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Promenades Littéraires (Gourmont)/Marginalia sur Edgar Poe

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MARGINALIA SUR EDGAR POE
ET SUR BAUDELAIRE


Je ne crois pas que le milieu américain ait été plus hostile à Poe que le milieu français à tel de nos contemporains. Il avait des ennemis, mais aussi des amis littéraires, des admirateurs ; il vivait avec deux femmes qu’il adorait, Mrs. Clemm et Virginia ; il gagnait sa vie par un labeur qui ne semble pas lui avoir déplu, car il aimait à écrire, et non seulement ses contes, ses poèmes, mais ses articles ; il est batailleur, il s’attarde, il se complaît en des polémiques où il veut le dernier mot, quoique son insolence soit mal faite pour désarmer ses adversaires.

On ne connaissait pas sa valeur, mais on admettait sa supériorité relative ; il paraît certain que, s’il eût vécu, ses dernières années auraient été celles d’un dominateur littéraire ; il était destiné à vaincre, même dans l’intelligence fruste de ses compatriotes, la réputation de Longfellow, pour qui il fut cruel et qui pourtant lui a rendu justice.

En Angleterre, oui, il aurait été mieux apprécié, il y a là un public vraiment intellectuel, vraiment aristocratique, pour lequel une page originale est un bienfait et qui sait se montrer pécuniairement reconnaissant. L’Anglais paie ses plaisirs.

En France, Poe eût peut-être souffert davantage. Pas plus que Baudelaire, que Flaubert, que Villiers, que Verlaine, que Mallarmé, il n’eût été capable de gagner sa vie ; ses contes d’une si riche idéalité auraient été, comme ceux de Villiers, méprisés de la masse des lecteurs démocratiques et nulle revue, nul journal n’aurait accueilli ses critiques dédaigneuses, violentes, et qui ne cessent brusquement d’être agressives que pour traiter en un style d’une précision parfois un peu dure les problèmes les plus obscurs de l’expression de la pensée.

Un écrivain de haute intelligence juge toujours que son milieu est le pire de tous ceux où il aurait pu vivre. Le mépris que Poe professait pour les Américains, Schopenhauer l’éprouvait pour les Allemands, Carlyle pour les Anglais, Léopardi pour les Italiens, Flaubert pour les Français. Quelques uns savent que tous les troupeaux humains son pareils : ils n’envient pas de pâturer en d’autres prairies une herbe toujours empoisonnée par la méchanceté des hommes.

2.

Il n’y a pas toujours de relation logique entre la vie et l’œuvre d’un écrivain. La vie s’en va comme l’eau d’un torrent, d’un fleuve las, d’un ruisseau gai, et les fleurs, et les œuvres qui croissent sur les rives ont leur caractère distinct : le ruisselet s’orne des plus orgueilleux flambes et le torrent, des fleurettes les plus fades ; le fleuve coule parmi l’uniformité des herbes. Une œuvre tragique n’implique pas une vie tourmentée ; la littérature des époques révolutionnaires est souvent le bêlement d’une bergerie ; on a cherché dans Cromwell l’explication de Milton : les fables de Florian parurent en 1793.

La vie de Poe n’eut rien d’extraordinaire. Elle fut celle d’un homme de lettres tour à tour collaborateur et directeur de magazines. Comme d’autres il avait sagement dédoublé sa vie : le grand poète était aussi un littérateur actif et qui poussa souvent jusqu’au pédantisme, un besoin originel de sermonner ses contemporains. Il est absurde de se représenter Poe tel qu’un maladif rêveur ; il était instruit jusqu’à l’érudition et son intelligence précise et sagace avait quelque chose de ce que Pascal appelait l’esprit géométrique. On peut supposer qu’il vécut parfaitement conscient de sa destinée et de son génie.

3.

La famille de Poe était d’origine irlandaise. Cela, et le séjour à Baltimore, peut-il expliquer l’odeur de catholicisme qui est répandue dans son œuvre ? Il parle quelquefois comme Tertullien et comme Joseph de Maistre. Il aime la règle, il défend la règle, il croit s’asservir à la règle, lui dont l’originalité est si particulière.

4.

Il ressemblait prodigieusement à sa mère ; c’est le même visage, l’un féminin, l’autre mâle ; encore quelque chose de garçonnier dans l’attitude de l’actrice ajoute-t-il à l’illusion. Elle ne put avoir sur lui qu’une influence purement physique ; il la perdit à l’âge de deux ans ; son père était déjà mort. L’originalité de Poe se développa d’autant plus librement qu’elle ne fut entravée par aucune douce autorité ; beaucoup d’enfants, trop surveillés, trop bien élevés, trop aimés et tenus de près, modèlent leur jeune intelligence sur celle de leurs parents, reçoivent ainsi des empreintes souvent si profondes qu’elles déterminent à jamais leur activité cérébrale et le plus souvent l’annulent. Que de parents médiocres ont ainsi déprimé leurs enfants !

