Proverbes dramatiques/L’Après-dîner
L’APRÈS-DÎNÉE.
PERSONNAGES
Scène premiere.
Hé bien, Mademoiselle, on ne peut donc pas vous avoir ?
Madame, j’étois là-dedans.
Allons, donnez-moi… Je ne sais plus ce que je voulois dire. Ah ! un autre collet monté, celui-là va à faire horreur.
Mais, Madame n’a qu’à le rendre si elle n’en veut pas ; cependant, il est bien fait ; c’est qu’il y a là un plis… Attendez. Elle le raccommode.
Oui, un plis ; voyons. Elle se mire. Hé bien, voilà ce que je veux dire, il va à merveilles comme cela. Ayez soin que Mademoiselle Dufour m’en fasse un autre, tout pareil ; mais je dis tout de même, Mademoiselle.
Oui, Madame. Et quand Madame le veut-elle ?
Quand ? mais demain matin, il n’y a qu’à y envoyer Saint-Pierre, tout-à-l’heure ; j’en suis très-pressée.
Mais il n’y a pas assez de temps.
Oh ! vous voilà comme tous les Ouvriers qui vous persécutent pour avoir votre pratique, & puis dont on ne peut rien tirer.
Je dis seulement à Madame, que le temps est bien court.
Hé bien, cela ne fait rien, Mademoiselle, je veux l’avoir. Vous trouvez toujours ce que je desire impossible, & puis vous viendrez me dire que vous m’êtes bien attachée.
Mais je ne dis pas cela : Madame me gronde toujours.
Vous verrez que j’ai de l’humeur ; parce que je veux avoir quelque chose dont j’ai besoin. Faites-moi venir Henriette, que je sache… Bon, voilà mon mari. Donnez-moi ce petit tabouret sous mes pieds, & allez vous-en. Il a des façons avec vous qui ne me plaisent point du tout, songez-y. Emportez un peu tout cela.
Scène II.
Ah, Monsieur ! vous faites toujours un bruit épouvantable quand vous entrez chez moi ; je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai une migraine affreuse, & vous venez…
Moi, Madame, je ne sais pas cela ; on ne peut jamais vous voir le matin.
N’allez-vous pas me quereller ?
Allons ; c’est fort bien : c’est moi qui ai tort. Voilà comme sont toujours les femmes. Il se regarde dans la glace de la cheminée. Comment trouvez-vous cette perruque-là ?
Hideuse.
Comment, hideuse ? je vous réponds qu’elle me va très-bien, tout le monde m’en a fait compliment aujourd’hui à dîner.
Des gens sans goût, apparemment.
Parbleu, non ! car c’est votre Président, que vous admirez tant.
Il se moque de vous. À propos, Monsieur, voilà le Printems, il me faut quatre robes, & je n’ai pas le sou.
Ma foi, Madame, ce n’est pas mon affaire ; que n’avez-vous plus d’arrangement. Il regarde une brochure qui est sur la cheminée. Qu’est-ce que c’est que ce livre-là ? je ne connois pas cela.
C’est l’Abbé de Grand-Pré qui me l’a apporté ; il est charmant : si vous voulez, je vous le prêterai.
Qu’est-ce que c’est ? une traduction ?
Je crois que oui. Monsieur, dites donc à Monsieur Duplessis, de me donner cinquante louis.
L’original est Anglois ?
Oui : répondez-moi donc, Monsieur ?
Je vous dis, Madame, que cela est inutile. Depuis quand cela paroît-il ?
Il y a deux jours. Je ne pourrai me montrer nulle part, je n’ai que des vieilleries ; & en vérité, Monsieur, il est inconcevable…
Des vieilleries, des vieilleries ! je ne vous ai pas donné, il y a deux mois, deux toiles superbes ?
Bon, des toiles ! cela ne tient lieu de rien. Je dirai donc à Monsieur Duplessis…
Il n’a rien du tout, je vous assure.
Scène III.
Monsieur l’Abbé de la Bruyere.
Ah, bon ; il est assommant, je m’enfuis.
Mais, Monsieur, écoutez donc un instant.
Hé, non, parbleu ! je manquerois la Piece nouvelle, il est tout-à-l’heure la demie.
Mais il faut que je vous parle absolument. Souperez-vous ici ?
Je n’en sais rien ; Monsieur l’Abbé, je vous donne le bonjour.
Vous êtes bien pressé !
Scène IV.
Qu’est-ce que vous avez donc aujourd’hui, Madame ?
C’est mon mari ; vous savez bien comme sont ces Messieurs-là.
Oui, oui, je les connois un peu. En vérité, je n’imagine pas comment les femmes peuvent se déterminer à se marier.
Vous n’imaginez pas ? c’est bientôt dit : hé, sait-on ce qu’on fait ? cela vous est bien aisé à dire.
Il est vrai que…
Ce n’est pas nous qui nous marions ; aussi, si je peux jamais devenir veuve, croyez que…
Oh, pour cela, vous avez bien raison ; voilà l’état que j’aurois ambitionné si j’avois été femme.
Mais c’est qu’il n’y a que celui-là. Vous apportez un bien considérable à votre mari, & vous n’en jouissez pas ; ce n’est pas la peine.
Voilà ce que j’ai pensé cent fois.
Et encore, ils vous refusent tout, pour donner à des créatures qui font mal au cœur.
Il est vrai que je ne conçois pas le goût des hommes d’à-présent. À propos de cela, votre beau-frere, à ce qu’on m’a dit, vient de prendre la petite Réminy.
Hé bien, oui ; & l’on trouvera mauvais…
Elle est très-jolie.
Oui, c’est une petite horreur, qui ne sait pas danser, & l’on trouve cela charmant.
Elle a de jolis yeux.
Vous trouvez cela, vous ?
Quand je dis… c’est joli pour une fille.
Allons, l’Abbé, vous ne vous y connoissez point du tout.
Cela peut être, mais vous savez bien que je ne vois pas de loin ; mais c’est Madame de Rouviere qui est charmante !
Madame de Rouviere !
Oui, elle est revenue de Bretagne, j’ai dîné aujourd’hui avec elle ; d’honneur, elle est éblouissante !
Mais, ne dites donc pas de ces choses-là, l’Abbé ; nous avons été ensemble au couvent, elle est noire à faire peur, mal faite…
Pour la taille, je ne sais pas ; cependant il me semble que…
Allons, vous êtes comme le Président, à qui un chat coëffé tourne la tête.
Il se peut bien que….
C’est Madame de Mirevault, qui est charmante ! voilà ce qu’on appelle une femme, cela !
Oui, mais elle a quarante ans.
Hé bien, qu’est-ce que cela fait ? voilà comme sont les hommes ; que fait l’âge, quand une femme est aimable ?
Vous avez raison.
Souperez-vous ici ce soir, l’Abbé ?
Non, j’en suis désespéré.
Vous venez pour vous excuser apparemment, car vous m’aviez promis hier.
Je ne crois pas, parce que je suis engagé il y a plus de quinze jours.
Cela n’est pas vrai ; voyons, où ?
Chez la comtesse.
C’est encore une jolie personne, que votre Comtesse ! une petite sotte, qui ne reconnoît personne, qui est plus ridicule ! elle a des dents qui ne finissent pas ; mais vous ne voyez rien de tout cela, vous autres hommes, voilà comme vous êtes.
Je vous assure que vous seriez très-contente d’elle, si vous la connoissiez.
Je ne crois pas que cela m’arrive.
Scène V.
Monsieur le Chevalier des Glands.
Je m’en vais.
Où allez-vous donc, l’Abbé ? est-ce le Chevalier qui vous chasse ?
Non ; mais vous savez bien…
Hé bien, Monsieur l’Abbé, je romps un tête à-tête ? cela vous fâche ; il est dangereux, l’Abbé, Madame.
Je vous dis, l’Abbé, que je veux que vous restiez.
Mais, j’ai affaire, en honneur.
Sans doute, il a quelque veuve à consoler ; c’est le consolateur des veuves, Madame ; grand joueur de cavagnol : j’ai découvert cela moi, tel que vous me voyez.
Ah, voilà pourquoi il ne veut pas souper ici.
Oui, & quand la partie est finie, il reste le dernier pour faire les comptes.
Monsieur le Chevalier, je n’aime point ces plaisanteries-là, je vous prie.
Je ne plaisante point ; il fait le modeste, l’Abbé ; fi donc ! c’est le plus mauvais ton du monde… Attendez, comment est-ce qu’elle se nomme ? Madame de… de… c’est dans le marais toujours ; mais non, je crois que je me trompe ; la rue Cassette ; c’est au faubourg… Hé bien, il s’en va réellement.
Adieu donc, l’Abbé.
Scène VI.
Vous le tourmentez horriblement, ce pauvre Abbé.
Bon ?
Pourquoi donc en uniforme aujourd’hui ?
Est-ce que nous n’avons pas eu la revue du Commissaire ? je n’ai eu que le temps de faire ôter mes guêtres.
Vous devez être fatigué.
Je vous le demande ? & je dois aller souper à la campagne, encore.
Cela ne va-t’il pas finir ?
Je l’espère ; la revue du roi est le vingt un. Il faisoit aujourd’hui une poussiere abominable.
Vous n’avez donc pas dîné ?
J’ai mangé un morceau avec nos Messieurs. À propos, Madame de Mirecourt est venue nous voir à cheval.
À cheval ? je crois qu’elle y est à faire horreur.
Non, pas trop ; elle est assez hardie à cheval.
Pour ce qui est d’être hardie, ce n’est pas là ce qui lui manque, elle à l’air un peu fille.
Ah ! ne dites donc pas cela ; il est vrai que je ne crois pas qu’on languisse long-tems avec elle, & j’ose me flatter que si j’avois voulu… mais dans ce tems-là… vous savez bien…
Aviez-vous déjà Madame de Mirevault ?
Madame de Mirevault ! fi donc !
Scène VII.
C’est un billet de la part de Madame de Rouviere.
Madame de Rouviere ! de quoi s’avise-t-elle ? elle lit. Non. Dites à son Laquais, que je ne peux pas, que je vais sortir dans le moment, & revenez. Au Chevalier. Elle me demande à souper, elle dit qu’elle va me venir prendre pour aller au Rempart, je ne la puis souffrir. Sonnez un peu, Chevalier. Je m’en vais aller à l’Opéra ; il m’ennuye à mourir, cela ne fait rien. Venez-y, Chevalier, nous causerons. Au Laquais qui entre. Mes chevaux.
Madame, ils sont mis.
Est-ce aujourd’hui votre loge ?
Oui, laissez-là votre campagne, & venez souper chez ma mere ; Madame de Persin y sera.
Vous le croyez ?
Je suis sûre. Cela vous détermine, n’est-ce pas ? c’est honnête. Au Laquais. Dites que je ne souperai pas ici. Ils s’en vont.
Explication du Proverbe :
6. Un clou chasse l’autre.