Promenades japonaises—Tokio-Nikko/Chapitre 28

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G. Charpentier (Vol. IIp. 175-177).


XXVIII

LE GENRE GAI


es artistes japonais, toujours très préoccupés des procédés, ont divisé leurs écoles de peintures, non suivant les sujets, mais suivant la manière de peindre.

Dans cette voie, les Chinois leur avaient donné l’exemple. En Chine, deux grandes écoles se partagent les peintres.

Nansoo, l’école du Sud, qui fait tout avec soin, cherche la grâce et se perd dans les détails ; Okousoo, l’école du Nord, qui reproduit en quelques traits énergiques un sujet donné.

Mais, qu’il s’agisse de peinture religieuse, historique, peinture de genre, de paysage, d’oiseaux, de nature morte, peu importe ! On est de l’une ou l’autre école selon la manière de donner les coups de pinceau.

Ces deux méthodes furent imitées au Japon avec une scrupuleuse exactitude. Mais les Japonais eurent aussi leurs écoles.

D’abord, l’école Tossa-é, peinture grave, sobre et soignée, convenant à l’esprit recherché et distingué de la cour de Kioto.

À cette peinture officielle du Mikado, la cour du Shiogoun opposa le système Kano-é, caractérisé par des contours anguleux. Ce qu’il y a de particulier dans ce procédé, c’est que les œuvres poussées, finies avec soin ou les croquis jetés avec rapidité, peuvent appartenir à l’école, pourvu que les plis des vêtements, les ombres et les accents soient exécutés à angles vifs.

Mais, sans nous attarder dans ces divisions techniques, constatons chez les Japonais, soit qu’il s’agisse de peintures coloriées, de peintures au noir de Chine, de sculptures sur bois, ivoire, bronze, argent, de marqueteries, d’incrustations, de niellage, de ciselure, d’objets laqués, vernis, bruts ou dorés, soit qu’il s’agisse de lithographies, gravures sur bois, broderies sur soie, impression sur coton, constatons, dis-je :

1o Le genre religieux bouddhique ;

2o Le genre soigné, élégant, très détaillé, représentant des scènes de l’histoire chinoise ;

3o Le genre rapide, à grand effet, reproduisant des scènes Légendaires ;

4o Le genre décoratif, fleurs, oiseaux, etc. ; Tous quatre venus de la Chine.

5o Le genre sobre, grave, shintoïste, utilisé par les légendes japonaises ;

6o Enfin, le genre gai, tout à fait local et traité avec une hardiesse, un esprit, une habileté qui méritent qu’on leur accorde quelque attention.

C’est un prêtre bouddhique qui, dit-on, en fut l’inventeur au XIIIe siècle ; Gakou-Yu entreprit de réformer les mœurs en se livrant à l’emploi de la caricature satirique. L’avarice des grands, la mauvaise administration, étaient représentées par des allégories gaies, énergiques, saisissantes.

Au XVIe siècle, Ivassa se rendit célèbre dans le genre populaire appelé Oukiyo-é ; et le siècle suivant, Hishi-Kava, continuant cette école, reproduisit les scènes de la vie ordinaire avec un tel succès que les éditions de ses œuvres se vendent encore dans les boutiques à bon marché. Il fut, en quelque sorte, le Teniers du Japon.

Tout dernièrement, le fameux Okousaï se livra à la peinture populaire avec une grande délicatesse de touche ; ses compositions, publiées en gravures coloriées, servent de modèle dans les différentes écoles publiques.

Il résuma avec habileté tous les procédés hardis et expéditifs des écoles Okousoo de la Chine et Kano-é du Japon, il y ajouta son esprit d’observation fine et ce sens particulier de l’élégance qui est le propre de tous les artistes du Japon, même quand ils reproduisent les scènes les plus triviales.

Okousaï est mort, mais il a évidemment des héritiers de son talent, car nous voyons à chaque pas des peintures communes et pleines d’esprit dont nous voudrions connaître les auteurs.

Depuis que nous visitons les rues de Tokio et de Yokohama, nous avons remarqué particulièrement une série d’images humoristiques dans lesquelles on reconnaît la main d’un artiste de valeur. Nous avons déjà constaté que ces images sont signées d’un nom formé de deux caractères chinois assez reconnaissables ; mais quand nous demandons quel est ce nom et qui le porte, on parle d’autre chose et l’on esquive la réponse.

À plusieurs reprises nous sommes allés aux renseignements et, à plusieurs reprises, nous n’avons obtenu que des réticences, des explications balbutiées ou de ces mutismes à la japonaise qui vous disent si bien :

— Vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas.