Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/11

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L’ancienne capitale, Sigtuna — Figure de la clef d’or sur le granit. — Départ pour la grande promenade. — La ferme d’Ekolsund. — Substitut pour le pain. — Charrues pour ouvrir et fouler la neige. — Les rennes et leur mousse. — Gamla-Upsala (la vieille Upsale).


Je partis enfin d’Upsal dans l’intention d’aller visiter l’ancienne ville de Sigtuna. A quelque distance, on commence déjà à voir les ruines qui sont encore assez considérables, mais qui l’étaient davantage il y a quelques années.

Le curé de l’ancienne capitale du royaume est le plus pauvre du pays : sa maison est bâtie parmi les ruines de la cathédrale de St. Pierre, et n’a guère ; de diffèrence d’avec celles des paysans.J’en reçus un fort bon accueil. L’après-dînée nous allames visiter les ruines. Celles de quatre ou cinq églises sont encore assez bien conservées, on ne peut plus voir que les fondations de quatre ou cinq autres. Le caractère de ces ruines est le même que celui de celles à l’est de l’Irlande : le clocher est au milieu du bâtiment et sépare le chœur de la nef ; celui de a cathédrale est quarré et il faut qu’il ait été bien maçonné, car il ne paraît pas avoir souffert, quoique il y ait bien quatre cents ans qu’on ne l’ait réparé ; ces églises étaient d'ailleurs très-peu considérables.

Il n’existe pas de vestiges de ruines sur le site de l’ancienne ville d’Odin, on y remarque cependant les fondations d’un assez grand bâtiment, mais c’est tout. Cette ville était située de l’autre côté d’une branche du lac Mälarn ; par eau ou sur la glace, on peut y aller dans un quart d’heure, de la ville qui a pris son nom ; à quatre ou cinq milles de Sigtuna, il y avait dans une île du lac, la ville de Biörkö. dont il est souvent fait mention dans l’histoire de Suède, même dans les temps modernes, comme d’une ville considérable. Elle a été détruite on ne sait trop comment : les seules ruines qu’on voye sur l’endroit, consistent dans une arche assez large, ressemblant à une porte de ville et quelques pans de murailles, çà et là.

L’église paroissiale de Sigtuna est tout ce qui lui reste et lui donne encore une certaine apparence ; elle est située dans l’enceinte d’un couvent, dont les ruines sont intéressantes a parcourir. Il paraîtrait qu’il y avait beaucoup de Russes établis dans cette ville, pour le commerce ou pour leurs études ; ils y ont eu une église, dédiée à St. Nicolas, dont les ruines même ne subsistent plus.

Les registres de la cure sont curieux à parcourir, c’est d’eux que j’ai appris les détails que l’on a vus depuis la page 207.

On est très-peu accoutumé à voir des étrangers dans cette ci-devant capitale du royaume, et mon accent réjouit fort les gens de l'auberge et du pays, quoique je fisse de mon mieux pour exprimer ce que je voulais, dans leur gothique bâtard, vulgairement appelé suédois ; ils ne voulaient pas n’entendre, riaient et ne se gênaient guères, sous prétexte que je n’entendais pas la langue que leur nourrice leur avait apprise. Ma situation ici n’était pas très-différente de celle dont le conte suivant fait mention.


Un Anglais, dont l’argent bien placé sur la banque,
__Le délivrait de tous mondains soucis
Pour se désennuyer, arpentait le pays.
Car ce n’est pas le tout, d’être contre le manque
________Pleinement rassuré,
__L’on veut encor n’être pas désœuvré.

Malheureux, qui n’a plus de crainte ou d’espérance !
C'est le destin, dit-on, des diables en enfer.
Ah ! mon Dieu ! que je plains ce pauvre Lucifer !
__Notre homme donc, tout seul vaguait en France,
Sans cependant savoir quelques mots de français,
__De son argent la touchante éloquence,
Dans les cités, lui valait des succès ;
Mais une fois (je crois que c'était en Bretagne

