Proverbes dramatiques/Le Sot Ami

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Proverbes dramatiquesLejaytome VI (p. 271-318).


LE SOT AMI.

QUATRE-VINGTIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. DE COURVILLERS. Habit vert galonné, veste brodée en or, au tambour, perruque ronde, sans chapeau.
Mad. DE COURVILLERS.
Bien mises, comme à la Camp.
Mlle. DE COURVILLERS.
M. DE SAINT-CLET. Joli habit de Campagne, sans épée.
M. DE LA SAUSSAYE, Provincial. Habit brun passé, à brandebourgs d’argent, vieille veste d’or, perruque à la Brigadiere, bas roulés, gris, avec des jarretieres noires, épée & canne.


La Scène est en Province, dans le Château de Courville, dans un Sallon.

Scène premiere.

M. DE COURVILLERS, Mad. DE COURVILLERS.
M. DE COURVILLERS.

Assoyons-nous ici. Vous croyez peut-être que je ne viens dans cette terre que pour y passer quelques jours ?

Mad. DE COURVILLERS.

Je ne sais pas quel est votre dessein.

M. DE COURVILLERS.

Eh-bien, je vais vous en instruire. Je vous ai caché le danger où j’ai été, pendant quelque tems, de perdre toute ma fortune.

Mad. DE COURVILLERS.

Comment ?…

M. DE COURVILLERS.

Oui, mais heureusement, j’ai recouvré tous mes fonds, ils sont en sûreté, & nous aurons un revenu considérable.

Mad. DE COURVILLERS.

Que d’inquiétudes vous m’avez épargné !

M. DE COURVILLERS.

Je ne me mêlerai plus d’affaires, ainsi je peux me tenir éloigné de Paris autant que je le voudrai. Il faut que vous me disiez si cela vous conviendra.

Mad. DE COURVILLERS.

Autrefois, j’aurois pû être effrayée de cette proposition ; parce que je ne voyois que Paris dans le monde.

M. DE COURVILLERS.

J’ai pensé long-tems comme vous ; mais échappé à la tempête, je regarde ceci comme un port assuré, où les inquiétudes seront entièrement bannies.

Mad. DE COURVILLERS.

Où nous pourrons penser librement, être ensemble, nous connoître, nous être nécessaires & nous mieux aimer.

M. DE COURVILLERS.

Il est vrai qu’il est souvent en nous une source de bonheur, que le tourbillon du monde nous empêche d’appercevoir. Que je suis charmé de vous découvrir une façon de penser si solide !

Mad. DE COURVILLERS.

Vous avez peut-être cru jusqu’à présent que je n’avois jamais réfléchi ?

M. DE COURVILLERS.

Si je vous disois que oui, cela vous fâcheroit-il ?

Mad. DE COURVILLERS.

Non, parce que c’est pour vous une découverte qui vous fera peut-être trouver ce jour-ci plus agréable.

M. DE COURVILLERS.

Il est inconcevable qu’à Paris, on ne connoisse pas les gens avec qui on vit le plus, & sa femme encore moins que les autres !

Mad. DE COURVILLERS.

Vous croyez plaisanter ; mais cela arrive très-souvent.

M. DE COURVILLERS.

Combien j’ai été trompé en ayant recours à des gens puissants, à des gens riches, qui m’avoient montré de l’amitié, qui me devoient de la reconnoissance, & pour qui j’aurois fait tout au monde !

Mad. DE COURVILLERS.

Vous croyiez apparemment que les hommes seroient faits pour vous, autrement qu’ils ne sont pour les autres.

M. DE COURVILLERS.

Des gens obscurs m’ont mieux servi, je leur dois toute mon existence.

Mad. DE COURVILLERS.

L’arbre le plus élevé, qui ombrage le plus ce qui l’environne, de quel secours est-il à l’homme, quand une petite plante qu’on foule aux pieds, peut seule quelquefois lui sauver la vie ?

M. DE COURVILLERS.

Nous n’éprouverons ici, ni l’orgueil, ni l’importance, ni les dédains de ces gens si contraires au bonheur de ceux qui les connoissent, & nous y jouirons de la douceur qu’on trouve avec les ames sensibles.

Mad. DE COURVILLERS.

Je me rappelle à présent cette pitié insultante de ces femmes de qualité ; votre malheur que j’ignorois, rendoit leurs visites froides, rares & courtes, je n’en connoissois pas le principe. Elles imaginoient, sans doute, que dénuée de richesses, ma maison ne seroit plus digne d’elles, & qu’elles n’y pourroient plus venir souper avec leur société. Si c’est-là ce que vous & moi, nous perdons, en cessant de vivre à Paris, jugez quels doivent être nos regrets.

