Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/06

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Le tour du lac Mälarn. — Fabrique d'Eskilsuna. — La foire d’Örebro.


Ayant entendu parler de la foire d’Örebro, qu’on disait brillante, par la compagnie nombreuse qui s’y rassemble ; je crus devoir profiter de cette occasion pour faire le tour du grand lac Mälarn ; afin de me familiariser davantage avec les usages des habitans et aussi de juger de la meilleure manière à prendre, pour faire la longue promenade que je méditais.

Le lac était gelé, et ce fut un plaisir singulier pour moi, d’aller en traîneau et de navigue, pour ainsi dire, entre les îles nombreuses qui le couvrent. Rien ne peut paraître si extraordinaire a un étranger, que de se voir sur l’eau à la queue d’un cheval au grand trot. On peut s’exprimer ainsi, car la glace est si pure, qu'on semble jouer le rôle de St. Pierre marchant sur les eaux.

Ce fut avec un nouveau chagrin, que je revis le canal commencé de Sodern-Telge. Un gouvernement est bien malheureux, quand il faut qu’il accède aux représentations des corporations, qui toujours sont guidées par des vues étroites et bornées d’intérêt présent et personnel, tandis que celles qui le dirigent doivent être le bien du plus grand nombre et l'intérêt bien entendu du présent et de l'avenir.

On prétend que si on ouvrait le canal, on dessécherait le lac de plusieurs pieds. En outre que l'on pourrait prévenir cela par des écluses, je suis convaincu que ce serait un très-grand bien ; mais les Suédois n’en sont pas encore venus au point de préférer une grande rivière au milieu d'une vallée fertile, à une grande masse d’eau. Non-seulement on n'aide en rien la nature dans ce cas, mais au contraire on fait des digues pour empêcher l’écoulement des eaux : ainsi il y en a deux à Stockholm très-anciennement faites, l’une sur-tout à Stocksund, qui a coupé le bras du lac en deux, sans laisser aucune communication entre les eaux : l’autre est au milieu de la ville où l’on a aussi fait une écluse qui semble assez inutile, quoique le mécanisme en soit fort ingénieux.

La digue à laquelle se trouve l’écluse, à Stockholm, est absolument afin de donner une chûte d’eau aux moulins qui sont en dessous ; en adoptant des moulins à eaux flottans, tels que ceux que l’on voit sur les rivières de France où la marée donne et qui tournent des deux côtés, on n’aurait pas besoin de chûte d’eau, et on pourrait en construire un bien plus grand nombre ; cela serait d’autant plus nécessaire, qu’il arrive fréquemment, que la farine est rare à Stockholm par le manque de vent ou d’eau.

L’attention de conserver les eaux des grands lacs en Suède, était peut-être nécessaire autrefois, lorsque tous ces rochers, qui sont à présent nuds et dépouillés, étaient couverts de terre et de forêts ; mais à présent tous ceux dont on a coupé les bois, se sont aussi dégarnis de terre, et elle est tombée dans les bas fonds qui alors étaient couverts d’eau. Dans les tournées que j’ai faites dans le Pays, j’ai vu beaucoup de bas-fonds, couverts seulement de quelques pouces d’eau. Si les lacs avaient plus d’écoulement feraient sans peine de bonnes prairies.

Malheureusement l’agriculture n’a pas encore fait de grands progrès en Suède : toute l'attention est fournée du côté des forges et des mines. Les propriétaires voient avec peine les paysans s’occuper beaucoup de la culture, parce que, disent ils, cela détourne leur attention des forges. La Suède n’a guères que trois millions d’habitans, y compris la Finlande ; dans l’état présent de l'agriculture, elle ne fournit pas assez de blé pour leur consommation ; si les parties qui en sont susceptibles étaient mises en valeur, elle pourrait aisément fournir à la subsistance de douze où même de quinze millions d’habitans. Tant que le système des forges occupera uniquement, on peut bien être certain que la population n’augmentera jamais, car un pays ne se peuple qu’autant que les habitans y trouvent de quoi subsister, et le fer ne se digère pas aisément.

