Prostitués/V/François Coppée

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(p. 104-109).

Encore un habile sans âme : François Coppée.

Un jour quelques jeunes gens, émus des souffrances hypocritement imposées à Oscar Wilde, essayèrent de ployer telles marionnettes puissantes à l’attitude qui pardonne et qui demande grâce. Coppée fut pressenti des premiers. Il était déjà trop jésuite pour dire « non » proprement. D’ailleurs on ne se refuse pas la joie de railler un vaincu définitivement brisé. M. Coppée signerait donc la pétition qu’on lui présentait. Seulement il ferait suivre son nom d’un de ses nombreux titres et serait pour la circonstance « François Coppée, de la société protectrice des animaux. » Dans un salon je l’entendis rire de sa plaisanterie de tortionnaire. Il était heureux du succès obtenu : ceux, en effet, qui auraient consenti le geste de miséricorde avaient reculé devant le ridicule et Coppée, auprès de quelques-uns de ces lâches hésitants, se félicitait de leur avoir « arraché une fameuse épine du pied. » Qu’est devenu depuis cet allié des juges et des bourreaux anglais, ce pharisien qui osa jeter la première pierre ?… Je ne le dirai pas. Ma générosité dédaigneuse oubliera le Coppée actuel, le malade dont « la bonne souffrance » voit rouge, le prédicateur de militarisme et de sang. Je néglige la bave du gaga et le délire du fiévreux. Je juge le Coppée bien portant, celui qui, physiquement, vivait.

Il écrivit beaucoup de prose et beaucoup de vers. Sa familiarité fut toujours voulue et soignée, comme les grimaces d’un pitre bien rasé. Je viens de relire son œuvre, considérable par le temps qu’elle m’a pris. Je m’appliquais, désespéré de mes continuelles déceptions, à découvrir quelque beauté. Ah ! ce devoir, que d’anciens souvenirs et des souvenirs récents m’annonçaient si pénible, de quel effort inutile et irrité je m’efforçais de le transformer en plaisir…

Cet écrivain est mort et même, Lazare que Jésus ne visitera point, il sent déjà mauvais. Je note donc d’un geste rapide et dégoûté quelques-unes seulement des réflexions qui ont interrompu ou accompagné ma lecture.

La prose de M. Coppée est celle d’un écolier, qui s’applique consciencieusement, mais qui, à chaque ligne de son pensum, bâille. Toutefois, ces romans quelconques, ces nouvelles d’une douceur fade, ces chroniques d’un socialisme naïf et incertain, ont une incontestable utilité : quand les vers de M. Coppée nous paraîtront faibles, nous ne serons plus tentés de formuler ce vœu :

Il se tue à rimer : que n’écrit-il en prose ?

D’ailleurs, M. Coppée ne se tue pas à rimer. La rime semble se présenter à lui, d’elle-même. Et c’est peut-être ici que je vais trouver le plaisir cherché avec une ardeur sincère et une méritoire persévérance. Ma bonne volonté est récompensée : je lis trois cents vers en jouissant de la richesse constante de la rime. Mais M. Coppée a un mérite encore plus grand, c’est la souplesse variée du rythme. J’aime l’habileté sans effort de sa versification. Pendant trois cents vers encore, je m’étonne et m’amuse de l’ingéniosité des coupes, de ce que j’oserai appeler la ligne svelte et sinueuse du vers. Le vers de M. Coppée ressemble quelquefois aux femmes de Chéret et vous donne une sorte de joie presque physique. Il marche, élégant, léger, envolé, comme une parisienne.

Ma jouissance à le voir développer sa grâce grêle, et maladive un peu, était réelle. Je l’ai perdue, à la vouloir trop grande. J’ai tâché de goûter à la fois le rythme et la rime : le charme a disparu. J’ai été choqué par un manque d’harmonie vraiment désagréable. J’ai senti combien la rime riche, ce joyau lourd, cet ornement barbare, allait mal à la démarche légère du petit trottin si amusant à regarder. La rime riche convient au vers ferme, solide, rigide, tout d’une pièce, de Leconte de Lisle. C’est la massue qui prolonge et alourdit le bras du guerrier. Quelquefois aussi, c’est l’énorme pendeloque, parure de la lourde splendeur charnelle de l’Orientale. Elle détonne dans les vers d’une facture spirituelle de M. Coppée.

Mais ne nous hâtons pas trop de condamner. Cette dissonance de forme est peut-être l’expression nécessaire d’une pensée étrangement subtile, ou de je ne sais quel sentiment bizarrement pervers, ou encore de quelque imagination funambulesque, de quelque fantaisie extraordinaire. Essayons de lire en nous préoccupant du sens.

Hélas ! hélas ! trois fois hélas ! J’ai fait parler la femme à la démarche parisienne et aux ornements barbares. Elle n’avait rien à me dire. Elle a parlé quand même. Elle m’a dit des riens.

Elle doit causer souvent avec sa concierge ; car elle m’a raconté des histoires du quartier, quelconques. Il paraît que, hier, le petit épicier d’à côté est mort ou qu’il s’est marié (je ne sais plus bien) ; avant-hier, sur un banc de jardin public, un tourlourou embrassa une payse et, quoique ce fussent deux pauvres diables, leur baiser a dû être presque aussi bon que celui d’un rupin et d’une comtesse. Ah ! à propos, dimanche les orphelines ont passé par notre rue, deux à deux, les yeux baissés, bien sages, bien laides et bien tristes.

Lamentable, le vide de cette prétendue poésie ! D’ici, de-là, un peu d’amour du silence, et du calme, et des intimités: c’est avec une honnête femme et une bonne ménagère que nous sommes. Quelquefois aussi un mot de pitié banale pour les humbles. Et encore la pitié est un sentiment pénible contre lequel, instinctivement, la petite femme se défend. Après tout, ils ne sont pas plus malheureux que les autres, les pauvres ! Ils ont leurs joies comme les riches, et leur poésie. En plein air, ils se donnent des baisers qui ne sont pas si ridicules. Voyez-vous, monsieur, ma grand’mère avait bien raison de me répéter :

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux !

Mais quoique, selon un conseil de son grand-père maternel, la muse de M. Coppée regarde souvent au-dessous de soi pour apprécier son bonheur, elle garde toujours un accent plaintif, sans qu’on puisse deviner de quoi elle se plaint. Une pauvre petite bourgeoise anémique et geignarde, voilà, au fond, ce qu’est la femme à la démarche d’un rythme souple, aux boucles d’oreilles trop riches.

M. Coppée pourtant ne fut pas dépourvu de tout génie. Il n’avait rien et savait paraître riche. Pauvre qui vivait d’expédients, il faisait envier son opulence. Il convient d’admirer son habileté et de s’intéresser à sa carrière littéraire comme au plus adroitement composé des romans picaresques.