M. DE COURVILLERS.

Profitons du coup de lumiere que l’apparence du malheur a porté dans notre ame. Nous sommes assez heureux pour avoir une fille digne de tous nos soins ; établissons-la de maniere à ne nous en séparer jamais ; elle n’a pas besoin de fortune, la sienne sera assez considérable.

Mad. DE COURVILLERS.

Choisissons un homme sensé, qui ait l’ame noble & délicate, qui ne s’occupera que du bonheur de sa femme, & qui croira nous devoir sans cesse le bien dont il jouira.

M. DE COURVILLERS.

Ce choix ne me paroît pas difficile à faire.

Mad. DE COURVILLERS.

Il est peut-être déjà fait ?

M. DE COURVILLERS.

Il est vrai ; mais il faut qu’il vous convienne.

Mad. DE COURVILLERS.

Vous m’avez prévenu, & je vous aurois dit la même chose.

M. DE COURVILLERS.

Quoi, vous avez des projets sur quelqu’un ?

Mad. DE COURVILLERS.

Oui, je voudrois que nous eussions le même homme, en vue.

M. DE COURVILLERS.

C’est Saint-Clet, que je veux vous proposer.

Mad. DE COURVILLERS.

J’en suis enchantée ! Tout ce qu’on m’en a dit est précisément ce que nous desirons de trouver.

M. DE COURVILLERS.

Un homme de mes amis m’en a fait le plus grand éloge, il ne regrettoit en lui que de ce qu’il n’étoit pas assez riche pour sa fille.

Mad. DE COURVILLERS.

Et c’est cette médiocrité de fortune que nous desirons. On m’en avoit parlé comme à vous à Paris, & j’avois eu les mêmes regrets que votre ami.

M. DE COURVILLERS.

Nous le verrons, il est ici près, chez sa tante.

Mad. DE COURVILLERS.

Ainsi, je ne vois rien qui puisse contrarier notre projet.

M. DE COURVILLERS.

Non.

Mad. DE COURVILLERS.

Il faut que je sonde cependant ma fille, car elle me paroît triste depuis qu’elle est sortie du Couvent ; je crains que les Religieuses ne lui aient donné des idées, qui dérangeroient fort les nôtres.

M. DE COURVILLERS.

Quand il seroit vrai, cela ne dureroit pas.

Mad. DE COURVILLERS.

Je veux toujours lui parler.

M. DE COURVILLERS.

Comme vous le voudrez ; mais venez ensuite me trouver dans mon cabinet, je vous ferai voir mon plan de vie, pour notre séjour ici.

Mad. DE COURVILLERS.

Je suis sûre qu’il sera fort bien.

M. DE COURVILLERS.

Vous le corrigerez, & nous y travaillerons de concert.

Mad. DE COURVILLERS.

A propos, Monsieur de la Saussaye a envoyé savoir de nos nouvelles.

M. DE COURVILLERS.

Tant mieux ; c’est un galant homme, que vous trouverez un peu Provincial.

Mad. DE COURVILLERS.

Pourquoi cela ? vous oubliez…

M. DE COURVILLERS.

Ah, j’ai tort.

Mad. DE COURVILLERS.

D’ailleurs, je l’ai déjà vu.

M. DE COURVILLERS.

Il parle un peu trop, il se croit philosophe. A la campagne, il ne faut pas être si difficile.

Mad. DE COURVILLERS.

Sur-tout, s’il est capable d’amitié.

M. DE COURVILLERS.

Mais, je le crois ; nous verrons. Il s’en va.

Mad. DE COURVILLERS.

Monsieur, dites, je vous prie, qu’on m’envoie ma fille.

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Scène II.

Mad. DE COURVILLERS, Mlle. DE COURVILLERS.
Mlle. DE COURVILLERS, avant de paroître.

Me voilà, maman.

Mad. DE COURVILLERS.

Venez ici ma fille. (Mademoiselle de Courvillers, baise la main de sa mere.) Asseyez-vous-là. Vous ne retournerez plus au Couvent, & vous allez vivre à présent avec nous.

Mlle. DE COURVILLERS.

C’est tout ce que je desire.

Mad. DE COURVILLERS.

Je craignois que vous ne regrettassiez le Couvent, & j’en aurois été fâchée ; parce que vous êtes destinée à vivre dans le monde.

Mlle. DE COURVILLERS.

Pourvu que je reste toujours avec vous, ma chere maman, je serai contente.

Mad. DE COURVILLERS.

Oui, mais il faut vous former un établissement & c’est à quoi nous pensons.

Mlle. DE COURVILLERS.

Il me semble que je suis encore bien jeune.

Mad. DE COURVILLERS.

Sûrement vous êtes jeune ; mais on ne peut pas toujours rester fille, les gens du monde sont faits pour vivre en société, il en faut une sûre, c’est ce qu’on peut espérer dans un mariage convenable, & c’est le choix que nous avons fait qui nous décide aussi promptement.