Aussitôt que les lacs sont gelés, les paroisses sont obligées de marquer le chemin d’hiver avec des branches de sapin ; si l'on attend que ces branches soient posées, on ne court aucun risque à aller sur la glace, depuis le mois de novembre, jusques devers le mois d’avril, lorsqu’elle commence à se dissoudre[1]. Tant que l’on entend le bruit étonnant des crevasses, occasioné par l’air intérieur cherchant à s’échapper, il n’y a rien à craindre. La réflexion et l’habitude, peuvent seules empêcher de sentir un effroi involontaire, lorsque placé sur une vingtaine de toises d’eau, on entend et l’on voit la croûte qui vous porte, se fendre à des distances prodigieuses et avec un bruit très-considérable.

Je fus me présenter a Ökersbruck chez M. Wahrendorf ; des attentions de qui j’avais déjà eu lieu de me louer à Stockholm. Le lendemain je fus voir les forges, les fourneaux et les canons ; on ne peut couler les plus gros du même fourneau, on en ouvre deux à la fois ; la matière des deux fourneaux coule ensemble dans le moule. La forge et les établissemens me semblèrent très-considérables et dans le meilleur état[2].

À un mille, on voit le château royal de Gripsholm : le salon où l’on voit les portraits des différens souverains de l’Europe en 1775 et celui où est le divan dont l'impératrice de Russie fit présent au feu roi, sont fort beaux.

Dans la chambre à coucher, il y a sur une table, une petite statue en argent de Gustave-Adolphe : elle tient à la main un verre plus gros qu’elle, avec cette inscription : Gustave-Adolphe, ayant pris Mayence but à la santé des habitants. Si Gustave-Adolphe venait à reparaître à Stockholm avec son grand verre, il ne trouverait guères à le remplir, à moins que ce ne fût de l’eau du lac Mälarn, ou de swag-driclka[3].

Comme les modes changent ! il y a cent cinquante ans, que les habitans de Mayence crurent ne pas pouvoir faire un plus grand compliment à leur vainqueur, que de lui dire qu’il était un bon buveur, et de le représenter buvant dans un tonneau à leur santé. À présent tous les élégans du pays qu’il gouvernait, ne boivent presque que de l'eau et comme ils le répètent cent fois par jour, ils craignent d’être échaufféra[4] en buvant du vin.

On y fait voir l’horrible prison, dans laquelle Eric XIV, fils et successeur de Gustave-Vasa, fut enfermé pendant huit ans, par les ordres de son frère Jean III, qui avait usurpé sa couronne. La chambre en dessous est encore meublée comme elle l’était, lorsque ce même Jean III y fut enfermé, avant son avènement au trône, avec sa femme, qui y mit au monde Sigismond, roi élu de Pologne et par naissance de Suède ; mais détrôné et chassé par Charles IX, son oncle, sous prétexte de son zèle pour la religion catholique. C’est avec douleur, que l’on voit la famille et les successeurs de Gustave-Vasa se déchirer avec autant de fureur.

Ce pays comme le reste de la Suède plus ou moins est coupé de gros rochers couverts de bois : dans la conversation je m’avisai de dire que quoi ; que le pays fût inégal, il n’y avait point de montagnes. Comment point de montagnes, me dit-on, je puis vous assurer qu’à une demi-journée d’ici j’en ai vu qui étaient deux fois plus hautes que cette maison ; la maison avait bien 30 pieds de haut. C’est-il possible, répondis-je.

M’empaquetant encore sur le traîneau, ie fus visiter la ville épiscopale de Strengnäss qui est un assez vilain trou ; la cathédrale cependant n’est pas trop mal. L’évêque y demeure, car en Suède, il est bon de le dire, pour l'édification des ëvêques anglais, français, allemands, espagnols, italiens etc. etc. les Evêques vivent continuellement dans leur diocèse.

Sur la hauteur près d’Eskilstuna, on voit de grosses pierres rangées en cercles : la tradition rapporte que c’était un des parlemens des Goths, où l’on rendait la justice.

Ce fut le roi Charles X, qui fit le premier établissement des forges et manufactures d’acier à Eskilstuna : elles ont été négligées ou encouragées par le gouvernement, suivant l'humeur dominante du moment ; le feu roi les avait fait revivre, elles sont retombées sous la régence, elles vont tout doucement à présent. C’est le directeur Nordwall qui est à la tête de cet établissement, le même dont j’avais fait la connaissance à Trolhäta, et qui voulut bien encore me traiter à Eskilstuna avec la même complaisance. Il prouve évidemment, que le climat le plus glacé ne nuit pas aux connaissances : il est né quelques milles suédois au-delà du cercle polaire.

Ce sont sur-tout les armes, comme sabres et épées que l’on fabrique à Eskilstuna. On les fait fort bien et très-promptement. Les opérations que doit subir le fer pour devenir acier, sont peu connues ; cependant c’est avec crainte de passer pour bavard, que je me permets d’en faire un petit exposé. A la première fonte, le minerai de fer est un acier brut : à la seconde il est du fer proprement dit : à la troisième il redevient acier et se rafine ensuite par les fontes suivantes. Il faut chaque fois briser le massif en pièces, et le faire refondre ainsi broyé : on peut aussi joindre plusieurs barres de fer ordinaire, et les placer ainsi, dans le fourneau ; elles doivent y être laissées quinze jours ou trois semaines après la cuisson.

Un artiste ingénieux Mr. Johanson, avait trouvé le secret dans son jeune âge, de fixer l'or sur l’acier, et d’ y tracer de jolis dessins par le moyen d’un caustique. Son secret est a présent connu mais il le pratique mieux qu’aucun de ses élèves. Sa méthode est très-simple ; l’acier sur lequel on veut travailler, doit être couvert d’un mastic, sur lequel l’eau forte ou corrosif préparé, ne puissent produire aucun effet. On cisèle le dessin dans le mastic, et on couvre légèrement le tout du corrosif. La partie découverte se rembrunit et prend différentes teintes, suivant que les ciselures sont plus ou moins profondes.

L’or n’est pas appliqué d’abord, mais posé sur une légère feuille de cuivre, qui a plus d’affinité avec le fer. Le principal mérite de ces bijoux à présent, que le secret est connu, consiste dans la beauté du dessin : il est dommage qu’un artiste comme Johanson, ne se soit pas établi dans une grande ville, où il eût pu trouver des encouragemens.

La petite ville d’Eskilstuna est située sur la rivière qui sert de dégorgement au lac Hielmarn. Si Ton eût plus connu les arts de la mécanique et de l'hidraulique du temps de Charles XI, on eût sans doute préféré faire quatre ou cinq écluses aux chûtes d’eau de cette rivière, à la peine et à la dépense de creuser le canal d’Arboga quia six ou sept milles de long.A présent que le canal de Trolhäta est achevé, il reste encore à joindre le grand lac Venern, avec le Hielmarn. Le directeur Nordwall m’a assuré que cette jonction était difficile, mais très-possible.

La chaîne de montagnes de granit qui sépare les deux lacs, est coupée dans deux endroits par du sable aisé à mouvoir. Du côté de Bregôrden, le passage est dominé par des hauteurs sur lesquelles il y a de petits lacs qui pourraient fournir abondamment aux eaux du canal. Ce serait un bel ouvrage, digne de l’esprit d’entreprise que l’on remarque souvent dans la nation suédoise, et qui d’ailleurs achèverait la communication de l’Océan au golphe de Bothnie. La jonction du Vetern avec le Hielmarn lui semblait plus difficile, quoique praticable, mais celle du Venern et du Vetern presqu’impossible. Le canal du Venern au Hielmarn, aurait dix à douze milles suédois de long[5].

À l’endroit où la rivière sort du lac, on remarque encore une digue bâtie dans l’ancien temps pour empêcher les eaux de sortir autant qu'elles le pourraient ; un temps viendra où les Suédois reconnaîtront qu’une grande rivière est aussi bonne et même meilleure pour la navigation, qu’un grand lac qui couvre une trentaine de milles quarrés de terrain, rendus inutiles par ses eaux ; que même une rivière produit plus de poisson qu’un lac, car, comme dans la mer, on n’en prend dans les lacs que près des bords, où seulement les herbes aquatiques peuvent croitre, fécondées vraisemblablement par les substances végétales et animales qui viennent du rivage.

À quelque distance de cette ville, il y a une paroisse appelée Vinôker dont les habitans ont un habillement qui leur est particulier ; c’est un habit blanc avec des paremens rouges et agrafé sur la poitrine. Les femmes le portent également par« dessus leur jupe et ont de plus un bonnet rouge bordé de blanc, de la même étoffe, et fait en turban, Il y a quelques années, que les habitans se sont mutuellement promis de ne le pas quitter : il va fort bien aux hommes parce qu'il est très-propre et leur donne un air d’aisance, mais je trouve que les agrafes sur la poitrine, donnent un air trop aplati aux femmes.

On voit sur la route d’Arboga, la vieille maison royale de Kungsöre ; par respect pour la mémoire de Gustave-Vasa, on a conservé les bâtimens, dans l’état où ils étaient sous son règne. Il y a de belles écuries, où l’on voit grand nombre de jumens poulinières, et quelques étalons : le roi a plusieurs haras dans cette partie ; celui de Stronsholm est plus considérable encore que celui-ci.

Entre cette maison et Arboga, on passe le canal qui fut fait sous Charles XI ; il s’était gâté à tel point que dernièrement on l’a donné à un compagnie, à la condition de le réparer. Il joint, comme je l’ai dit, le Hielmarn avec le Mälarn.

Les deux clochers pointus d’Arboga, font paraitre cette ville à une distance considérable. C’est une vieille ville, autrefois assez florissante : il s’y fait encore un petit commerce de commission.

À quelque distance, et à la même hauteur que le village de Vinôkër sur le lac Hielmarn, est celui de Valmar, dont les habitans, pour faire un contraste avec ceux qui sont de l’autre côté du lac, sont habillés en noir avec un petit parement rouge. Les femmes cependant n’ont aucune différence dans leurs habits. Je n’ai pas été capable de découvrir la moindre tradition au sujet de cette particularité. Les habitans n’en connaissent absolument aucune, et les uns comme les autres sont vêtus de noir et de blanc, avec des agrafes au lieu de boutons, parce que leurs pères étaient vêtus de la même manière. Il y a bien des choses dans le monde qui se font par la même raiso.

Je fus me présenter à Dylta chez le baron Akerhielm : la mine ou carrière de soufre de ce nom, est la seule qui soit en Suède : on fait éclater la pierre avec de la poudre ; on la brise ensuite en petits morceaux, et on la jette dans le fourneau, où elle est reçue dans un tuyau de fonte un peu incliné. Le soufre coule dans le récipient qui est au bout ; après vingt-quatre heures de cuisson, on le verse dans un bassin, où on le laisse se durcir, et on en fait ensuite des bâtons.

Le résidu des pierres n’est pas perdu, après avoir été exposé à l’air pendant à peu-près une vingtaine d’années, le vitriol qu’il contient, se rassemble dans différens endroits qui paraissent jaunâtres. Ou le fait bouillir deux jours de suite, après quoi on dépose l’eau dans des bassins où il y a des bâtons suspendus, autour desquels il se cristallise. Le résidu de ce qui a été bouilli, sert à faire l’ocre : les gens qui le pilent, ressemblent à des furies. Ils pourraient fort bien paraître à l’Opéra, et jouer leurs rôles dans les rêves de Christian et de Gustave-Vasa

