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Prose et Vers/La ville marine

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Prose et VersAlbert Messein (p. 97-99).

LA VILLE MARINE

Ô ville marine aux toits rouges
Dormant au bord de ton port bleu,
Ville de palais et de bouges
Que surchauffe un soleil de feu,

Jardins où citrons et oranges
Mûrissent autour des bassins,
Ruelles aux lueurs étranges
Où passèrent guerriers et saints,

Cloches du soir, grelots de mules
Et ces chansons des matelots
Rêvant à d’anciens crépuscules
Sur l’immense tourment des flots,

Ô ville marine, il me semble
Revoir sous tes remparts de fer
Les voiles latines où tremble
Comme un baiser le vent amer.


Par un matin brûlant de fête
Qui sentait la poudre et le vin,
J’ai franchi tes portes, en quête
D’aventures de grand chemin.

J’ai vu de folles farandoles
Parmi les salves des mousquets,
Des tromblons et des espingoles,
S’enrouler au long de tes quais,

Puis, passer, parmi les bannières,
Et dans le bruit précipité
Des pas, des cris et des prières,
Le saint patron de la cité.

Des perroquets jaunes et roses
Se balançaient sur chaque seuil,
Où les courtisanes moroses
Se dressaient en robes de deuil.

Dans la placette à colonnades
Où grouille à l’ombre le marché
J’ai vu rascasses et dorades
Luire comme un trésor caché.


Près des brugnons et des pastèques,
Des tomates et des piments,
Des figues dans les couffes grecques
Et des œillets chers aux amants

Ô parfums qui remuaient l’être !
Ô tourterelles dans la tour !
Et soudain, nue à sa fenêtre
Une femme experte aux amours !

Et de ce jour de canicule
Qui devait, feu et sang, finir
Dans le brasier du crépuscule
Je ne veux plus rien retenir

Que cette femme au regard glauque
Qui dansait devant un miroir
Au son du roucoulement rauque
Des tourterelles dans le soir.