Proverbes dramatiques/Le Sot et les Fripons

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Proverbes dramatiquesLejaytome V (p. 155-204).


LE SOT
ET
LES FRIPONS.

SOIXANTE-SIXIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


Mad. DE LA TASSE, Limonadiere. Robe jaune, bonnet & coëffe noire.
Mlle . CÉCILE, fille de Mad. de la Tasse. Robe couleur de rose rayée, petit bonnet, tablier vert.
M. DU PONT, Ecrivain, pas encore juré expert. Habit gris, petit galon d’argent, épée & chapeau.
M. DU CROC. En frac rouge à boutons d’or, épée, chapeau sur la tête, & col noir.
M. DU CORNET. Habit vert, petit galon d’or, épée & chapeau sur la tête.
M. DU TROUILLET. Habit canelle à boutons d’argent, veste bleue, boutons d’or, cheveux en queue, épée & chapeau, tous deux mis niaisement.
LOUIS, Garçon Cafetier. Veste brune & tablier.


La Scène est dans le Caffé de Mad. de la Tasse, porte Saint-Michel à Paris.

Scène premiere.

M. DU PONT, LOUIS.
M. DU PONT.

Eh bien, Louis, Mademoiselle Cécile a-t-elle paru aujourd’hui ?

LOUIS.

Non, Monsieur, pas encore ; vous savez bien qu’elle ne descend jamais que l’après-midi.

M. DU PONT.

Il est vrai ; mais c’est que je suis fort inquiet.

LOUIS.

Pourquoi donc ?

M. DU PONT.

Parce qu’hier au soir il m’a paru qu’elle avoit du chagrin.

LOUIS.

Je ne sai pas pourquoi, car elle devroit être bien aise, au contraire.

M. DU PONT.

Bien aise ?

LOUIS.

Oui, car je crois que nous irons bientôt à la noce.

M. DU PONT.

A la noce ! & de qui ?

LOUIS.

Eh pardi, d’elle-même.

M. DU PONT.

On la marie ?

LOUIS.

Oui, vraiment : j’ai entendu parler de cela tout bas ; mais il n’en faut rien dire.

M. DU PONT.

Voilà pourquoi elle étoit si triste hier. Nous sommes bien malheureux !

LOUIS.

Est-ce que vous l’aimez ?

M. DU PONT.

Ah ! sûrement, je l’aime !

LOUIS.

Eh pourquoi ne l’avez-vous pas demandé en mariage ? Je suis bien sûr que Madame de la Tasse, sa mère, vous l’auroit donnée.

M. DU PONT.

Tu le crois, Louis ?

LOUIS.

Pour cela, oui : elle l’auroit bien donnée à Monsieur Du Croc, s’il ne s’y étoit pas pris trop tard.

M. DU PONT.

Quoi ! ce fripon qui vient souvent ici avec Du Cornet ?

LOUIS.

Oui. Je ne sai pas si c’est un fripon ; Madame de la Tasse ne le croit pas, toujours.

M. DU PONT.

Tout le monde le connoît pour cela, ainsi que Du Cornet.

LOUIS.

En ce cas-là, je suis bien aise qu’il n’épouse pas Mademoiselle Cécile. Tenez, la voilà, vous pourrez lui parler.

M. DU PONT.

Oui ; mais si sa mère…

LOUIS.

Elle ne vient peut-être pas encore. Je vais me tenir auprès de la porte, & je chanterai quand elle paroîtra.

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Scène II.

Mlle . CÉCILE, M. DU PONT, LOUIS.
LOUIS.

Entrez, entrez, Mademoiselle ; voilà Monsieur Du Pont qui vous attend.

Mlle . CÉCILE, troublée.

Monsieur Du Pont ?

M. DU PONT.

Oui, Mademoiselle ; je suis au désespoir de ce que je viens d’apprendre.

Mlle . CÉCILE.

Ah ! mon Dieu, cela n’est que trop vrai ; je n’ai pu vous rien dire hier à cause de ma chere mere ; mais vous avez dû voir combien j’étois fâchée.

M. DU PONT.

Aussi ai-je été très-inquiet ; mais je ne me croyois pas aussi malheureux que je le suis.

Mlle . CÉCILE.

Ah ! dites que nous le sommes ! mais il faut que je m’assoye, car ma chere mere va venir.

M. DU PONT.

Louis nous avertira. Quoi, vous croyez que rien ne pourroit rompre ce mariage ?

Mlle . CÉCILE.

Il n’y a pas d’apparence, car mon prétendu arrive aujourd’hui.

M. DU PONT.

Et qui est-il ?

Mlle . CÉCILE.

Il s’appelle Monsieur Du Trouillet, & il est de Poissy, où son pere a une charge dans les bœufs, à ce qu’on dit.

M. DU PONT.

Si j’avois pu prévoir qu’on eût dû vous marier sitôt, je me serois proposé à Madame votre mere, peut-être m’auroit-elle accepté. Quelle différence ! Mais si je lui parlois, à Madame…

Mlle . CÉCILE.

Il n’est plus tems, Monsieur du Pont.

M. DU PONT.

Elle sait mon talent pour les écritures ; je compte me faire recevoir bientôt écrivain juré expert aux vérifications ; tout cela feroit peut-être…

Mlle . CÉCILE.

Elle trouve déjà Monsieur Dutrouillet charmant, & elle ne l’a jamais vu.

M. DU PONT.

Elle sait que j’ai hérité de mon oncle, qui demeuroit à la place de Sorbonne, & qui venoit toujours ici, Monsieur de la Forêt.

Mlle . CÉCILE.

Quoi, c’étoit votre oncle ?

M. DU PONT.

Oui, vraiment, frere aîné de mon pere.

Mlle . CÉCILE.

Elle l’aimoit beaucoup ; je crois qu’il l’appelloit sa commere.

M. DU PONT.

Sans doute ; c’est cela même.

Mlle . CÉCILE.

Eh bien, vous croyez ?…

Louis, chante.

La Bourbonnoise a bien des écus.

M. DU PONT.

Ah ! voilà Madame votre mere.

Louis, chante.

A bien des écus, la Bourbonnoise
A bien des écus…

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Scène III.

Mad. DE LA TASSE, Mlle . CÉCILE, M. DU PONT, LOUIS.
Mad. DE LA TASSE.

Louis ?

LOUIS.

Madame ?

Mad. DE LA TASSE.

Rangez donc ce tabouret, qui fera casser le col à quelqu’un.

LOUIS.

Allons, allons, Madame, on y va.

M. DU PONT.

Madame De la Tasse, je suis bien votre serviteur.

Mad. DE LA TASSE.

Ah ! Monsieur, je ne vous voyois pas, je vous salue. Mlle . Cécile.) Eh bien, qu’est-ce que vous avez donc vous ? vous ne savez ce que vous faites.

Mlle . CÉCILE.

Quoi donc, ma chere mere ?

Mad. DE LA TASSE.

Vous oubliez tout : tenez, voilà vos ciseaux que vous laissez traîner par terre.

Mlle . CÉCILE.

Je croyois les avoir dans mon sac, ma chere mere.

Mad. DE LA TASSE.

Allons, laissez votre ouvrage, il faut que nous allions chez votre grand’mère.

Mlle . CÉCILE.

Cela sera bientôt fait. (Elle plie son ouvrage, & regarde M. Du Pont, pendant que Mad. De la Tasse parle à Louis, & Du Pont soupire.)

LOUIS.

Madame, est-ce que vous allez sortir ?

Mad. DE LA TASSE.

Oui. Si un Monsieur, qui s’appelle Monsieur Du Trouillet, vient me demander, vous viendrez me chercher chez ma mere.

LOUIS.

Oui, Madame.

Mad. DE LA TASSE.

Mais tout de suite, entendez-vous, Louis ?

LOUIS.

Oh, que oui ; laissez-moi faire, je sai bien pourquoi.

Mad. DE LA TASSE.

Eh bien, venez-vous, Cécile ?

Mlle . CÉCILE.

Oui, ma chere mere.

Mad. DE LA TASSE.

Allons, passez.

Mlle . CÉCILE.

Me voilà. (Elle passe.)

Mad. DE LA TASSE.

Eh bien, troussez donc votre robe ; elle ne songe à rien. Allons, quand vous serez mariée, je serai bien débarrassée. (Elles s’en vont.)

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Scène IV.

M. DU PONT, LOUIS.
LOUIS, après avoir regardé aller Mad. De la Tasse & Cécile.

Monsieur Du Pont, voilà Monsieur Du Croc & Monsieur Du Cornet qui viennent.

M. DU PONT.

Ici ?

LOUIS.

Oh, sûrement.

M. DU PONT.

Eh bien, donne-moi la Gazette ; je veux un peu écouter ce qu’ils diront.

LOUIS.

Celle d’Utrecht, ou d’Amsterdam ?

M. DU PONT.

N’importe, la premiere venue.

LOUIS.

Tenez, voilà celle d’Utrecht.

M. DU PONT.

C’est bon ; ne fais pas semblant de les entendre. (Il lit.)

LOUIS.

Oh, laissez-moi faire ; je regarderai à la porte.

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Scène V.

M. DU PONT, M. DU CROC, M. DU CORNET, LOUIS.
M. DU CROC.

Assoyons-nous ici. (MM. Du Croc & Du Cornet s’assoyent auprès d’une table.)

LOUIS.

Ces Messieurs veulent-ils quelque chose ?

M. DU CROC.

Non, laissez-nous en repos. (Louis va regarder à la porte.)

M. DU CORNET.

Tu crois donc qu’il va arriver ?

M. DU CROC.

L’on m’a mandé qu’il arrivoit aujourd’hui ; mais comme je ne sai pas où il demeurera, je crois qu’il faut l’attendre ici.

M. DU CORNET.

Comment s’appelle-t-il ?

M. DU CROC.

Du Trouillet.

M. DU CORNET.

Je connois ce nom-là.

M. DU CROC.

Il est de Poissy.

