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Proses philosophiques/Les Choses de l’infini

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Les Choses de l’infini





« Les âmes passent l’éternité à parcourir l’immensité. »

Voilà ce que disaient, il y a deux mille ans, les Druides. Avaient-ils déjà une sorte de divination de la pluralité des mondes .f* Ils levaient la tête, ils contemplaient les étoiles, et ils faisaient ce prodigieux rêve. De ces étoiles cependant ils ne connaissaient alors que ce que voyaient leurs yeux. Aujourd’hui nous avons un peu plus écarté le voile d’Isis, et notre imagination peut entrevoir, avec un peu rnoins d’obscurité et beaucoup plus d’épouvante, ce que serait, à travers les mondes, le vertigineux voyage sans fin.

A deux cents millions de lieues de nous, dans cette ombre, il y a un globe. Ce globe est quinze cents fois plus gros que la Terre. Quelle est la grosseur de la Terre ? Pour traîner la Terre, il faudrait dix milliards d’attelages de dix milliards de chevaux chacun. Ce globe, c’est Jupiter. Nous le voyons, il ne nous voit pas. Notre globe est trop petit. Jupiter est couvert de nuages. Notre crépuscule est son plein midi. Il a une année de douze ans, un jour de cinq heures, une nuit de cinq heures, une seule saison, son axe étant à peine incliné, et quatre satellites. Ces satellites sont toujours tous les quatre sur son horizon ; quand l’un est croissant, l’autre est pleine lune. La prodigieuse vitesse de sa rotation use rapidement la vie ; évolution trop précipitée des organismes sur eux-mêmes, répétition trop fréquente des actes vitaux, frottement fatigant du mécanisme, sommeils courts. On meurt vite dans Jupiter. À partir de Jupiter, et pour toutes les régions au delà, les étoiles sont visibles le jour.

Cent soixante millions de lieues plus loin, il y a un autre être énorme. Celui-là est seulement huit cents fois plus grand que la Terre. Ce vivant des ténèbres est un carcan dans un cercle de feu. Le cercle est double. Le premier cercle, le grand, a soixante et onze mille lieues de diamètre ; le deuxième cercle, le petit, n’a que soixante mille lieues. Ce monstre est un monde. Nous l’appelons Saturne. Sa vitesse de rotation est telle qu’elle a aplati ses pôles d’un dixième. Pour les habitants des anneaux de Saturne l’année dure trente années et est alternativement blanche et noire, c’est-à-dire qu’à un jour de trente ans succède une nuit de trente ans. L’être qui, sur l’anneau de Saturne, a vu un jour et une nuit serait sur la Terre un vieillard. Saturne a huit lunes. Ici, l’obscurité va s’épaississant. Le crépuscule de Jupiter est le plein midi de Saturne. Saturne, dans l’espace livide où il roule, encombre de son globe, de ses anneaux, et des huit orbites de ses huit planètes, deux mille six cents milliards de lieues carrées.

Quatre cents millions de lieues plus loin, il y a un autre globe. Après le monde de Saturne, le monde d’Uranus. Uranus, comme Saturne, a huit lunes. Ces huit lunes, au rebours de toutes les planètes connues, se meuvent d’orient en occident. L’obscurité grandit. La lumière, vingt-deux fois moindre dans Jupiter que sur la terre, est dix-sept fois moindre dans Uranus que dans Jupiter. Uranus a quatorze mille lieues de diamètre. Notre siècle est son année.

Cinq cents millions de lieues plus loin, il y a un autre globe, Oceanus. L’obscurité devient terrible. Oceanus a treize cents fois moins de lumière et de chaleur que la terre. Impossible de figurer cette glace et cette ombre. Doublez la grosseur de l’étoile du soir, vous aurez le soleil vu d’Oceanus. Oceanus est trente fois plus loin du soleil que nous. Or notre distance du soleil est ceci : la section d’un cheveu représente le diamètre de la Terre vue du centre du soleil. Oceanus est grand cent fois comme la Terre. Il a une seule lune. Son année dure cent soixante-quatre ans ; ses saisons durent quarante ans. Oceanus fait autour de l’étoile que nous appelons soleil un cercle de sept milliards de lieues.

Est-ce fini ?

Fini ! quel est ce mot ?

Améliorez votre télescope, et vous verrez.

Ces effrayantes planètes obscures, échelonnées, au delà d’Oceanus, les unes derrière les autres, dans les profondeurs impossibles, vous les rêvez ? vous les constaterez.

D’ailleurs qu’importent les planètes ? Pourquoi y perdre le temps ? N’y a-t-il pas autre chose ? A côté de la planète, point lumineux mouvant, n’y a-t-il pas un point lumineux immobile ? C’est l’étoile. Allez-y.

Quelle est la plus proche ?

C’est l’étoile Alpha du Centaure.

Allez à celle-là.

Si l’ouragan des Indes, qui emporte des forêts et rase des villes, doublait sa vitesse, laquelle est d’une lieue par minute, il lui faudrait à raison de cent vingt lieues à l’heure, trente jours pour aller de la terre à la lune. La lumière vient de la lune en une seconde. Il faut à la lumière, qui fait quatre millions deux cent mille lieues par minute, trois ans et huit mois pour venir de l’étoile Alpha du Centaure. Il lui faut vingt-deux ans pour venir de Sinus, notre autre voisin.

Tels sont ces précipices que nous appelons l’espace.

Qu’est-ce qu’une étoile ? C’est une tyrannie. La force centripète, quel despotisme !

Autant d’étoiles, autant d’aimants. Ces attractions terribles départagent l’abîme.

Une étoile est un rendez-vous. C’est un lieu de précipitation. L’infini y jette sans cesse on ne sait quel combustible inconnu. La matière subtile tombe de toutes parts à ce foyer, creuset des forces.


Tout centre appelle. Rien ne résiste. Les éléments entrent en discipline. Résultante : la vie.

La réduction des chaos s’opère peu à peu.

Les forces connaissent leur devoir. Pas une ne désobéit.

La gravitation est la conscience de la matière.

Une étoile fait loi. La loi d’une étoile finit où commence la loi d’une autre étoile.

La création visible et invisible subit ces voisinages. Les principes vitaux en suspens oscillent entre ces centres, puis font leur choix, et se rendent au plus fort ou au plus proche. De vastes courants de vie se déterminent dans tous les sens ; des formations colossales se mettent en équilibre autour de ces astres. Des rotations éperdues soutiennent ces équilibres.

Notre terre, qui est peu de chose, fait six cent vingt-quatre mille lieues par jour.

Les astres centres tournent s ur eux-mêmes.

Une fois saisis par ces aimants, les mondes restent à jamais leurs prisonniers.

Notre soleil a pris Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Oceanus...

Le Soleil pèse à lui seul sept cents fois plus que toutes les planètes connues mises ensemble dans le plateau d’une balance.

Mercure a la densité de l’or, Vénus et la Terre ont la densité de l’oxyde de fer, Mars a la densité du rubis, Jupiter du chêne, Saturne du liège, Uranus de la brique, Oceanus du hêtre. Oceanus, Saturne et Jupiter flotteraient sur l’eau.

Quelques-uns de ces mondes, comme Vesta, n’ont pas d’atmosphère. Pas d’atmosphère, c’est le silence. Ce sont des univers sourds-muets.

Les planètes éclairent splendidement leurs satellites. Le clair de terre est treize fois plus lumineux que le clair de lune.

Pour les habitants de la lune, quelle merveille que la terre ! l’année de la lune est d’un mois composé d’un jour et d’une nuit qui durent chacun deux semaines. La lune a probablement la forme ovoïde ; liquide aux premiers temps de sa formation, elle a dû se figer en ellipsoïde allongée, ce qui explique pourquoi l’un de ses hémisphères, le plus pesant, est éternellement tourné vers nous ; la lune pend sur la terre. Ne percevant que son petit diamètre, qui offre une section circulaire, nous la voyons ronde. Une moitié seulement de la lune, cet hémisphère, a la vision de la terre. Vision presque effrayante, à la fois réelle et spectrale. Les habitants de l’arrière hémisphère doivent faire ce voyage d’aller voir la terre de l’autre côté de leur monde. De ce point-là, que voit-on ? Au zénith, un vaste globe immobile, toujours lumineux, gros trois fois comme le soleil. Autour de ce globe tourne l’univers. Cette sphère apparaît comme la clef de voûte du ciel. La création est un tourbillon autour d’elle. Elle est le milieu visible du monde. Elle évolue, mais sur elle-même, majestueusement centrale. C’est l’illusion fixée au sommet de la réalité et déconcertant à jamais la science. Pour les hommes de la lune l’astronomie vraie est fermée. Du haut du ciel étoile, l’aberration préside au calcul. Comment échapper à ce globe qui ne se déplace jamais, et sur lequel tout gravite ? L’ordre du monde roule sur lui. Toute étude cosmique est irrémédiablement viciée à son point de départ. Un Galilée lunaire semble impossible.

S’imagine-t-on des fleuves de planètes ? Cela existe. Ces fleuves tournent autour de l’étoile dite Soleil. Le plus remarquable, dans notre système, c’est le grand courant d’astres situé à moitié chemin entre Mars et Jupiter. Le premier de ces astres, Cérès, fut découvert en janvier 1801

le dernier, Sapho, en février 1864. Il y en a aujourd’hui

quatre-vingt. Le nombre est probablement illimité [1]. D’autres fleuves de planètes ne peuvent être perçus par nos instruments. Par instants, il s’en détache une goutte, qui est un monde. Nous nommons ces mondes bolides. Ces planètes sont les animalcules du monde télescopique. De temps en temps, un de ces infusoires, univers habité comme un autre (pourquoi pas ?), vient se heurter à notre atmosphère, et le frottement de sa vitesse contre sa densité l’enflamme. Il éclate, c’est une étoile filante ; il tombe à terre, c’est un aérolithe. Un de ces torrents de petits mondes passe annuellement sur nos têtes vers le 11 août.

Nous ramassons ces mondes. Que nous apportent-ils ? Parfois nos propres éléments, nos métaux à nous, le cuivre, le cobalt, le nickel, le manganèse, le fer météorique, le fer titane, une basalte pareille à celle des escarpements colonnaires de Paterno, un feldspath qui, comme celui de l’Etna, est du labrador et non de l’orthose ; parfois des métaux inconnus, la plessite, la ténite, le kamacite.

Ces ruissellements circulaires de mondes télescopiques sont de véritables anneaux, entrant peut-être les uns dans les autres et faisant dans les étendues on ne sait quelle surprenante chaîne cosmique.

Une autre chaîne se composerait des gigantesques orbites elliptiques des comètes.

Veut-on se figurer quelle serait cette chaîne ?

La comète de 1680, une des préoccupations de Newton, ne revient qu’au bout de quatre-vingt-huit siècles ; elle plonge dans l’espace à trente-deux milliards de lieues.

Cette ellipse longue de trente-deux milliards de lieues ne serait qu’un chaînon de la chaîne cométaire.

Ces prodigieux fils relieraient dans l’espace incommensurable les créations.

La plupart des comètes semblent être et sont probablement des nuages ignés de matière cosmique. Quelques-unes pourtant ont évidemment des noyaux solides ; ainsi, entre autres, la comète à six chevelures de 1744, observée par Chezeau ; ainsi la comète de 1680 ; Newton calcula que le globe flamboyant, noyau de cette comète, mettrait cinq cents siècles à se refroidir.

Pas plus que la science d’hier, la science d’aujourd’hui n’a dit sur les comètes le dernier mot.


La science dit le premier mot sur tout, le dernier mot sur rien.

L’astronomie, cette micrographie d’en haut, est la plus magnifique des sciences parce qu’elle se complique d’une certaine quantité de divination. L’hypothèse est un de ses devoirs.

