Vanière dans son mérite propre, M. Combes essaie de prémunir sa mémoire contre les exagérations qui ont voulu l’élever au niveau de Virgile, exagérations que le versificateur jésuite semble avoir démenties d’avance, et que Delille a réduites à leur juste valeur dans un admirable parallèle des deux auteurs. Aussi M. Combes se croit-il en droit de conclure de cette manière :

« Vanière confiné dans sa gloire relative de versificateur technique ou descriptif, plutôt que de poète inspiré, doit être considéré, à cent cinquante ans de distance, comme ayant cherché à ramener en France le goût de l’agriculture, d’un côté par les jouissances personnelles qu’elle procure, de l’autre par son action sur les mœurs publiques. Mais le mérite de son enseignement appartient tout entier à Olivier de Serres, ce résumé complet de l’enseignement agricole des anciens, rendu plus moral, plus pratique, plus applicable surtout aux provinces méridionales. Pour tout dire enfin, Vanière est Olivier de Serres ressuscité, transfiguré, rajeuni, et rapportant, du fond de son tombeau, à la France du xixe siècle, et par elle au monde entier, le livre de ses doctrines agricoles ; livre toujours nouveau, malgré un langage naïf qui nous reporte bien loin ; livre toujours instructif, malgré les progrès des temps ; livre à jamais immortel, parce que l’agriculture est le premier besoin des peuples et la plus éclatante, comme la plus féconde manifestation du travail de l’homme, s’inclinant avec docilité, pour son propre bonheur, sous la volonté de Dieu. »