Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/18

La bibliothèque libre.

Séance du 24 Juillet 1857.


Présidence de M. M. DE BARRAU.


M. le sous-préfet assiste à la séance.

M. Maurice de Barrau dépose l’Annuaire de l’Institut des provinces et des Congrès scientifiques.

Ce volume renferme les procès-verbaux des sessions ou assises scientifiques tenues en 1856, par l’Institut des provinces, et divers mémoires sur les sciences physiques, l’archéologie, l’histoire, l’agriculture, les beaux arts et l’industrie. Ces travaux différents par leur nature, ne se bornent pas à un point de la France. Ils peuvent être consultés avec fruit, et contribuer, soit comme exemple, soit comme initiative, à développer des études utiles par leur nature et inévitablement fécondes dans leurs applications.

M. M. de Barrau rend compte ensuite du Congrès des Sociétés savantes, qui s’est réuni, à Paris, le 13 avril 1857. Délégué, avec M. Armand Guibal, par la Société littéraire et scientifique de Castres, ils ont pris part ensemble à plusieurs délibérations et ont pu comprendre par les sujets étudiés et la direction des débats, l’esprit qui les animait.

Les Sociétés des départements doivent attendre de ces Congrès de nombreux et importants avantages. Trop longtemps, l’isolement a paralysé leurs efforts. Sans lien entre elles, sans protection efficace de la part du gouvernement, elles s’agitaient dans un cercle étroit où s’exerçait péniblement et stérilement une activité réduite à ses propres forces. Les Congrès qui prennent tous les ans une importance nouvelle, une direction plus vigoureuse donnée aux recherches, une publicité plus grande rendant les solutions accessibles à tout le monde, sont déjà de sûres garanties d’une amélioration importante. Les encouragements multipliés donnés aux Sociétés par le gouvernement, la protection éclairée dont il couvre ces réunions consacrées à des études sérieuses, à des travaux utiles, assurent l’avenir et le rendront fécond.


M. M. de Barrau fait un rapport sur les envois adressés à la Société par M. Dardé, avoué à Carcassonne.

M. Dardé est un de ces esprits ardents, infatigables, qui se donnent la mission de relever et de mettre en lumière tout ce qui, autour d’eux, risquerait d’être méconnu ou de disparaître. Il a pu rendre ainsi des services importants, et combattre bien des injustices. Il a pu donner à certains hommes leur place, et dissiper ces dispositions jalouses, ou faire taire ces dénigrements systématiques, dont les exemples sont trop nombreux et les effets trop funestes. Les esprits sans élévation, les cœurs sans générosité, ne consentent pas facilement à reconnaître la valeur de ceux qui, placés à côté d’eux, ont su se faire une position à part. Ils ne négligent aucune occasion de les abaisser, et semblent convaincus qu’ils se donnent à eux-mêmes tout ce qu’ils enlèvent aux autres. L’envie donne ainsi la main à la vanité, et lui demande son appui.

M. Dardé, par des brochures ou des publications, a combattu cette tendance trop générale. Une conviction ardente l’anime toujours, et revit dans chacun des opuscules qu’il a transmis à la Société. Cinq de ces opuscules sont relatifs à la personne et aux ouvrages de M. Thomas-Latour, ancien juge à Toulouse ; onze concernent Sorèze, et forment des fragments détachés de cette histoire si pleine de choses et si riche en souvenirs, ou renfermant le récit et l’appréciation des faits importants qui ont signalé les dernières années de son existence, et les premières de sa restauration par une des plus grandes et des plus puissantes renommées de notre époque ; cinq sont des comptes-rendus de divers ouvrages différents de sujet, de caractère et de mérite.

Sur la proposition de M. M. de Barrau, la Société vote des remerciements à M. Dardé pour ses intéressantes communications.


La Société adopte le programme des prix à décerner en 1858.

Elle distribuera dans les premiers jours de juin :

Une médaille d’or pour la question suivante : Faire l’histoire d’une commune de l’ancienne province du Languedoc, jusqu’en 1789.

Les concurrents devront indiquer, la nature de son émancipation, en faire connaître les phases, signaler les institutions de toute nature qui se produisirent en son sein, et parcourir, en les accompagnant de quelques appréciations, en les appuyant de documents authentiques, les diverses époques de sa vie intérieure et de sa participation aux événements généraux.

