Proverbes dramatiques/Tome VII/Avertissement

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AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR


Dans cette suite de Proverbes, on en trouvera plusieurs qui pourroient tenir lieu, de petites comédies ; mais on a pensé qu’en ne mettant pas de prétentions à ces sortes de drames, ce seroit suivre l’opinion du Public, qui les appelleroit toujours des Proverbes. Eh, qu’importe le nom, pourvu qu’on s’en amuse !

On s’occupe peu à Paris des pieces qu’on fait imprimer, lorsqu’on ne les a pas vu jouer ; pourquoi cela ? C’est que l’on n’a pas le temps de lire, qu’on ne s’en avise jamais que sur la réputation du livre, qui n’en sauroit avoir avant d’être lu, & que l’on croit que tout ce qui n’a pas été joué sur le théâtre public, n’étoit pas fait pour l’être ; sans penser aux difficultés que peut rencontrer un Auteur, pour faire jouer ses ouvrages.

Tout le monde n’est pas en état de juger de l’effet d’une piece à la lecture, & voilà pourquoi les sociétés particulieres des environs de Paris jouent rarement d’autres pieces que celles qui ont été représentées sur les théâtres publics : si l’on en propose d’autres, après les avoir lues légérement, on en revient aux pieces connues, parce que la maniere de les jouer est indiquée par les Comédiens, & que tout en convenant qu’il ne faut pas les copier, on devient leur imitateur sans le savoir, ce qui ennuie très-fort ceux qui assistent à ces représentations. Pour éviter cet inconvénient, il faudroit réfléchir, & beaucoup, sur son rôle, & peut-être qu’avec de l’étude on pourroit le jouer d’une maniere neuve. Réfléchir sur mon rôle, s’écriera l’Acteur de société : il faudroit passer trop de temps ; à peine ai-je celui de l’apprendre, & puis je crois que, lorsqu’on sent un rôle, il ne faut pas beaucoup de réflexion. Voilà comme raisonne quelquefois l’homme du monde ; il croit posséder, sans y avoir jamais pensé, un talent qui, pour les gens du métier, ne s’obtient qu’après une étude profonde & une habitude continuelle du théâtre. Mais, répondra-t-il, je ne veux pas jouer en comédien, et il aura raison. L’on n’amuse le spectateur que par la plus exacte vérité, & quelques particuliers l’ont prouvé sur des théâtres de société ; aussi ont-ils fait le plus grand plaisir aux connoisseurs du meilleur ton ; mais ils jouoient des pièces faites pour eux ; aussi ils étoient loin d’imiter les défauts des Comédiens, en voulant imiter leurs talents. Cela est si vrai, que l’usage qu’ont pris plusieurs d’entre eux de bégayer, d’hésiter, d’ajouter des ah, des oh, & des mais, même dans les pieces en vers, devient contagieux pour les Acteurs de société. Mais ces derniers n’en sont pas moins satisfaits de leur jeu, & prennent pour vrai les compliments qu’on se croit obligé de leur faire, & dont on se dédommage bien en revenant de les voir jouer. Il faut être bien fou, dit-on, pour tuer les chevaux pour aller voir des pieces que l’on connoît, & qui sont cent fois mieux jouées à Paris ; moi sur-tout qui avois aujourd’hui ma petite loge. Il est vrai que le seul intérêt qui mene à ces représentations cesse, dès qu’on en a vu tous les Acteurs, ce qui peut arriver dès le premier acte.

Les pieces non connues ont tout un autre attrait, & le mérite des Acteurs est plus satisfaisant : la curiosité des spectateurs alors est prolongée, & tient en entier à la piece, & l’on s’en amuse davantage. Telle piece qui aura beaucoup de vérité, jouée par les gens du monde, plaira plus sur un théâtre particulier, qu’entre les mains des Acteurs de profession, qui jouent pour le parterre, à qui ils s’adressent pour en être applaudis, sur-tout dans les à parte, & toujours dans les monologues, où ils semblent vouloir le haranguer.

Les Comédiens, dédaignant tout ce qui n’a pas été joué sur leur théâtre, sans même le connoître, vous diront, si vous les consultez sur le choix des pieces : Vous en avez tant de jolies chez nous ; pourquoi en prendre ailleurs ? Croyez-vous que si celles qu’on vous propose étoient bonnes, que nous ne les aurions pas jouées ? Et voilà comme ils vous feront renoncer au mérite de la nouveauté, qui sera cependant toujours celui des pieces qui ne sont qu’imprimées.

Lorsqu’on joue en société des pieces nouvelles, c’est que les Auteurs sont de la société ; mais on croit leur faire grace en jouant leurs pieces, & même avoir beaucoup de complaisance de les écouter, lorsqu’ils vous expliquent le sens & le ton de chaque rôle ; encore quelquefois ne les écoute-t-on pas. Mais le meilleur moyen, dira-t-on, quand on veut faire jouer une piece nouvelle, ce seroit de mettre à côté des noms des personnages, ceux des Acteurs connus ; pour lors on sauroit, même sans lire la piece, s’il y a des rôles pour chaque Acteur de la société ; sans cela, comment décider quelque chose ? Car on ne dit plus à présent : je fais le rôle d’amoureux, de caractere, de valet, &c ; mais on dit je fais le rôle d’un tel ; & par cette raison, ceux qui auroient fait autrefois le rôle de Damon dans le Philosophe marié, jouent actuellement le rôle du Marquis de Lauret, qui est un sage caché sous un joyeux maintien.

Une observation, qui arrête une troupe de société, est qu’il peut arriver que si la piece nouvelle ne réussit pas, & quelquefois parce qu’elle sera mal jouée, les mêmes gens qui seroient fâchés de voir des pieces connues, diront aussi pourquoi ne pas jouer des pieces qui ont un succès assuré ? On pourroit leur répondre que même des pieces de Moliere mal jouées, ne réussissent pas davantage, & qu’on souffre un peu plus à les voir estropiées.

Il y a pourtant des exemples de pieces non jouées à Paris, que l’on n’avoit point cru bonnes à la lecture, qui ont eu le plus grand succès sur les théâtres de province. Il semble à Paris qu’on imagine qu’il ne sauroit y avoir de goût, de ton, d’esprit & de sentiment ailleurs. Pourquoi n’y jugeroit-on pas plus sainement ? Exempt de prévention, c’est d’après ce qu’on sent que l’on juge. On n’est pas toujours pressé de décider, & l’on ne rougit pas de s’être amusé, lorsqu’une tête légere arrive, & s’écrie en sortant d’une piece nouvelle : Cela est odieux ! misérable ! détestable ! ou bien il dit pour tout éloge d’une piece qui a réussi : Il y a quelques scenes, des vers heureux ; cela aura quelques représentations ; ou si c’est un ami de l’Auteur qui parle : Depuis Moliere, il n’y a rien eu comme cette piece-là ! Autre extrémité qui fait autant de tort à l’ouvrage que la premiere décision.

Si l’on joue ces Proverbes avec soin, peut-être réussiront-ils ; mais il faut en bannir la charge ; elle est aussi loin du bon goût que de la vérité, & le masque de la farce avilit toujours celui qui le porte.