Pseudolus (trad. Sommer)
Pseudolus ou le Trompeur, était une des pièces de prédilection de Plaute, s’il faut s’en rapporter à la phrase que Cicéron met dans la bouche de Caton : « Que Plaute aimait son Pseudolus ! qu’il aimait son Truculentus[1] ! » Cette prédilection ne s’explique guère, et si nous étions chargé d’assigner des rangs aux pièces de Plaute, nous n’accorderions certainement le premier ni à Pseudolus ni à Truculentus. Mais peut-être Cicéron n’exprimait-il que le jugement du public de son époque, et ce jugement était influencé sans doute par la perfection avec laquelle le fameux Roscius représentait le personnage du marchand d’esclaves, Ballion[2].
L’intrigue, dans Pseudolus, n’a rien de bien nouveau : c’est l’éternelle lutte de l’esclave contre son vieux maître et contre un entremetteur. Cette intrigue est bien conçue, assurément, mais il n’y a pas beaucoup d’originalité dans les moyens. Elle peut offrir des points curieux de comparaison et de rapprochement avec les autres comédies de Plaute qui reposent sur les mêmes données, mais à la longue on se fatigue de ce retour perpétuel des mêmes personnages, si peu intéressants par eux-mêmes : l’esclave fourbe et hardi, le marchand fripon et parjure. On a d’ailleurs remarqué, et avec raison, un double défaut : le caractère du vieux père change tout à coup sans motif. Courroucé d’abord au plus haut degré contre l’esclave qui contribue à pervertir son fils, il envient subitement à faire contre lui une gageure. L’esclave s’engage à duper le marchand, à duper le vieillard, et bien qu’une seule de ses ruses ait réussi, le père se déclare satisfait et pardonne.
L’intrigue est donc, dans Pseudolus, le côté faible ; mais ce qui a valu à cette pièce l’admiration du public romain, ce qui fait que de nos jours encore la lecture n’en est pas sans charme, c’est le caractère si vigoureusement dessiné de Ballion, dont le nom fut appliqué par la suite à tous les membres de cette infâme corporation.
Un militaire paye quinze mines argent comptant à un marchand d’esclaves, et lui laisse une marque pour qu’il remette Phénicie à celui qui apportera la marque pareille avec le restant de la somme. Le valet du militaire arrive ; Pseudolus lui escroque la marque en se donnant pour Syrus, esclave de Ballion. Il aide par là son maître, car le marchand livre la femme à Simia, aposté par Pseudolus. Le véritable Harpax vient bientôt ; on découvre le mystère, et le vieux père paye la somme qu’il avait gagée.
PSEUDOLUS, esclave de Simon.
CALIDORE, fils de Simon.
BALLION, prostitueur.
ESCLAVES CORRECTEURS.
SIMON, père de Calidore.
CALLIPHON, vieillard, ami de Simon
HARPAX, domestique d’un militaire.
CHARIN, ami de Calidore.
UN ESCLAVE de Ballion.
UN CUISINIER.
SIMIA, esclave de Charin.
PHÉNICIE, maîtresse de Calidore, personnage muet.
Accordez-moi aujourd’hui une attention favorable : je vous apporte d’heureux présages ; car il me paraît très-juste d’annoncer de bonnes choses à des gens de bien, et de mauvaises aux méchants, afin que ceux-ci n’éprouvent que du mal, et ceux-là, que le bien dont ils sont dignes. Les méchants sont méchants parce qu’ils haïssent les bons, et les bons ne sont tels que par la haine qu’ils ont pour les méchants. Ainsi, spectateurs, vous êtes, bons, parce que vous avez été constamment ennemis des méchants, que vous les avez éloignés de vous par la force des lois et par la valeur de vos légions, qui les ont combattus avec un brillant succès. Vous donc, Romains, qui êtes bons, accordez aussi une bonne attention à cette- troupe assez bonne, qui va offrir aujourd’hui de bonnes choses à de bonnes gens. Vos oreilles, vos yeux, votre esprit, n’auront rien à désirer. Si quelqu’un est venu ici à jeun ou bien altéré, ayant le ventre creux, il ne lui prendra envie ni de rire, ni de dormir ; il sera bien éveillé ; et les affamés, en voyant rire de bon cœur ceux qui auront copieusement diné, ne pourront s’empêcher de mordre. Maintenant, si vous faites bien, vous autres qui êtes à jeun, retirez-vous, allez-vous-en ; pour vous qui êtes rassassiés, restez debout, ou plutôt asseyez-vous et écoutez attentivement. Je ne vous dirai à présent ni le nom ni le sujet de cette comédie ; Pseudolus vous l’apprendra suffisamment ; il suffit, si j’ai bien calculé, de vous avoir dit ce que je vous ai dit ; car dans une pièce où se trouvent les jeux, les ris, l’agrément, les effets du vin et la joyeuse ivresse, les grâces, la beauté, la gaieté, y chercher autre chose, c’est vouloir s’attirer une méchante affaire. Débarrassez-vous à présent de toutes inquiétudes pour jouir d’une pleine liberté d’esprit ; sans quoi il vaut mieux se lever et s’en aller. Une longue comédie de Plaute va paraître en scène.
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ACTE I.
SCÈNE I. — PSEUDOLUS, CALIDORE.
PSEUDOLUS. Si votre silence, mon maître, pouvait m’apprendre quels chagrins vous minent si misérablement, j’épargnerais volontiers une peine à deux personnes, à moi celle de vous interroger, à vous celle de me répondre. Mais puisque cela ne se peut, la nécessité m’oblige à vous questionner. Répondez-moi donc : pourquoi depuis tant de jours déjà cet abattement, ces tablettes que vous portez avec vous, que vous arrosez de vos larmes, sans ouvrir votre cœur à qui que ce soit ? Parlez, que je sache avec vous ce que j’ignore encore.
CALIDORE. Je suis bien malheureux, Pseudolus !
PSEUDOLUS. Que Jupiter vous en préserve !
CALIDORE. Cela ne dépend pas de Jupiter : c’est sous l’empire de Vénus que je souffre, et non sous le sien.
PSEUDOLUS. Puis-je savoir de quoi il est question ? Jusqu’à présent vous m’avez toujours initié à tous vos secrets.
CALIDORE. Je n’ai pas changé de sentiments à ton égard.
PSEUDOLUS. Allons, dites-moi ce que vous avez. Je vous aiderai de ma bourse ou de mes services ou d’un bon conseil.
CALIDORE. Prends ces tablettes, et raconte-toi à toi-même les soucis et les peines qui me consument.
PSEUDOLUS. J’obéis ; mais qu’est-ce à dire ?
CALIDORE. Quoi donc ?
PSEUDOLUS. On dirait que ces lettres veulent faire des petits ; elles montent l’une sur l’autre.
CALIDORE. Encore tes plaisanteries !
PSEUDOLUS. Ma foi, à moins qu’une sibylle ne les déchiffre, je crois que personne n’y verra que du feu.
CALIDORE. Comment peux-tu traiter si brutalement ces lettres charmantes, ces charmantes tablettes, écrites par une charmante main ?
PSEUDOLUS. Est-ce donc, dites-moi, que les poules aussi ont des mains ? C’est une poule qui a écrit cela.
CALIDORE. Tu es assommant. Lis-les, ou rends-les-moi.
PSEUDOLUS. Non, je les lirai d’un bout à l’autre. Attention.
CALIDORE. Je n’ai pas l’esprit présent.
PSEUDOLUS. Citez-le à comparaître.
CALIDORE. Non, je me tairai ; fais ta sommation à ces tablettes : c’est là qu’est mon esprit pour le quart d’heure, et non dans ma tête.
PSEUDOLUS. Je vois votre bonne amie, Calidore.
CALIDORE. Où est-elle, de grâce ?
PSEUDOLUS. La voici tout de son long sur ces tablettes ; elle est couchée sur la cire.
CALIDORE. Que les dieux et les déesses te…
PSEUDOLUS. Qu’ils me comblent de biens.
CALIDORE. Comme l’herbe que voit naître le solstice, j’ai existé un moment ; tout à coup je vois le jour, et tout à coup je péris.
PSEUDOLUS. Taisez-vous au moins, tandis que je lis.
CALIDORE. Lis donc.
PSEUDOLUS. « Phénicie à son amant Calidore. Par cette cire, ce lin, ces lettres, mes interprètes, je te salue et réclame ton salut, pleurante et toute éperdue de cœur, d’âme et d’esprit. »
CALIDORE. Je n’en puis plus, Pseudolus ; je ne trouve nulle part de salut à lui rendre.
PSEUDOLUS. Quel salut ?
CALIDORE. De l’argent.
PSEUDOLUS. Comment, pour un salut sur du bois vous rendriez un salut en argent ? Un beau commerce, ma foi.
CALIDORE. Lis toujours : tu verras assez par ces tablettes quel pressant besoin j’ai de trouver de l’argent.
PSEUDOLUS. « Mon maître m’a vendue vingt mines à un militaire macédonien pour aller à l’étranger, mon cher cœur. Avant de partir, le militaire a versé quinze mines, et il n’en reste plus que cinq à payer. Il a laissé ici un signe, une empreinte de son portrait qui est gravé sur son cachet, et l’on doit me faire partir avec celui qui viendra présenter un signe semblable. Le jour est déjà fixé ; c’est la prochaine fête de Bacchus. »
CALIDORE. C’est demain : le moment de ma perte est arrivé, si je ne trouve en toi quelque secours.
PSEUDOLUS. Laissez-moi achever.
CALIDORE. Je le veux bien ; il me semble que je m’entretiens avec elle ; lis, tu me verses à la fois l’absinthe et le miel.
PSEUDOLUS. « Et maintenant nos amours, nos habitudes, notre commerce, jeux, plaisirs, causeries, suaves baisers, étroites étreintes de deux corps passionnés, douces morsures de mignonnes lèvres, frémissements d’un sein gonflé de volupté,, pour moi, pour toi aussi, toutes ces jouissances sont perdues, détruites, anéanties, si nous ne trouvons, moi en toi, toi en moi, le salut. Tout ce que je savais, j’ai voulu te le faire savoir. Je verrai maintenant si tu m’aimes ou si tu fais semblant de m’aimer. Adieu. »
CALIDORE. Pseudolus, que cette lettre est touchante !
PSEUDOLUS. Oh ! très-touchante.
CALIDORE. Et tu ne pleures pas ?
PSEUDOLUS. J’ai des yeux de roc ; je ne puis leur faire suer une seule larme.
CALIDORE. Comment cela ?
PSEUDOLUS. Dans notre famille on a toujours eu les yeux secs.
CALIDORE. Ne veux-tu donc pas m’aider ?
PSEUDOLUS. Que puis-je faire pour vous ?
CALIDORE. Hélas !
PSEUDOLUS. Oh ! pour des hélas, ma foi, ne m’épargnez pas, je vous en donnerai.
CALIDORE. Je suis bien à plaindre ; je ne trouve point d’argent à emprunter, Pseudolus.
PSEUDOLUS. Hélas !
CALIDORE. Et pas une obole à la maison.
PSEUDOLUS. Hélas !
CALIDORE. Demain on me l’emmènera.
PSEUDOLUS. Hélas !
CALIDORE. Est-ce ainsi que tu me viens en aide ?
PSEUDOLUS. Je donne ce que j’ai. Des hélas, c’est un trésor dont la source chez moi ne tarit jamais.
CALIDORE. C’est fait de moi aujourd’hui ; mais ne peux-tu me prêter une pauvre drachme que je te rendrais demain ?
PSEUDOLUS. J’aurais beau, je crois, me mettre moi-même en gage. Mais que voulez-vous faire d’une drachme ?
CALIDORE. Acheter une corde.
PSEUDOLUS. Pour quoi faire ?
CALIDORE. Pour me pendre. J’y suis décidé, avant la nuit je me plongerai dans la nuit.
PSEUDOLUS. Eh alors, qui me rendra ma drachme, si je vous la prête ? N’irez-vous pas vous pendre tout exprès pour me faire tort de la drachme que vous me devrez ?
CALIDORE. A aucun prix je ne consentirai à vivre, si on me sépare d’elle, si on l’emmène loin de moi.
PSEUDOLUS. Pourquoi pleurer, triste coucou ? vous vivrez.
CALIDORE. Mais aussi, comment ne pas pleurer, quand je niai pas un denier vaillant, pas une obole à espérer au monde ?
PSEUDOLUS. Autant que je peux comprendre le langage de cette lettre, si vous ne lui versez des larmes d’argent, ces pleurs par lesquels vous voulez prouver votre tendresse lui feront absolument le même effet que si vous jetiez de l’eau dans un crible. Mais, pauvre amoureux, ne craignez rien, je ne vous abandonnerai pas. J’espère trouver aujourd’hui même par quelque moyen, bon ou mauvais, de l’argent pour vous aider.
CALIDORE. Où cela ?
PSEUDOLUS. Où ? je serais bien en peine de le dire ; mais ce sera ainsi, je le sens à mon sourcil qui tressaille.
CALIDORE. Ah ! plaise aux dieux que l’effet réponde aux-paroles !
PSEUDOLUS. Vous savez, ma foi, quand j’entre en campagne, comme je m’entends à mettre tout sens dessus dessous.
CALIDORE. Toutes les espérances de ma vie sont en toi.
PSEUDOLUS. Serez-vous content si je fais qu’aujourd’hui votre belle vous appartienne, ou si je vous donne vingt mines ?
CALIDORE. Oui certes, si tu en viens à bout.
PSEUDOLUS. Demandez-moi donc vingt mines, pour que vous voyiez que je suis en état de tenir mes promesses. Çà, voyons, demandez ; je grille de promettre.
CALIDORE. Veux-tu me donner aujourd’hui vingt mines d’argent ?
PSEUDOLUS. Oui, et ne m’importunez plus. Et pour que vous ne prétendiez pas que vous n’étiez pas averti, je vous préviens que, si je ne peux pas trouver d’autre dupe, c’est votre père lui-même que je mettrai dedans.
CALIDORE. Que tous les dieux te bénissent ; mais, si c’est possible, je te prie, en bon fils, de ne pas épargner ma mère.
PSEUDOLUS. Pour cela, vous pouvez dormir sur les deux yeux.
CALIDORE. Sur les deux yeux ou sur les deux oreilles ?
PSEUDOLUS. Oh ! c’est trop commun… Et maintenant, pour que nul ne prétende en ignorer, je préviens tout le monde, en présence de la jeunesse ici rassemblée, public, amis, connaissances, de se défier de moi aujourd’hui, de ne me croire en rien.
CALIDORE. Paix ! tais-toi, je te prie.
PSEUDOLUS. Qu’y a-t-il ?
CALIDORE. La porte de Ballion crie.
PSEUDOLUS. Si seulement c’étaient ses jambes !
CALIDORE. Le voilà lui-même qui sort, le mauvais drôle.
SCÈNE II. — BALLION, QUATRE ESCLAVES, PSEUDOLUS, CALIDORE.
BALLION, aux esclaves[5]. Sortez ! allons, sortez, garnements, fléaux d’un maître, ruineuse emplette, qui n’avez jamais l’idée de bien faire, et dont on ne peut jamais jouir à moins de s’y prendre comme cela. (Il leur donne des coups.) Je n’ai jamais vu de pareils ânes à deux pieds, tant ils ont les côtes endurcies aux coups. Battez-les, vous vous faites plus de mal qu’à eux ; ils sont d’un tempérament ! le fouet s’use sur leur dos. Ils n’ont qu’une chose dans la tête : si tu trouves ta belle, vole, filoute, attrape, agrippe, bois, mange, sauve-toi, c’est là tout ce qu’ils savent faire. Mieux vaudrait mettre le loup dans la bergerie que d’avoir chez soi de semblables gardiens. Avoir leur face, on ne les croirait pas malins ; mais à l’œuvre, comme on est trompé ! Ça, si vous ne faites tous attention à mes ordres, si vous ne chassez de vos yeux et de votre cœur le sommeil et la paresse, je prends des étrivières et vous travaille les flancs de façon à vous les bigarrer du haut en bas ; on y verra plus de dessins que sur une : tenture de Campanie ou sur la pourpre à ramages des tapisseries alexandrines. Hier je vous avais prévenus, j’avais donné à chacun son emploi : mais vous êtes si vauriens, si fainéants, si mauvais drôles, qu’il faut vous rappeler au devoir à coups de fouet. Puisque vous êtes comme cela, tâchez donc d’être plus durs que lui (Il montre son fouet) et que moi. Mais voyez un peu où ils ont la tête ! attention, qu’on m’écoute. Ouvrez l’oreille à ce qu’on vous dit, gibiers de potence. Jamais, ma foi, votre cuir ne sera plus dur que cette maîtresse lanière. (Il les bat.) Eh bien, cela se sent-il ? Tenez, c’est comme cela qu’on y va, quand l’esclave fait fi du maître. Avancez tous, devant moi, et ne perdez pas une de mes paroles… Toi qui tiens la cruche, apporte de l’eau et remplis lestement la chaudière… Toi, avec ta hache, je mets dans ton département le bois à fendre.
L’ESCLAVE. Elle est toute émoussée.
BALLION. Qu’elle soit ; vous l’êtes bien tous par les coups ; est-ce que je me sers moins de vous à cause de cela ?… Toi, tu ; nettoieras la maison ; tu as de la besogne, rentre au plus vite… Toi, tu apprêteras le couvert ; relave l’argenterie et range-la. Faites en sorte, quand je reviendrai de la place, que je trouve tout préparé, balayé, arrosé, essuyé, étalé, tout en bon point. C’est aujourd’hui mon jour de naissance, vous devez tous le célébrer… Mets à tremper un jambon, un filet, une langue, une tétine : m’entends-tu ? Je veux recevoir sur un grand pied des personnages d’importance, je veux qu’ils me croient du bien… Rentrez, et vitement à l’œuvre, qu’il n’y ait point de retard quand le cuisinier arrivera. Moi je vais au marché acheter les poissons les plus chers… Marche devant, gamin, qu’on ne fasse pas un trou à ta bourse. Non, attends, j’allais oublier, j’ai encore quelque chose à dire à la maison… Écoutez, les femmes, voici mes ordres. Vous qui passez votre vie dans l’élégance, la mollesse et les délices, et qui êtes la coqueluche des amants les plus huppés, je vais bien voir aujourd’hui quelle est celle qui songe à sa liberté, à sa subsistance, à son bien, ou qui ne pense qu’à dormir ; je connaîtrai celle dont je dois faire mon affranchie et celle que je mettrai en vente. Ayez soin que les cadeaux des galants pleuvent chez moi aujourd’hui. Si je n’ai dans la journée de quoi vivre une année entière, demain vous serez filles publiques. Vous savez que c’est mon jour de naissance : où sont-ils, ceux qui vous aiment comme la prunelle de leurs yeux, qui vous appellent « ma vie, mon bonheur, mon suave baiser, mon charmant bouton, mon doux miel ? » Tâchez que toute la bande vienne à ma porte tantôt, lestée de présents ! Que me sert de vous fournir des habits, des bijoux et tout ce qu’il vous faut ? qu’est-ce que je retire de votre savoir-faire, carognes, si ce n’est de l’ennui ? Vous n’aimez que le vin : aussi vous êtes sans cesse à vous arroser le bec, tandis que j’ai le gosier sec… Mais ce que j’ai de mieux à faire, c’est d’appeler chacune par son nom, afin que nulle de vous ne puisse dire que je ne l’ai pas avertie. Écoutez-moi donc toutes… A toi d’abord, Hédylie ; tu es la maîtresse de ces marchands de blé qui ont chez eux des tas de froment hauts comme des montagnes : fais en sorte qu’on m’en apporte de quoi me nourrir toute l’année, moi et tous mes gens, que ma maison en soit inondée, que les bourgeois changent mon nom, et au lieu de Ballion m’appellent le roi Jason.
CALIDORE. L’entends-tu, le pendard ? Fait-il assez le fier ?
PSEUDOLUS. Oui, ma foi, et le fier drôle encore ; mais silence, écoutez.
BALLION. Toi, Eschrodore, tu as pour amants nos émules, les bouchers[6], qui s’enrichissent comme nous à force de parjures. Attention : si je n’ai pas aujourd’hui trois énormes crocs, garnis, chargés de viandes, demain, comme on dit que dans le temps les fils de Jupiter attachèrent Dircé à un taureau, je te lierai au croc : ce sera ton taureau, à toi.
PSEUDOLUS. Les propos du coquin me font bouillir le sang. Et dire que nos jeunes Athéniens souffrent dans la ville un être pareil ! Où sont-ils, où se cachent-ils, les vigoureux gaillards qui viennent faire l’amour dans ces coupe-gorge ? Ne peuvent-ils se rassembler tous et délivrer le peuple de ce fléau ? Mais suis-je bête, suis-je sot ! qu’ils aient ce courage ! L’amour les force de courtiser ces misérables et les empêche de se montrer contre eux comme ils voudraient.
CALIDORE. Ah ! tais-toi.
PSEUDOLUS. Qu’est-ce donc ?
CALIDORE. Ton caquet m’ennuie et couvre sa voix.
PSEUDOLUS. Je me tais.
CALIDORE. Il vaut mieux te taire que de dire : Je me tais.
BALLION. Toi, Xystilis, attention : tes amoureux ont chez eux je ne sais combien de tonnes d’huile. Si on ne m’en apporte de pleines outres, je te ferai conduire demain dans certain cabinet. Là on te donnera une couchette où tu ne fermeras pas l’œil, mais où jusqu’à extinction… Tu entends ce que parler veut dire ? Comment, vipère, quand tu as tant d’amants si bien approvisionnés d’huile, aucun de tes camarades n’a aujourd’hui, grâce à toi, la tête plus luisante ? et moi-même, mes ragoûts n’en sont pas plus gras ? Mais je le sais bien, tu te moques de l’huile, c’est le vin qui te charme. Attends seulement, je mettrai ordre à tout cela à la fois, coquine, si tu ne fais aujourd’hui ce que je dis… Quant à toi, qui es toujours à la veille de me compter le prix de ta liberté, tu es bonne prometteuse, mais mauvaise payeuse. C’est à toi que je parle, Phénicie, toi le charme de nos mirliflors ; mais s’il ne me vient aujourd’hui des domaines de tes amants provisions de toute espèce, demain, ma Phénicie, tu visiteras le cabinet avec une peau à la phénicienne.
SCÈNE III. — CALIDORE, PSEUDOLUS, BALLION.
CALIDORE. Pseudolus, entends-tu ce qu’il dit ?
PSEUDOLUS. Oui, maître, et je suis tout oreilles.
CALIDORE. Que me conseilles-tu de lui envoyer, pour l’empêcher de livrer ma maîtresse aux passants ?
PSEUDOLUS. Ne vous en tourmentez pas : soyez tranquille, je m’en charge pour vous et pour moi. Il y a longtemps que je lui veux du bien, il m’en veut aussi, notre amitié est de vieille date. Je lui enverrai aujourd’hui, pour son jour de naissance, une poire d’angoisse tout à point.
CALIDORE. Que faut-il faire ?
PSEUDOLUS. Occupez-vous d’autre chose.
CALIDORE. Mais…
PSEUDOLUS. Suffit.
CALIDORE. Je suis au supplice.
PSEUDOLUS. Endurcissez votre cœur.
CALIDORE. Je ne puis.
PSEUDOLUS. Tâchez de pouvoir.
CALIDORE. Comment pourrais-je triompher de mon cœur ?
PSEUDOLUS. Songez à ce qui est utile, au lieu d’écouter votre cœur au moment critique.
CALIDORE. Chansons que tout cela ! Pas de plaisir en amour si l’on ne fait quelque folie.
PSEUDOLUS. Encore ?
CALIDORE. Mon cher Pseudolus, laisse-moi déraisonner ; allons, laisse-moi.
PSEUDOLUS. Soit, pourvu que je m’en aille.
CALIDORE. Reste, reste : je serai comme tu voudras.
PSEUDOLUS. Bien, vous êtes sage, à présent.
BALLION. Le jour passe, je perds mon temps. (A son esclave.} Marche devant, mon garçon.
CALIDORE. Eh ! il s’en va : tu ne le rappelles pas ?
PSEUDOLUS. Qu’est-ce qui vous presse ? tout doux.
CALIDORE. Avant qu’il soit parti.
BALLION, à son petit esclave. Ah çà, drôle, tu marches comme une tortue.
PSEUDOLUS, courant après Ballion. Holà, l’homme à la fête, l’homme à la fête ! c’est à toi que je parle, hé ! l’homme à la fête ! reviens, regarde-nous. Tu as beau être pressé, demeure : on veut te parler.
BALLION. Qu’est-ce donc ? quel est l’importun qui veut m’arrêter quand je suis si pressé ?
CALIDORE. Un homme qui fut ton bienfaiteur.
BALLION. Celui qui fut n’est plus ; celui qui est, est.
PSEUDOLUS. Tu es bien fier.
BALLION. Et toi bien ennuyeux.
CALIDORE. Retiens-le, rattrape-le.
BALLION, à son esclave. Va, bambin.
PSEUDOLUS. Barrons-lui le passage.
BALLION. Jupiter te confonde, qui que tu sois.
PSEUDOLUS. Toi.
BALLION. Vous deux. (A son esclave.) Tourne par ici, mon garçon.
PSEUDOLUS. On ne peut donc te dire un mot ?
BALLION. Je n’en ai pas envie.
CALIDORE. Mais si c’est dans ton intérêt ?
BALLION. Ah çà, dis-moi, me laisseras-tu ou non suivre mon chemin ?
PSEUDOLUS. Hé ! arrête.
BALLION. Lâche-moi.
CALIDORE. Écoute, Ballion.
BALLION. Je suis sourd ; vos paroles ne sont que viande creuse, j’en réponds.
CALIDORE. Je t’ai donné tant que j’ai eu.
BALLION. Je ne réclame pas ce que vous m’avez donné.
CALIDORE. Je te donnerai quand j’aurai.
BALLION. Quand vous aurez, venez chercher la belle.
CALIDORE. Hélas ! hélas ! que j’ai misérablement perdu tout ce que j’ai porté chez toi, tout ce que je t’ai offert !
BALLION. La bourse est à sec, vous avez recours à la langue. C’est une sottise : ce qui est passé est passé.
PSEUDOLUS. Regarde au moins qui c’est.
BALLION. Il y a longtemps que je sais ce qu’il était ; à lui de savoir ce qu’il est à présent… (A son esclave.) Marche, toi.
PSEUDOLUS. Ne peux-tu pas enfin nous accorder un regard, Ballion, quand il y a profit pour toi ?
BALLION. À cette condition, Oui. Je sacrifierais au grand Jupiter, je tiendrais déjà les entrailles dans mes mains pour les mettre sur l’autel, que si l’on venait m’offrir du gain, je planterais là le sacrifice.
PSEUDOLUS, à part. On ne le prendra pas par la religion, à ce que je vois. Les dieux mêmes qui ont les premiers droits à nos respects, il s’en soucie comme de cela.
BALLION. Je veux lui parler. (A Pseudolus.) Salut au plus méchant des esclaves d’Athènes.
PSEUDOLUS. Que les dieux et les déesses te bénissent comme nous le souhaitons, lui et moi ; ou bien, selon tes mérites, qu’ils ne t’aiment ni ne te fassent aucun bien.
BALLION. Comment cela va-t-il, Calidore ?
PSEUDOLUS. On est amoureux, et on a la bourse affreusement plate.
BALLION. J’en aurais pitié, si avec cette denrée je pouvais nourrir ma maison.
PSEUDOLUS. Oh ! nous savons de quel bois tu te chauffes, tu n’as pas besoin de le dire. Mais sais-tu ce que nous voulons ?
BALLION. A peu près, ma foi : qu’il m’arrive malheur.
PSEUDOLUS. Oui, et autre chose qui fait que nous t’appelons : écoute un moment.
BALLION. J’écoute ; mais sois bref, car j’ai affaire.
PSEUDOLUS. Il est honteux de t’avoir promis, d’avoir pris jour, et de ne t’avoir pas encore donné ces vingt mines pour sa maîtresse.
BALLION. On supporte bien plus aisément la honte que le déplaisir. Il est honteux de n’avoir pas donné ; je suis mécontent de n’avoir pas reçu.
PSEUDOLUS. Mais il payera, il trouvera : patiente seulement quelques jours : il craint, que pour lui faire pièce, tu ne vendes sa maîtresse.
BALLION. Il y a longtemps qu’il aurait pu me payer, s’il avait voulu.
CALIDORE. Et si je ne l’ai pu ?
BALLION. Vous étiez amoureux ? on emprunte, on va chez l’usurier, on donne un petit surcroit d’intérêt, on vole son père.
PSEUDOLUS. Voler son père, scélérat ! Il n’y a pas de danger que tu donnes un bon conseil.
BALLION. Dans mon métier, cela ne va pas.
CALIDORE. Moi, que je puisse dérober une obole à mon père, un vieillard si avisé ? Et quand je le pourrais, la piété filiale me retiendrait.
BALLION. J’entends. Eh bien alors, caressez la nuit la piété filiale au lieu de Phénicie. Mais puisque cette piété, à ce que je vois, est plus forte chez vous que l’amour, tout le monde est-il votre père ? n’avez-vous personne à qui demander un prêt ?
CALIDORE. Ah ! Crédit est mort.
PSEUDOLUS. Hé ma foi, ces braves gens qui plantent là leur comptoir[7]… qui réclament ce qu’on leur doit et ne rendent) jamais ce qu’ils doivent, ils sont bien trop madrés pour prêter à qui que ce soit.
CALIDORE. Je suis bien à plaindre, je ne puis trouver une obole : ainsi je meurs misérablement et d’amour et de détresse.
BALLION. Ah ! par Hercule, achetez de l’huile à crédit et vendez-la au comptant. Vous pouvez, ma foi, vous faire ainsi quelque chose comme deux cents mines.
CALIDORE. O malheur ! la loi des vingt-cinq ans[8]) ne vient-elle pas me couper la gorge ? Tout le monde a peur de me faire crédit.
BALLION. La loi est la même pour moi, j’ai peur de faire crédit.
PSEUDOLUS. De faire crédit ? Ah çà, es-tu mécontent de ce que tu as gagné avec lui ?
BALLION. Le véritable amoureux est celui qui donne sans cesse, qui donne toujours : s’il n’a plus rien, qu’il cesse d’aimer.
CALIDORE. Tu n’as donc pas pitié de moi ?
BALLION. Vous êtes trop creux ; vos paroles ne sonnent pas. Mais je vous souhaite vie et contentement.
PSEUDOLUS. Eh mais, il est donc mort ?
BALLION. Qu’il soit ce qu’il voudra ; mais pour moi, avec tout ce qu’il me chante, il est mort. (A Calidore.) L’amoureux a vécu, dès qu’il ne sait pas plaire à l’entremetteur. Venez toujours chez moi avec des larmes d’argent ; quant à vos lamentations maintenant sur ce que vous n’avez pas une obole, c’est comme si vous vous plaigniez à une marâtre.
PSEUDOLUS. Son père t’aurait-il jamais pris pour femme ?
BALLION. Les dieux m’en préservent !
PSEUDOLUS. Fais ce dont nous te prions, Ballion, sur ma caution, si tu crains de lui faire crédit, à lui ; dans trois jours, soit sur terre soit sur mer, je t’aurai trouvé cet argent.
BALLION. Que je te fasse crédit, à toi ?
PSEUDOLUS. Pourquoi pas ?
BALLION. Te faire crédit ! autant vaudrait, ma foi, attacher avec des tripes d’agneau une chienne coureuse.
CALIDORE. C’est donc ainsi que tu reconnais mes bienfaits ?
BALLION. Que voulez-vous de moi ?
CALIDORE. Que tu attendes six jours, quand ce ne serait que cela, que tu ne la vendes pas, que tu ne mettes pas un amoureux au désespoir.
BALLION. Tranquillisez-vous : j’attendrai même bien six mois.
CALIDORE. Bravo ! ah le galant homme !
BALLION. Voulez-vous même que je double encore votre joie ?
CALIDORE. Comment ?
BALLION. Phénicie n’est pas à vendre.
CALIDORE. Non ?
BALLION. Non ma foi.
CALIDORE. Pseudolus, va chercher des victimes, petites, grandes, et des victimaires, je veux offrir un sacrifice à cet auguste Jupiter, car il est dès à présent pour moi bien plus Jupiter que Jupiter lui-même.
BALLION. Point de grandes victimes ; je veux qu’on m’honore avec la chair des agneaux.
CALIDORE. Va, bouge donc ; amène des agneaux : n’entends-tu pas Jupiter ?
PSEUDOLUS. Je reviens à l’instant ; mais il faut que je coure d’abord hors de la porte Métia[9].
CALIDORE. Pourquoi cela ?
PSEUDOLUS. J’y prendrai deux victimaires avec des clochettes Par la même occasion je rapporterai deux troupeaux de baguettes d’ormes, pour faire des offrandes à Jupiter jusqu’à ce qu’il en ait son soûl. Puis le Jupiter des entremetteurs ira au carcan.
BALLION. Ce n’est pas ton intérêt que je meure.
PSEUDOLUS. Pourquoi ?
BALLION. Je vais te le dire : c’est que, ma foi, tant que je serai de ce monde, tu ne seras jamais un honnête garçon.
PSEUDOLUS. Ce n’est pas non plus ton intérêt que je meure.
BALLION. Pourquoi ?
PSEUDOLUS. Voici : si je venais à mourir, il n’y aurait pas dans tout Athènes pire garnement que toi.
CALIDORE. Voyons, de grâce, réponds sérieusement à ma question : tu ne veux pas vendre ma maîtresse Phénioie ?
BALLION. Non certes, car il y a beau temps que je l’ai vendue.
CALIDORE. Comment cela ?
BALLION. Sans ses hardes, mais avec tout ce qu’elle a dans la peau.
CALIDORE. Tu as vendu ma maîtresse ?
BALLION. Parfaitement, vingt mines.
CALIDORE. Vingt mines ?
BALLION. Ou si vous aimez mieux, quatre fois cinq mines, à un militaire de Macédoine ; et j’en ai déjà reçu quinze.
CALIDORE. Que m’apprends-tu là ?
BALLION. Que j’ai converti votre maîtresse en argent.
CALIDORE. Tu as eu cette audace ?
BALLION. Ç’a été mon idée ; elle m’appartenait.
CALIDORE. Holà, Pseudolus, va, apporte-moi une épée.
PSEUDOLUS. Qu’avez-vous besoin d’épée ?
CALIDORE. Je veux le tuer, et moi ensuite.
PSEUDOLUS. Eh ! tuez-vous tout seul ; pour lui, la faim le tuera un beau matin.
CALIDORE. Dis-moi, le plus perfide des hommes que porte la terre, n’avais-tu pas juré de ne la vendre à personne qu’à moi ?
BALLION. J’en conviens.
CALIDORE. En termes formels ?
BALLION. Oui, et bien pesés encore.
CALIDORE. Tu as manqué à ton serment, scélérat.
BALLION. Mais j’ai mis l’argent dans ma poche. Scélérat, soit, mais je puis montrer des écus dans mon coffre, tandis que vous, l’honnête homme de bonne famille, vous n’avez pas une obole.
CALIDORE. Pseudolus, mets-toi de l’autre côté, et accable-le d’injures.
PSEUDOLUS. De bon cœur. Je n’aurai pas d’aussi bonnes jambes pour courir chez le préteur, quand il sera question de m’affranchir.
CALIDORE. N’épargne pas les gros mots.
PSEUDOLUS, à Ballion. Je vais te déchirer d’invectives, infâme ! BALLION. C’est cela.
PSEUDOLUS. Coquin !
BALLION. Tu dis vrai.
PSEUDOLUS. Pendard !
BALLION. Pourquoi pas ?
CALIDORE. Profanateur de tombeaux !
BALLION. Assurément.
CALIDORE. Gibier de potence !
BALLION. Bien touché.
CALIDORE. Spoliateur de tes associés !
BALLION. Je me reconnais là.
PSEUDOLUS. Parricide !
BALLION, à Pseudolus. A ton tour, va !
PSEUDOLUS. Sacrilége !
BALLION. Je l’avoue.
CALIDORE. Parjure !
BALLION. Vous êtes les prophètes du passé.
CALIDORE. Ennemi des lois !
BALLION. A merveille !
PSEUDOLUS. Fléau de la jeunesse !
BALLION. Courage donc !
CALIDORE. Voleur !
BALLION. Bravo !
PSEUDOLUS. Échappé de prison !
BALLION. Oh ! oh !
CALIDORE. Filou des rues !
BALLION. Très-bien !
PSEUDOLUS. Fourbe !
CALIDORE. Sale entremetteur !
PSEUDOLUS. Tas de boue !
BALLION. Les beaux chanteurs !
CALIDORE. Tu as battu ton père et ta mère !
BALLION. Je les ai même tués, pour ne. les pas nourrir. N’est-ce pas bien fait ?
PSEUDOLUS. Nous versons nos invectives dans un tonneau percé : c’est du temps perdu.
BALLION. Ne voulez-vous plus rien me dire ?
CALIDORE. N’as-tu pas de honte ?
BALLION. D’avoir trouvé un amoureux dont la bourse est vide comme une coquille de noix ? Mais vous avez beau m’avoir tous les deux chargé d’injures, si le militaire ne m’apporte pas les cinq mines qu’il me redoit au terme fixé, aujourd’hui même, s’il ne se présente pas, je crois que je pourrai faire mon métier.
CALIDORE. Que veux-tu dire ?
BALLION. Si vous venez avec l’argent, je ne lui tiendrai pas parole. Voilà mon métier. Si j’avais le temps, je causerais encore avec vous ; mais me prier, sans argent, d’avoir pitié de vous, c’est comme si vous chantiez. C’est mon dernier mot ; ainsi, avisez à ce que vous devez faire.
CALIDORE. Tu t’éloignes ?
BALLION. Je suis accablé d’affaires.
PSEUDOLUS, à part. Tu en auras bien d’autres tout à l’heure. (Ballion s’en va.) Je le tiens, à moins que les dieux et les hommes ne m’abandonnent à la fois. Je le désosserai comme un cuisinier désosse une lamproie… A présent, Calidore, j’ai besoin d’un coup de main.
CALIDORE. Qu’ordonnes-tu ?
PSEUDOLUS. Je veux mettre le siége devant cette place (il montre la maison de Simon) et la prendre aujourd’hui même. Pour cela il me faut un homme malin, adroit, fin, habile, qui exécute ce que je lui dirai et qui ne dorme pas les yeux ouverts.
CALIDORE. Parle, que veux-tu faire ?
PSEUDOLUS. Je vous mettrai bientôt au courant ; je ne veux pas dire deux fois les choses, les comédies sont bien assez longues comme cela.
CALIDORE. Tu as tout à fait raison, rien de plus juste.
PSEUDOLUS. