Proverbes dramatiques/Le Malentendu

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Proverbes dramatiquestome VIII (p. 55-93).


LE
MAL-ENTENDU.

QUATRE-VINGT-QUINZIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


L’ABBESSE.

LA MERE Ste. HELENE, Maîtresse des Pensionnaires.

LA MERE St. BASILE, Portiere, boiteuse.

LE PERE SATURNIN, Cordelier.

Mlle. JULIE, Pensionnaire.

M. FEBRUCIN, Médecin.

LE JARDINIER.


La Scene est dans un Couvent de Province, dans le jardin.

Scène premiere.

LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE.
LA MERE Ste. HELENE.

Mais, ma sœur, concevez-vous que le Docteur nous abandonne comme cela ?

LA MERE St. BASILE.

Je crois, ma sœur, qu’il y a plus de quinze jours qu’il est parti, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Il y a trois semaines, ma sœur ; il est parti le lendemain du beau sermon du Père Saturnin.

LA MERE St. BASILE.

Le lendemain de la fête de l’Ange Gardien, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Oui, ma sœur.

LA MERE St. BASILE.

Chaque fois que l’on sonne, & que je vais ouvrir la porte, je crois toujours que je vais le voir, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Pourvu qu’il ne soit pas tombé malade ; car nulle part on ne lui fait sûrement de si bon café à la crême que le nôtre.

LA MERE St. BASILE.

C’est un homme bien aimable, ma sœur ! parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Oui, & bien savant ! Comme il a guéri cette petite Julie, sans le savoir seulement.

LA MERE St. BASILE.

Mais, ma sœur, c’est qu’avec un homme comme cela on n’a pas besoin de l’entendre parler long-temps pour le comprendre ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Moi, je crois que si Madame l’Abbesse vouloit, elle seroit bientôt guérie.

LA MERE St. BASILE.

Mais comment, ma sœur ? parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Elle a commencé déjà par la diete.

LA MERE St. BASILE.

Mais la diette faisoit dépérir la petite Julie, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Comme elle fait dépérir Madame ; c’étoit le Docteur qui l’avoit ordonné à Julie.

LA MERE St. BASILE.

Oui, vous avez raison, & son estomac n’en alloit que plus mal ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

C’étoit peut-être une préparation.

LA MERE St. BASILE.

Cela pourrait bien être, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

En ce cas, nous pourrions traiter Madame de même ; cela me paroît un très-bon remede.

LA MERE St. BASILE.

Il fortifie assez promptement ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Voilà le Pere Saturnin ; nous allons voir comment il aura trouvé Madame.

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Scène II.

LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

Eh bien, Pere Saturnin, comment va Madame, cette après-dîner ?

LE PERE SATURNIN.

Elle ne va point. Vous la faites aussi trop jeûner ; rien que du bouillon, pas seulement un coup de vin encore.

LA MERE St. BASILE.

Mais, Pere, vous savez bien que dans sa meilleure santé elle en boit fort peu, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Voilà pourquoi elle est malade.

LA MERE Ste. HELENE.

Nous lui donnons du café à la crême.

LE PERE SATURNIN.

Voilà une bonne drogue ! Moi, je la ferois manger.

LA MERE St. BASILE.

Il faut savoir si ce sera l’avis du Docteur, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Je parie que non. Votre Docteur n’aime que la diete, pas pour lui, au moins ; car il dîne fort bien, & il boit de même ; & en cela je le trouve fort raisonnable.

LA MERE Ste. HELENE.

Oh ! sûrement il est bien raisonnable, & il fait bien de se conserver.

LE PERE SATURNIN.

C’est un bon diable.

LA MERE St. BASILE.

Et un habile homme, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Pour un habile homme, c’est une autre chose, & si vous voulez que je vous parle vrai, j’en ai plus appris en philosophie qu’il n’en saura jamais ; cela n’empêche pas que je ne l’aime beaucoup, & que je ne sois fort aise de dîner avec lui.

LA MERE Ste. HELENE.