5.

Nulle trace dans la vie de Poe de grandes amitiés d’homme à homme ; mais de profondes affections féminines, Mrs. Clemm, Frances Osgood. Il n’a d’ailleurs aucun préjugé contre les femmes ; dans ses critiques, il ne fait jamais de distinction préalable entre la littérature des hommes et celle des femmes. Il admirait sincèrement Frances Osgood. Aimant la société des femmes, leur conversation, leur esprit, il ne semble pas leur avoir jamais demandé davantage ; la chasteté de ses écrits était celle de sa vie, accord bien rare, car on sait qu’il n’y a qu’un rapport des plus inconstants entre les œuvres et les hommes. Lascivia est nobis pagina, écrit Ausone à Paulin, en lui envoyant un Centon Nuptial, vita proba, et il cite tous les auteurs anciens quibus severa vita fuit et lœta materia.

6.

Le contraste est ici excessif entre Poe et Baudelaire, qui pourtant sont des intelligences de même forme. Une préface non publiée des Fleurs du Mal résume son esthétique :

Son vice vénérable étalé dans la soie
Et sa vertu risible —
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence :
Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or.

Baudelaire méprise la femme civilisée, parce qu’elle est trop peu civilisée, trop naturelle, trop instinctive : « La femme a faim et elle veut manger ; soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être baisée : le beau mérite ! » (’Mon cœur mis à nu.) Il la traite en inférieure, parce que dans ses manifestations d’amour elle ne sépare jamais l’âme du corps, le sentiment de la sensation. On peut en effet voir là une faiblesse, mais le jour où la femme aurait acquis la force de pouvoir séparer, comme le mâle, le sentiment et la sensation, elle serait devenue un être tellement différent de celui que nous connaissons qu’il lui faudrait un autre nom. Il est vrai aussi que sa liberté est à ce prix. : c’est peut-être un peu cher.

7.

Poe n’exprime nulle part ses opinions touchant le peuple.

Le prolétariat ouvrier n’existait pas de son temps aux États-Unis, pas plus qu’il n’exista en Europe, au temps qu’il y avait des terres libres ; il ne vit pas de révolution.

C’est à ce moment qu’on voit bien le peuple, quand il sort de ses tanières et vient se faire tuer pour le profit d’une douzaine de gredins. Baudelaire ne méprisait pas le rôle politique des coquins ; il trouvait les honnêtes gens trop lâches : « Les coquins seuls sont assez convaincus pour réussir. » Il étendait assez loin la signification du mot, jusqu’à l’appliquer au bourgeois grave et plein d’aphorismes : « Personnage froid, raisonnable et vulgaire ; ne parlant sans cesse que de vertu et d’économie, il associe volontiers ces deux idées ; il a une espèce d’intelligence à la Franklin ; c’est un coquin à la Franklin. » (Scénario de la Fin de Don Juan.) Ce jugement rapide ne manque pas d’élégance.

8.

Poe défend volontiers les poètes. Il déclare que leur irritabilité vient de ce qu’ils ont une perception très nette du beau et par conséquent du laid, du vrai, du faux, du juste, de l’injuste. Qui n’est pas irritable n’est pas poète. C’est sa propre défense, car il était fort irritable ; plusieurs de ses jugements littéraires sont méchants jusqu’à la cruauté. Baudelaire a une autre manière de défendre la poésie et les poètes : « Canaille. Par canaille, j’entends ceux qui ne se connaissent pas en poésie. » (Lettre à Jules Janin.)

9.

The Murders of the rue Morgue furent publiés par Poe en avril 1841 dans le Graham’s Magazine. En 1846 une adaptation de ce conte, mais donnée comme une production originale, quoique non signée, parut dans la Quotidienne, sous le titre de l’Orang-Outang. Peu de temps après, le Commerce publiait, en lui rendant son vrai titre, une traduction intégrale du même conte : ce traducteur, qui avait signé Old-Nick, était E.D. Forgues, qui devait, le 15 octobre suivant, faire connaître Edgard Poe par une étude donnée à la Revue des Deux Mondes. Il y eut procès, ou du moins querelle, entre les deux journaux, et le nom de Poe fut écrit pour la première fois en France. Poe eut une assez vague connaissance de cette histoire (il croit avoir été démarqué par le Charivari (Marginalia) ; comme il ne pouvait songer, vu l’état de la législation littéraire, à retirer aucun profit de la traduction de ses œuvres, il dut se borner à goûter les joies pures de la renommée. On dit qu’en apprenant qu’on avait donné ce conte en français sans y mettre son nom il avait eu un moment d’indignation. Ce fut cependant le commencement de sa gloire européenne : il y a presque toujours au début des grandes renommées littéraires, même les mieux justifiées, un scandale, un procès, un bruit extérieur à l’œuvre. C’est pourquoi on peut retenir avec indulgence et même avec reconnaissance le nom du premier traducteur ou arrangeur d’Edgar Poe. C’était une dame Isabelle Meunier, femme d’un publiciste scientifique nommé Amédée-Victor Meunier, né en 1817. Madame Meunier devait donc être toute jeune lorsqu’elle eut l’heureuse idée de traduire le Double Assassinat. Elle continua à faire connaître à un public, d’ailleurs peu enthousiaste, les plus curieux contes de Poe, jusqu’au moment où Baudelaire s’empara du grand écrivain dont il devait être le collaborateur autant que le traducteur.