Non non, je dis que c’était en Champagne)
Il S’égara tout seul dans la campagne.
__Les manans ne surent jamais
_______Aucun autre langage,
__Que celui qu’on parle au village.
____Un d'eux pourtant plus sage,
Crut reconnaître, à son baragouinage,
__Qu’il avait besoin de manger
__Et qu’il cherchait à se loger :
Lors par le bras, vous le prend et le mène
__L'hôte le voyant arriver
Et désirant chez lui le conserver,
S’empresse à le servir, lui présente une chaise,
__Lui faisant signe de s’asseoir :
__Il semblait glorieux et tout aise,
__Dans sa maison de recevoir
Un Anglais. Appelant sa servante Javotte :
Allons vite, dit-il, de Monsieur le mylord
__Défaites promptement la botte.
Mais le malheur voulut que tirant par trop fort,
__La Javolte fit un effort,
Et tout-à-coup avec grand fracas lâche
Ce que devant le monde avec soin chacun cache.
__Du cas, se trouvant très-peiné,
__Le pauvre maître consterné
S’écria : fi la vilaine ! eh ! que veux-tu qu’on dise
De notre honnêteté, chez les milords Anglais ?
Bah ! qu’estque ça fait donc, dit l’autre avec franchise,
Comme si ce Monsieur comprenait le français.



En outre de la mauvaise habitude de rire et de Se moquer d’un étranger, qui ne parle pas bien distinctement, usage qui semble appartenir à toutes les nations gothiques ; les gens du commun en Suède, ont encore comme en Angleterre, et surtout en Écosse, l’habitude de crier, quand ils parlent à un étranger comme si l’éclat de leur voix les faisait mieux comprendre. Dans ce cas, le seul parti à prendre c’est tout simplement de se mettre les doigts dans les oreilles et de crier aussi om ni skulle skrika só högt som Oscar, jag skulle intet förstô er mera.[1]. Cela les fait rire et ils cessent de brailler, car ils sont bonnes gens après tout, et on les comprend beaucoup mieux, quand ils parlent doucement.

Après toutes les embrassades d’usage entre mon vieux prêtre, sa femme et sa fille, je partis et voyageai sur la glace du lac, le long de l’allée d’îles qui semblent plantées devant Sigtuna, à une distance de plus d’un mille. J'arrivai bientôt à la roche, devant laquelle on prétend que les Russes, laissèrent tomber la clef d’or de la grille du chœur de l’église Cathédrale. Je vis, non sans surprise, la figure d’une grosse clef, haute d’un pied, bien marquée sur la pierre ; il n’y avait, j’en suis bien certain, ni gravure, ni peinture. Cette figure est formée uniquement par les veines blanchâtres du granit. C’est un accident singulier, qui, comme je l’ai dit, a sans doute donné occasion à l’histoire de la clef d’or de Sigtuna, tombée dans le lac vis-à-vis.

La vue de la ville à travers cette longue allée d’îles, qui semblent rangées comme une avenue dans un jardin, a encore quelque chose de grand ; il faut avoir vu avant, combien elle est déchue, pour ne pas la croire encore une ville considérable.

Je terminai enfin ma course autour du lac Mälarn : elle a sans doute été longue. C’est un tour que l’on peut faire à son aise dans huit jours pourtant, mais les excursions que je me suis amusé à faire dans le pays des Goths, et peut-être aussi dans celui des conjectures, l’ont rendu bien plus considérable[2]

Je rentrai dans la capitale pour me préparer à l’expédition que j’avais projetée. Deux ou trois mois s’écoulèrent, avant que le dégel parût. Les rues étaient embarrassées d’une quantité prodigieuse de glace et de neige, que deux mois n'auraient pas fondues. La police donna ordre que les rues fussent nettoyées dans trois jours, sous peine d’amende, et sur le champ on a vu partout les gens occupés à déblayer : ce qui a rapport à la police et à la sureté des villes et du royaume en Suède, est toujours fait avec la vigueur nécessaire pour se faire obéir promptement.

Dans les circonstances critiques occasionnées par la révolution de France, le gouvernement de Suède s’est souvent montré avec dignité. Le refus de recevoir pour ambassadeur, un homme qui avait voté pour la mort de son roi, lui fait sans doute honneur ; quand on réfléchit sur-tout, qu'à cette époque (le mois d’octobre 1793) toute l’Europe semblait courber le genou devant l’idole du jour.

En outre de cette raison, le roi de Suède en avait bien une autre. Il avait donné au directoire, le ministre qu’il avait demandé, quoique ce ministre fût alors disgracié. Sa Majesté avait sans doute autant de droits à avoir celui qui lui convenait. On n’eut point d'égards à la demande qu’elle fit de trois personnes, laissant le choix au directoire d’en nommer une d’elles ; et on lui envoya un ambassadeur, pendant qu’elle n’avait qu’un ministre en France et qu’elle désirait n’avoir qu’un ministre chez elle.

Depuis cette époque, le gouvernement de France écoutant enfin la voix (le la raison, regarderait comme indigne de lui de commettre rien de pareil. Il sait se respecter assez, pour respecter lui-même les gouvernemens des autres nations. Mais alors la république, c’est- à-dire le Quinquemvir qui la maîtrisait, se plaisait à envoyer, à la cour des rois, (même de ses alliés) ceux qui s’étaient montrés les plus acharnés à la perte de l’infortuné Louis XVI, comme pour les avertir du sort qu’il leur préparait..... et les rois ont baissé la tête et toujours accepté avec reconnaissance cette faveur singulière. — Il convenait à l’héritier du trône de Gustave-Vasa, Gustave-Adolphe. Charles XII et Gustave III, de la repousser avec dignité.

Il y a quatre ordres de chevalerie en Suède ; le Premier est l’ordre des Séraphins : c’est le cordon bleu de Suède. La cérémonie se l’ordre qui se fait le 28 avril, est très-pompeuse : j’ai vu le roi y représenter avec la dignité la plus grande. Après le service divin, il créa un chevalier et lut lui-même un discours assez long sur les raisons qui avaient déterminé son choix ; toutes étaient appuyées sur le mérite et les longs services du Récipiendaire.

Il y a fort peu de chevaliers et on compte parmi eux, l’empereur de Russie, le roi de Prusse et le roi de Dannemarck. À la gauche de l’église, de l’autre côté du trône, il y avait sous un dais, trois fauteuils vides qui leur étaient destinés.

Grâces à la révolution, une telle cérémonie n’est plus à la mode : les honneurs et les décorations sont bien reconnues pour être des préjugés. Suivant le philosophique système moderne, il ne reste à un général, après des victoires et des conquêtes brillantes, que l'argent qu’il a pu voler ; pendant qu’autrefois, une aune ou deux de ruban bleu était une récompense, que l’on croyait pouvoir payer complètement les plus grands services. Il se pourrait après tout, que le Général fût également satisfait ; mais j’ai dans l’idée que les peuples ne doivent pas l’être. Suivant un ancien usage, et qui sans que personne le sache, tient encore aux temps qui ont précédé le christianisme, et que l’on trouve par-tout sous différentes formes ; la cour et la ville sortent et vont se promener au parc le premier jour du mois de mai. La promenade de Long-champ, que l’on fait à Paris le vendredi saint, a beaucoup de rapport à celle-ci.

L’usage des gens du commun est de boire ce jour-là, plus qu’a l’ordinaire : man möste dricka marg i ben, disent-ils ; (on doit boire de la moelle dans ses os) afin d’avoir de la force pour les travaux de la campagne ou pour les fatigues de la guerre, qui vont commencer. Le premier de mai aussi, comme on le faisait autrefois en Irlande, on allume encore, dans certains cantons, des feux sur les hauteurs.

Les travaux de la campagne ne durent pas longtemps, mais par cette raison même, ils sont très-pénibles : la nature fait en trois mois dans le Nord, ce qu’elle fait en six dans le Sud. L’hiver ayant été très-rigoureux, la terre commençait à peine à s’ouvrir : les glaces fermaient encore l’entrée du port : et elles sont fermée jusqu’à la fin du mois de mai. Le 4 du même mois, il a tombé deux pouces de neige, à la grande satisfaction de tous les propriétaires de forge et même des cultivateurs, qui craignent toujours de manquer d’eau, pour leurs moulins et pour la campagne.

Le temps s’adoucissant enfin, et ayant pris les arrangemens que je crus nécessaires, à la sureté de la longue expédition, que j’avais méditée, je pensai à mon départ. En Irlande c’était pour le militaire et pour les propriétaires que j’avais désiré des recommandations : ici je crus devoir me mettre sous la protection de l'église.

