Proverbes dramatiques/L’Ambassadeur
L’AMBASSADEUR.
PERSONNAGES.
Scène premiere.
Entrez donc ici, Chevalier.
Me voilà, me voilà.
Mais dites-moi donc, qu’est-ce que c’est que toutes ces folies que vous faites devant une Femme-de-chambre que je n’ai que d’hier, & que je ne suis pas encore déterminée à garder ?
Bon ! ne sont-elles pas accoutumées à cela.
Celle-ci me déplaît.
Hé bien, renvoyez-la.
Oui, & elle ira dire que vous êtes avec moi d’une familiarité… Voyez à quoi vous m’exposez, à garder une créature qui est d’une maussaderie insoutenable.
Mais est-ce qu’on ne renvoie jamais de Femmes-de-chambre ?
Je crois que c’est toujours très-mal fait. Je n’ai laissé marier Julie, que parce qu’elle vouloit me quitter : je lui ai même persuadé que le Brun en étoit amoureux, & il n’y pensoit seulement pas.
C’est délicieux !
C’est pourtant vous qui en êtes la cause.
Vous ne m’en avez jamais parlé. Ce pauvre le Brun a donc été sacrifié ?
Comment sacrifié ?
Oui, Julie n’est rien moins que belle.
Elle l’est assez pour lui. Mais pourquoi allez-vous à Choisi aujourd’hui ?
Parce que le Comte m’a mandé que j’étois sur la liste.
Est-ce que vous l’en aviez chargé ?
Mais, oui.
A propos de quoi, lui sur-tout qui ne se souvient jamais de rien ? Il est bien étonnant qu’avec ses distractions il y ait songé !
Mais c’est qu’il est fort mon ami.
Votre ami ? Ne lui faites pas de confidence toujours.
Bon, vous croyez que par distraction…
A propos, que je vous dise donc.
Quoi ?
Mon mari, qui est las de son ambassade, & qui veut demander à revenir ; j’ai peur même qu’il ne veuille être ici pour la promotion ; il s’est avisé de vouloir avoir le cordon bleu.
Il faut lui mander qu’on n’en fera pas cette année. A-t-il trente-cinq ans ?
Oui, vraiment ; & quand il s’est mis une fois une chose dans la tête, il n’est pas aisé de l’en faire revenir : il m’a écrit mille choses tendres il y a quinze jours.
Il est peut-être amoureux de vous, ce cher Marquis.
Je le croirois assez.
C’est inconcevable que je ne l’aie jamais vu !
Cela n’est pas possible ?
Non, d’honneur. (Il tire sa montre.)
Est-ce que vous vous en allez ?
Oui, il est tard ; je n’ai pas trop de tems (Il veut sortir par une autre porte que par celle où il est entré.)
Eh bien, par où allez-vous donc ?
Par le jardin, ma chaise m’attend sur le rempart.
Il est bien nécessaire d’avoir cet air de mystere à l’heure qu’il est. Que diront mes gens qui ne vous auront pas vu sortir ?
Cela est vrai.
Quel étourdi ! Quand reviendrez-vous ?
Mercredi ; ne vous l’ai-je pas dit ?
Non, vraiment. Vous m’écrirez ?
Sûrement. (Il lui baise la main.) Adieu, belle Marquise.
Vous serez bien aise de trouver la Vicomtesse à Choisy.
Allons, vous êtes folle. Où souperez-vous ce soir ?
Mais ici, toute seule.
Scène II.
Madame, voilà Monsieur le Marquis qui va arriver.
Quoi, mon mari ?
Oui, Madame ; son valet-de-chambre est ici depuis une heure.
Il falloit donc m’avertir : à quoi m’exposiez-vous !
Mais, Madame, je ne viens de le savoir que tout-à-l’heure, Monsieur le Marquis veut vous surprendre : ne dites pas que je vous l’ai dit.
Voilà une belle imagination !
Je savois bien que cela ne feroit pas plaisir à Madame ; mais j’ai cru bien faire de l’avertir.
C’est son projet qui le fait venir apparemment.
Je crois que je l’entends.
C’est lui-même.
Scène III.
Vous ne m’attendiez pas sitôt, Madame.
Non, vraiment.
Vous êtes plus belle que jamais, & vous vous portez à merveille.
Ce soir ; j’ai été malade toute la journée. Vous êtes engraissé.
Trouvez-vous ? Je suis pourtant venu de Strasbourg, sans coucher en chemin.
Vous avez dormi dans votre voiture ?
Ah ! oui : je suis bien fatigué. Avez-vous quelqu’un à souper ce soir ?
Non, je comptois aller chez ma mère.
Je vais envoyer savoir de ses nouvelles, & lui faire dire que vous n’irez pas.