Baudelaire, qui n’avait pu lire l’Orang-Outang sans ressentir « une commotion singulière » (Lettre à Armand Fraisse), suivit la querelle et dès qu’il connut le nom de Poe s’enquit de ses œuvres. On a dit qu’elles n’avaient pas encore été réunies en volumes, qu’elles gisaient éparses dans les collections de plusieurs journaux et magazines américains, Graham’s, Southern Literary Messenger, the Sun, etc., toutes publications fort difficiles à se procurer en France. C’est une erreur manifeste, puisque les Tales of the Grotesque and the Arabesque, matière des deux premiers volumes de la traduction Baudelaire, avaient paru en 1839 ; pour les volumes suivants, Baudelaire puisa dans l’édition des œuvres posthumes publiée par Rufus Griswold. C’est en juillet 1848, un an avant la mort de Poe, qu’il donna, dans la Liberté de penser, sa première traduction, Révélation magnétique. Il est absolument faux qu’il ait appris l’anglais exprès ; comme le fait remarquer M. Créipet (Œuvres posthumes de Baudelaire), il avait appris l’anglais, tout enfant, de sa mère.

10.

Edgar Poe nous en impose moins par les apparences logiques de ses déductions que par le ton souverain d’un verbe affirmatif et absolu ; il a une manière de s’emparer du lecteur avec les gestes d’une domination méprisante, contre laquelle on ne trouve aucune défense. Ainsi le début, les six premières pages, sobres, fortes, nettes, exactes, puissantes, comminatoires du Manuscrit trouvé dans une bouteille : nous ayant pris, il nous mène en esclave au néant ironique de sa conclusion, et nous allons volontiers nous perdre dans les abîmes mythiques du Fleuve Océan.

11.

Un jour, en lisant le Prométhée enchaîné, j’ai eu la sensation d’un conte de Poe, de la Chute de la maison Usher. Nul poète, depuis les Grecs, n’a eu comme Poe le sentiment de la fatalité, de la nécessité tragique.

12.

Une invention comme le Puits et le Pendule a quelque chose d’insensé à la fois et de compliqué qui stupéfie. Comme conte « inquisitorial », la Torture par l’espérance, de Villiers de l’Isle-Adam, est bien autrement émouvant et grandiose. Se le présente-t-on Edgar Poe lisant cette histoire et forcé de reconnaître la supériorité de l’invention idéiste sur l’invention mécaniste ? Je n’ai pas entendu Viliiers parler de Poe ; il citait volontiers Swift, qui a eu également une grande influence sur son génie.

13.

Rue Morgue : Poe abuse aussi de l’invention analytique, de ces constructions en forme de labyrinthe, où il se promène avec insolence, un fil invisible à la main. En de telles histoires, la puissance déductive de l’auteur est d’apparence ; telle invention policière, la carafe de M. Macé, est bien supérieure aux froides combinaisons d’un Dupin. Et pourtant l’effet produit est intense : même quand on a pénétré le secret de pareilles imaginations, si on relit le conte, on est dupe encore une fois. C’est que, dans une histoire comme la Lettre volée, le principe est une belle observation psychologigue : La vérité n’est pas toujours dans un puits. Il y a des secrets qui courent le monde et que personne ne connaît. Il faut peut-être une force particulière pour ne regarder que la surface des choses : c’est pourtant à la surface de l’eau qu’est l’écume et tout ce qui remonte est gonflé des gaz de la putréfaction.

14.

Même passionnée et désespérée, la poésie d’Edgar Poe garde une froideur ironique. Il y a trop de recherche et trop de voulu (moins qu’il n’essaya de le faire croire) dans l’expression de ses douleurs et de ses rêves. D’ailleurs, et quoi qu’en ait dit Baudelaire, il n’a jamais atteint son idéal poétique, qui était le vers oratoire, largement fluide, limpide, ardent, le vers de Tennyson ; il est vrai qu’en d’autres pages il dit tout le contraire et affirme que la poésie doit être une œuvre de volonté et de précision : Poe, qui s’est beaucoup répété, s’est aussi beaucoup contredit.