Une médaille d’argent pour un mémoire sur le bassin de l’Agoût étudié au point de vue géologique et minéralogique.

Les concurrents devront faire connaître sa formation, s’attacher particulièrement aux fossiles, et accompagner le texte de dessins.

Une médaille d’argent pour une épître en vers sur un sujet laissé au choix des concurrents.

Une médaille d’argent pour un conte en vers patois.

Les manuscrits devront être adressés franco, à Castres, avant le 31 mars 1858, à l’adresse de MM. J. Tillol et V. Canet, secrétaires de la Société littéraire et scientifique. Ils porteront une épigraphe qui sera reproduite sur un billet cacheté contenant le nom, les prénoms, la profession, le domicile de l’auteur, et la déclaration que l’ouvrage est inédit et n’a pas déjà concouru.


Il est ensuite donné lecture d’une première lettre en prose et en vers sur des riens.

Dans ce travail, plus sérieux que ne l’indique son titre, M. Nayral veut réunir toutes les particularités qui ont de l’importance, soit par elles-même, soit par rapport aux hommes distingués en qui il les signale. M. Nayral a lu beaucoup, et il n’a rien oublié de ce qu’une étude de tous les instants lui a révélé sur le caractère, les habitudes, les préférences, les répulsions de ceux qu’il appelle, avec un souvenir pieux, les compagnons de sa vie.

S’il y a dans la littérature un charme pour l’esprit et pour le cœur, si elle est un moyen puissant de perfectionnement pour les individus et la société, elle n’en est pas moins un aliment à la curiosité. Sous la vie publique des grands écrivains, se cache la vie privée, avec les caractères qui la distinguent, et souvent même avec des singularités qui la signalent d’une manière toute particulière. C’est ce que M. Nayral a recherché ; c’est ce qui fera la matière de ses lettres. Il ne s’interdira pas pourtant ce qui regarde les hommes étrangers à la littérature : mais sa prédilection le portera toujours de ce côté ; et les noms que l’on aime, ceux que l’on admire, viendront à chaque instant réclamer l’attention et prendre leur place dans une galerie dont l’ensemble et les détails revivront dans une prose élégante et dans des vers qu’assaisonne l’esprit.

La première lettre est presque entièrement consacrée à la recherche et à l’indication des goûts par lesquels se sont signalés des hommes célèbres. La liste est longue et ne manque pas d’intérêt. Habitués à voir les personnages dont l’histoire a conservé le nom, loué les œuvres ou raconté les actions, entourés de cette auréole lumineuse que l’on appelle la gloire, nous leur attribuons trop souvent une grandeur qui n’est pas en proportion avec l’humanité. Nous ne voyons que le côté le plus beau et le plus brillant de leur existence. Nous ne soupçonnons pas assez qu’ils se rapprochent de nous par leurs inconséquences, leurs faiblesses, leurs préoccupations étroites ; que souvent même ils sont, par leurs singularités, bien inférieurs à ceux qui n’ont pour eux qu’estime et enthousiasme. C’est le tribut payé par chacun de nous à l’infirmité de notre nature. Il semble que nous ne puissions nous élever au-dessus d’un certain niveau, qu’à là condition de racheter de quelque manière nos avantages et nos succès.

Dans la galerie que parcourt M. Nayral, viennent prendre place des empereurs, des rois, des ministres, des généraux, des orateurs, des poètes, des savants, des artistes. Leur gloire n’est pas la même ; leurs services arrivent ou se maintiennent à des degrés différents : mais que de fois nous les voyons aussi préoccupés de petits détails, aussi soigneux de niaiseries, aussi jaloux de la satisfaction de ces caprices mesquins où se perd la dignité et où disparaît l’éclat ! Cette étude qui satisfait la curiosité, ramène l’âme à elle-même, et lui apprend ou lui rappelle des vérités dont elle ne devrait pas s’éloigner.

Pascal disait : Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre ; mais il est très-avantageux de lui représenter l’un et l’autre. (Pensées, art. iv, vii.) C’est un grand et utile enseignement donné par celui qui avait senti si profondément toutes les contradictions de notre nature, et montré avec une conviction si énergique les deux faces sous lesquelles elle se révèle et se produit.

M. Nayral fait sortir de ces études légères une leçon qui va se joindre à celle que mettent en relief les méditations des philosophes. Des anecdotes piquantes, présentées sous une forme neuve, des rapprochements inattendus, jettent une agréable variété dans cette nomenclature de goûts, de prétentions, de petitesses, qui sont vraiment le côté faible des grands hommes, et le tribut par lequel ils rentrent dans la loi commune.

Cette première lettre est terminée par quelques révélations sur plusieurs chansonniers de l’ancien Caveau.


M. V. Canet lit la seconde partie d’une étude sur la traduction en vers, par M. le comte Gabriel de Nattes, des œuvres lyriques d’Horace.

La première condition pour traduire avec fidélité un écrivain, et surtout un poète, c’est de l’aimer. Ce sentiment qui nous attache à eux, nous fait vivre de leur vie, nous associe à leurs impressions, s’est produit d’abord en nous d’une manière instinctive. Les cœurs se rapprochent par les liens d’une affinité pour ainsi dire native, que l’analyse ne saisit pas, et qu’elle briserait si elle voulait les suivre.

Mais l’affection née de ce premier attrait est bien peu durable. Elle se développe par un commerce intime, s’agrandit par une certaine conformité de goûts, de vues, d’aspirations, et se fortifie par cet échange inévitable qui s’établit entre le livre et le lecteur. Plus le livre renferme de beautés réelles et séduisantes, plus l’esprit s’y attache, cherche à le comprendre, à le pénétrer, à se l’assimiler. Plus l’âme de l’écrivain s’est révélée avec éclat ou manifestée avec ce charme qui entraîne, plus l’âme d’un lecteur ému est heureuse de ce contact, touchée de ces épanchements, fière de ces communications.

Avec Horace, l’intimité vient vite. En ne le considérant que sous le point de vue nécessairement restreint qui nous est présenté par la traduction de M. de Nattes, on comprend qu’un esprit poli, fin, élégant, ami du vrai, épris d’une philosophie douce, curieux de la forme dans des limites qui n’impliquent jamais le sacrifice du fond, se soit de bonne heure attaché au poète qui charmait, en la peignant, une société arrivée à ce point de civilisation où tout s’est adouci, et où les jouissances intellectuelles ont encore leur attrait.

M. de Nattes aime Horace parce qu’il l’a longtemps étudié, et qu’il n’y a pas une de ces beautés fugitives que la poésie sème à profusion autour d’elle, qu’il n’ait cherchée, découverte, sentie. Après s’être laissé attirer vers Horace par des mérites accessibles à toutes les intelligences un peu cultivées, il a voulu, par ce sentiment naturel à tous ceux qui se savent capables de produire, pénétrer les secrets de ce génie à la fois facile et sévère. Il a voulu lui demander compte de ses procédés de composition, et suivre pas à pas ce travail intérieur que peu d’hommes osent faire, parce que peu d’hommes sont capables de le féconder. Il a fallu pour cela ressusciter la société romaine sous Auguste, étudier chacun des hommes dont le nom trouve place dans les odes, se rendre compte des usages, rechercher avec soin ces mille superstitions dans lesquelles allait se perdre et s’avilir ce grand nom de Romain ; en un mot, s’identifier si bien avec ce que l’ami de Mécène et de Virgile avait vu, aimé, haï, que l’illusion fût facile et devînt complète.

Voilà ce qu’a fait M. de Nattes. Poète, esprit élégant, cœur chaud, imagination riche et féconde, il n’a pas reculé devant les études de l’érudit. Il a vécu avec les commentateurs ; et tous les jours, Horace se parait aux yeux de son admirateur, de quelque mérite nouveau. La science éclairait le génie ; et, lorsque la critique eut fait sa tâche, l’admiration vint réclamer la sienne. L’enthousiasme littéraire n’est pas égoïste, il a besoin d’expansion. Une traduction fidèle, complète, empreinte de ce caractère de personnalité qu’une étude approfondie et un commerce journalier donnent à un auteur, dut paraître à M. de Nattes l’hommage le plus touchant que l’admiration put produire, et le monument le plus digne qu’elle put élever.