M. Uno von Troil archevêque d’Upsal voulut bien me donner une lettre générale (le recommandation pour tous les prêtres. Elle m’a réellement été très-utile, et m’a fait faire mon voyage ainsi qu’un évêque fait une visite dans son diocèse, avec cette différence, cependant, que ces messieurs, n’étant point prévenus, se montraient à ’moi tels qu’ils étaient réellement, au lieu que l’évêque ne les voit guères, que comme ils devraient être. J’étais en outre recommandé à tous les gouverneurs de province, et aux personnes un peu marquantes des pays que je devais parcourir.

Pour ne pas perdre un moment du court intervalle qui sépare les deux hivers, je hâtai mon départ et je me mis en route le 21 mai, avec une pluie à verse qu’on disait excellente pour la terre ; me consolant comme je pouvais, du mal particulier, par l’idée du bien général.

Je ne pus passer près du joli palais de Haga, sans lui rendre cette dernière visite. C’était la demeure favorite du feu roi : il n’avait rien négligé pour la rendre agréable, et il y avait bien réussi, c’est sous ce nom que Gustave III avait voyagé en France en 1785, et qu’il avait passé en revue à Châlons-sur-Saône le régiment dans lequel j'étais. Certes alors, je n’avais pas lieu de croire qu’en 1799, après neuf ans de malheur et d’exil, la fortune me conduirait à la terre dont il portait alors le nom, pour joindre aux regrets de sa perte des souvenirs cruels et bien inutiles.

La disette se faisait sentir près de Stockholm : les paysans manquaient sur-tout de fourrage ; ils avaient découvert les écuries, les granges et même leurs maisons, pour donner la paille des toits, à leurs bestiaux. Il ne faut pas conclure de ceci que ce fut un cas bien extraordinaire. Sur dix ans on s’attend communément a trois années de disette : pour en prévenir les fâcheuses conséquences, les paysans dans les bonnes années, couvrent leurs habitations d’une couche épaisse de paille, et dans les mauvaises ils sont fort aises de la trouver.

Ma première journée finit à Ekolsund chez M. Séton, dont j’ai déjà parlé. À peine y avait il de verdure, la surface de la terre était dégelée, mais le Kielta y était encore. On appelle ainsi, la terre gelée à une profondeur de quelques pieds. Dans les bois, il se conserve fort longtemps. Il a en dégelant la propriété, assez particulière, de pousser à la surface les objets solides qu’il embrasse ; ainsi l’on est oblige «le renfoncer tous les ans les palissades ou piliers de bois, qui ne sont pas enterrés bien profondément. Je ne serais pas éloigné de croire que c’est aussi le Kiela, qui pousse en dehors les grosses pierres que l’on voit dans les champs de la Suède. Le cultivateur en découvre tous les ans de nouvelles, qui arrêtent le soc de la charrue. et dont il aime mieux faire le tour, que de prendre la peine d'en nettoyer le terrain.

La principale allée du parc d ’Ekolsund conduit sur le rivage du lac Mälarn : ce lac forme dans cet endroit une baye dont la plus grande profondeur n’est que de quatre pieds. On pourrait aisément gagner ici douze cents arpens de bon terrain. Si une des chaussées de Stockholm était ouverte, cela se ferait tout seul : sinon, en renforçant la chaussée sur laquelle on a fait passer le chemin, et en la continuant à l’endroit où est le pont, quelques pompes à vent comme en Hollande, l’auraient bientôt entièrement desséché.

Il paraît que les eaux du lac, étaient autrefois beaucoup plus élevées : il y a plusieurs villages situés sur des rochers dans l’intérieur du pays, qui portent le nom de Holm (petite île). En examinant la rondeur des rochers de granit qui couvrent une grande partie de la Suède, on ne peut s’empêcher de penser qu’autrefois tous les cantons peu élevés, étaient comme est encore le lac Mälarn, couverts d’eau et d’un nombre prodigieux d’îles qui par le dessèchement sont devenus des collines. Sur la hauteur, de l’autre côté de la baye d’Ekolsund, on voit dans le granit, plusieurs trous ronds de trois ou quatre pieds de profondeur, sur un ou deux de large. Ils semblent n’avoir pu y être faits, que par des cailloux mis en mouvement par les eaux.

Bien des gens prétendent que les eaux de la Baltique se retirent de 45 pouces par siècle : quoique la proportion semble un peu forte, les observations dont j’ai parlé, porteraient à les croire.