15.

Il est difficile d’admettre la sincérité, même purement littéraire, du sentiment bizarre exprimé dans les vers :

I stand amid the roar…

le poêle recueillant une poignée de sable, et pleurant de n’en pouvoir arracher même un grain à la destructive fureur des vagues :

God ! can not save
One from the pitiles wave ?

Mais cet incident futile et ridicule est le point de départ d’une rêverie obscure et profonde : c’est le monde entier qui fuit sous la vague dévoratrice, avec nos joies, nos vies, nos songes.

16.

Poe est le plus subjectif des poètes subjectifs. Les terreurs qu’il se vante de créer froidement, il les ressent et les souffre. La peur, la douleur qu’engendre la peur, voilà le thèmepresque unique de ses poèmes aussi bien que de ses contes les plus beaux et les plus directement nés de son génie. Mais dans les poèmes seuls il consent à l’aveu des sentiments de profonde tendresse dont sa vie était troublée et charmée ; il écrit ses contes pour tout le monde ; il écrit ses vers pour lui et pour quelques cœurs féminins : les contes ne sont que la moitié d’Edgar Poe, les poèmes le contiennent tout entier.

17.

Quelques-uns ont cru que le véritable Edgar Poe était l’homme du magnétisme, de la fantasmagorie, de la perversité, de la mystification. Je ne le pense pas. Cela, c’est le Poe irrité contre la plèbe démocratique, contre le journalisme ignorant, et qui, au lieu de s’emporter, raille. Mais quand un Edgar Poe raille, il s’élève si haut que sa moquerie semble une bienfaisante leçon : et ceux-là même auxquels il explique en vain l’absurde etl’incompréhensible se laissent mystifier pour la joie de participer à des jeux puissants et parfaits.

18.

De toutes ses mystifications, la Genèse d’un poème est celle qui a été admise le plus volontiers et crue le plus longtemps. Baudelaire, entré à miracle dans le génie et jusque dans les manies d’Edgar Poe, n’a pas voulu avoir l’air de mettre en doute des pages aussi affirmatives. Quant au vulgaire, il a été flatté d’apprendre, du poète lui-même, que la poésie n’est qu’une combinaison volontaire de sons et d’idées préalablement choisis avec soin comme les petits cubes de verre dont se servent les mosaïstes. Il est évident que Poe s’est prodigieusement amusé en écrivant son paradoxe : cela suffit pour qu’il soit légitime. Ce paradoxe n’est aucunement la divulgation de la manière de travailler d’Edgar Poe. La méthode nous restera comme toutes les autres, éternellement inconnue ; à peine si, nous-mêmes, nous savons comment nous travaillons, comment nous viennent nos idées, comment nous les réalisons : si nous le savions trop bien, nous ne pourrions plus travailler du tout. Ce sont là des questions qu’un écrivain doit se garder d’approfondir. Il est d’ailleurs extrêmement dangereux de trop réfléchir sur ses actes, sur sa vie ; le ΓΝΩΤΙ ΣΕΑΥΤΟΝ est peut-être la sottise la plus délétère qui fut jamais proférée.

19.

Le système de Poe, dans le Corbeau, suppose qu’un poète peut se représenter successivement dans un court espace de temps toutes les combinaisons possibles de tous les mots qui peuvent se grouper autour d’une idée. C’est dire que cela suppose l’absurde, puisque le principe de toute composition écrite est le principe de l’association des idées, des images, des sons, de l’association et de l’enchaînement. Or, on se meut, ici, dans un infini au moins relatif ; la direction de la volonté ne peut s’exercer que sur l’immédiat, sur le connu, sur les sens, les idées, les images qui évoluent dans le plan de la conscience ; la volonté ne peut faire surgir et la conscience ne peut connaître ce qui se meut en dehors des activités présentes de l’intelligence. Il y a donc dans la composition une part immense faite à l’imprévu. Si un poète pouvait s’imaginer qu’il rédige rationnellement et volontairement un poème, il serait dupe d’une illusion psychologique. En somme on ne peut choisir une image dans son cerveau que si l’image émerge, comme un astre, à l’horizon de la conscience ; comment elle a monté, comment elle est devenue visible, nous n’en savons rien : cela se passe dans l’impénétrable nuit du subsconscient.

30.