Nous distinguons, bien entendu, entre hypothèse et hypothèse. Quand Philolaus imagine l’antichthone et le fait adopter par l’école de Pythagore, Philolaus est le visionnaire du faux ; quand Swedenborg dit : « Les habitants de Saturne adorent la Lueur Nocturne ; c’est leur Dieu ; la Lueur Nocturne vient du grand anneau », Swedenborg est le visionnaire du possible ; quand Hévélius conjecture la libration de la lune, Hévélius est le visionnaire du réel.


Nous avons parlé d’étoiles immobiles, c’est une erreur. L’immobilité n’est pas.

Toute cette profondeur remue. On croit y voir étinceler la fixité. On se trompe. Cette fixité bouge. Cette immuabilité change.

Des étoiles s’enflamment ou pâlissent. Sirius, blanc aujourd’hui, était rouge autrefois.

Arcturus, Procyon, Kéid, ont des mouvements propres, constatés.

Mira avance et recule.

Algol avance et recule.

Une étoile du Bélier recule, une du Dragon avance, une du Cygne approche et s’éloigne, la neuvième et la dixième du Taureau s’en sont allées.

D’autres étoiles ont apparu et disparu. Hipparque en a vu une, Adrien en a vu une, Honorais en a vu une, Albumazar, qui écrivait au neuvième siècle le livre De la Révolution des Années, en a vu une ; Charles IX a eu la sienne en 1572 ; Philippe III a eu la sienne en 1604. Une étoile dans le Renard a eu plusieurs allées et venues et, après une longue hésitation, est partie. Le nord lui-même n’est pas imperturbable. Il change de flambeau. L’astre régulateur est relevé comme un soldat de garde. L’étoile polaire d’Homère n’est pas la nôtre.

Il existe des étoiles doubles, des étoiles triples, des étoiles quadruples. Trois soleils, un vert, un jaune et un rouge ; tournant l’un sur l’autre et se poursuivant avec une vitesse de quatrevingts millions de lieues par seconde, voilà Aldebaran.

Nous voyons éclater la meule du rémouleur. Comment font-ils pour subsister, ces globes animés de vitesses désagrégeantes ?

Quelle est leur adhésion moléculaire ? Comment une telle force centrifuge peut-elle être vaincue ?

La lumière est lente à côté de ces emportements inconcevables.

Ces gigantesques mouvements d’astres s’accomplissent au fond d’un tel abîme et sont à tel point annulés pour nous par la distance qu’ils sont masqués souvent par l’épaisseur du fil de platine traversant le champ de la lunette, fil mille fois plus fin qu’un fil d’araignée.

Il y a une étoile double sur quarante.


L’ombre apparaît comme l’unité.

Dans cette unité qu’y a-t-il ?

L’homme a sondé, d’abord avec la prunelle, puis avec le télescope, puis avec l’esprit.

Cette unité, qu’est-ce ?

C’est la noirceur, c’est la simplicité épouvantable, c’est l’immanence morte du gouffre, c’est le désert, c’est l’absence. Non. C’est la fourmilière des prodiges. C’est la Présence.

Chacune des trois sondes de l’homme a rapporté quelque chose.

L’œil a vu six mille étoiles, le télescope a vu cent millions de soleils, l’esprit a vu Dieu.

Qui, Dieu ?

Dieu.

Au Dieu Inconnu de saint Paul, l’aréopage opposait le Dieu Inconnaissable.

Le Dieu inconnaissable est le Dieu incontestable.

Les puissances occultes de la création, les effluves de l’illimité ont une rencontre. Elles se heurtent, s’accostent, s’amalgament, s’entrecroisent, forgent l’une sur l’autre, créent. L’étincelle de ce choc est le soleil.

Les effluves étant infinies, l’étincelle est éternelle.

Pas de raison pour que la rencontre s’interrompe.

Partout où vous voyez une étoile, il y a une de ces rencontres-là.

L’immanence infinie produisant le renouvellement indéfini ; tel est le phénomène de la vie universelle.

Essence et substance ; de cet androgyne sort le monde.

Dans la création, telle que nous la voyons, tout est combustion. Vivre, c’est brûler. L’homme brûle.

Nous voyons une création, nous en devinons une autre.

La création visible peut être inextricablement amalgamée de créations invisibles.

Elle doit l’être. L’infinitude patente implique une infinitude latente.

Par création invisible, nous n’entendons pas cette portion de la création matérielle, prolongement indéfini du monde télescopique et du monde microscopique, qui se dérobe à notre perception par l’éloignement ou par la petitesse, la petitesse étant un éloignement. Par création invisible nous entendons une création mêlée à nous-mêmes qui nous enveloppe et nous touche mystérieusement, inaccessible à nos sens, saisissable seulement à notre esprit ; monde inexprimable, vie profonde et inconnue, d’où l’on sort par le berceau et où l’on rentre par la tombe. La création invisible n’a pour l’homme que ces deux ouvertures.

Nous étudions, et nous constatons, dans la mesure de notre possible, la loi de la création visible ; la loi des créations invisibles nous échappe.

Il ne nous est donné que d’affirmer ceci :

Toutes les créations, la visible comme l’invisible, sont concentriques à Dieu.

On a pu mesurer la distance de quarante étoiles seulement sur cent millions que voit le télescope.

Quels que soient ces univers, éblouissants ou ténébreux, glacés ou incendiés, de l’ensemble de leur phénomène une forme_ protozoïque quelconque se dégage. Ébullition et congélation vivent. Ô vie ! ô loi !

La vie astrale résulte d’un mystérieux réseau de magnétismes.

Elle se distribue dans toutes les sphères du possible en quantités inconnues.

Ici le principe plutonien, là le principe neptunien. Sombres équilibres mêlés de chaos et de déluges. La vie surnage. La vie s’échange.

Qui sait s’il n’y a point un pollen des étoiles ?

La solidarité ne peut être la loi des âmes sans être la loi des mondes.

Pourtant, disons-le, la vie, une au point de départ, est diverse au point d’arrivée.

Nous voyons ces mondes. Ils sont ; donc ils vivent. Quelle est leur faune ? Quelle est leur flore ? Ont-ils, comme nous, des végétaux dont la respiration, analogue le jour à la respiration de l’homme, devient inverse la nuit ? Leur milieu ambiant ressemble-t-il au nôtre ? Leur fluide respiratoire est-il de l’air ? Leur liquide potable est-il de l’eau ? Pas de réponse à ces questions.

H faut pour mûrir l’orge douze cents degrés de chaleur accumulée, pour le blé deux mille, pour la vigne trois mille. Qu’est-ce que cela prouve ? Rien, sinon le mode de vie propre à la terre.

Chaque globe a une gamme complète de climats. Ses climats ne sont bons que pour lui.

Les données de la vie universelle ont toutes les combinaisons des logarithmes.

La vie de chaque monde, son aspect, sa surface,, toute la création qui lui est propre, résulte d’un coup d’autorité de sa nature spécifique.

Où est-il placé dans l’espace ? cette question résout toutes les autres. Le lieu fait l’être.

Aux affinités ajoutez les influences.

Les nutations de tous les axes de toutes les sphères, obéissant à des magnétismes obscurs, modifient dans l’étendue la vie incommensurable.

Dieu seul est seul.

Les soleils sont ensemble. Leur lumière, chimiquement diverse, va de

Chacun a droit à sa part de fond commun, l’Être. Nul refus n’est possible.

Une succion mystérieuse des effluves de l’un par les lacunes de l’autre met tous les mondes en communication.

Les irradiations qui s’entre-pénètrent, font une plénitude.

L’irradiation est équivalente à l’absorption.

L’univers ne manque nulle part.

Il y a, au-dessus des créations locales, et pour les relier, un univers collecteur.