Mais, Pere, la philosophie que vous avez apprise n’est pas, je crois, la médecine.

LE PERE SATURNIN.

Cependant, sans elle il n’y a point de médecine.

LA MERE St. BASILE.

Il est savant, ma sœur, le Pere, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Avec la philosophie, on connoît l’action & la réaction, l’athmosphere, les propriétés de l’air, de l’eau, de la terre & du feu.

LA MERE St. BASILE.

Je ne comprends pas, ma sœur, comment les hommes ont la tête assez grande pour loger tout cela ; parce que…

LE PERE SATURNIN.

Mon frere, qui est apothicaire, m’a dit que le Docteur ne savoit pas la chymie, & fort peu l’anatomie ; mais il ajoute qu’ils sont presque tous aussi peu instruits.

LA MERE Ste. HELENE.

Cela ne fait rien, Pere.

LE PERE SATURNIN.

Cela ne fait rien ; mais voilà comme ces Messieurs nous empoisonnent, & puis ils disent que c’est le vert de-gris ; il faut bien en passer par là : cela n’empêche pas que je ne l’aime toujours beaucoup le Docteur. Il boit bien.

LA MERE Ste. HELENE.

Je crois qu’il n’y a rien de plus savant que ce qu’il a fait à cette petite Julie, qui est parfaitement guérie.

LE PERE SATURNIN.

Mais c’est vous, ma mère, qui avez inventé de lui faire ronger des os.

LA MERE Ste. HELENE.

J’ai commencé par lui en faire sucer.

LE PERE SATURNIN.

Oui ; mais elle a mieux fini, en les rongeant.

LA MERE Ste. HELENE.

Dame, écoutez donc ; quand j’ai vu qu’elle alloit mieux, j’y ai laissé un peu de viande.

LE PERE SATURNIN.

C’est la cessation de la diete qui a tout fait, ma Mère, & je vous dis que c’est vous qui l’avez guérie.

LA MERE Ste. HELENE.

Non, non, Pere, il faut être juste ; c’est le Docteur.

LE PERE SATURNIN.

Il y a trois semaines qu’il n’est venu ici.

LA MERE St. BASILE.

Il est vrai, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Et ce n’est que depuis quinze jours que cette petite fille ronge des os.

LA MERE St. BASILE.

Vous avez raison, Père, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Le Docteur vous a-t-il écrit de lui en donner ?

LA MERE Ste. HELENE.

Non, vraiment, puisque nous ne savons pas où il est.

LE PERE SATURNIN.

Quand même il auroit été ici, il n’auroit jamais ordonné de faire ronger des os à cet enfant.

LA MERE Ste. HELENE.

Pardonnez-moi ; car il avoit dit qu’il lui en feroit prendre dans trois ou quatre jours.

LE PERE SATURNIN.

Des os ?

LA MERE Ste. HELENE.

Oui, demandez à la sœur St. Basile, elle y étoit.

LA MERE St. BASILE.

Oh, pour cela oui, j’y étois, parce que…

LE PERE SATURNIN.

Et vous croyez… Ah, ah, ah, ah, ah !

LA MERE Ste. HELENE.

De quoi riez-vous donc, Pere ?

LE PERE SATURNIN.

Du Docteur. Je voudrois le voir. (Il rit.)

LA MERE Ste. HELENE.

Je n’aime pas que vous vous moquiez de lui ; vous riez toujours quand vous êtes ensemble.

LE PERE SATURNIN.

Voulez-vous que nous soyons tristes ?

LA MERE Ste. HELENE.

Non pas assurément. Ma sœur, je crois qu’on sonne.

LA MERE St. BASILE.

Je vais aller voir, cela seroit trop heureux si c’étoit le Docteur ; parce que…

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Scène III.

LA MERE Ste. HELENE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

En vérité, Pere, je n’aime pas que vous parliez comme vous faites du Docteur ; vous pourriez lui ôter la confiance de nos sœurs ; il faudroit en changer, & nous n’en aurions jamais un si bon.