Baudelaire a sur la versification des théories qui ressemblent fort à celles de Poe ; elles sont bien à lui, mais la lecture de la Philosophie de la composition et du Rationnal du Vers les influença plus tard. « S’il en était besoin, dit-il quelque part, j’aurais peu de peine à défendre l’espèce de dogmatisme auquel je suis enclin en versification. » Et il continue, parlant des lois mathématiques du vers, disant « que la phrase poétique peut imiter la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite descendante ; qu’elle peut suivre la spirale, décrire la parabole ou le zigzag figurant une série d’angles superposés ». Avec Baudelaire, on ne sait jamais où commence l’ironie, et cela exaspère le vulgaire. Il avait beaucoup plus d’ingénuité que l’on ne croit communément. « Il s’est vanté plus d’une fois, dit Charles Asselineau, de tenir école de poésie et de rendre en vingt-cinq leçons le premier venu capable de faire convenablement des vers épiques ou lyriques. Il prétendait d’ailleurs qu’il existe des méthodes pour devenir original et que le génie est affaire d’apprentissage. Erreurs d’un esprit supérieur qui juge tout le monde à la mesure de sa propre force et qui imagine que ce qui lui réussit réussirait à tout autre. » Cela s’applique aussi à Edgar Poe.

21.

Qu’aurait pensé Poe de ces sarcasmes de Baudelaire : « Vous êtes un homme heureux. Je vous plains, moi, d’être si facilement heureux. Faut-il qu’un homme soit tombé bas pour se croire heureux ! » (Lettre à Jules Janin.)

Poe n’eut pas écrit cela, mais peut-être l’aurait-il compris, quoique avec épouvante. C’est en 1847, peut-être dès 1846, que Baudelaire eut connaissance de quelques contes de Poe, qui ne devait mourir qu’en 1849. Or, malgré la « commotion singulière » qu’il éprouva à cette lecture (Lettre à Armand Fraisse), il ne paraît pas qu’il ait songé à l’écrire à l’auteur. Il ne paraît pas non plus que Poe ait été informé des premières traductions de Baudelaire, publiées en 1848.

22.

Autre aphorisme qui eût indigné Edgar Poe :

« L’amour, c’est le goût de la prostitution. » (Fusées.)

Mais ce mot de dénigrement brutal se transforme en une notion philosophique par les commentaire de Baudelaire :

« Il n’est même pas de plaisir noble qui ne puisse être ramené à la prostitution.

« Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.

« Qu’est-ce que l’art ? prostitution. »

Et, dans Mon cœur mis à nu :

« L’être le plus prostitué, c’est l’être par excellence, c’est Dieu. »

À cette idée de prostitution Baudelaire semble rattacher le « plaisir d’être dans les foules ». Poe, en écrivant l’Homme des foules, part d’une toute autre idée, moins originale, certes, et moins philosophique.

23.

Villiers de l’Isle-Adam suivait avec passion tous les progrès mécaniques, comme l’attestent tel conte, et surtout l’Ève future.

Mais le progrès ne le grisait pas : il s’en servait, et avec une ironie plutôt irrespectueuse. Edgar Poe avait une attitude assez semblable.

Sa manière de rire du progrès est de le dépasser par ses imaginations. Ainsi Villiers, dans l’Ève future. Baudelaire, que la mécanique n’intéressait pas, dit : « Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque l’homme, comme cela est prouvé par le fait journalier, est toujours semblable et égal à l’homme, c’est-à-dire toujours à l’état sauvage ! Qu’est-ce que les périls de la forêt et de la prairie auprès des chocs et des conflits quotidiens de la civilisation ? Que l’homme enlace sa dupe sur le boulevard ou perce sa proie dans des forêts inconnues, n’est-il pas l’homme éternel, c’est-à-dire l’animal de proie le plus parfait ? » (Fusées.)

Baudelaire, qui n’avait aucun des talents du romancier, du metteur en scène, donne immédiatement à ses idées un tour philosophique.

24.

Baudelaire est mauvais, démoniaque, le sait, en jouit, a peur de lui-même. Poe, faible, triste et malade, a horreur de lui-même, mais il en a aussi pitié.

25.

Baudelaire a, plus encore que Poe, de ces pensées j dont on ferait des livres : « La superstition est le réservoir de toutes les vérités. » (Mon cœur mis à nu.)

26.

Du Baudelaire des dernières années, encore, cette maxime, dont Poe eût tressailli et qu’on citerait impunément comme de Nietzsche : « Avant tout, être un grand homme et un saint pour soi-même. » (Mon cœur mis à nu.)

Avec tant de ressemblances que de différences entre l’auteur d’Ulalume et celui qui écrivait à propos des Fleurs du Mal :

« Faut-il donc vous dire, à vous, qui ne l’avez pas deviné plus que les autres, que, dans ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie, et je mentirai comme un arracheur de dents. » Il dit en une Préface inutilisée des Fleurs du Mal : « Ce n’est pas pour mes femmes, mes filles ou mes sœurs que ce livre a été écrit ; non plus que pour les femmes, les filles ou les sœurs de mon voisin. Je laisse cette fonction à ceux qui ont intérêt à confondre les bonnes actions avec le beau langage. » Edgar Poe n’aurait pas confondu « les bonnes actions avec le beau langage », mais il eût dit cela autrement,

27.