Mlle. DE COURVILLERS.

Quoi, maman ?…

Mad. DE COURVILLERS.

Oui, dans peu, vous nous remercierez de vous avoir donné le mari que nous vous destinons.

Mlle. DE COURVILLERS.

Ne me suffiroit-il pas pour être heureuse de passer ma vie avec vous. Ah, ma chere maman !…

Mad. DE COURVILLERS.

Allons, vous êtes un enfant. Ayez confiance en nous, & croyez que c’est l’espoir de faire votre bonheur qui nous fait agir. Il n’y a point de quoi s’affliger, ma chere fille, si nous voulions vous éloigner de nous, vous pourriez en être effrayée ; mais songez donc que le mariage va vous rendre ma compagne, que l’autorité de mere disparoîtra entiérement, pour ne vous laisser voir que l’amitié la plus tendre. Croyez-vous que vous y perdrez ?

Mlle. DE COURVILLERS.

Non, ma chere maman, mais…

Mad. DE COURVILLERS.

Quand vous aurez un peu réfléchi à ce que je viens de vous dire, vous verrez que vous ne devez pas vous plaindre de nous, pensez à tout cela. Je vais retrouver votre pere, & je compte que quand je vous reverrai, vous aurez calmé toutes vos inquiétudes. Adieu ma fille. Elle l’embrasse.

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Scène III.


Mlle. DE COURVILLERS, se laissant aller douloureusement dans un fauteuil.

J’aurai calmé mes inquiétudes ?… Non, non, jamais !… Ah, malheureux Saint-Clet !… Qu’allez-vous devenir ?

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Scène IV.

Mlle. DE COURVILLERS, M. DE SAINT-CLET.
M. DE SAINT-CLET.

Ah, Mademoiselle, on vient de me dire que Madame votre mère vous avoit laissé seule ici, je suis trop heureux de pouvoir un moment vous parler…

Mlle. DE COURVILLERS.

Que dites-vous ?

M. DE SAINT-CLET.

Comment ?

Mlle. DE COURVILLERS.

Vous ne savez pas ce qui doit nous arriver, on va nous séparer, on me marie.

M. DE SAINT-CLET.

O Ciel !

Mlle. DE COURVILLERS.

Et ce ne peut être avec vous, votre fortune n’est pas assez considérable, pour que nous puissions nous en flatter.

M. DE SAINT-CLET.

Vous me faites sentir un malheur auquel je n’avois pas encore pensé, celui de n’être pas riche.

Mlle. DE COURVILLERS.

Que je hais ce bien que tant de gens desirent ! Et que celui que j’aurai, va me rendre malheureuse !

M. DE SAINT-CLET.

Que savons-nous, si le tems…

Mlle. DE COURVILLERS.

Le tems ? Eh, c’est dans peu qu’on veut me marier. Je vais demander à retourner au Couvent : oui, je me ferai Religieuse, plutôt que de consentir à en épouser jamais un autre que vous.

M. DE SAINT-CLET.

Quoi, vous ne cesserez point de m’aimer ?

Mlle. DE COURVILLERS.

Non, je vous le jure.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, je suis trop heureux ! Il lui baise la main.

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Scène V.

Mlle. DE COURVILLERS, M. DE SAINT-CLET, M. DE LA SAUSSAYE.
M. DE LA SAUSSAYE.

Eh-bien, voilà tout ce que j’aime, moi.

Mlle. DE COURVILLERS.

O Ciel ! C’est Monsieur de la Saussaye.

M. DE LA SAUSSAYE.

Comment, est-ce que je vous fais peur ?

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, je vous en conjure…

M. DE LA SAUSSAYE.

Pourquoi donc vous épouvantez-vous ? Vous ne me connoissez pas. Est-ce que je ne sais pas qu’à votre âge, il faut aimer. Parbleu, allez, je regrette bien ce tems-là !

M. DE SAINT-CLET.

Vous me rassurez ; vous êtes ami du pere de Mademoiselle, & je craignois…

M. DE LA SAUSSAYE.

Vous craigniez… Vous avez tort, je voudrois de tout mon cœur pouvoir vous servir tous les deux.

Mlle. DE COURVILLERS.

Eh, Monsieur, que pourriez-vous faire ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Je n’en sais rien, parce qu’il faut penser avant de savoir ce qu’on fera. Allons, assoyez-vous & comptez-moi vos affaires, nous verrons.

M. DE SAINT-CLET.

Que d’obligation ne vous aurions-nous pas.

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, des obligations ! Je suis un peu philosophe, & je ne compte point sur tout cela ; d’ailleurs je n’en ai que faire ; la reconnoissance embarrasse souvent, & si je peux vous obliger, ce ne sera pas pour vous aller fatiguer d’un poids comme celui-là. On a beau dire, la nature ne nous a pas fait reconnoissants, eh-bien, qu’est-ce que cela me fait à moi ? Ne croyez-vous pas que je vas m’en chagriner ; je cultive mes terres, elles me rendent ou elles ne me rendent pas, on recueille toujours plus qu’on ne peut manger.

M. DE SAINT-CLET.

Oui, quand on est bien riche.

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, sans être riche, tout cela ne fait rien.

Mlle. DE COURVILLERS.

Eh, Monsieur, c’est ce qui fait notre malheur, pourtant.

M. DE LA SAUSSAYE.

Mais, vous serez bien riche, vous, Mademoiselle ?

Mlle. DE COURVILLERS.

Oui, mais Monsieur de Saint-Clet ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Eh bien, combien a t-il ? Huit, dix mille livres de rente ?

M. DE SAINT-CLET.

Six ou sept tout au plus.

M. DE LA SAUSSAYE.

Il y a là de quoi vivre.

M. DE SAINT-CLET.

Oui, mais, sans Mademoiselle, ce sera la plus malheureuse vie !…

M. DE LA SAUSSAYE.

Ah, oui, parce que vous vous aimez. Vous voyez bien que j’avois deviné d’abord.

M. DE SAINT-CLET.

J’ai vu Mademoiselle au Couvent, où elle étoit avec ma sœur ; il m’a été impossible de résister à tant de charmes.

M. DE LA SAUSSAYE.

Ah, oui, on devient toujours amoureux dans les Couvens, on lit cela dans les Romans ; il faut faire comme les autres. Eh bien ?

M. DE SAINT-CLET.

On veut marier Mademoiselle.

M. DE LA SAUSSAYE.

Et ce n’est pas à vous ?

M. DE SAINT-CLET.

Je ne saurois m’en flatter.

M. DE LA SAUSSAYE.

Parce que vous n’êtes pas aussi riche qu’elle ?

M. DE SAINT-CLET.

Eh non, malheureusement !

M. DE LA SAUSSAYE.

Mais vous pourrez le devenir.

M. DE SAINT-CLET.

Comment ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Il y a tant de moyens à présent ; laissez-moi faire. Si vous voulez vous épouser, chargez-moi de cette négociation-là, je vous réponds que je réussirai.

M. DE SAINT-CLET.

Il seroit possible !…

M. DE LA SAUSSAYE.

Sûrement ; pardi, je ne vous promettrais pas une chose que… Il faut d’abord que Mademoiselle s’en aille chez elle.

Mlle. DE COURVILLERS.

Ah, Monsieur !…

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, bon, des remercimens ! Je n’ai que faire de tout cela, moi. Sonnez, vous Monsieur.

M. DE SAINT-CLET.

Voilà quelqu’un.

M. DE LA SAUSSAYE.

Allez-vous en donc, Mademoiselle. Elle sort.

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Scène VI.

M. DE LA SAUSSAYE, M. DE SAINT-CLET, UN LAQUAIS.
M. DE LA SAUSSAYE, au Laquais.

Dites à Monsieur de Courvillers, que je l’attends ici.

LE LAQUAIS.

J’y vais, Monsieur. Il sort.

M. DE LA SAUSSAYE.

Vous, il faut que vous entriez dans ce cabinet, voyez si la porte peut s’ouvrir.

M. DE SAINT-CLET.

Oui, la voilà ouverte.

M. DE LA SAUSSAYE.

Fort bien. Je vais parler ici à Monsieur de Courvillers, ne vous embarrassez pas, je ferai votre affaire tout de suite ; ayez soin seulement d’écouter quand je me moucherai, & vous entrerez pour faire vos remercimens. J’entends quelqu’un, entrez dans le cabinet. Allons donc. Monsieur de Saint-Clet, entre dans le cabinet, & Monsieur de la Saussaye, va fermer la porte.

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Scène VII.

M. DE COURVILLERS, M. DE LA SAUSSAYE.
M. DE COURVILLERS.

Bonjour, mon voisin.

M. DE LA SAUSSAYE.

Je ne sais que d’hier que vous êtes ici, Monsieur, voilà pourquoi je ne suis pas venu plutôt vous voir, & puis je fais pêcher mon étang, curer ma riviere ; car à la campagne on ne peut pas être toujours le nez sur les livres ; mais enfin, je me suis hâté de venir ici, parce que vous ne faites jamais qu’y passer.

M. DE COURVILLERS.

J’y resterai beaucoup cette année.

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, vous dites cela ; mais vous autres gens de la Ville ou de la Cour ; car je crois que cela est égal, vous ne pouvez jamais tenir en place.

M. DE COURVILLERS.

Vous le verrez.

M. DE LA SAUSSAYE.

Je le voudrois de tout mon cœur, nous causerons ensemble quelquefois ; je n’ai rien vû, mais j’ai beaucoup lû ; ainsi on imagine facilement tout ce qui doit arriver.

M. DE COURVILLERS.

Quand on sait réfléchir un peu…

M. DE LA SAUSSAYE.

Ah, réfléchir, je ne m’amuse pas à tout cela, à quoi bon se casser la tête ? Ce que je fais, je le fais, & puis je parle selon la circonstance, voilà comme je me gouverne. Je crois qu’avec cela vous n’êtes pas étonné qu’on me trouve dans la province un homme de beaucoup d’esprit ; mais ce qui m’étonne, moi, c’est que l’esprit coûte si peu à acquérir.

M. DE COURVILLERS.

Vous avez donc fait beaucoup travailler depuis que je ne vous ai vû ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Comme cela, tantôt un peu, tantôt point, je vous ferai voir. J’ai fait faire une nouvelle cour à fumier, parce que j’étudie un peu la maison rustique, comme vous entendez bien ; mais ce n’est pas de cela que j’ai à vous parler ; je veux vous faire un plaisir. J’ai vu Mademoiselle votre fille ; elle est bien grandie depuis dix ans.

M. DE COURVILLERS.

C’étoit l’âge de croître.

M. DE LA SAUSSAYE.

Et à présent c’est l’âge de la marier, & voilà ce que je veux vous dire.

M. DE COURVILLERS.

Aussi j’y pense.

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, mais vous ne pensez sûrement pas à l’homme que j’ai à vous proposer.

M. DE COURVILLERS.

Je crois avoir fait un bon choix.

M. DE LA SAUSSAYE.

Tenez, vous n’en pouvez pas en faire un meilleur que le mien ; je sais qu’il faut à des gens riches quelqu’un qui le soit ; il faut assûrer toujours une fortune qui ne puisse qu’augmenter en établissant les enfans, parce que sans cela le bien se divise en plusieurs branches, & puis tous vos héritiers ne sont plus que des gueux.

M. DE COURVILLERS.

Il est vrai que cela arrive quelquefois.

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, toujours. Nous autres la Saussaye, nous avions ici beaucoup de biens autrefois, eh-bien tout cela a été divisé, mangé : cela est incompréhensible !

M. DE COURVILLERS.

Le gendre que vous voulez m’offrir est donc fort riche ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Non, point du tout.

M. DE COURVILLERS.

Accordez-vous donc.

M. DE LA SAUSSAYE.

C’est que vous ne m’entendez pas ; c’est un homme qui a six ou sept mille livres de rente ; mais qui en aura tant que vous voudrez.

M. DE COURVILLERS.

Comment cela ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Vous n’avez qu’à le mettre à même ; ah, c’est un homme qui a vû Paris, qui n’a point de scrupules du tout, que rien n’arrêtera pour avoir du bien ; mais beaucoup, beaucoup ; aussi vous voyez bien que c’est comme s’il étoit fort riche.

M. DE COURVILLERS.

Mais, vous me faites là le portrait d’un coquin.

M. DE LA SAUSSAYE.

Précisément. Mais je ne disois pas le mot, parce que je sai que la richesse attire trop de considération, pour qu’on donne ce nom-là à ceux qui savent faire fortune ; c’est un talent, chacun a le sien, & par exemple, vous qui êtes devenu si riche, ne seriez-vous pas fâché qu’on vous dise en face une pareille chose, aussi je suis persuadé qu’en suivant cette route, vous n’avez jamais trouvé personne qui ne vous respectât beaucoup.

M. DE COURVILLERS, fâché.

Monsieur de la Saussaye…

M. DE LA SAUSSAYE.

Qu’est ce que vous avez donc ? Ecoutez, écoutez-moi.

M. DE COURVILLERS.

Non, Monsieur…

M. DE LA SAUSSAYE.

Je vous dis que cet homme-là vous convient, on ne peut pas davantage ; ce n’est pas vous qu’il ruinera, parce que vous en savez trop long pour cela.

M. DE COURVILLERS.

Je vous prie Monsieur de…

M. DE LA SAUSSAYE.

D’ailleurs, vous le connoissez, c’est Monsieur de Saint-Clet.

M. DE COURVILLERS.

Monsieur de Saint-Clet ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, lui-même.

M. DE COURVILLERS.

Il penseroit comme cela ! & vous, que je croyois mon ami, vous avez une pareille idée de moi, & vous croyez qu’un mal-honnête homme me conviendroit ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Eh, je ne vous parle point d’un mal-honnête homme ; est-ce que je vous dis qu’il le sera ? Est-ce que je vous dis que vous l’êtes ? Que diable, vous ne me connoissez pas ; parce qu’on pense comme cela, est-on un mal-honnête homme ? Vous dites, c’est donc un coquin ? je vous dis que non ; ainsi vous voyez bien que c’est vous qui avez tort de vous fâcher.