LE PERE SATURNIN.

Savez-vous que j’ai plus de confiance en vous, Mere Ste. Helene ?

LA MERE Ste. HELENE.

En moi, Pere ? Allons, ne vous moquez pas.

LE PERE SATURNIN.

Je vous jure que je ne me moque pas, & je suis très-content de votre maniere de faire prendre des eaux.

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Scène IV.

LA MERE Ste. HELENE, LE PERE SATURNIN, LA MERE St. BASILE.
LA MERE Ste. HELENE.

Eh bien, ma sœur, est-ce là le Docteur ?

LA MERE St. BASILE.

Eh ! mon Dieu, non, ma sœur ; c’est le jardinier & ses garçons qui rentrent ; parce que…

LE PERE SATURNIN.

Je vous assure que j’ai plus d’impatience de le voir que vous.

LA MERE Ste. HELENE.

Ma sœur, on sonne.

LA MERE St. BASILE.

Oh ! pour cette fois-ci, ce pourroit bien être lui ; parce que…

LE PERE SATURNIN.

Allez donc, ma sœur.

LA MERE St. BASILE.

Allons, allons, parce que…

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Scène V.

LA MERE Ste. HELENE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

Pere Saturnin, ne craignez-vous pas, comme moi, que notre sœur St. Basile ne devienne sourde ? Il faut toujours que je l’avertisse quand on sonne.

LE PERE SATURNIN.

Eh bien, faites-lui prendre aussi des eaux.

LA MERE Ste. HELENE.

Ne plaisantez donc pas, Pere.

LE PERE SATURNIN.

Je ne plaisante pas ; si vous lui en donniez tout le carême, je suis sûr que cela lui feroit du bien.

LA MERE Ste. HELENE.

Pouvez-vous parler comme cela, vous Pere ?

LE PERE SATURNIN.

Pourquoi non ? Je parle médecine.

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Scène VI.

LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

Ce n’est donc pas encore le Docteur ?

LA MERE St. BASILE.

Eh, mon Dieu, non, ma sœur, ce sont les maçons qui reviennent de goûter ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque malheur.

LA MERE St. BASILE.

Ma sœur, Le Doux, qui vient de rentrer, m’a dit qu’il avoit vu une chaise qui arrivoit ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Ah ! ma sœur, c’est lui-même : tenez, voilà qu’on sonne.

LA MERE St. BASILE.

Ah ! j’entends bien. J’y vais, j’y vais, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Prenez garde de tomber.

LA MERE St. BASILE.

Ne craignez rien ; parce que…

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Scène VII.

LA MERE Ste. HELENE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

J’ai toujours peur qu’elle ne se laisse tomber, avec sa vivacité, & qu’elle ne se casse la jambe encore une fois.

LE PERE SATURNIN.

Est bien, vous lui donnerez de vos eaux.

LA MERE Ste. HELENE.

Vous dites que vous trouvez ce remede très-bon.

LE PERE SATURNIN.

Assurément.

LA MERE Ste. HELENE.

Il ne faut donc pas vous en moquer comme vous faites.

LE PERE SATURNIN.

Je ne m’en moque pas.

LA MERE Ste. HELENE.

Pourquoi donc riez-vous ?

LE PERE SATURNIN.

Oh ! pour rien.

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Scène VIII.

LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE St. BASILE.

Ma sœur, ce sont les menuisiers, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Eh bien ?

LA MERE St. BASILE.

Je leur ai demandé s’ils avoient vu la chaise du Docteur, ils m’ont dit qu’ils n’avoient rien vu ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Ces gens-là ne regardent rien.

LA MERE St. BASILE.

Moi, je crois qu’il va arriver ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Ma sœur, on sonne.

LA MERE St. BASILE.

Hem ?

LA MERE Ste. HELENE.

Je vous dis qu’on sonne.

LA MERE St. BASILE.

J’avois bien entendu ; parce que…

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Scène IX.

LA MERE Ste. HELENE, LE PERE SATURNIN.
LA MERE Ste. HELENE.

Pere Saturnin.

LE PERE SATURNIN.

Eh bien ?

LA MERE Ste. HELENE.

Je n’ose vous dire… j’ai trop peur que vous ne vous moquiez de moi.

LE PERE SATURNIN.

Dites donc.

LA MERE Ste. HELENE.

C’est que j’ai envie, si le Docteur n’arrive aujourd’hui, de traiter Madame l’Abbesse comme la petite Julie.

LE PERE SATURNIN.

Ah ! vous lui donnerez des os aussi ?

LA MERE Ste. HELENE.

Oui, qu’en pensez-vous ?

LE PERE SATURNIN.

Qu’il faudra y laisser un peu plus de chair ; comme elle est plus grande.

LA MERE Ste. HELENE.

Vous le croyez ?

LE PERE SATURNIN.

Sûrement, & vous lui ferez boire du vin pur.

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Scène X.

LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, M. FEBRUGIN, LE PERE SATURNIN.
LA MERE St. BASILE.

Ma sœur, ma sœur, voilà le Docteur ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Il va arriver ?

LA MERE St. BASILE.

Il me suit ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Ma sœur, il faut faire préparer sa chambre.

LA MERE St. BASILE.

Je l’ai déjà dit. Tenez, le voilà, ma sœur, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Ah ! Monsieur le Docteur, nous vous attendions toutes avec bien de l’impatience.

M. FEBRUGIN.

Mesdames, vous me faites bien de l’honneur eur. Bon jour, Pere Saturnin in.

LE PERE SATURNIN.

Bon jour, bon jour, Docteur.

LA MERE Ste. HELENE.

Qu’avez-vous donc ? il me semble que vous boîtez.

M. FEBRUGIN.

Mais, vraiment, j’ai pensé être tué é.

LA MERE St. BASILE.

On vous a versé ; parce que…

M. FEBRUGIN.

Et dans un endroit aussi uni que ce jardin in.

LA MERE Ste. HELENE.

Vous êtes donc blessé ?

M. FEBRUGIN.

Pas absolument, j’ai une contusion au genou ou, qui m’empêche de marcher er.

LA MERE Ste. HELENE.

Assoyez-vous donc. Il faudroit un fauteuil, ma sœur…

M. FEBRUGIN.

Non, non, je serai fort bien sur cette chaise aise.

LE PERE SATURNIN.

Vous avez dîné, Docteur ?

M. FEBRUGIN.

Oh ! je vous en réponds, onds.

LA MERE Ste. HELENE.

Pourquoi donc avons-nous été si long-temps sans vous voir, & sans avoir de vos nouvelles ?

M. FEBRUGIN.

C’est que j’ai toujours cru que j’allois revenir ir, & que les malades m’ont retenus us.

LA MERE Ste. HELENE.

On ne vouloit pas vous laisser aller, je n’en suis pas surpris, vous avez dû guérir bien du monde ?

LE PERE SATURNIN.

Ou faire bien des héritiers, n’est-ce pas, Docteur ?

M. FEBRUGIN.

Non pas absolument ent ; j’en ai sauvé la moitié é ; mais avec bien de la peine eine.

LE PERE SATURNIN.

Avez-vous beaucoup saigné ?

M. FEBRUGIN.

Pas assez ez ; car sans cela il n’en seroit pas tant mort ort ; mais ces gens-là ne savent pas soutenir la saignée ée.

LE PERE SATURNIN.

Ils ont tort.

M. FEBRUGIN.

Comment se portent toutes ces Dames ames ?

LE PERE SATURNIN.

Fort bien, il n’y a que Madame l’Abbesse qui a toujours son estomac en mauvais état ; cela va plus mal que jamais.

M. FEBRUGIN.

Elle mange trop de pâtisserie ie, trop de confitures ures ; je lui ai toujours dit it.

LA MERE Ste. HELENE.

Depuis huit jours je l’ai mise à la diete, en vous attendant.

M. FEBRUGIN.

Vous avez bien fait ait.

LE PERE SATURNIN.

Oh ! la mère Ste. Helene est un très-grand médecin ! Qu’elle vous dise comment elle a guéri cette petite Julie.

M. FEBRUGIN.

Est-elle guérie ie ?

LA MERE St. BASILE.

Mais oui, par vos soins, Monsieur le Docteur, par vos soins ; parce que…

M. FEBRUGIN.

Vous lui avez donc fait observer le régime ime que je lui avois prescrit it ?

LA MERE Ste. HELENE.

Oui ; mais j’ai cru que la diete étoit trop longue pour un enfant ; & comme vous aviez dit que vous lui feriez prendre…

M. FEBRUGIN.

Ah ! des eaux aux ?

LA MERE Ste. HELENE.

Oui, je lui en ai donné.

M. FEBRUGIN.

Mais desquelles elles ? Cela n’est pas indifférent ent.

LA MERE Ste. HELENE.

J’ai commencé par ses os de pigeon.

M. FEBRUGIN.

Mais ce n’est pas là à.

LA MERE Ste. HELENE.

Attendez ; l’effet n’étoit pas assez prompt, je lui ai donné des os de poulet.

M. FEBRUGIN.

Comment ent…

LA MERE Ste. HELENE.

Elle a pris plaisir à les sucer ; mais les os de poularde & de dindon lui ont mieux fait.

M. FEBRUGIN.

Est-il possible ible ?

LA MERE Ste. HELENE.

J’ai passé aux os de mouton, de veau & puis de bœuf, cela a réussi à merveille.

LE PERE SATURNIN, riant.

Que dites-vous à cela, Docteur ?

LA MERE Ste. HELENE.

Attendez donc : ensuite j’ai laissé un peu de viande à ces os, & la petite est entièrement rétablie.

M. FEBRUGIN.

Rétablie ie ?

LA MERE Ste. HELENE.

Elle se porte à merveille, & je vais vous la faire descendre, vous allez voir.

LE PERE SATURNIN, riant.

Eh bien, Docteur, c’est pourtant vous qui avez fait ce miracle, pendant que vous êtiez en campagne.

LA MERE Ste. HELENE.

Ma sœur, il faudroit avertir Madame l’Abbesse que le Docteur est ici.

LA MERE St. BASILE.

J’y vais, ma sœur, parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Moi, je vais chercher Julie.

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Scène XI.

M. FEBRUGIN, LE PERE SATURNIN.
LE PERE SATURNIN, riant.

Votre surprise me divertit, Docteur.

M. FEBRUGIN.

Mais c’est que jamais on n’a vu de pareilles choses oses.

LE PERE SATURNIN.

Écoutez donc, cela peut vous faire un honneur infini.

M. FEBRUGIN.

Guérir des maux d’estomac en suçant des os os !

LE PERE SATURNIN.

Pourquoi pas ? Il est vrai qu’il y avoit quelque chose autour de ces os ; & après une diete austere, on est encore trop heureux de les trouver.

M. FEBRUGIN.

Jamais je n’ordonnerai un pareil remede ede.

LE PERE SATURNIN.

Et vous aurez tort : il n’y a rien de si bête & de si vieux que la diete seule. A Paris, vous auriez un succès étonnant ; & plus votre conduite seroit contrariée par les autres Médecins, plus on voudroit vous avoir, vous ne sauriez auquel entendre. Croyez-moi, essayez ce moyen sur Madame l’Abbesse, elle le mandera à Paris à ses parents, & votre fortune sera faite.

M. FEBRUGIN.

Je crois que vous avez raison, Pere ere.

LE PERE SATURNIN.

Vous ferez un systême nouveau qui sera admiré des gens du monde & de quelques savants, & vous boirez à la santé de ces gens-là avec de bon vin.

M. FEBRUGIN.

C’est qu’il faut trouver un principe ipe.

LE PERE SATURNIN.

La médecine n’en a point de certain, convenez-en ; un moyen manque dix fois, cela ne fait point de tort ; le hasard vous seconde une fois, cela suffit pour fonder une réputation.

M. FEBRUGIN.

Pere, vous auriez été un grand Médecin in.

LE PERE SATURNIN.

Les voici qui reviennent.

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Scène XII.

LA MERE St. BASILE, M. FEBRUGIN, LE PERE SATURNIN.
LA MERE St. BASILE.

Monsieur le Docteur, Madame est enchantée de votre retour, & elle vous attend avec impatience, parce que….

M. FEBRUGIN.

Mais c’est que je ne saurois monter chez elle elle…

LE PERE SATURNIN.

Je vais l’engager à venir vous trouver, Docteur.

M. FEBRUGIN.

Eh bien oui, dites-lui que pour son mal il n’y a rien de meilleur que l’exercice ice.

LE PERE SATURNIN.

Laissez, laissez-moi faire.

LA MERE St. BASILE.

Moi, je vais aller chercher un fauteuil pour Madame, & je le mettrai à côté de vous, Monsieur le Docteur, parce que…

M. FEBRUGIN.

Vous ferez fort bien.

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Scène XIII.

LA MERE Ste. HELENE, JULIE, M. FEBRUGIN.
LA MERE Ste. HELENE.

Tenez, Monsieur le Docteur, voilà notre petite ressuscitée.

M. FEBRUGIN, tâtant le pouls de Julie.

Elle a fort bon visage age, & elle n’a point de fievre ievre.

LA MERE Ste. HELENE.

Je vous dis que votre remede lui a fait des merveilles.

M. FEBRUGIN.

Avez-vous de l’appétit, Mademoiselle elle ?

JULIE.

Oh ! Monsieur, je rongerois des os toute la journée ; je trouve cela bien bon !

M. FEBRUGIN.

Cela va très-bien ien.

LA MERE Ste. HELENE.

Vous voyez votre ouvrage, cher Docteur.

M. FEBRUGIN.

Quel âge avez-vous ous ?

JULIE.

Quatorze ans bientôt, Monsieur.

M. FEBRUGIN.

C’est le bon âge âge : elle aura à présent la meilleure santé du monde onde.

LA MERE Ste. HELENE.

Ah ! voilà Madame qui vient avec le Pere.

JULIE.

M’en irai-je, ma chere Mere ?

LA MERE Ste. HELENE.

Non, non.

JULIE.

Vous me faites bien du plaisir de me permettre de rester pour voir Madame.

LA MERE Ste. HELENE.

Il est nécessaire que Madame voie vos miracles, cher Docteur.

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Scène XIV.

L’ABBESSE, LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, JULIE, LE PERE SATURNIN, M. FEBRUGIN, LE JARDINIER, portant un fauteuil.
LA MERE St. BASILE.

Tenez, mettez-là le fauteuil, un peu plus avant, auprès du Docteur, fort bien ; en vous remerciant. Allez-vous-en à présent à vos affaires ; parce que…

L’ABBESSE.

Eh bien, cher Docteur, vous voyez que je viens vous chercher, & c’est avec bien du plaisir.

M. FEBRUGIN.

L’exercice vous est nécessaire, Madame ame, sans quoi je ne vous aurois pas donné la peine de venir ir.

L’ABBESSE.

Vous êtes blessé, Docteur ?

M. FEBRUGIN.

Ce n’est rien du tout out.

L’ABBESSE.

Vous courez toujours aussi.

M. FEBRUGIN.

Madame, il le faut bien ien. Mais parlons de votre santé té : comment vous trouvez-vous ous ?

L’ABBESSE.

Mais bien foible, Docteur.

LE PERE SATURNIN.

Cela vient sûrement de la diete.

L’ABBESSE.

Le Père Saturnin croit toujours qu’il faut boire & manger.

M. FEBRUGIN, riant.

Il faut que chacun fasse son métier ier.

LE PERE SATURNIN.

Je trouve ce métier-là fort bon, moi.