Les tentatives antérieures étaient nombreuses ; et, pour se borner au xixe siècle, Daru en 1804, Vanderburg en 1812, A. de Wailly en 1817, Halevy en 1824, Ragon en 1837 et Duchemin en 1839, sans compter un royal concurrent qui mêlait la lecture, les citations et la traduction d’Horace, aux actes et aux préoccupations de la politique, semblent dire que l’entreprise était séduisante, mais aussi qu’elle était difficile. M. de Nattes ne s’en est pas effrayé. Traduire Horace, c’était rendre un hommage public au poète à qui il devait ces pures et vives émotions que l’on recherche si peu, parce qu’on n’en soupçonne pas la douceur. C’était le rendre accessible, dans la langue poétique, à tous ceux qui ne pouvaient l’aborder dans la forme primitive si brillante, si souple, si belle, mais si pleine de difficultés. C’était donner satisfaction à ces esprits élégants, un peu paresseux, qui veulent pour admirer le génie, qu’il se soit accommodé à leur goût et plié à leurs exigences.

Voilà la pensée intime de M. de Nattes : voilà le secret de son travail patient sur la pensée d’un autre, quand il était assez riche pour vivre de son propre fond, et demander à une mine abondante, mais trop peu explorée encore, des produits splendidement solides de leur nature, et qu’un art savant aurait su rendre dignes de l’attention des plus délicats, et de l’approbation des plus difficiles.

Aussi, cette nouvelle traduction d’Horace a-t-elle obtenu, dès son apparition, ces suffrages qui honorent, et ces témoignages que l’indépendance de l’esprit qui les porte rend si précieux. Sans entrer dans une étude détaillée de ces œuvres différentes de caractère et de ton, de fond et de forme, où le penseur coudoie l’épicurien pratique, où le citoyen retrouve en songeant au passé, des accents que le présent n’inspirait plus, où l’homme se révèle avec ces sentiments qui créent au moins l’estime, quand ils ne vont pas jusqu’à l’amitié, on peut dire qu’Horace a toujours été compris, et qu’il est souvent rendu avec un bonheur d’expression remarquable.

Évidemment, il y a dans ces quatre livres, des beautés éclatantes, de ravissantes images, des mouvements passionnés, de vives descriptions, de charmantes rêveries, de vigoureux tableaux, un style toujours pur, facile, souvent imagé, nourri de ces mille secrets, que révèle seul le commerce assidu des maîtres dans l’art d’écrire. Le rythme est d’une variété intelligente, d’une souplesse qui trahit une riche nature cultivée par l’art et arrivée au sentiment le plus profond des ressources et des effets de l’harmonie.

M. de Nattes a tout traduit dans Horace. Nous le regrettons. Il y a des peintures que la poésie païenne pouvait se permettre, et que la langue latine n’avait pas de pudeur à reproduire, mais contre lesquelles protestent avec indignation une âme habituée à de plus nobles images et une langue interprète d’idées morales plus en harmonie avec l’élévation et la vérité de nos croyances. M. de Nattes a écrit, sans doute, comme il le dit, pour les admirateurs quand même d’Horace ; mais cette nature honnête, délicate, amie du vrai, passionnée pour le bien, n’aurait pas dû oublier pour le poète latin, ce qu’elle n’a jamais oublié pour elle-même : que les œuvres littéraires sont belles alors seulement qu’elles sont d’accord avec la moralité.

En résumé, le travail de M. de Nattes témoigne de grandes et solides qualités. Il prouve que les saines traditions littéraires ne sont pas perdues dans le monde ; et qu’au milieu de ce tourbillon qui semble entraîner tout avec une rapidité qu’on prend pour de la force, il y a place pour les travaux patients et les œuvres de goût. La traduction des odes d’Horace est d’un érudit et d’un poète. À ce double titre, et tout en faisant des réserves sur la faiblesse inévitable à certains égards d’une traduction en vers, celle de M. de Nattes peut être saluée comme une de ces œuvres qui portent l’empreinte d’un talent élevé, sincère, plein de ressources, et capable d’aspirer à des succès plus grands et plus glorieux.