Les observations sur le retrait des eaux de la Baltique, et sur-tout du golphe de Bothnie sont fort extraordinaires. Dans quelques endroits le long sur-tout de la côte de Suède ; on dit communément qu’elles se retirent considérablement, et des expériences le prouvent ; sur celles de Finlande, elles ont semblé hausser au contraire, et près du Dannemarck et de la Russie, elles sont absolument dans le même état ; ceci est prouvé par plusieurs petites îles sablonneuses et si plates (entre autres Salthom), que la partie la plus élevée n’est pas deux pieds au-dessus du niveau de la mer ; on fait mention de cette île dans l’histoire de Dannemarck à une époque reculée de six à sept cents ans. Si le retrait de 45 pouces par siècle était égal par-tout, l’île de Sarthom serait près de 24 pieds au-dessus du niveau de l'eau, à dater de cette époque.

Les habitans du pays ont des idées fort étranges sur ces trous ronds, dont j’ai parlé plus haut : ils se sont imagines que ce sont des espèces de troncs, qu’une fée puissante a creusés dans le granit, pour y recevoir le tribut des passans. Il en est même qui s’imaginent qu’en y jetant quelques pièces de monnaie, la fée les guérira de bien des maladies ; et les jeunes filles, qu’elles seront bientôt mariées. Pour vérifier cela, j’ai ôté, non sans peine, l’eau qui remplissait le trou le plus grand, et j’ai effectivement trouvé au fond, trois petites pièces de monnaie, entre autres une de celles que Charles XII, fit frapper à son retour de Bender, en 1718, avec cette inscription flinck och färdig (courageux et prêt) et que l’on fut obligé de recevoir pour huit shillings (16 s. tournois) quoiqu’elles ne valussent et ne passent à présent que pour deux Krèutser (2 liards). Sur l’autre face on voit un lion à côté d’un homme armé.

Il arrive souvent qu’au printemps, les paysans manquent de vivres, soit par négligence soit par disette. Il est une plante très-commune dont quelquefois les gens des villes mangent la feuille en salade, mais dont le paysan ne sait tirer aucun parti : le pissenlit, ou chicorée sauvage qui couvre la terre aussitôt que la neige a disparu. M. Séton m’ayant parlé de la disette où se trouvaient alors les habitans des environs de Stockholm, je lui donnai l’idée d’en faire usage ; j'en ai vu quatre plats sur sa table : la feuille en salade et en épinards : la racine, préparée comme le salsifis, était vraiment très-délicate : en la mêlant avec un tiers de farine, on avait réussi à en faire une espèce de pain, pas très-bon à la vérité, mais mangeable. En Allemagne on en fait une espèce de café. C’est ainsi que la nature toujours prévoyante semble vouloir suppléer à nos besoins, mais que nous négligeons ses dons, et que nous allons chercher bien loin ce que nous avons sous la main.

La culture des pommes de terre n’a pas encore fait les progrès qu’on pourrait désirer, parmi les paysans de cette partie. La manière de les planter à Ekolsund, est si extraordinairement simple, que je crois devoir en faire mention. Elle consiste à diviser une terre en friche par plate bandes de trois à quatre pieds : on étend une légère couche de fumier sur l’une, et on y met les pommes de terre, à deux pieds de distance. Le reste de l’opération consiste à relever le gazon, la terre ou le sable de la plate-bande à côté, et à les en couvrir : elles viennent communément très-bien sans autre culture. L’année d'après, on met du fumier sur la plate-bande découverte, et on plante les pommes de terre, que l’on recouvre avec la terre de celle qui a produit. La troisième année, on couvre toute la surface de fumier, et on plante des pommes de terre par-tout. La quatrième année on peut labourer sans beaucoup de difficulté, arracher les troncs d’arbres et les pierres qui couvrent le terrain et y semer du froment. On voit que cette méthode sauve les frais énormes du défrichement, qui se trouvent payés par les trois récoltes qui l’ont précédé. En général je crois pouvoir citer la ferme d’Ekolsund, comme un modèle aux agriculteurs suédois ; je les engagerais volontiers à la venir visiter ; ils y trouveront beaucoup d'établissemens et une perfection de culture dont ils pourront tirer très-grand parti.

Dans les bas-fonds, près du lac Mälarn, croît une espèce d’anémone sauvage ; elle a la fleur blanche. Les habitans sont dans l’usage de la piler et de s’en servir au lieu de mouches cantarides. Elle produit-lie même effet ; on m’a même assuré qu’il était encore plus fort et qu’il faut en user avec beaucoup de ménagement.

La neige est de grande importance en Suède ; elle facilite les charois, et souvent sans elle on serait très-embarrassé. On se sert pour l’ouvrir, d'une espèce de charrue triangulaire, composée de deux planches en équerre et de quelques arcs-boutants pour les soutenir. Un cheval et un jeune garçon suffisent souvent, pour frayer un chemin à travers la neige. Quand on a vu, combien facile est cette opération, est-ce qu’on ne doit pas rire de bon cœur, en entendant dire que la poste de Londres manque souvent huit jours de suite à Édimbourg, parce qu’il a tombé de la neige sur les hauteurs entre Berwick et Dunbar, un espace de chemin d’environ douze milles anglais, (deux mille suédois.)

La charrue triangulaire, dont j’ai parlé plus haut, ouvre sans doute le chemin avec facilité ; mais elle à l'inconvénient de trop écarter la neige, ce qui fait que lors du dégel, on est privé du traînage, trois semaines plus tôt qu’on ne le devrait. M. Hambrœ, homme très-ingénieux, a imaginé une masse solide et pesante de solives, un peu plus large que la voie des voitures et sans angles, avec laquelle on écrase et l’on foule la neige sans l’écarter, ce qui prévient l’inconvénient de la faire disparaître avant le temps. La construction de cette machine est fort simple, n’étant composée que de solives jointes ensemble. Elle est plus coûteuse que la charrue ordinaire, et demande plus de chevaux pour la traîner, mais elle doit durer beaucoup plus long-temps.

Dans les églises suédoises à la campagne, il y a généralement une espèce d’antichambre avant la grande porte, qu’on appelle Wapen-hus (la maison des armes). Avant d’entrer à l’église, il est d’usage d’y déposer ses armes et même son bâton. Ceci ressemble assez à l’usage suivi en Écosse pour engager à boire, j pledge you (je vous garantis) c’est-à-dire je vous garantis qu’on ne vous coupera pas la gorge pendant que vous aurez le verre à la bouche. Les armes déposées a la porte de l’église, faisaient voir qu’on était en sureté dans l’intérieur. Les temps ou on a été obligé d’imaginer (le telles précautions, n’étaient pas beaucoup meilleurs, que ceux de la liberté en France.

Dans un enclos de la ferme d’Ekolsund, il y avait deux rennes mâles et femelles : lors de mon premier passage, je les avais vus avec leurs cornes qui semblaient des os desséchés : elles étaient tombées depuis et repoussaient alors. Ils étaient fort privés et mangeaient dans la main leur mousse blanche, mêlée de glace : je m’attendais a les trouver beaucoup plus forts ; ceux-ci ne l’étaient pas davantage que des daims ordinaires. La furie que l’on m’a dit quelquefois les posséder et qui les fait attaquer leurs conducteurs, me parait bien peu à craindre. Sans trop se gêner, il m’a semblé qu’un homme, sans armes, pourrait tordre le cou à une demi-douzaine.

La mousse dont les rennes se nourrissent, est fort délicate : on la mâche aisément ; elle a un petit goût de champignon point désagréable : on s’en sert depuis quelque temps dans la médecine, sous le nom de mousse islandique. Les Lapons la préparent comme une espèce de gelée et s’en nourrissent quelquefois, j’en ai goûté moi-même, et quand la gelée est froide, avec un peu de lait et de sucre cela n’est pas mauvais.

On sait que ce joli petit cerf (le Renne) est tout pour les Lapons, c’est par la quantité qu’ils en possèdent qu’un homme est réputé riche ; car quoiqu'ils aiment assez l’argent et qu’il y en ait qui en ont beaucoup, ce n’est que pour avoir des rennes qu’il le considère.

Le renne est vraiment un joli animal : la forme de son pied seule est désagréable. Il est large comme une petite assiette et a au moins six pouces de diamètre : c’est ainsi que la nature le destinant à habiter un pays qui est plus de six mois sous la neige, l’a pourvu d’une corne qui par la surface qu'elle embrasse, l'empêche d'y enfoncer.