Monsieur le Marquis, voulez-vous que j’y envoie ?
Non, non. Bon jour Julie. Madame, voulez-vous bien que je me mette en robe-de-chambre ?
Mais sûrement. J’aime bien cette question.
Je m’en vais envoyer des lettres que j’ai à faire remettre, & je reviens dans l’instant. (Il sort.)
Scène IV.
Eh bien, Mademoiselle, vous attendiez-vous à ce retour-là ?
Non, sûrement, Madame.
C’est son frere l’Abbé qui aura négocié tout cela : il a une ambition insoutenable ! Toute cette famille m’est odieuse.
Madame est bien heureuse que Monsieur le Marquis ne l’emmène pas avec lui dans son ambassade.
Ah ! mon Dieu, que dites-vous là ! il ne me manqueroit plus que cela. Mais vraiment il faut que j’avertisse le Chevalier de ce retour. Dites à votre mari qu’il faut qu’il aille à Choisy.
Ce soir ?
Sûrement. Je m’en vais écrire, je crains que le Chevalier ne fasse quelque étourderie.
Madame a bien raison.
Avertissez le Brun, de se tenir prêt.
Il le sera dans le moment. Voici Monsieur le Marquis.
Allez vite, & revenez ; je vous donnerai ma lettre.
Oui, Madame.
Scène V.
Je viens de dire qu’on ne laisse entrer personne.
Pendant que vous allez lire vos lettres…
Où allez-vous ?
Je vais revenir.
Mes lettres ne sont pas pressées.
Je ne serai pas long-tems.
Je ne veux les lire que demain, hors une de l’Abbé ; rien ne m’intéresse dans tout cela.
Lisez, lisez. (Elle entre dans un cabinet.)
Scène VI.
Bon, le Roi est à Choisy ; je ne le verrai donc que mercredi. Si j’avois su cela…
Vous aviez raison, Marquise, le Comte s’est trompé ; je viens de le rencontrer. Ah !…
Monsieur, je vous avouerai que je suis surpris de vous trouver ici, & en robe-de-chambre encore.
Je le suis davantage moi, du ton sur lequel il me paroît que vous y êtes.
Je vois que je suis sacrifié, & que pendant mon absence on ne perd pas un instant. On a bien raison de dire qu’il faut s’attendre à tout avec les femmes. Notre sort est à peu-près égal ; & à vous dire le vrai, je ne me le persuadois pas.
Monsieur, vous m’apprenez des choses qui ne me sont point agréables.
Et croyez-vous, Monsieur, qu’il me soit plus agréable de vous trouver ici, & en robe-de-chambre ?
Je crois en avoir le droit.
C’est ce qu’il faudra voir. Peut-on être plus cruellement trompé !
Monsieur, ces plaintes là me déplaisent très-fort, je vous en avertis.
Eh bien, Monsieur, allez-vous-en, vous ne les entendrez pas.
Vous ne me connoissez pas apparemment ?
Non, Monsieur, & je suis très-fâché de voir que ce soit à vous qu’on me sacrifie ; mais vous n’en jouirez pas long-tems, je vous le promets.
Monsieur, ce ton-là ne me convient point du tout.
J’en suis fâché. Sortez, vous dis-je.
Il est singulier que vous croyiez devoir me chasser d’ici.
Vous le prendrez comme il vous plaira ; si vous étiez de mes amis, je prendrois peut-être un autre ton ; mais avec un inconnu…
Un inconnu ?
Sûrement, je ne vous ai jamais vu nulle part, & vous ne devriez pas vous faire presser davantage de sortir.
C’est à moi de vous en prier : apprenez que je suis le maître ici.
Vous ?
Oui, Monsieur.
Pas tant que j’y serai.
Monsieur, je vous dis que je suis le maître, encore une fois.
Habillez-vous, & nous verrons.
Scène VII.
Qu’est-ce que vous avez donc, Monsieur ? Ah, ciel ! (Elle tombe dans un fauteuil.)
Vous voyez, Madame, qu’après m’avoir outragé, on veut encore me faire sortir de chez moi.
De chez vous ?
Oui, Monsieur, vous n’avez pas voulu l’entendre.
C’est Monsieur le Marquis.
Monsieur, je vous croyois à votre ambassade. Madame, je vous demande bien pardon : je suis désespéré ! (Il sort.)
Madame, je ne ferai point de bruit ; mais que ce soit une chose dite, ne le revoyez plus.
Vous allez peut-être croire, Monsieur…
Je ne veux point d’explication, & je ne vous en parlerai jamais. (Il sort.)
Quelle imprudence ! le Chevalier m’a perdue. (Elle s’en va.)
Explication du Proverbe :
62. Charbonnier doit être Maître chez lui.