M. DE COURVILLERS.

Allons, Monsieur, c’est moi qui ai tort de vous écouter. (Il se mouche.) Mais je vous prierai après tout ce que vous venez de me dire de ne jamais me parler de cet homme-là, ni de jamais remettre le pied ici.

M. DE LA SAUSSAYE.

Voilà comme vous allez….

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Scène VIII.

M. DE COURVILLERS, M. DE SAINT-CLET, M. DE LA SAUSSAYE.
M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, que je vous ai d’obligations !

M. DE COURVILLERS.

Vous, Monsieur ? vous ne m’en aurez jamais ; on vient de me faire connoître ce que vous êtes, vous étiez-là à écouter, vous approuvez la façon de penser de Monsieur, vous la partagez…

M. DE SAINT-CLET.

Je ne sais ce que vous voulez dire, je n’ai rien entendu.

M. DE COURVILLERS.

Je vous connois, Monsieur ; quand on a une ame comme la vôtre, on est indigne seulement d’approcher des honnêtes gens. Il sort.

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Scène IX.

M. DE LA SAUSSAYE, M. DE SAINT-CLET.
M. DE SAINT-CLET.

Qu’est-ce que c’est donc que ces propos-là, Monsieur ? Il me méprise, m’injurie…

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, vous ne le connoissez pas.

M. DE SAINT-CLET.

Est-ce que vous lui auriez dit du mal de moi ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Tout au contraire, il n’a jamais voulu m’entendre ; mais laissez-moi faire.

M. DE SAINT-CLET.

Il faut que quelqu’un m’ait desservi auprès de lui.

M. DE LA SAUSSAYE.

Allons vous allez vous allarmer, où il n’y a pas de quoi ; laissez-moi agir, & je vous réponds de tout.

M. DE SAINT-CLET.

Mais pourquoi m’a-t-il dit des choses aussi dures ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, il m’en a dit bien d’autres ; est-ce qu’il faut prendre garde à cela avec les gens à qui l’on a affaire ? tenez, écoutez-moi.

M. DE SAINT-CLET.

S’il n’avoit pas été le pere de Mademoiselle de Courvillers…

M. DE LA SAUSSAYE.

Eh-bien, l’auriez-vous tué, comme le Cid qui tue le pere de sa maîtresse ? voyez après l’embarras où il a été pour l’épouser, encore n’a-t-il eu qu’une promesse. Tenez, quand on a un ami qui se mêle de vos affaires, il faut avoir confiance en lui.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, sans doute, je voudrois pouvoir espérer…

M. DE LA SAUSSAYE.

Laissez-moi donc vous dire. Allez-vous-en chez Mademoiselle de Courvillers attendre…

M. DE SAINT-CLET.

Mais, Monsieur, elle ne voudra point me recevoir seul chez elle.

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, si vous ne deviez pas l’épouser, sans doute elle auroit tort : mais ceci est bien différent. Que diable faites donc ce que je vous dis, ou bien…

M. DE SAINT-CLET.

Allons, ne vous fâchez pas.

M. DE LA SAUSSAYE.

Je vais parler à Madame de Courvillers, elle entendra bien raison elle, parce que les femmes… en un mot, je sais l’art de les persuader. Sûrement, d’après tout ce que je lui dirai, elle enverra chercher sa fille, & vous reviendrez avec elle.

M. DE SAINT-CLET.

Vous croyez…

M. DE LA SAUSSAYE.

Sûrement.

M. DE SAINT-CLET.

Allons, je vous obéis.

M. DE LA SAUSSAYE.

Et vous faites bien.

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Scène X.


M. DE LA SAUSSAYE.

Ah ça, par où va-t-on chez Madame de Courvillers ? Il faut que je sonne. (Il sonne.) Ce sont de drôles de gens que ces gens de Paris ! Voyez si on viendra. (Il sonne.) Je n’entends rien. Jusqu’à leurs sonnettes qui ne sonnent pas ; cela fait mourir de rire. Voici pourtant quelqu’un.

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Scène XI.

Mad. DE COURVILLERS, M. DE LA SAUSSAYE.
Mad. DE COURVILLERS.

Quoi, vous êtes ici tout seul Monsieur de la Saussaye ? Où est donc Monsieur de Courvillers ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Bon, il m’a laissé au milieu d’une conversation, après m’avoir bien grondé encore.

Mad. DE COURVILLERS.

Comment, je ne le reconnois pas là !

M. DE LA SAUSSAYE.

Je venois pour lui proposer un gendre qui est un garçon très-aimable, ce qu’il vous faut enfin pour Mademoiselle votre fille, & il s’est fâché tout de bon…

Mad. DE COURVILLERS.

Mais pourquoi ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Je vous dis, je n’y ai rien compris, & encore il a bien grondé ce jeune homme.

Mad. DE COURVILLERS.