M. DU CORNET.

C’est cela même : son pere est la plus grande bête qu’il y ait au monde.

M. DU CROC.

Tant mieux ; nous aurons bon marché du fils, il faut le faire déguerpir de Paris, avant qu’il ait épousé Mademoiselle Cécile.

M. DU CORNET.

Sans doute ; parce que tu voudrois bien l’épouser toi ?

M. DU CROC.

Sa mere ne demandera pas mieux.

M. DU CORNET.

Je le crois ; mais qu’est-ce que j’aurai moi pour ma peine, & toi-même en cas que ton mariage manque ?

M. DU CROC.

Ce que nous pourrons attraper à Du Trouillet.

M. DU CORNET.

Ah ! j’entends ; laisse-moi faire. Tu m’aideras ?

M. DU CROC.

Sans doute, comme à l’ordinaire.

M. DU CORNET.

C’est bon. Nous nous conduirons selon que le sujet prêtera.

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Scène VI.

M. DU PONT, M. DU CROC, M. DU CORNET, M. DU TROUILLET, LOUIS.
M. DU TROUILLET, à la porte, à Louis.

Monsieur, est-ce ici où demeure Madame De la Tasse ?

LOUIS.

Oui, Monsieur.

M. DU TROUILLET.

Et Mademoiselle sa fille aussi ?

LOUIS.

Oui, Monsieur.

M. DU TROUILLET.

Y sont-elles ?

LOUIS.

Non, Monsieur ; mais donnez-vous la peine d’entrer.

M. DU TROUILLET.

Oui, oui, pour les attendre, n’est-ce pas ? (Il entre.)

LOUIS.

Oui, Monsieur ; parce que je m’en vais les chercher.

M. DU TROUILLET.

Il ne faut pas les déranger ; je ne suis pas pressé ; je n’ai point d’affaires.

LOUIS.

Mais je crois, si je ne me trompe, que Monsieur est le prétendu de Mademoiselle ?

M. DU TROUILLET.

Oui, c’est vrai. Comment voyez-vous cela ?

LOUIS.

C’est que Madame m’a dit de l’avertir quand vous arriveriez.

M. DU TROUILLET.

Ah ! ah ! elle le savoit donc ?

LOUIS.

Apparemment.

M. DU TROUILLET.

Je ne comprends pas cela. Il faut que mon pere lui ait mandé, car pour moi, je ne lui ai jamais écrit.

LOUIS.

Assoyez-vous là, s’il vous plaît.

M. DU TROUILLET.

Où ?

LOUIS.

Où vous voudrez.

M. DU TROUILLET.

Je m’en vais me mettre ici ; ferai-je bien ?

LOUIS.

Oui, oui ; je m’en vais chercher Madame & Mademoiselle.

M. DU TROUILLET, arrêtant Louis.

Attendez donc.

LOUIS.

Comment, est-ce que vous ne serez pas bien aise de voir notre Demoiselle ?

M. DU TROUILLET.

Oh que si, sur-tout si elle est jolie ; parce que j’aime les jolies filles, moi.

LOUIS.

Eh bien, c’est pour cela.

M. DU TROUILLET.

Ecoutez donc, & ne bougez. Je suis malin, moi : je veux la voir sans qu’elle sache qui je suis.

LOUIS.

Ah, j’entends.

M. DU TROUILLET.

Vous voyez bien qu’il ne faut pas lui dire : ainsi je vous en prie restez-là, je vous payerai chopine.

LOUIS.

Ah ! Monsieur, vous êtes bien bon ; il ne faut rien pour cela. Je vous avertirai seulement quand elles reviendront.

M. DU TROUILLET.
Voilà ce que je veux.
(Il s’assied auprès d’une table. Louis regarde à la porte.)
M. DU CROC.

Il me paroît que nous tirerons parti de ce nigaud-là.

M. DU CORNET.

Il faut nous approcher.

M. DU CROC.

Monsieur arrive de Province à ce qu’il me paroît.

M. DU TROUILLET.

Oui, Monsieur, de Poissy, tout-à-l’heure.

M. DU CORNET.

Ah ! c’est un beau pays. C’est apparemment pour être Mousquetaire que vous venez ici.

M. DU TROUILLET.

Ah ! mon Dieu, que nenni, c’est bien tout au contraire.

M. DU CROC.

Ah ! je vois bien ; c’est que Monsieur veut se faire Abbé.

M. DU TROUILLET.

Bon, c’est encore bien plus au contraire.

M. DU CORNET.

Plus au contraire ?

M. DU TROUILLET.

Oui, vous ne devinez pas ?

M. DU CORNET.

Non.

M. DU TROUILLET.

Ah ! je suis bien aise de vous embarrasser l’esprit comme cela, car on m’avoit dit qu’à Paris tout le monde en avoit beaucoup plus que moi ; & pourtant…

M. DU CORNET.

Vous en avez plus que nous ?

M. DU TROUILLET.

Ce n’est pas là ce que je veux dire ; je suis trop bien élevé pour cela.

M. DU TROUILLET.

Et comment êtes-vous venu ?

M. DU TROUILLET.

Dans une voiture de mon pere.

M. DU CROC.

Etiez-vous seul ?

M. DU TROUILLET.

Bon, seul ! nous étions beaucoup.

M. DU CORNET.

Tant mieux, on ne s’ennuye pas, parce qu’on cause.

M. DU TROUILLET.

Ah, oui causer ! je ne pouvois pas parler ; parce qu’ils faisoient un tapage terrible.

M. DU CROC.

Vous connoissiez ces gens-là ?

M. DU TROUILLET.

Oh beaucoup ; parce que je passe ma vie avec eux.

M. DU CROC.

Eh bien, cela vous fera des connoissances à Paris.

M. DU TROUILLET.

Bon, des connoissances ; ils sont peut-être tous morts à présent. (Il rit.)

M. DU CORNET.

Comment morts !

M. DU TROUILLET.

Eh, mais sans doute, ils ne venoient que pour cela à Paris.

M. DU CROC.

Est-ce que c’étoient des criminels ?

M. DU TROUILLET.

Non, vous n’y êtes pas.

M. DU CORNET.

Qu’est-ce que c’étoient donc que ces gens-là.

M. DU TROUILLET.

Ces gens-là, étoient des veaux. (Il rit.)

M. DU CROC.

Ah ! vous êtes venu dans une charrette avec des veaux ?

M. DU TROUILLET.

Oui, vous n’auriez jamais deviné ? (Il rit.)

M. DU CORNET.

Cela fait une bonne compagnie.

M. DU TROUILLET.

Oh, moi, je les aime fort, parce qu’ils ne mordent jamais, ils sont doux comme des moutons.

M. DU CROC.

Ah, c’est vrai ; mais si vous aimez aussi les moutons, vous auriez pu venir avec eux.

M. DU TROUILLET.

Oui da, ils viennent à pied eux.

M. DU CROC.

Ah, c’est vrai.

M. DU TROUILLET.

Oh, mon voyage étoit bien arrangé comme cela ; mon pere sait bien ce qu’il fait ; c’est un homme d’esprit.

M. DU CROC.

Vous tenez bien de lui.

M. DU TROUILLET.

On dit que je tiens de ma mere ; mais elle ne parle pas si bien que moi, parce qu’elle bégaie.

M. DU CORNET.

Vous n’êtes pas comme cela vous, vous parlez bien.

M. DU TROUILLET.

J’ai été jusqu’à sept ans, que l’on croyoit que je serois muet.

M. DU CROC.

Cela auroit été grand dommage.

M. DU TROUILLET.

Sans doute. Eh bien, j’ai parlé en six mois aussi-bien que je parle à présent.

M. DU CROC.

C’est bien heureux ! Est-ce pour des affaires ou pour votre plaisir que vous êtes venu à Paris ?

M. DU TROUILLET.

Pour l’un & pour l’autre.

M. DU CORNET.

Ah, ah.

M. DU TROUILLET.

Vous ne devinerez peut-être pas encore ?

M. DU CROC.

Cela me paroît bien difficile.

M. DU TROUILLET.

C’est que je me marie ; vous voyez bien que tous les deux s’y trouvent.

M. DU CROC.

Oui, vous avez raison ; mais cela vous occasionnera bien de la dépense.

M. DU TROUILLET.

Oh, oui ; mais aussi mon cher pere m’a-t-il donné bien de l’argent.

M. DU CROC.

Si vous n’en aviez pas assez, je vous en procurerois avec grand plaisir.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, vous avez bien de la bonté, car vous ne me connoissez pas.

M. DU CORNET.

On voit que vous avez la mine d’un honnête homme, & qu’avec vous il n’y a rien à perdre.

M. DU TROUILLET.

C’est bien vrai, & je pense de même de vous, Messieurs ; aussi je vous confie que j’ai cinquante bons louis d’or, dans cette poche-là.

M. DU CROC.

Il faut prendre garde de les perdre.

M. DU TROUILLET.

Oh, ils sont bien enveloppés dans du papier.

M. DU CORNET.

Le papier quelquefois se déchire ; cela n’est pas sûr.

M. DU TROUILLET.

Vous allez voir, vous allez voir.

M. DU CROC.

J’en ai bien vu perdre comme cela, sans qu’il parût rien au papier. T’en souviens-tu, Du Cornet ?

M. DU CORNET.

Oh, pour cela oui.

M. DU TROUILLET.

Ma foi, écoutez donc ; je crois que vous avez raison, le papier est déchiré. (Il tire ses louis, & il les compte.)

M. DU CROC, bas à Du Cornet.

Prends tes dez ; je reviendrai quand j’entendrai du bruit.

M. DU CORNET.

Oui, oui.

M. DU CROC.

Monsieur, je suis très-fâché d’être obligé de vous quitter. Je reviendrai dans l’instant.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, il ne faut pas vous gêner ; & puis vous voyez bien que je compte mes louis, & que je les renveloppe.

M. DU CORNET.

Oui, oui ; je tiendrai compagnie à Monsieur.

M. DU CROC.

Je ne serai pas long-tems. (Il s’en va.)

M. DU PONT, à Louis, qui s’approche de lui.

Ne dis rien ; je vais faire semblant de dormir. (Il ronfle.)

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Scène VII.

M. DU TROUILLET, M. DU CORNET, M. DU PONT, faisant semblant de dormir, LOUIS, à la porte.
M. DU TROUILLET, comptant ses louis.

Il me faudra d’autre papier.

M. DU CORNET.

On va vous en donner. Garçon ?

LOUIS.

Monsieur.

M. DU CORNET.

Donnez donc du papier à Monsieur.

LOUIS.

En voilà, en voilà. Faut-il qu’il soit blanc ?

M. DU TROUILLET.

Non, non ; bleu, rouge, c’est égal.

LOUIS.

Tenez, en voilà d’écrit.

M. DU TROUILLET.

C’est bon.

LOUIS.

Il ne vous faut plus rien ?

M. DU TROUILLET.

Non, non. Il m’a fait oublier mon compte.

M. DU CORNET.

Il n’y a qu’à recommencer.

M. DU TROUILLET.

Vous avez raison. (Il recompte.)

M. DU CORNET.

Cela sera plus sûr. (Il tire des dez de sa poche, & il arrange une rafle de six.)

M. DU TROUILLET.

Quarante-cinq, quarante-six, quarante-sept, quarante-huit, quarante neuf : il m’en manque un.

M. DU CORNET.

Voyez dans votre poche.

M. DU TROUILLET.

Ah ! vous avez raison ; le voilà.

M. DU CORNET.

Cela fait-il bien cinquante ?

M. DU TROUILLET.

Oui.

M. DU CORNET.

Eh bien, c’est bon : vous avez perdu.

M. DU TROUILLET.

Comment perdu ; je vous dis que je l’ai retrouvé.

M. DU CORNET.

Oui ; mais c’est vos cinquante louis qui sont perdus.

M. DU TROUILLET.

Eh non. Les voilà tous.

M. DU CORNET.

Oui ; mais je les ai gagnés.

M. DU TROUILLET, riant.

Allons donc, vous badinez.

M. DU CORNET.

Non, je ne badine pas ; ils sont à moi.

M. DU TROUILLET.

Comment à vous ?

M. DU CORNET.

Oui, vous voyez bien que j’ai rafle de six.

M. DU TROUILLET.

Qu’est-ce que cela me fait ?

M. DU CORNET.

Cela vous fait, que vous ne pouvez pas en faire davantage, vous auriez beau jouer jusqu’à demain.

M. DU TROUILLET.

Mais je ne veux pas jouer.

M. DU CORNET.

Parce que vous ne pouvez pas gagner ; ainsi donnez-moi vos cinquante louis.

M. DU TROUILLET.

Non, Monsieur, ils ne sont pas à vous.

M. DU CORNET.

Je vous réponds que je les aurai.

M. DU TROUILLET.

Mais, Monsieur, je n’ai pas joué.

M. DU CORNET.

Comment, Monsieur, vous me donnez un démenti ?

M. DU TROUILLET.

Mais vous le savez bien.

M. DU CORNET, se levant.

Pour qui me prenez-vous ? Allons, Monsieur, donnez-moi mon argent, & sortez.

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Scène VIII.

M. DU TROUILLET, M. DU CORNET, M. DU PONT, M. DU CROC, LOUIS.
M. DU CROC.

Comment donc ? qu’est-ce que c’est cela ? te voilà bien en colere.

M. DU CORNET.

Et j’ai raison, Monsieur m’insulte. Il me donne un démenti.

M. DU TROUILLET.

Mais, Monsieur…

M. DU CORNET.

Allons, Monsieur, vous me payerez mes cinquante louis, & vous vous battrez.

M. DU TROUILLET.

Moi, Monsieur ?

M. DU CORNET.

Oui, vous m’avez insulté, & vous me ferez raison.

M. DU TROUILLET.

En vérité de Dieu, Monsieur, je vous assure…

M. DU CROC.

Ne vous fâchez pas tous les deux, & dites-moi ce qui est arrivé.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, je m’en vais vous le dire.

M. DU CORNET.

Laissez-moi parler, Monsieur ; c’est à moi à me plaindre.

M. DU CROC.

Voyons.

M. DU CORNET.

Nous jouons cinquante louis ; j’amène rafle de six, que voilà, & Monsieur ne veut pas me payer.

M. DU CROC.

Vous avez tort, Monsieur Du Trouillet.

M. DU TROUILLET.

Comment tort ?

M. DU CROC.

Assurément.

M. DU CORNET.

Il fait plus ; il m’insulte. Allons, Monsieur, puisque vous dites que vous n’avez pas joué, l’épée à la main.

M. DU TROUILLET.

L’épée à la main ?

M. DU CORNET.

Oui, Monsieur.

M. DU CROC.

Allons, c’est juste.

M. DU TROUILLET.

Mais, Monsieur, cette épée-là n’est pas à moi.

M. DU CORNET.

Qu’est-ce que vous voulez dire ?

M. DU TROUILLET.

Que je l’ai empruntée pour faire le voyage ; je n’en porte jamais à Poissy : c’est vrai comme je suis ici.

M. DU CORNET, se promenant.

Cela ne fait rien.

M. DU CROC.

C’est pourtant une raison, Du Cornet.

M. DU TROUILLET, à M. Du Croc.

Ah ! je vous en prie, parlez pour moi.

M. DU CORNET.

Je veux qu’il se batte.

M. DU CROC, à M. Du Trouillet.

Il vous tuera.

M. DU TROUILLET.

Voilà ce que je crains. Ah ! mon Dieu, comment faire ?

M. DU CROC.

Commencez par lui donner vos cinquante louis.

M. DU TROUILLET.

Il le faut bien. J’aime mieux cela que d’être tué.

M. DU CROC.

Nous verrons après. Du Cornet, Monsieur du Trouillet est bien fâché de t’avoir offensé ; il convient qu’il a perdu.

M. DU CORNET.

Eh bien, qu’il me paye.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, si vous vouliez bien vous souvenir que je n’ai pas…

M. DU CORNET.

Vous avez perdu ; je veux de l’argent.

M. DU TROUILLET, tremblant.

Allons, Monsieur, le voilà.

M. DU CORNET.

N’avez-vous rien ôté. (Il prend l’argent.)

M. DU TROUILLET.

Non, Monsieur ; voilà comme je l’ai compté devant vous.

M. DU CORNET.

Voyons ; dix, vingt, trente, quarante a & cinquante : c’est bon.

M. DU TROUILLET.

Vous voudrez bien que je ne me batte pas ?

M. DU CORNET, se promenant.

Nous verrons.

M. DU TROUILLET.

Il ne promet rien, Monsieur !

M. DU CROC.

Il faut le laisser calmer ; je tâcherai de vous raccommoder.

M. DU TROUILLET.

Ah ! je vous en prie.

M. DU CROC.

Comptez sur moi.

M. DU TROUILLET.

J’y compte aussi : je suis bienheureux de vous avoir trouvé.

M. DU CROC.

Je suis bien aise de vous être utile.

M. DU TROUILLET.

On m’avoit bien dit qu’à Paris tout étoit rempli de fripons.

M. DU CROC.

Prenez garde à ce que vous dites : si Du Cornet vous entendoit.

M. DU TROUILLET.

Ce n’est pas de lui que je parle.

M. DU CROC.

Et avez-vous encore d’autre argent ?

M. DU TROUILLET.

Non, vraiment ; mais comme je vais épouser Mademoiselle de la Tasse, sa mere m’en donnera.

M. DU CROC.

Ah, sûrement.

M. DU TROUILLET.

Et puis j’ai une bague.

M. DU CROC.

Vous la jouerez encore.

M. DU TROUILLET.

Oh, que non : & puis, en vérité, je n’ai pas joué.

M. DU CORNET.

Qu’est-ce qu’il dit ?

M. DU TROUILLET.

Rien, rien.

M. DU CROC.

Est-elle jolie, votre bague ?

M. DU TROUILLET.

Mais oui ; la voilà : ma chere mere m’a dit qu’elle valoit vingt-cinq louis.

M. DU CROC.

Voyons. (Il prend la bague.) Oui, vous en aurez cela ou rien : mais cachez-la, car Du Cornet aime le jeu, & il vous feroit peut-être encore jouer, s’il la voyoit.

M. DU TROUILLET.

J’ai envie de la mettre dans ma bouche.

M. DU CROC.

C’est fort bien imaginé.

M. DU TROUILLET.

Tenez, comme cela, la voit-on ?

M. DU CROC.

Non, pas beaucoup.

TROUILLET.

Et puis je dirois que j’ai une fluxion.

M. DU CROC.

Vous avez bien de l’esprit au moins. Ah ça, il faut que je vous raccommode avec Du Cornet.

M. DU TROUILLET.

Ah ! je vous en serai très-obligé ; car sans cela, je n’oserois jamais sortir d’ici.

M. DU CROC.

Bon, c’est le meilleur homme du monde ; quand il est en colere, cela ne dure qu’un moment ; mais il est terrible.

M. DU TROUILLET.

Je suis aussi comme cela moi.

M. DU CROC.

Je le crois bien : chacun a son défaut. Vous allez voir. Du Cornet, es-tu encore fâché contre Monsieur Du Trouillet ?

M. DU CORNET.

Moi, point du tout ; c’est fini, je n’y pense plus.

M. DU CROC.

Allons, touchez-vous dans la main tous les deux.

M. DU CORNET.

Je le veux bien. (Il tend la main à M. Du. Trouillet.)

M. DU TROUILLET.

Monsieur, vous me faites bien de l’honneur.

M. DU CORNET.

Reste-tu ici, Du Croc ?

M. DU CROC.

Non, vraiment. A propos…

M. DU CORNET.

Où vas-tu donc ?

M. DU CROC.

Chez mon Jouaillier ; il y a une pierre à ma bague, que je crains qui ne tombe.

M. DU CORNET.

Quelle idée ! viens à la Comédie Françoise.

M. DU CROC.

Ce n’est pas le quartier.

M. DU CORNET.

Mais puisque cette pierre à tenu jusqu’à présent, elle tiendra bien encore : tu iras demain.

M. DU CROC.

Non, je ne veux pas la perdre.

M. DU CORNET.

Voyons-là donc ?

M. DU CROC, regardant à son doigt.

Ah, ah, je n’ai pas ma bague, je l’ai pourtant prise avant de partir : je l’avois tout-à-l’heure.

M. DU CORNET.

Il faut chercher.

M. DU CROC.

Je n’ai pas remué de ma place ; c’est singulier !

M. DU CORNET.

Mais, Monsieur du Trouillet ne l’a-t-il pas vu ?

M. DU TROUILLET.

Non, Monsieur.

M. DU CORNET.

Je ne crois pas cela : un homme qui est capable de ne pas vouloir payer ce qu’il a perdu, est capable de voler une bague.

M. DU TROUILLET, pleurant.

Pour cela, je suis bien malheureux d’être venu ici !

M. DU CORNET.

Qu’est-ce que vous dites ? Allons, vous êtes un fripon : rendez-la tout-à-l’heure.

M. DU TROUILLET.

Mais, Monsieur, je vous jure que je ne l’ai pas.

M. DU CORNET.

Du Croc ?

M. DU CROC.

Mais je ne saurois croire qu’il l’ait.

M. DU CORNET.

Je te dis que si. Allons, finissez, que je ne vous le dise pas deux fois.

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Scène IX.

Mad. DE LA TASSE, Mlle . CÉCILE, M. DU TROUILLET, M. DU CROC, M. DU CORNET, M. DU PONT, LOUIS.
Mad. DE LA TASSE.

Comment donc, Messieurs, qu’est-ce que c’est que ce bruit-là ?

M. DU CORNET.

Madame, vous arrivez à propos pour faire rendre à Du Croc une bague que cet homme-là lui a volé.

Mad. DE LA TASSE.

Quoi ! Monsieur, chez moi ?

M. DU TROUILLET.

Madame, vous ne me connoissez pas ; je viens pour être votre gendre ; je m’appelle Du Trouillet.

M. DU CORNET.

Je vous dis, Madame, que c’est un voleur.

Mad. DE LA TASSE.

Comment ?

M. DU CORNET.

Oui, Madame, il ne vouloit pas me payer cinquante louis que je lui ai gagné.

Mad. DE LA TASSE.

Quand cela ?

M. DU CORNET.

Ici, tout-à-l’heure.

Mad. DE LA TASSE.

Quoi, Monsieur, vous êtes joueur, & vous jouez si gros jeu encore ?

M. DU TROUILLET.

Non, Madame, ne croyez pas…

M. DU CORNET.

Comment, vous osez soutenir…

Mad. DE LA TASSE.

Un moment, Messieurs, il peut être joueur, mais je ne crois pas qu’il soit un voleur. Comment est faite votre bague, Monsieur Du Croc ?

M. DU CROC.

C’est une pierre jaune, entourée.

Mad. DE LA TASSE.

Eh bien, Monsieur Du Trouillet n’a qu’à se fouiller.

M. DU TROUILLET, désespéré.

Ah ! c’est bien traître celui-là !

Mad. DE LA TASSE.

Comment, vous ne le voulez pas ?

M. DU TROUILLET.

Pardonnez-moi, Madame.

M. DU CROC.

Cela n’est pas nécessaire, je la lui ai vu mettre dans sa bouche ; il n’a qu’à l’ouvrir.

M. DU TROUILLET.

Mais…

Mad. DE LA TASSE.

Allons, Monsieur, ouvrez la bouche.

M. DU TROUILLET.

Eh bien, oui, Madame, j’ai une bague ; mais c’est la mienne ; la voilà. (Il tire la bague de sa bouche.) Monsieur le sait bien.

Mad. DE LA TASSE.

C’est celle de Monsieur Du Croc. (Elle la donne à M. Du Croc.) Monsieur, je vous prie de ne le pas faire arrêter ; son pere est un très-honnête-homme, qui ne mérite pas d’avoir pour fils un coquin.

M. DU CROC.

Madame, c’est à votre considération que je ne lui ferai rien.

M. DU TROUILLET.

Mais, Madame, pouvez-vous croire que votre gendre…

Mad. DE LA TASSE.

Mon gendre ; un voleur, mon gendre ! non, misérable, tu ne le seras jamais.

M. DU TROUILLET.

Si vous vouliez m’entendre…

M. DU CROC.

Madame, puisque Monsieur n’épouse pas Mademoiselle Cécile, vous savez les propositions que je vous ai faites.

Mad. DE LA TASSE.

Oui, Monsieur ; je les accepte de tout mon cœur.

M. DU PONT, se levant.

Ah ! Madame, arrêtez.

Mad. DE LA TASSE.

Quoi donc ?

M. DU CROC.

Que voulez-vous dire, Monsieur ?

M. DU PONT.

Que je vais tout découvrir : oui, Messieurs, vous êtes deux fripons.

M. DU CROC.

Monsieur.

M. DU PONT.

Je ne crains pas de le dire, & Louis est témoin : vous avez cru qu’il ne vous entendoit pas, & que je dormois, vous avez forcé Monsieur Du Trouillet de vous donner cinquante louis, qu’il n’avoit pas joué ; & la bague que vous venez de lui prendre est la sienne, qu’il avoit dit à Monsieur Du Croc, qu’il cachoit dans sa bouche, de peur que Monsieur Du Cornet ne la lui fît perdre en jouant.

M. DU CROC.

Ce n’est pas vrai.

M. DU PONT.

Vous avez eu affaire à un nigaud, & vous l’attendiez pour cela.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, je vous suis bien obligé de prendre mon parti.

M. DU CORNET.

Monsieur, savez-vous que vous risquez beaucoup ?

M. DU PONT.

Messieurs, je vous connois, & vous risquez plus que moi, car si vous ne rendez pas les cinquante louis & la bague, nous allons envoyer chercher un Commissaire.

M. DU CROC.

Monsieur, Monsieur, il ne faut pas faire tant de bruit ; tout ceci n’étoit qu’un jeu, nous n’avions pas envie de rien garder, & vous allez le voir.

M. DU PONT.

A la bonne heure.

M. DU TROUILLET.

Quoi, on me rendra tout ?

M. DU CROC.

Sans doute. Voilà votre bague.

M. DU CORNET.

Et voilà vos cinquante louis.

M. DU TROUILLET.

Ah ! Messieurs, que je vous ai d’obligation !

M. DU CROC.

Madame, nous ne reviendrons plus ici ; puisqu’on n’y entend pas mieux la plaisanterie que cela.

Mad. DE LA TASSE.

Tant mieux, Messieurs, tant mieux.

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Scène X.

Mad. DE LA TASSE, Mlle . CÉCILE, M. DU TROUILLET, M. DU PONT, LOUIS.
LOUIS, regardant à la porte.

Ah ! pardi, ils s’en vont grand train ; ils ne demandent pas leur reste.

M. DU TROUILLET.

Monsieur, je vous remercie bien. Vous voyez, Madame, que je ne suis ni un joueur, ni un fripon.

Mad. DE LA TASSE.

Non ; mais vous êtes un grand nigaud.

M. DU TROUILLET.

J’aurois été bien fâché de ne pas épouser Mademoiselle votre fille ; car je la trouve bien jolie, & je l’aimerai bien.

Mad. DE LA TASSE.

Oui ; mais elle n’est pas pour vous ; je ne veux pas que ma fille soit la femme d’un sot : vous pouvez vous en retourner à Poissy, dire cela à Monsieur votre pere, & lui faire bien mes complimens.

M. DU TROUILLET.

Pardi, j’ai fait là un beau voyage !

Mad. DE LA TASSE.

Vous le méritez.

M. DU TROUILLET.

Oui ; mais comment ferai-je pour m’en aller ? La charrette aux veaux sera peut-être partie à présent. Adieu donc, Madame ; adieu, Mademoiselle, adieu Monsieur.

Mad. DE LA TASSE.

Adieu, adieu.

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Scène XI.

Mad. DE LA TASSE, Mlle . CÉCILE, M. DU PONT, LOUIS.
Mad. DE LA TASSE.

Pour cela, Monsieur, je vous remercie bien ; vous m’avez empêché de donner ma fille à un fripon & à un sot, je n’oublierai jamais cela.

M. DU PONT.

Madame, si vous vouliez…

Mad. DE LA TASSE.

Quoi ?

M. DU PONT.

Vous feriez mon bonheur en me l’accordant ; nous nous aimons depuis long-tems.

Mad. DE LA TASSE.

Il falloit donc le dire plutôt, & tout cela ne seroit peut-être pas arrivé. Voilà donc pourquoi vous étiez si triste, Cécile ?

Mlle . CÉCILE.

Oui, ma chere mere.

Mad. DE LA TASSE.

Ah ça, je ne demande pas mieux ; mais il faut savoir qui vous êtes, Monsieur.

M. DU PONT.

Madame, je m’appelle Du Pont, & je suis le neveu de Monsieur de la Forêt, que vous connoissiez.

Mad. DE LA TASSE.

Comment, que je connoissois ? il étoit mon compere. Je vous connois aussi ; je vous ai vu tout petit, & vous étiez bien gentil. Allons, allons, mes enfans, entrons là-dedans, & nous arrangerons tout cela ; je serai fort aise que vous soyez mon gendre.

M. DU PONT.

Eh bien, Mademoiselle ?

Mlle . CÉCILE.

Ah ! Monsieur Du Pont que je suis contente !

M. DU PONT.

Je me flatte que vous le serez toujours, du moins je ferai tout ce que je pourrai pour cela.


Fin du soixante-sixieme Proverbe.
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Explication du Proverbe :

66. Il ne faut pas se Confesser au Renard.