J’avais commencé ma longue promenade comme à mon ordinaire sans précaution quelconque, espérant voyager par les carrioles du pays et trouver à vivre où je serais : sir Alex. Séton, après m’avoir fait sentir l’impossibilité de la continuer de cette manière, eut la complaisance de me pourvoir d’un petit coffre de provisions et même d’une petite carriole découverte que les gens du pays appellent Kerra. Ainsi équipé je pris congé de lui, et je fus de nouveau visiter Upsal, pour y saluer les personnes qui m’avaient reçu et aussi pour voir la figure qu’auraient les monticules près de la vieille Upsal, depuis la fonte de la neige.

Je fis donc une petite course à Gamla-Upsala ; l’église paroissiale semble évidemment avoir été destinée à un autre usage : la partie ancienne est une grosse tour quarrée, bâtie en pierre de champ, dans laquelle il y a huit portes de quinze pieds de haut ; on les a murées, mais on les distingue aisément. Vis-à-vis de l’église, au sommet du coteau qui borde le bassin dans lequel Upsal est situé, il y a trois grands monts funéraires, quatre plus petits et environ soixante à quatre-vingts élévations circulaires de deux à trois pieds de haut.

Il est très-vraisemblable que lors d’Odin, cette plaine n’existait pas et était sous les eaux du Mälarn qui venait mouiller le pied de ces collines. L’ancienne histoire de Suède rapporte que les vaisseaux venaient directement de la mer, à Gamla-Upsala. Il est très-probable qu’avant que l’embouchure de la rivière à Stockholm eut été élargie, le lac Mälarn devait se dégorger d’un côté par Soder-telge et de l’autre par Norder-telge. Ces deux villes portant le même nom, avec la différencede leurs prénoms de Sud et de Nord, sont également situées sur des bras de mer, qui aboutissent à peu de distance du lac Mälarn.

Comme je rentrais à Upsal, j’entendis que suivant l’usage, un homme au haut du clocher, annonçait les heures au pays d’alentour, avec un porte-voix. La porte du clocher était ouverte : je crus pouvoir profiter de l’occasion pour jouir de la beauté du coup-d’œil ; en montant je rencontrai le crieur dans l’escalier. Il me prit apparemment dans l’obscurité pour un des jeunes gens de l'université ; il ne dit mot, mais je le vis sourire : enfin après m’être bien amusé à considérer la beauté de la vue, je voulus descendre : je trouvai la porte fermée et je fus obligé d’attendre jusqu’à l’heure suivante. Pensant que cette cathédrale dans laquelle j’avais déjà été enfermé deux fois, finirait par me jouer quelque mauvais tour, je partis le lendemain de bonne heure, dirigeant ma route vers Sahla pour en visiter les mines fameuses.

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  1. Quand vous crieriez aussi haut qu’Oscar (le tonnerre), je ne vous comprendrais pas davantage. Oscar, dans l’ancienne religion, était le dieu chargé du soin du tonnerre. Quand il tonne, on dit encore Oscar goer (Oscar va, le tonnerre gronde). On dit aussi Oscar’s dunder (le tonnerre d’Oscar. Quelquefois même, on dit Thor’s dunder (le tonnerre de Thor), mais c’est affecté. Et c’est assez simple, parce que Thor étant le premier dieu, et étant supposé avoir chargé Oscar de la besogne de lancer le tonnerre, ne doit plus s’en mêler que pour surveiller.
  2. Snore Sturleson prétend que le grand lac Mälarn a été fait par un des sorciers à la suite d’Odin, nommé Gefroe. Ce sorcier acheta la terre qui le couvrait, de Glyphe (dont j'ai parlé) pour en augmenter le Dannemarck. Il la détacha adroitement, ayant soin de laisser les rochers dont il n’avait que faire, et la jeta avec une force terrible, à côté de la Fionie ; c’est ce qui forme la Seelande qui a autant de caps, (Nöses) que le lac Mälarn, qu’il appelle log Erue, a de bayes. Log Erne est le nom de deux lacs, un en Écosse, et l’autre en Irlande. Le terme log (lac) s’écrit lock en Écosse et lough en Irlande.
    Shönning a fait mention de ce fait dans sa mythologie de la Norvége.