La ville d’Örebro n’a guères qu’une longue rue : elle est beaucoup moins régulière que ne le sont communément les villes de Suède. A l’époque de la foire, il y a un concours de monde vraiment étonnant : les propriétaires et les paysans y viennent de fort loin à la ronde. Ces derniers apportent du fer brut, du ble et des toiles : c’est communément à cette foire que se font les payemens et les marchés des forges : nombre de marchands y viennent aussi de fort loin : ils se tiennent dans les maisons, où les acheteurs viennent souvent en grand nombre les visiter. La confiance qui règne en Suède dans les campagnes est au-delà de tout éloge : rien n’est plus fait pour rendre bon même le méchant. une nation défiante est une nation de voleurs. Ici, il n’y en à point, les paysans entraient dans les magasins, maniaient des choses de prix et le marchand sans inquiétude, ne regardait pas, et finissait son marché avec d'autres. Plusieurs marchands de soieries ou autres effets légers, m’ont assuré n’avoir jamais rien perdu. S’il arrivait que quelque chose le fût, les autres paysans le découvriraient sur le champ et le coupable ne saurait guères échapper[6].

La demeure du gouverneur de la Néricie, est un château royal, qui quand la Värmeland formait un état indépendant ou appartenait à la Norvège, se trouvant près des frontières, était un poste de défense. Sa forme, ainsi que celle de presque tous les anciens bâtimens en Suède est un quarré, au milieu duquel il y a une cour. Il est flanqué de quatre grosses tours, dont les murailles ont dix à douze pieds d’épaisseur : il est entouré de tous côtés par la rivière, qui traverse Örebro et va se jeter dans le lac Hielmarn.

Le lendemain du jour de mon arrivée, le baron Hamilton eut non-seulement la complaisance de me faire trouver une chambre, mais encore eut la bonté de m’offrir sa table pendant mon séjour : cela me mit à même de faire la connaissance, de la société aimable et nombreuse qui s’était ras

C’est vraiment une chose bien extraordinaire, que presque jamais on n’entende parler de vol en Suède, et cependant quand il s’en commet à Christiania ou à Copenhague, les habitans ne manquent jamais de dire, c’est un Suédois ; ce qui se trouve assez souvent être la vérité. La raison de ceci est assez simple. Comme la police est bien faire en Suède, un malfaiteur n’a guères de possibilité d’échapper ; les frippons sont donc obligés de sortir du pays pour voler à leur aise. rassemblé à Örebro pour la foire. Pendant les huit jours qu’elle a duré il y a eu sept bals, et le dernier a duré jusqu’à cinq heures du matin : les mêmes personnes y ont toujours été, et je ne crois pas que parmi les dames, il en soit plus d’une, qui ait manqué une seule contre-danse, car en Suède ! vive la danse, c’est le dieu du pays.

Je n’ai malheureusement pas autrement le cœur à la danse, je ne puis guères jouer dans ces assemblées brillantes, que le rôle de spectateur ; mais la nature a bien voulu me douer d’assez de bonne humeur, pour me faire amuser du plaisir des autres, comme pour être heureux de leur bonheur.

En outre des bals il y avait aussi une comédie, sous les combles de la maison où on les donne. Il y avait toujours autant de monde que le grenier, je veux dire la salle, pouvait en contenir. Il m’a semblé qu’on aurait pu faire les frais de plancher l’appartement : en outre qu’il est désagréable de voir les tuiles, le froid aussi est un Peu trop violent pour se plaire à entendre des acteurs qui ne contribuent ne bien peu à vous réchauffer.

Il y a eu aussi deux concerts donnés par un joueur d'harmonica, qui est un instrument peu commun et dont on pourrait tirer un grand parti, pour finir enfin, j’y ai vu une banque de biribi. Il est vrai qu’elle n’était pas tout-à-fait comme celle d’Aix-la-Chapelle ou de Francfort, car le gouvernement de Suède ne sait pas encore ce que c’est d’autoriser des frippons et d’être de moitié dans leurs gains. C’est en cachette qu’on jouait, et assurément quand la police serait entrée dans le lieu du sacrifice, la fumée épaisse du tabac, qui remplissait la salle, l’eût empêchée de distinguer personne. Il me parut fort étrange de voir placer délicatement dans la cuiller des papiers d’une saleté, ah — comme si s’était des pièces d’or, des pincettes auraient mieux convenu à tous égards. Tout le monde jusqu’au banquier avait la pipe à la bouche.

C'est une fureur que la fumerie en Suède : on fume jusques dans son lit, jusques sur le premier trône des papes. J'ai vu des gens qui m’ont dit bonnement que toute personne bien hospitalière devrait avoir en certain lieu, provision de pipes, tabacs, briquets etc. ; chacun prend son plaisir où il le trouve, celui-là n’est pas du goût de tout le monde.

La rivière coule encore près d’un demi-mille avant d’entrer dans le lac, et l’on a été obligé d’en placer le port à son embouchure. Örebro m’a semblé beaucoup plus riche qu’il ne serait nécessaire, pour faire les frais d’un canal de communication, ou pour rendre la rivière navigable jusqu’au lac : il ne s’agirait que de mettre de côté les grosses pierres qui en arrêtent le cours.

Certain capitaine Yunter, de bachique mémoire, avait l’usage de prendre avant le dîner, nombre de verres d’eau de vie : on m’a même assuré qu’il en avait souvent bu onze. En son honneur il est d’usage dans toutes les maisons à Örebro d’offrir à ses hôtes une seconde sup que l’on appelle Yanter sup. Je vis ici pour la première fois un morceau d’élan : la viande en ressemble assez à celle du bœuf, avec un très-petit goût de venaison.

L’élan du temps des Romains se trouvait communément en Allemagne, on n’en voit plus qu’en Suède et en Russie. C’est un cerf d’une stature prodigieuse, les cornes sont plates : au premier moment j’aurais pu croire que c’était le même animal que celui dont on trouve les os et les cornes dans les tourbières de l’Irlande et qu’on appelle Mois Deer. Mais les cornes et les os de ces derniers sont beaucoup plus gros et plus longs ; c’est cependant à-peu-près la même forme, pour les cornes sur-tout. On était parvenu autrefois à rendre cet animal domestique et à l’atteler aux traîneaux. On prétend qu’on a cessé cet usage, à cause de la vitesse prodigieuse avec laquelle il court, qui, dit-on, pourrait faire échapper les criminels. C’est une assez pauvre raison, car on pourrait les faire poursuivre de la même manière qu’ils s’enfuient ; l’espèce commence à devenir très-rare, et c’est dommage, car elle est fort belle.

La salle, dans laquelle Gustave-Vasa tint en 1529, un concile Où la religion catholique fut abolie, est encore existante. La maison est en bois, et la salle est très-petite ; au moindre mouvement tout tremble. Les murailles sont couvertes de peintures grotesques qui montrent le goût du temps.

Un juge est sur le trône : la misère se présente : l’orgueil la protège. la calomnie et l’intrigue la chassent à coups de balai. Les vertus sont de l’autre côté. Les crimes politiques sont aussi représentés allégoriquement, ainsi l’anarchie, l’est par un cochon qui tire un coup de fusil. Tant y a que je ne conseille à personne d’y aller dans vingt ans, si le hasard fait que la maison tienne jusqu’alors.

C’est dans cette ville que vivait l’assesseur von Achen, qui avait fait plusieurs expériences intéressantes pour éteindre le feu et même pour prévenir un incendie. On croit que la composition dont il faisait usage était un mélange d’alun, de vitriol et de terre glaise, délayé en suffisante qualifié dans l’eau dont on faisait usage avec les pompes. L’eau tombant sur les poutres enflammées se desséchait bientôt, et ces matières formaient une croûte sur le bois qui en éteignait la flamme en interceptant l’air extérieur.

L’assesseur von Achen a fait plusieurs expériences à ce sujet, entre autres celle-ci qui me parait décisive. Il fit ériger trois chaumières en bois : toutes les pièces de l’une étaient enduites de la composition dont j’ai parlé. Il les remplit toutes trois de matières très-combustibles, comme d’étoupes, de copeaux de bois et de goudron. Il y mit ensuite le feu, il ne s’inquiéta en aucune manière de celle qui était enduite, mais il arrosa l’une des deux restantes avec l’eau préparée comme il l’entendait, et l’autre avec l’eau toute simple. Celle-ci brûla entièrement malgré les pompes, et les deux autres ne souffrirent que fort peu.

Je rapporte ceci comme on me l’a donné à Örebro : si le docteur von Achen eût été vivant, j’aurais eu le plus grand empressement à le connaître : mais des personnes respectables m’ont tellement assuré de ce fait, que je ne crois pas pouvoir le révoquer en doute. Les mêmes personnes m'ont aussi dit qu’il avait reçu de Londres et de Varsovie des médailles, et des éloges bien mérités sans doute, si la chose est, comme on me l’a dit.

À un ou deux milles d’Örebro, se trouve une carrière d’alun. On se sert de la pierre même, pour chauffer les fourneaux où l’on fait bouillir celle qui a été brûlée. Elle doit ainsi bouillir pendant deux jours : on la laissé ensuite déposer dans des bassins pleins d’eau, avec des bâtons suspendus au milieu, et l’alun s’attache et se cristallise après comme le vitriol. Le résidu qui se trouve au fond, sert comme celui du vitriol, à faire de l’ocre. J’ai dans l’idée que si les ardoises blanches que l’on trouve souvent dans le charbon d’Écosse subissaient la même cuisson, elles produiraient également de l’alun, et le résidu de l’ocre ; car la pierre d’alun brûle comme le charbon d’Écosse, et les pierres qui restent après, sont comme celles que l'on trouve souvent dans ce pays, après que le charbon est brûlé. Je suis persuadé qu’avec un autre procédé, on en tirerait aisément du soufre et du bitume.

La foire finit enfin et tout-à-coup le monde, les marchands, la comédie etc., tout disparut et Örebro devint ce qu’il était avant, pas grand’chose. On y trouve habituellement cependant, quatre ou cinq maisons de très-bonne compagnie. À qui je dois des remerciemens pour les attentions que j’en ai reçues. On parlait beaucoup d’une autre foire à Christinehamn, plus considérable encore que celle celle d’Örebro, mais elle ne devait avoir lieu que six semaines après.


  1. J’ai dit dissoudre, car la glace ne fond pas dans le Nord ; elle s’enmmiette, pour ainsi dire, devient spongieuse et disparaît dans l’eau.
  2. Comme il est fort inutile et très-ennuyeux de se répéter, ou de répéter les autres : les personnes qui voudront connaître les détails les plus minutieux, dont les canons sont fondus et forés à Ôkersbruck, peuvent lire p. 479, sept ou huit pages du Voyage de deux Français dans le nord de l’Europe ; mais si l’on veut savoir, comment cela se fait par-tout, l’encyclopédie en instruira mieux.
  3. petite bierre.
  4. expression des aimables.
  5. Plusieurs voyageurs ont répété les uns après les autres, que sans les cataractes de Trolhäta, il y aurait une navigation établie entre Stockholm et Gothenbourg ; la jonction entre le Venern et le Hielmarn n’est pas même sérieusement projetée ; le plan n’en existe que dans la tête des ingénieurs.
  6. C’est vraiment une chose bien extraordinaire, que presque jamais on n’entende parler de vol en Suède, et cependant quand il s’en commet à Christiania ou à Copenhague, les habitans ne manquent jamais de dire, c’est un Suédois ; ce qui se trouve assez souvent être la vérité. La raison de ceci est assez simple. Comme la police est bien faire en Suède, un malfaiteur n’a guères de possibilité d’échapper ; les frippons sont donc obligés de sortir du pays pour voler à leur aise.