Promenades japonaises—Tokio-Nikko/Chapitre 11

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G. Charpentier (Vol. IIp. 67-75).


XI

COMMENT ON FAIT SA PRIÈRE


Nous arrivons au temple par une avenue dallée de larges pierres et bordée de petites boutiques, où l’on vend surtout des joujoux.

Au bout de l’avenue est l’entrée des jardins. Porte immense à la toiture énorme, sous laquelle pendent des lanternes gigantesques en papier rouge, ornées de gros caractères blancs et noirs.

À droite et à gauche dans de vastes niches sont les deux statues colossales des gardiens du temple, Nios grimaçants, terribles, au corps rouge, aux draperies mouvementées, armés de lances formidables, effrayants autant que possible, mais très bons enfants dans le fond.

Là commence la série des actes religieux qu’on peut accomplir en l’honneur du dieu Quanon. Le long des grilles qui entourent les statues on suspend en ex-voto les sandales de paille qui ont servi à faire le pèlerinage. Parfois, pour ne pas encombrer de chaussures pourries le portique du temple, on remplace la quantité par la qualité et une société de pèlerins se cotise pour offrir au Nios une seule paire de sandales, mais quelles sandales ! Un mètre de long ! Ce sont des vrais monuments.



Aksakssa, vu à vol d’oiseau.
(Fac-similé d’un dessin japonais)

On ne tarde pas à s’apercevoir que la préoccupation des fidèles est d’éviter les distractions incessantes que les dieux ont évidemment. Combien, en effet, ne voit-on pas de prières non exaucées ? Et la manière dont va le monde indique bien que ceux qui le mènent ne sont pas bien à leur affaire ; aussi on ne néglige rien pour attirer l’attention des êtres qui ont la puissance infinie.

Pour commencer, on cherche à obtenir les faveurs ou tout au moins la bienveillance des portiers qui gardent le dieu. On leur explique que l’on est venu de loin, que le voyage s’est très bien passé, détail qui montre que le dieu est déjà bien disposé, et pour preuves, en guise de cartes de visite, on dépose ses souliers chez le concierge.

Mais cela ne suffit pas ; il faut que les préposés aux mystères de la porte veuillent bien avertir leur maître de la présence des étrangers, et, pour ce faire, on écrit une lettre en forme de prière adressée au dieu ; on lui annonce l’heureuse arrivée des pèlerins et on le prévient qu’il ne va pas tarder à recevoir dans le grand temple la visite officielle et la prière définitive. Mais comment faire parvenir à son adresse cette missive d’introduction ?

La chose est bien simple. On mâche la lettre écrite, on en fait dans la bouche une boulette molle et collante et, d’une main adroite, on lance le paquet sur une des statues. Si la boule blanche s’écrase et s’attache au corps rouge du concierge, la lettre sera remise.

Un fait singulier, c’est que, lorsque l’on accomplit cette cérémonie et qu’on est en même temps affligé d’un mal de dents, la douleur cesse au moment même où la boulette touche la statue.

La chose a été si bien remarquée que, dès qu’on a mal aux dents à Tokio, alors même qu’on n’a point l’intention de pousser jusqu’au grand temple, on vient devant la porte du jardin, on mâche son petit papier, on le lance et l’on s’en retourne parfaitement guéri.



L’entrée du temple d’Aksakssa

Les énormes statues finiraient par disparaître sous les couches, indéfiniment renouvelées, de papier mâché. Pour les sauvegarder, on les a mises en cage et entourées d’un grillage à maille serrée. Mais les dévots sont adroits et ingénieux et trouvent moyen, en divisant leur projectile d’atteindre les colosses rouges dont les membres furieux se couvrent peu à peu d’une croûte informe et grisâtre.

Des nuées de pigeons volent autour de nous et viennent de temps à autre s’abattre bruyamment sur le sol. Ceux-là sont aussi des messagers qu’on peut charger de transmettre les prières. Une poignée de grains qu’on leur jette a fait souvent réussir bien des entreprises. En effet, ces pigeons vont et viennent, tantôt ils se posent sur un temple, tantôt sur l’autre ; quelquefois même, on les voit s’accrocher à l’épaule d’un dieu de bronze et lui parler à l’oreille ; ils pénètrent sans hésiter dans les sanctuaires et rasent de l’aile les objets sacrés. On sait très bien que leur principale occupation est de mettre les dieux au courant de tout ce qui se passe ; sans cela à quoi servirait cette grande activité qui ne leur laisse pas un moment de repos ; pourquoi iraient-ils ainsi, sans s’arrêter, d’un temple à l’autre ; et pourquoi, dès qu’ils ont mangé les grains qu’on leur jette, vont-ils au plus vite se percher sur les corniches sacrées ?

Tout cela prouve bien qu’un des meilleurs moyens de faire connaître au dieu le but de la visite qu’on lui fait, c’est de jeter aux pigeons une poignée de riz.

Des marchandes ont préparé dans des petites coupes la ration nécessaire pour se faire bien venir des messagers ailés et elles ont fort à faire, armées d’un long bambou, de défendre leur denrée sacrée contre les attaques effrontées des pigeons divins qui savent parfaitement que ces provisions leur sont destinées.

Un autre système meilleur, mais plus cher. Vous voyez ces cages remplies de petits oiseaux. Achetez-en un, et, tout en le tenant dans la main, expliquez-lui bien votre cas ; puis, ouvrez la main ; l’oiseau s’envole, la prière est faite.


La prière des enfants.

Voulez-vous mieux que cela ? Seulement, c’est encore plus coûteux.

Sur la gauche, dans cette maison basse ouverte sur le devant, il y a un petit cheval jaune à crinière blanche. C’est la monture du dieu. Tous les matins on conduit le cheval au temple et l’on demande à Quanon s’il veut faire une promenade. Généralement, il refuse et l’on ramène le cheval à l’écurie. Mais ce cheval, qui reçoit tous les matins le regard de Quanon, lui apporte en même temps les vœux dont on l’a chargé tout le long de la journée précédente. Voyez, en effet, avec quel empressement on lui apporte des petites soucoupes pleines de fèves grillées ; chaque soucoupe est accompagnée d’une prière et l’animal en avalant les graines prend l’engagement de transmettre la supplique.

Vous me direz peut-être que, sur la quantité, le cheval peut s’embrouiller, oublier, mal faire les commissions dont on le charge. Alors faites mieux : donnez une forte étrenne à son gardien et le palefrenier du coursier sacré ira avec vous au temple en conduisant le cheval par la bride.

Dans ce cas, si vous avez bien expliqué à la bête de quoi il s’agit, nul doute qu’elle ne fasse comprendre à son dieu le but de votre visite.