Baudelaire améliora à la fois et troubla, par son goût oratoire, la prose un peu sèche d’Edgar Poe. Il y a dans sa traduction admirable des fins de phrases où la pensée semble trahie au profit de la forme. Est-ce fâcheux ? peut-être, mais les poètes en font bien d’autres, et la rime les tyrannise bien plus que la cadence les prosateurs. Le sens de la cadence en prose n’a rien de commun avec le sens de la musique ; c’est un sens tout physiologique. On rythme sa sensation, obscurément, comme des cris de joie, des cris de douleur prolongés. Et tout se nuance ainsi, s’adapte à la pensée mieux en prose qu’en vers. La prose est un outil plus compliqué et en même temps plus souple, mais qui dévie si facilement !

28.

Baudelaire, l’un des cinq ou six grands poètes du dix-neuvième siècle, est peut-être supérieur encore comme prosateur. Bien plus que Gautier, il fut l’impeccable ; la fierté froide de son style hautain et sûr est unique dans la littérature française. Il est le maître par excellence de tous les esprits qui ne se sont pas laissé contaminer par le sentimentalisme.

29.

Eureka est une sorte de poème philosophique en prose où sont exposées des idées panthéistes, obscures, étranges, toutes personnelles : « Ce que nous appelons univers n’est que l’expansion naturelle de l’être. » Un jour, après mille évolutions, notre conscience individuelle ira s’obscurcissant ; notre conscience divine augmentera ; nous sentirons vraiment notre identité avec l’Être, et de toutes les consciences fondues en une se refera l’Un absolu, troublé depuis le commencement des siècles par l’existence des individus. » La philosophie des contes est toute psychologique : il est pessimiste, il admet le mal originaire, la perversité naturelle de l’homme : « La certitude du péché ou de l’erreur incluse dans un acte est souvent l’unique force, invincible, qui nous pousse à son accomplissement. » De telles pensées séduisirent Baudelaire qui s’y retrouvait lui-même avec une sorte de stupeur. Le pessimisme de Poe est le plus amer et le plus hautain : « Si j’étais éveillé, j’aimerais mourir. Mais maintenant il n’y a plus lieu de le désirer. L’état magnétique est assez près de la mort pour me contenter. » (Révélation magnétique.)

Death ! Death ! o amiable lovely death !
Thou odoriferous stench !

dit Shakespeare dans le Roi Jean. Poe, lui aussi, caresse la mort.

My love, she sleeps ! may her sleep,
As it is lasting, so be deep !
Soft may the worms about her creep !

30.

Dans le Cas de M. Bedloe, il définit à peu près ce qu’on entend actuellement par suggestion, une volonté abolissant une autre volonté, ne laissant subsister, au moins pour toute une série de faits, qu’une intelligence inconsciente à la merci de l’influence extérieure.

31.

Les circonstances de la mort d’Edgar Poe n’ont jamais été bien claires. En ce point sa destinée fut assez pareille à celle de Gérard de Nerval, sur laquelle on ne pourra jamais faire que des conjectures ; — en ce point ils se ressemblent et en un autre encore, car tous les deux furent-ils pas fous, fous d’une merveilleuse et féconde folie, mais fous ? Edgar Poe, du moins, fut atteint d’une bien étrange maladie mentale, d’une sorte de paralysie de la volonté. Il avait horreur de l’alcool et il buvait. Lui qui avait proféré contre l’alcool les plus terribles anathèmes, lui qui avait fait l’éloge de la tempérance, il ne pouvait plus travailler que dans l’hailucination de l’ivresse : « On ne va nullement trop loin, écrit-il dans ses Marginalia, quand on affirme que le mouvement en faveur de la tempérance est le plus important du monde. La tempérance augmente, en effet, dans l’homme la capacité des jouissances saines. L’homme tempérant porte en lui, en toute circonstance, la vraie, la seule condition du bonheur. » Et il ajoute qu’il faut y pousser l’homme par des craintes physiques, des raisons d’hygiène ; la morale y trouvera son compte par surcroît. Pour lui, rien ne l’arrêta et quand on connaît la haute intelligence de Poe, on ne doute pas un instant qu’il n’ait prévu les affreuses conséquences de ses habitudes d’ivrognerie ; il les a prévues et il a persévéré. Rien ne caractérise mieux une maladie de la volonté.

Edgar Poe, qui avait été plus loin en phsychologie morbide qu’aucun autre écrivain de son temps, connaissait bien ces affaiblissements de la force du vouloir, ou leurs déviations. Il les a étudiées sous le nom d’esprit de perversité, quand il nous montre un homme faisant le mal pour le mal, sans plaisir, sans intérêt, et avec terreur, mais dominé par une puissance mystérieuse. C’est sa propre histoire qu’il a racontée dans le Chat noir, et il n’y manque que l’identité des dénouements. S’il ne poussa pas l’esprit de perversité jusqu’à torturer autrui inutilement, ne fut-il pas, avec une perversité encore plus raffinée, le bourreau de sa santé, de son intelligence, de son génie ?

Malade à Richmond, où il avait résolu de se fixer, Poe fut appelé à New-York pour une affaire importante, se mit en route, mais fut obligé de s’arrêter à Baltimore. Là, il entra dans un cabaret et selon son habitude absorba des quantités d’alcool (ou, peut-être comme à certains buveurs invétérés, ne lui en fallait-il que très peu !) — sans cependant aller, comme on l’a dit, jusqu’à rouler ivre-mort. Tout porte même à croire qu’il était peut-être beaucoup moins ivre ce soir-là que bien d’autres soirs, car il était avec quelques-uns de ses amis, buveurs eux-mêmes, mais non ivrognes.

Le petit cabaret était plein ; c’était la veille d’une élection et on buvait ferme aux frais des candidats représentés par leurs agents électoraux, Vers les minuit, Poe et ses amis sortirent. Ils n’eurent pas fait dix pas dans la rue qu’ils se trouvèrent enveloppés par une bande d’hommes dont ils ne purent se défendre. Ces hommes n’étaient pas des escarpes, — c’étaient de très honnêtes agents travaillant contre salaire pour leur patron. En effet, il était d’usage à cette époque d’enlever ainsi, à la veille d’une élection, tous les ivrognes que l’on rencontrait dans les rues (et ces jours-là les rues étaient trop étroites), de les séquestrer jusqu’au lendemain matin en compagnie de quelques bouteilles et alors de les traîner de section en section en les faisant voter jusqu’à vingt ou trente fois comme un troupeau d’automates. Afin d’éviter toute protestation, tout réveil de conscience chez ces malheureux, on avait eu soin de mêler à leur boisson des drogues soporifiques, notamment de l’opium.

Poe et ses compagnons furent enfermés dans une étroite chambre contiguë à une machine à vapeur, au fond d’une impasse, dans Calvert Street. Ils durent y passer la nuit dans une somnolence fiévreuse, tassés les uns contre les autres, en proie à une horrible chaleur, à d’affreuses odeurs, buvant de temps à autre quand la sécheresse de leur gosier les réveillait à demi.

Il est horrible pour qui aime Edgar Poe, pour qui a vécu d’intenses minutes d’émotion avec ses livres, horrible de se le figurer dans un tel état d’avilissement, — et si coupable que fût en lui l’ivrogne, avait-il mérité une telle dégradation ?

Le lendemain matin, les racoleurs revinrent chercher leur troupeau pour les conduire successivement dans trente et une sections de vote. Ceux d’entre ces malheureux qui avaient quelque lucidité n’osaient rien dire ; on les aurait assommés sur place ; les autres allaient comme des machines. Dès la troisième ou la quatrième section, Edgar Poe ne pouvait plus tenir debout : on lui avait sans doute administré une trop forte dose d’opium. Enfin, il devint si pâle que les bourreaux eux-mêmes s’en aperçurent, et se mirent à dire « qu’autant valait faire voter un mort et qu’on pourrait bien avoir des démêlés avec la police ». Pour éviter tout ennui de ce genre, ils prirent le parti de se débarrasser de lui en le jetant dans un cab et en l’envoyant à l’hôpital. Il y mourut, peu d’heures après.

Cette affreuse aventure électorale a été contestée ; elle ne représenterait, d’ailleurs, qu’un terrible hasard. À ce moment déjà, Poe était perdu et le funeste moment n’a été hâté que bien peu sans doute :

Mon mal m’envahissait de plus en plus, — car quel mal est comparable à l’alcool !

M. Ugo Ojetti m’a rapporté de son voyage en Amérique une photographie du tombeau d’Edgar Poe. Par une cruelle ironie des puissances invisibles, on y lit, sur l’enseigne d’un cabaret voisin du cimetière, ce mot en lettres énormes et qui attirent l’œil : LIQUOR.

32.

Si pénible qu’ait été la mort d’Edgar Poe, elle fait moins peur que celle de Baudelaire qui sombra lentement, comme un beau navire blessé, dans l’océan de la douleur : car quelle douleur de mourir en un pareil état, d’être devenu semblable à une bête aphasique, et, selon le mot de Trousseau, intelligent comme un animal à qui il ne manque que la parole. Le journal de ses dernières années : Mon cœur mis à nu, contient des pages encore admirables, mais que le ton en est navrant et humiliant ! L’homme à la bouche sarcastique devient un enfant morose, peureux et obéissant. Le blasphémateur hautain tombe, comme par punition, à des prières grotesques : il invoque à la fois le bon Dieu, Mariette, Poe, l’Hygiène et la Morale. Il y a des déchéances et des agonies tellement épouvantables qu’elles feraient comprendre les appels à une justice absolue et à une bonté infinie.

33.

Eugène Sue, Gaboriau, Dostoiewsky, dans Crime et Châtiment, ont pris des leçons d’Edgard Poe. Tous ces policiers inventifs, ces juges d’instruction analystes, sont des succédanés de Dupin.

34.

Esprit très aristocrate, n’estimant que quelques facultés supérieures, les siennes, celles qu’il possède ou qu’il croit posséder à un haut degré, Poe exprime volontiers son mépris de l’humanité démocratique par la mystification. Le Canard au ballon, le Cas de M. Valdemar, l’Aventure de Hans Pfall, ne furent pas autre chose que de prodigieuses charges, hoaxes, comme disent les Américains. Et comme elles réussirent ! Non pas seulement près de l’ignorante Amérique, mais en Europe. À l’article Magnétisme, dans le « Dictionnaire des Superstitions populaires » de l’abbé Migne, ont lit ceci : « Nous ne pouvons abandonner cette question du magnétisme animal sans faire connaître à nos lecteurs un accident extraordinaire, peut-être même incroyable, dont on a beaucoup parlé dans le monde savant ? Et il traduit le Cas de M. Valdemar.

35.

En août 1835, Poe avait commencé la publication dans le Southern Literary Messenger de’histoire de Hans Pfall, qui excita fort la curiosité ; mais le mois suivant le Sun de New-York lançait le fameux Moon Hoax, dont le retentissement arrêta le succès de Hans Pfall. C’était le récit des découvertes de l’astronome Herschell fils : la lune était habitée. Dix ans plus tard, alors que nul ne pensait plus à ce « canard », le même Sun publia un article dont le titre portait en gros caractères :

« Etonnantes Nouvelles par express
via Norfolk !
L’ATLANTIQUE TRAVERSÉ EN TROIS JOURS !!
Triomphe de la machine volante de
M. Monck Mason !!!

Arrivée à l’île Sullivan, près de Charleston, S. C., de M. Mason, M. Robert Holland, M. Harrison Ainsworth, et de quatre autres personnes amenées par le ballon Victoria, après un voyage de soixante-cinq heures, d’Europe en Amérique.

détails complets. »

C’est le conte d’Edgard Poe connu sous le nom de Canard au ballon. Cette fois le succès fut énorme. Poe a raconté lui-même son amusement à voir les badauds s’arracher le seul journal qui eût les nouvelles. « Il prenait sa revanche. Cependant Hans Pfall est demeuré inachevé, l’auteur du Moon-Hoaxe ayant donné à son histoire le dénouement même que Poe avait imaginé ; cet écrivain qui eut la bonne fortune de vaincre une fois Edgard Poe, non pas il est vrai, sur le meilleur terrain, s’appelait Richard Alton Locke et descendait du fameux philosophe.

Le Moon Hoaxe fut traduit en français sous la forme d’une petite brochure intitulée : Découvertes dans la Lune, faites au Cap de Bonne-Espérance par Herschel fils, astronome anglais, traduit de l’américain de New-York. Paris, Louis Babeuf, rue du Jardinet, 3, 1836, in-8o.

La « Lune à un mètre », de l’Exposition universelle de 1900, est un véritable Moon Hoaxe, dont le succès près de la crédulité du public a du moins eu pour résultat de permettre la construction d’un télescope de dimensions inusitées. Edgar Poe n’eût point volontiers participé à une mystification utilitaire. Ses « canards » sont des récréations et des expériences psychologiques. Cependant on y découvre des traces du goût particulier des Américains pour la réclame, l’affiche, la publicité barbare, le journalisme extravagant. Poe est un Américain bien plus représentatif de l’Amérique qu’Emerson ou Walt Whitman. Son esprit à des côtés pratiques. Dénué de littérature, il eût été un étonnant homme d’affaires, un « lanceur de premier ordre. On aime cela dans l’auteur de Ligeia, comme on aime l’industriel paradoxal dans l’auteur d’Ursule Mirouët. Baudelaire, qui continua à faire foi sur Edgar Poe, a dissimulé avec soin cette partie de son caractère.

36.

Je crois que sa meilleure définition serait celle-ci : un grand esprit critique. Nous voilà loin du jugement d’un petit dictionnaire populaire : « Poète américain d’une imagination déréglée. » Cela conviendrait peut-être aussi très bien pour Baudelaire ; et peut-être aussi pour tous les véritables grands écrivains, pour un Chateaubriand comme pour un Gœthe, pour un Dante comme pour un Flaubert. Rien de plus absurde que d’opposer l’esprit créateur à l’esprit critique. Sans la faculté critique, il n’y a point de création possible ; on n’a que des poètes chanteurs, comme il y a des oiseaux chanteurs.