Les petits univers rentrent par une série d’engrenages, ceux-ci télescopiques, ceux-là microscopiques, dans le mécanisme du grand.

Dans notre univers à nous, les orbites planétaires pèsent les unes sur les autres, et leur déplacement incline ou relève les obliquités de toutes les écliptiques. Oscillation prodigieuse.

La mort n’est pas. Tout est la vie. La vie est partout. Quelle vie ? La nôtre ? Oui et non. Oui, comme principe. Non, comme forme.

Mercure, pour qui le Soleil est sept fois plus grand que pour nous, a une atmosphère aussi chaude que de l’huile bouillante ; Oceanus est plus froid que le vif-argent congelé. Variantes du gouffre.

Y a-t-il çà et là des raréfactions de la vie ? Rien ne le démontre. Nous croyons plutôt à des transformations qu’à des diminutions. Des éclipses, oui. Des noirceurs, non.

La vraie science croit et affirme. Tout cône de ténèbres vient d’un obstacle momentané. Attendez, l’obstacle se déplacera et le cône d’ombre passera. La certitude reparaîtra.

Quiconque nie est la dupe d’une occultation.

Donc croyons à la Vie.

Du reste tous ces mots, glace, chaleur, lumière, nuit, n’ont pas de sens dans l’absolu. La vie universelle n’est que relation. Un vivant n’est pas juge d’un autre vivant. Tu meurs de ce dont je vis. Chacun est selon son milieu. La taupe a l’œil plus petit que l’abeille. Oceanus n’a pas froid, Mercure n’a pas chaud. Pour la bête du feu aux écailles de bronze rouge qui, au dire de Jean Trithème, serpente, heureuse, dans les charbons ardents, et qui, tirée de la fournaise, noircit et expire, agonisant hors de la flamme comme le poisson hors de l’eau, pour cette salamandre notre terre est glace, et notre printemps est la mort. Un lit de braises est son paradis ; nos roses lui feraient horreur.

Tout est un ; mais rien n’est pareil à rien.

Vénus, qui a le même diamètre que la Terre, porte des montagnes de dix lieues de haut.

Le même être, placé ailleurs, sera autre. Le temps lui-même n’a pas d’identité. Une minute de Jupiter équivaut à trois de nos minutes. L’homme terrestre, tel qu’il est, pèserait quatre cents livres dans Jupiter et quatre mille livres dans le soleil. Sur Pallas il pourrait, sans se faire de mal, sauter des tours de Notre-Dame (s’il y a une Notre-Dame dans Pallas). Dans le soleil une chute de trois pouces de haut le tuerait. L’homme dans le soleil ne pourrait vivre que couché ; le poids de sa tête écraserait sa colonne vertébrale.

Sur d’autres planètes que la terre, l’écliptique moins inclinée fait la vie plus longue et l’existence moins âpre. Nous le supposons, du moins.

Selon notre mode de concevoir la vie, l’obliquité du rayon solaire est toute la question. Suivant ce plus ou moins d’obliquité, on subit l’existence ou on la savoure. L’axe d’une sphère incliné ou redressé peut changer un paradis en enfer et un enfer en paradis, mais qui nous dit que notre possibilité de vivre est l’unique ? Qui nous dit que l’être se limite à notre façon de le comprendre ? Nous voyons les choses sous un certain angle ; mettez le point d’observation en deçà de l’homme, cet angle variera évidemment.

Autant de mondes, autant de vies.


De tout point d’intersection une vie jaillit.

Les mondes sont des nœuds de forces.


Nous venons de raconter quelques prodiges.

Continuons.

Chaque étoile est un soleil ; autour de chaque soleil il y a une création. Notre monde solaire, avec toutes ses planètes, est imperceptible dans le monde stellaire. Notre soleil, treize cent soixante mille fois plus gros que la terre, n’est qu’une étoile atome.

Représentez-vous des millions de soleils comme le nôtre avec toutes leurs légions de planètes, enfoncés au-dessus de nos têtes à une distance telle que ce n’est plus qu’une vague blancheur, un blêmissement indistinct, on ne sait quel inexprimable écrasement d’étoiles ; nous nommons cela la Voie Lactée.

Nous, et tous les astres que nous voyons, et toutes les constellations du zodiaque, et tous les univers du zénith et du nadir, nous faisons partie d’un prodigieux disque d’étoiles tournant probablement sur lui-même, dont la Voie Lactée est le bord. Il y a là un épaississement de soleils qui fait une grande tache livide dans l’infini.

Et après la planète, et après l’étoile, et après la Voie Lactée, qu’y a-t-il ?

Il y a la nébuleuse.

Qu’est-ce que la nébuleuse ?

On voit çà et là dans le ciel des pâleurs, des macules presque insaisissables, quelque chose qui est de la lumière sans cesser d’être de l’ombre, d’indicibles apparences où il y a de l’aurore et où il y a du spectre. Ce sont les nébuleuses.

Le soleil, c’est nous, les planètes, c’est nous, les constellations, c’est nous, l’étoile polaire qui est à soixante-seize millions de millions de lieues, c’est nous, la Voie Lactée, c’est nous.

La nébuleuse, ce n’est plus nous.

Telle étoile, dont la lumière ne nous parvient qu’en cent mille années, est notre compatriote céleste. Elle habite le même firmament que nous ; elle est mêlée à notre disque stellaire ; elle est de la maison.

La nébuleuse, c’est l’étrangère.

Nos comètes ne vont pas là.

Elles seraient inquiètes à cette distance et craindraient de ne plus savoir où retrouver nos soleils.

Notre lumière y va ; car la lumière sacrée, c’est le lien universel.

Peut-être aussi y a-t-il, pour faire le service de ces monstrueux espaces, des relais de comètes ignorées.

La nébuleuse est un autre disque stellaire, composé, lui aussi, de ses milliards de soleils, et faisant une Voie Lactée dans un firmament inconnu.

Herschell a compté plus de deux mille nébuleuses.

Notre Voie Lactée est la cabane ; les nébuleuses sont la ville.

Au delà du monde des planètes, il y a le monde des étoiles ; au delà du monde des étoiles, il y a le monde des nébuleuses.

Les lunes sont les satellites d’une planète ; les planètes sont les satellites d’une étoile ; les étoiles sont les satellites d’une nébuleuse ; les nébuleuses sont les satellites du Centre Ignoré.

Autant la distance d’une étoile à l’autre surpasse la distance des planètes entre elles, autant la distance d’une nébuleuse à l’autre dépasse la distance des étoiles entre elles. Pour exprimer en chiffres la distance des planètes, on prend pour unité la lieue de quatre mille mètres ; pour exprimer la distance des étoiles, on prend pour unité notre rayon solaire de trente-huit millions de lieues ; pour exprimer la distance des nébuleuses, il faut prendre pour unité le rayon stellaire, c’est-à-dire au minimum (le plus court rayon stellaire d’Alpha du Centaure à notre soleil) sept mille milliards de lieues. La distance du soleil à la nébuleuse la plus voisine est à la distance de la terre au soleil dans la proportion de sept mille milliards de lieues à une lieue. Plus d’angles à calculer ; plus de parallaxe à rêver ; ici la géométrie arrive à l’épouvante.

On sent l’accablement de la création inconnue.

Disons-le, même à cette profondeur, le télescope a pu saisir des formes. Messier, du haut de la logette de l’hôtel de Cluny, a constaté dans la vingt-septième nébuleuse deux cercles lumineux occupant les deux foyers d’une ellipse. La nébuleuse d’Hercule figure une éponge dont chaque trou serait une étoile. La nébuleuse du Chien de chasse, espèce de chevelure de flamme, tourne en spirale autour d’un noyau éblouissant. L’éternité d’un ouragan semble pouvoir seule expliquer cette torsion effrayante.

Qui sait où l’observation humaine s’arrêtera ? De Francœur à nous, le télescope a monté de soixante-quinze millions d’étoiles à cent millions.

Parce que dans la Voie Lactée proprement dite, nous n’avons encore compté que dix-huit millions de soleils, ce n’est pas une raison pour nous décourager.

Le jour où nos lunettes auraient reçu un suprême perfectionnement qui n’a rien d’impossible, la profondeur incommensurable étant partout peuplée d’astres à des éloignements divers, tous ces points lumineux, devant le regard du télescope, se serreraient sans interstice les uns contre les autres, boucheraient tous les trous, deviendraient surface, et le ciel de la nuit nous apparaîtrait comme un immense plafond d’or.


Le ciel offre cet effrayant phénomène : toujours la lumière, jamais la certitude.

Les distances démesurées des astres font que le ciel, à parler rigoureusement, est toujours à l’état d’illusion.

Le ciel que nous voyons n’est pas présent ; il est passé. L’Aujourd’hui du ciel nous est inconnu ; nous n’avons devant les yeux qu’Hier, et un Hier qui pour certains astres recule à des milliers d’années. La Chèvre que nous admirons tous les soirs était peut-être éteinte sept ans avant la bataille de Marengo ; les étoiles que le télescope de trois mètres aperçoit maintenant n’existaient peut-être plus au temps de Charlemagne, et les étoiles que le télescope de six mètres observe en ce moment étaient peut-être déjà évanouies au moment de la guerre de Troie. À l’heure où nous sommes, il n’y a peut-être plus une seule étoile dans le ciel.

Les dernières étoiles étant situées à la distance infinie, et la distance infinie ne s’épuisant pas, leur lumière, même après que l’astre aurait disparu, nous arrivera toujours, et s’il advenait que toutes les étoiles s’éteignissent dans le ciel, nous ne le saurions jamais. Nous verrions pendant l’éternité ces profondes étoiles mortes.

Le seul phénomène apparent et qui, pour être constaté, voudrait être observé pendant des milliers d’années, serait celui-ci : les grandes étoiles visibles à l’œil nu disparaîtraient peu à peu l’une après l’autre, et la Voie Lactée, devenue informe, envahirait tout le ciel. L’immensité serait une nébuleuse.

IX

Est-ce tout ?

Jamais.

Quel véhicule voulez-vous ?

La locomotive fait quinze lieues à l’heure.

L’ouragan fait soixante lieues à l’heure.

Le boulet de canon fait sept cents lieues à l’heure.

La locomotive se traîne.

L’ouragan boite.

Le boulet de canon est une tortue.

Enfourchez le rayon de lumière.

C’est là une monture quatre mille fois plus rapide que le boulet de canon, quatre millions deux cent mille fois plus rapide que l’ouragan et dix-sept millions de fois plus rapide que la locomotive.

Elle fait, vous le savez, soixante-dix mille lieues par seconde.

Partez.

Allez sur le rayon de lumière en huit minutes de la terre au soleil, allez en quatre heures du soleil à Oceanus, allez en trois ans et huit mois d’Oceanus au Centaure, allez en vingt-huit ans du Centaure à l’Étoile Polaire, allez en seize mille huit cents ans de l’Étoile Polaire à la Voie Lactée, allez en cinq millions d’années de la Voie Lactée à la nébuleuse du Chien de chasse, vous n’aurez point encore fait un pas.

Les apparitions d’univers recommenceront.

L’insondable restera devant vous, tout entier.

Au delà du visible l’invisible, au delà de l’invisible l’inconnu.

Partout, toujours, au zénith, au nadir, en avant, en arrière, au-dessus, au-dessous, en haut, en bas, le formidable infini noir.

Et tout ceci ne serait encore qu’un des deux aspects de la vision sublime.

À côté de l’infini de l’espace, il y a l’infini de la durée.

  1. La quatrevingt-unième vient d’être aperçue le 30 septembre 1864, au moment où nous venions d’écrire ces lignes. (Le 27 novembre 1864, on a découvert la quatrevingtdeuxième, Alcmène.)