Protagoras (trad. Cousin)/Notes

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Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome troisième
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NOTES

SUR LE PROTAGORAS.


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J’AI eu sous les yeux l’édition générale de Bekker, l’édition particulière de Heindorf, les traductions de Ficin et de Schleiermacher, et je me suis servi autant qu’il m’a été possible des traductions françaises de Dacier et de Grou.

PAGE 35 — 36. — Comme Épiméthée n’était pas fort habile, il ne s’aperçut pas qu’il avait épuisé toutes les facultés en faveur des êtres privés de raison…

Ἅτε δὴ οὖν οὐ πάνυ τι σοφὸς ὢν ὁ Ἐπιμηθεὺς ἔλαθεν αὑτὸν καταναλώσας τὰς δυνάμεις [εἰς τὰ ἄλογα]. BEKKER, première partie, tome l, p. 172. — HEINDORF, p. 607.

Schleiermacher met entre parenthèses comme Bekker für die unvernünftigen Thiere ; c’est-à-dire que selon eux καταναλώσας suffit, et que εἰς τὰ ἄλογα est une glose. En effet, si εἰς τὰ ἄλογα n’y était pas, on le regretterait peu; mais quand tous les manuscrits le donnent, quand il complète le sens de καταναλώσας et semble se rapprocher davantage de l’abondance et du laisser-aller de la narration antique, on ne voit pas de raison pour le retrancher.

PAGE 36. — Ainsi notre espèce reçut l’industrie nécessaire au soutien de sa vie, mais elle n’eut point la politique, car elle était chez Jupiter, et il n’était pas encore au pouvoir de Prométhée d’entrer dans la citadelle, séjour de Jupiter…

Τὴν μὲν οὖν περὶ τὸν βίον σοφίαν ἄνθρωπος ταύτῃ ἔσχεν, τὴν δὲ πολιτικὴν οὐκ εἶχεν· ἦν γὰρ παρὰ τῷ Διί. Τῷ δὲ Προμηθεῖ εἰς μὲν τὴν ἀκρόπολιν τὴν τοῦ Διὸς οἴκησιν οὐκέτι ἐνεχώρει εἰσελθεῖν. BEKKER, ibid. p. 172-173 ; HEINDORF, p. 508.

Pour concevoir qu’alors il n’était pas encore au pouvoir de Prométhée d’entrer dans le séjour de Jupiter, il faut supposer qu’à cette époque Prométhée n’était pas encore un des immortels, condition nécessaire pour avoir ses entrées à la cour de Jupiter ; or, on trouve dans Apollodore, livre II, chap. V, un passage où il est dit que Chiron immortel ayant été blessé et souffrant sans espérance de guérison, voulut mourir, et présenta à Jupiter Prométhée pour être immortel à sa place (en lisant avec Hemsterhuis et Clavier ἀντιδοὺς Διὶ Προμεθέα), passage, il est vrai, contraire à l’autorité d’Eschyle, qui fait déjà de Prométhée un immortel, tandis que, d’après le récit d’Apollodore, Prométhée, à ce qu’il paraît, n’aurait obtenu cet honneur qu’après son retour en faveur auprès de Jupiter et sa délivrance par Hercule. — Au lieu de cette explication mythologique fort embarrassée, Heindorf en propose une purement philologique. Prométhée, selon Heindorf, avait bien le droit d’entrer dans l’atelier de Vulcain et de Minerve, mais il n’avait point aussi celui de pénétrer dans la demeure de Jupiter. Mais d’abord ce sens de οὐκέτι est extraordinaire, et ensuite il faudrait qu’il eût été question préalablement du droit de Prométhée d’entrer chez Vulcain et chez Minerve.

PAGE 36. — A la place de ces mots : « Devant laquelle veillaient des gardes redoutables… » lisez : « Et de plus les gardes qui veillaient à l’entour étaient redoutables. »

Ces gardes étaient la Force et la Violence, Κράτος et Βία. Voyez la Théogonie d’Hésiode v. 385, et l’Hymne de Callimaque à Jupiter v. 67.

PAGE 43. — Si malgré cela les hommes vertueux enseignent à leurs enfants tout le reste et ne leur apprennent pas la vertu, considère qu’elle étrange espèce d’hommes vertueux ils deviennent par là.

C’est-à-dire : quelle étrange espèce d’hommes vertueux ils sont de ne pas enseigner la vertu à leurs enfants. Le tour français assez clair, ce semble, représente littéralement l’expression grecque, σκέψαι ὡς θαυμασίως γίγνονται οἱ ἀγαθοί, BEKKER, ibid. p. 179. Les commentateurs ont vu là une difficulté qui n’existe pas. Schleiermacher propose de lire ὡς θαθμασίοί σοι γίγνονται. HEINDORF, p. 519, attaque la correction de Schleiermacher et suppose quelque altération dans γίγνονται. Nous avons maintenu la leçon ordinaire avec Bekker et tous les manuscrits.

PAGE 51. — Si l’on s’entretenait sur ces matières avec quelqu’un de nos orateurs, peut-être entendrait-on d’aussi beaux discours de la bouche d’un Périclès ou de quelque autre maître dans l’art de parler. Mais qu’on les tire du cercle de ce qui a été dit, et qu’on les interroge au-delà, aussi muets qu’un livre, ils n’ont rien à répondre ni à demander ; tandis que, si l’on veut bien s’y renfermer avec eux, alors comme l’airain que l’on frappe résonne longtemps, jusqu’à ce qu’on arrête le son en y portant la main…

Καὶ γὰρ εἰ μέν τις περὶ αὐτῶν τούτων συγγένοιτο ὁτῳοῦν τῶν δημηγόρων, τάχ’ ἂν καὶ τοιούτους λόγους ἀκούσειεν ἢ Περικλέους ἢ ἄλλου τινὸς τῶν ἱκανῶν εἰπεῖν· εἰ δὲ ἐπανέροιτό τινά τι, ὥσπερ βιβλία οὐδὲν ἔχουσιν οὔτε ἀποκρίνασθαι οὔτε αὐτοὶ ἐρέσθαι, ἀλλ’ ἐάν τις καὶ σμικρὸν ἐπερωτήσῃ τι τῶν ῥηθέντων, ὥσπερ τὰ χαλκεῖα πληγέντα μακρὸν ἠχεῖ καὶ ἀποτείνει, ἐὰν μὴ ἐπιλάβηταί τις… BEKKER. p. 185 et 186.

Si on trouble ces orateurs dans leurs développements, leur faisant des questions à la traverse, ils ne savent plus quoi dire et perdent la tête, tandis que si on se résigne à les suivre sans les interrompre, il n’y a qu’à élever la plus petite question pour qu’ils vous fassent un discours à perte de vue. Il me semble que c’est bien là aussi le sens adopté par Schleiemacher, qui traduit ces mots : εἰ δὲ ἐπανέροιτό τινά τι… par ceux-ci : aber wenn etwas weiter fragt… Weiter, ajouté au texte par le traducteur contre son système rigoureux de littéralité, trahit assez le sens pour lequel nous nous sommes prononcés.

PAGE 55. — Au lieu de ces mots : « la sainteté n’est donc pas de telle nature… » jusqu’à « impie, » lisez : « La sainteté n’est donc pas de telle nature qu’elle soit une chose juste, ni la justice de telle nature qu’elle soit une chose sainte, mais une chose non sainte, et la sainteté une chose non juste ; or le non-juste est injuste, et le non-saint, impie, etc. »

PAGE 89. — L’homme de bien se fait souvent violence pour devenir l’ami et l’approbateur de certaines personnes…

Je retranche ici avec Grou, Schleiermacher, Heindorf et Bekker, p. 218, φιλεῖν καὶ ἐπαινεῖν comme une glose tirée de ce qui suit, malgré l’autorité de tous les manuscrits.

PAGE 106. — Par quel endroit dites-vous qu’elles sont mauvaises ? Est-ce parce qu’elles vous causent ce sentiment de plaisir momentané, et qu’elles sont agréables, ou parce qu’elles vous exposent par la suite à des maladies, à l’indigence et à beaucoup d’autres maux semblables ? Et si elles n’étaient sujettes à aucune suite fâcheuse, et qu’elles ne vous procurassent que du plaisir, les regarderiez-vous encore comme des maux, lorsqu’elles ne vous donneraient que du plaisir de toute manière et en toute occasion ?

Χαίρειν δὲ μόνον ποιεῖ, ὅμως δ’ ἂν κακὰ ἦν, ὅτι μαθόντα χαίρειν ποιεῖ καὶ ὁπῃοῦν; BEKKER, p. 282.

De main en main le texte s’est éclairci, et il n’y a plus de difficulté dans cette phrase si controversée. Voyez la note de Schleiermacher, p. 417— 418, t. I ; et celle de Heindorf, p. 619 — 620. Cependant, nous avions cru pouvoir encore changer ὅ τι μαθόντα en ὅ τι παθόντα : lorsque, quelles que fussent vos impressions, dans quelques circonstances que vous fussiez, elles ne vous donneraient que du plaisir. Mais en y réfléchissant mieux, nous maintenons ὅ τι μάθόντα, quelle que soit la cause du plaisir quelles vous donnent, comme on dit, τί μαθὼν, et nous modifions ainsi toute la phrase : « Ou si elles ne sont sujettes à aucune suite fâcheuse et ne procurent que du plaisir, seraient-elles néanmoins mauvaises, quelle que soit la cause et le mode du plaisir qu’elles vous donnent ? »

PAGE 118. — Au lieu de ces mots : « Que Protagoras justifie ici la vérité de ce qu’il a répondu d’abord un peu après le commencement de cet entretien, lorsque… » lisez : « Que Protagoras justifie ici la vérité de sa première réponse, non pas tout-à-fait au commencement de cet entretien, lorsque… »

Il ne sera pas inutile de rassembler ici les vers de Simonide épars dans le Protagoras, pour les distinguer du commentaire que Socrate y ajoute perpétuellement.

« Il est bien difficile de devenir véritablement homme de bien, carré des mains, des pieds et de l’esprit, façonné sans nul reproche (voyez p. 74).

« Je ne trouve pas juste le mot de Pittacus quoique prononcé par un homme sage, quand il dit qu’il est difficile d’être vertueux (p. 74).

« Dieu seul jouit de ce privilège ; pour l’homme il est impossible qu’il ne soit pas méchant lorsqu’une calamité insurmontable vient à l’abattre. (p. 86).

« Car tout homme est bon dans le bonheur et méchant dans l’adversité (corrigez ainsi, p. 87).

« Et ceux-là sont le plus longtemps et le plus vertueux que les dieux favorisent (p. 88).

« Pour moi, il me suffit qu’un homme ne soit pas méchant ni tout-à-fait inutile, qu’il soit sensé et connaisse la justice légale. Non, je ne le condamnerai pas, je n’aime point à reprendre ; car le nombre des sots est infini (p. 90—91).

« Et toute action où il n’entre rien de honteux est honnête (p. 91).

« C’est pourquoi je ne livrerai pas en vain une partie de ma vie à un espoir stérile, cherchant ce qui ne peut exister, un homme tout-à-fait sans reproches parmi tous tant que nous sommes qui vivons des fruits de la terre au vaste sein. Si je le trouve, je vous le dirai (p. 88—89).

« Je loue et j’aime volontiers tous ceux qui ne se permettent rien de honteux ; mais les dieux eux-mêmes ne combattent pas contre la nécessité (p. 89).»

C’est l’ordre proposé par Schleiermacher, adopté par Heindorf et par Hermann, qui a essayé, en opposition avec Heyne (voyez les opuscules de Heyne, t. I,p. 160), de rappeler ces fragment à leur mètre primitif (HEINDORF, p. 598 — 599).