M. FEBRUGIN.

Ah çà, Madame, voyez un peu comme se porte notre petite malade ade.

L’ABBESSE.

Mais elle me paroît bien rétablie.

LA MERE Ste. HELENE.

Julie, approchez donc, que Madame vous voie.

L’ABBESSE.

Bon jour, Julie : elle a des couleurs, elle sera fort jolie, n’est-ce pas, Docteur ?

M. FEBRUGIN.

Fort ort.

L’ABBESSE.

Embrassez-moi, mon enfant. Elle l’embrasse, & Julie lui baise la main.

JULIE.

Madame a bien de la bonté.

L’ABBESSE.

Vous approuvez donc la conduite de notre sœur Ste. Helene ?

M. FEBRUGIN.

De point en point oint.

LA MERE Ste. HELENE.

Je crois que Julie peut s’en aller à présent, Docteur ?

M. FEBRUGIN.

Oui, oui ; attendez ez. Quel est son régime à présent ent ?

LA MERE Ste. HELENE.

Mais toujours le même, Docteur.

M. FEBRUGIN.

Elle ne mange encore avec personne onne ?

LA MERE Ste. HELENE.

Non.

M. FEBRUGIN.

Il faut qu’elle aille au réfectoire oire, & qu’elle reprenne les exercices ices comme à l’ordinaire aire.

JULIE.

J’ai pourtant encore dans ma chambre un bien gros os d’ailloyau à ronger.

M. FEBRUGIN.

Eh bien, jettez-moi tout cela par la fenêtre être.

LA MERE St. BASILE.

Entendez-vous, Julie, tout ce que vous dit le Docteur ; parce que…

JULIE.

Oui, oui, ma chere Mere, je n’y manquerai pas.

LA MERE Ste. HELENE.

Faites la révérence à Madame l’Abbesse.

L’ABBESSE.

Adieu, adieu, mon cœur : soyez bien sage.

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Scène XV.

L’ABBESSE, LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, M. FEBRUGIN, LE PERE SATURNIN.
L’ABBESSE.

En vérité, Docteur, j’admire l’effet de votre science.

M. FEBRUGIN.

Madame, cela n’en vaut pas la peine eine.

L’ABBESSE.

Mais si je faisois ce remede-là, moi, mon estomac se remettroit peut-être.

M. FEBRUGIN.

Voilà ce que je crois ois, & j’allois vous le proposer er.

L’ABBESSE.

Je ne demande pas mieux ; mais je ne comprends pas par quelles raisons, l’usage de sucer ces os peut faire tant de bien.

M. FEBRUGIN.

Cependant rien n’est plus facile ile, & je vais vous l’expliquer er.

L’ABBESSE.

J’en serai fort aise.

LA MERE Ste. HELENE.

Ecoutez, vous Pere.

LE PERE SATURNIN.

Ah ! je vous en réponds.

LA MERE St. BASILE.

Pour moi, j’écoute de toutes mes oreilles ; parce que…

L’ABBESSE.

Allons, mes sœurs, un peu de silence.

M. FEBRUGIN.

Vous savez, Madame ame, que la premiere digestion on se fait dans la bouche ouche ?

L’ABBESSE.

Oui, Docteur ; parce que la salive est le premier digestif, à ce que vous m’avez dit.

LA MERE Ste. HELENE.

Voyez, ma sœur, comment Madame est savante !

LA MERE St. BASILE.

Oh ! je le savois bien, Madame raisonne sur tout à merveilles ; parce que…

L’ABBESSE.

Un moment donc, mes sœurs.

M. FEBRUGIN.

En conséquence de ce principe ipe, il faut mêler er, d’une maniere particuliere ere, l’aliment avec la salive ive.

L’ABBESSE.

Fort bien.

M. FEBRUGIN.

Et comment le feroit-on mieux qu’en suçant ant la substance des os os ?

L’ABBESSE.

Cela est vrai.

LA MERE Ste. HELENE.

Je n’avois jamais pensé à tout cela.

LA MERE St. BASILE.

Ni moi non plus ; parce que…

LA MERE Ste. HELENE.

Eh bien, qu’en dites-vous, Pere ?

LE PERE SATURNIN.

Fort bien. Mais je l’attends, lorsqu’il reste quelque chose autour des os.

M. FEBRUGIN.

Ah ! m’y voici ci. Après avoir sucé un peu de temps emps, l’estomac s’est accoutumé mé à cette substance ance jointe à la moële des os os.

L’ABBESSE.

Sûrement.

M. FEBRUGIN.

Pour le ramener à ses fonctions ordinaires aires, je fais ronger un peu eu ; ces petites parties de chair air pressent les glandes salivaires aires ; ce qui augmente les nouveaux moyens de la digestion on.

L’ABBESSE.

Cela est clair.

LA MERE St. BASILE.

Que je suis aise d’entendre tout cela ; parce que…

L’ABBESSE.

Je parie que la sœur Ste. Helene le savoit déjà.

LA MERE Ste. HELENE.

Madame…

L’ABBESSE.

Allons, ma sœur, vous êtes trop modeste.

LA MERE Ste. HELENE.

Je suis comme une religieuse doit être, Madame.

L’ABBESSE.

Fort bien. Mais, Docteur, je ne comprends pas quelle substance il peut rester dans un os que l’on a fait bouillir ou rôtir.

M. FEBRUGIN.

Eh ! Madame, les os ne sont pas autre chose qu’une substance ance.

L’ABBESSE.

Les os ? je les regarde comme des pierres.

M. FEBRUGIN.

C’est que Madame n’en a jamais vu dans une entiere dissolution.

L’ABBESSE.

Comment, on les dissout absolument ?

M. FEBRUGIN.

Oui, Madame ; demandez au Pere ere si ce n’est pas une opération on, ou, pour mieux dire, un procédé de physique ique.

LE PERE SATURNIN.

Sûrement.

LA MERE Ste. HELENE.

Vous voyez bien que le Docteur sait la physique. Ah ! mon Dieu, l’habile homme !

L’ABBESSE.

Comment, Docteur, on peut amollir les os ?

M. FEBRUGIN.

Oui, Madame, avec la marmitte de Papin in.

L’ABBESSE.

C’est donc un grand cuisinier ?

M. FEBRUGIN.

Non, Madame ame ; mais c’étoit un physicien ien.

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Scène derniere.

L’ABBESSE, LA MERE Ste. HELENE, LA MERE St. BASILE, JULIE, M. FEBRUGIN, LE PERE SATURNIN.
JULIE, criant de sa fenêtre.

Gare l’eau. (Elle jette un gros os, qui tombe sur la tête de Monsieur Februgin.)

M. FEBRUGIN.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que cela la ?

LA MERE Ste. HELENE.

Mais, Mademoiselle, qu’est-ce que vous faites donc ?

JULIE.

Ma Mère, je suis l’ordonnance de Monsieur le Docteur.

L’ABBESSE.

Etes-vous blessé, Monsieur ?

M. FEBRUGIN.

Non, non, je n’ai que mal à l’oreille, mais bien fort ort.

L’ABBESSE.

Mes sœurs, faites entrer le Docteur.

M. FEBRUGIN.

Je vais aller dans ma chambre ambre.

LE PERE SATURNIN.

Oui, & si vous m’en croyez, vous boirez un grand coup de vin. Venez, venez.

LA MERE St. BASILE.

Ah ! mon Dieu ! quel malheur ! parce que…

LA MERE Ste HELENE, à Julie qui est descendue.

Mais dites donc, Julie, vous criez gare l’eau & vous jettez sur le Docteur.

JULIE.

Sans doute, je l’ai visé ; il m’avoit dit : Jettez-moi cela par la fenêtre.

LA MERE Ste. HELENE.

Peut-on faire des choses comme celles-là ? Allons, venez voir le Docteur, & lui demander pardon.

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Explication du Proverbe :

95. Le hasard sert mieux que la science.