Quoi, il l’a vu ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Sûrement, puisqu’il l’a grondé, & tout cela faute de s’expliquer. Je vais vous dire si ce n’est pas un très-bon parti, quoiqu’il ne soit pas riche.

Mad. DE COURVILLERS.

Il n’est pas riche ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Non.

Mad. DE COURVILLERS.

Cela ne fait rien.

M. DE LA SAUSSAYE.

Non, parce qu’il le deviendra. Mademoiselle votre fille est fort jolie, elle sera une femme charmante, c’est par les femmes que l’on fait fortune : tous les gens de la Cour viendront chez eux ; Saint-Clet ne sera pas jaloux, il sait comme il faut se conduire avec ces gens-là, & que les femmes à Paris ont toute liberté.

Mad. DE COURVILLERS.

Quoi, c’est Saint-Clet !…

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, il adore Mademoiselle votre fille.

Mad. DE COURVILLERS.

Il adore ma fille, & il pense comme cela ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, parce qu’il veut la rendre heureuse : oh, il connoît le monde.

Mad. DE COURVILLERS.

Voilà une façon de penser bien délicate.

M. DE LA SAUSSAYE.

Il suit la mode, il faut aimer les femmes comme elles sont.

Mad. DE COURVILLERS.

Quoi, il n’en a pas meilleure opinion, ni vous non plus ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Oh, moi, je devine tout cela, car ici je ne vois rien & je trouve tout bien. D’ailleurs, qu’est-ce qui fait que je me mêle de leurs affaires ? C’est que ces pauvres enfans-là me font pitié, ils s’aiment à la folie…

Mad. DE COURVILLERS.

Comment !

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, & voilà pourquoi je me suis chargé de vous parler pour eux.

Mad. DE COURVILLERS.

Ma fille aime Saint-Clet ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, & tenez actuellement, ils attendent ce que vous allez décider.

Mad. DE COURVILLERS.

O Ciel ! Elle sonne.

M. DE LA SAUSSAYE.

Qu’est-ce que vous avez donc ?

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Scène XII.

Mad. DE COURVILLERS, M. DE LA SAUSSAYE, UN LAQUAIS.
Mad. DE COURVILLERS, au laquais.

Dites à ma fille de venir tout de suite.

M. DE LA SAUSSAYE.

Vous allez voir si tout ce que je viens de vous dire n’est pas vrai.

Mad. DE COURVILLERS.

J’avois meilleure opinion de Monsieur de Saint-Clet ; on ne peut donc jamais bien juger des hommes !

M. DE LA SAUSSAYE.

Mais écoutez donc, tout ce que je vous dis-là n’est pas pour diminuer la bonne opinion que vous en avez, au contraire.

Mad. DE COURVILLERS.

Comment, un homme qui pense aussi mal, qui a aussi peu d’honneur…

M. DE LA SAUSSAYE.

Oh, je n’attaque point son honneur, je vous prie de le croire ; je ne veux que vous prouver qu’il est capable de faire la plus grande fortune.

Mad. DE COURVILLERS.

Et à quel prix ?

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Scène XIII.

Mad. DE COURVILLERS, Mlle. DE COURVILLERS,
M. DE LA SAUSSAYE, M. DE SAINT-CLET.
MAD. DE COURVILLERS.

Quoi, Mademoiselle, vous recevez Monsieur sans ma permission. Vous ne le connoissez pas : sous les plus belles apparences, il cache une ame sans délicatesse, une ame affreuse ! & vous croyez qu’il vous aime ? Vous seriez bien à plaindre si nous favorisions l’amour que vous avez pour lui.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Madame ! qui peut vous avoir inspiré un mépris aussi cruel ? Monsieur, vous m’aviez promis de vous intéresser en ma faveur…

M. DE LA SAUSSAYE.

Attendez, attendez.

Mad. DE COURVILLERS.

Non, Monsieur, il ne doit rien attendre ; un homme qui a aussi mauvaise opinion des femmes, ne sera jamais mon gendre.

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Scène XIV.

M. DE COURVILLERS, Mad. DE COURVILLERS, Mlle. DE COURVILLERS,
M. DE SAINT-CLET, M. DE LA SAUSSAYE.
M. DE COURVILLERS.

Qu’est-ce que vous avez donc Madame ? Quoi, Messieurs, vous êtes encore ici ?

Mad. DE COURVILLERS.

Monsieur de la Saussaye vient me proposer Monsieur pour gendre, avec les inclinations qu’il a.

M. DE SAINT-CLET.

Madame, je vous en supplie, écoutez-moi.

Mad. DE COURVILLERS.

Non, Monsieur, non.

M. DE SAINT-CLET.

Je ne sais ce qu’a pu vous dire, à tous les deux, Monsieur de la Saussaye…

M. DE LA SAUSSAYE.

J’ai dit tout ce qu’il falloit pour faire réussir le mariage d’un homme qui n’est pas riche.

M. DE COURVILLERS.

Et il n’y a pas de moyens qu’il ne soit capable d’employer pour le devenir.

Mad. DE COURVILLERS.

Jusqu’à sacrifier son honneur.

M. DE SAINT-CLET.

Vous avez pu dire cela, Monsieur ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Pas tout-à-fait ; mais j’ai dit que vous feriez tout ce que l’on dit qu’on fait à présent pour cela, & Monsieur & Madame se fâchent, je ne sais pourquoi ?

M. DE SAINT-CLET.

Et qui vous a prié de me deshonorer, Monsieur ?

M. DE LA SAUSSAYE.

Comment de vous deshonorer ? Est-ce que je vous deshonore, en disant que vous ferez comme tous les gens qui font fortune ; je vois au contraire qu’ils s’attirent la considération de tout le monde.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, vous m’avez perdu ! quelle affreuse opinion vous avez donnée de moi !

M. DE LA SAUSSAYE.

Mais, je ne comprends rien à tout cela, je fais pour le mieux ; ma foi, accommodez-vous, & prenez que je n’ai rien dit. Voilà les hommes ; j’invente des moyens qui seuls pourroient réussir pour vous faire accepter, & tout le monde me querelle : est-ce ma faute à moi ? Que n’êtes-vous plus riche.

M. DE SAINT-CLET.

Comment, vous avez inventé ?…

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, je sais bien que vous êtes un honnête homme, si j’avois eu une fille je vous l’aurois donnée tout de suite, parce que nous autres à la campagne nous aimons la vertu avant tout ; mais les gens du monde préfèrent les richesses, à ce qu’on dit, & voilà pourquoi j’ai cru réussir en disant que vous n’auriez aucun scrupule pour en acquérir.

M. DE SAINT-CLET.

O Ciel !…

M. DE LA SAUSSAYE.

Je vous dis que je sais bien que cela n’est pas vrai, je ne peux pas faire autre chose.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, Madame ! Éprouvez-moi, informez-vous, mes parens vous sont connus, mes principes d’honneur sont inaltérables, je ne connois point de bonheur sans droiture, sans probité, je serois indigne de celui où j’aspire, si j’avois pu penser un instant comme on a voulu vous le persuader, & je renonce à tout si je n’ai pas au moins votre estime. (A Monsieur de la Saussaye.) Monsieur, vous m’en répondrez.

M. DE LA SAUSSAYE.

Mais, encore une fois, soyez donc sûr…

M. DE COURVILLERS.

Monsieur de Saint-Clet…

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur, j’en mourrai de douleur !

M. DE COURVILLERS.

Écoutez-moi. Je vois que Monsieur de la Saussaye a cru qu’on ne pouvoit pas être riche & avoir l’ame honnête.

M. DE LA SAUSSAYE.

Oui, c’est cela ; voilà ce que je croyois.

M. DE COURVILLERS.

C’est un ami imprudent, pour ne pas dire autre chose.

M. DE LA SAUSSAYE.

Cela peut être ; mais je n’ai pas de mauvaises intentions du moins.

M. DE COURVILLERS, à M. de Saint-Clet.

L’honnêteté de vos mœurs, la douceur de votre caractere, tout ce que vous pouvez faire penser d’avantageux, nous avoient fait vous choisir pour gendre, votre fortune nous suffisoit.

M. DE SAINT-CLET.

O Ciel !…

M. DE COURVILLERS.

Les propos de Monsieur…

M. DE SAINT-CLET.

M’ont perdu dans votre esprit ?

M. DE COURVILLERS.

Non, Monsieur, je pense toujours de même ; je vous crois toujours le meilleur parti qu’on puisse offrir à ma fille.

M. DE SAINT-CLET.

Ah, Monsieur ! Ah, Mademoiselle !…

M. DE COURVILLERS.

Comment ! se connoissent-ils ?

Mad. DE COURVILLERS.

Ils font plus, ils s’aiment.

M. DE LA SAUSSAYE.

C’est pourtant moi qui ai appris cela à Madame.

M. DE COURVILLERS.

Ah, mes enfans, je suis charmé de faire votre bonheur.

M. DE LA SAUSSAYE.

Je savois bien que je ferois réussir ce mariage-là.

M. DE SAINT-CLET, en souriant.

Je vous crois bon ami, Monsieur ; mais je vous prierai, de ne vous jamais mêler de mes affaires.

M. DE LA SAUSSAYE.

Comme vous voudrez ; car cela ne donne que de l’embarras.

M. DE COURVILLERS.

Partons dans mon cabinet, pour tout régler & hâter le jour qui doit vous rendre heureux.


Fin du quatre-vingtieme Proverbe.
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Explication du Proverbe :

80. Mieux vaut un ennemi, qu’un sot ami.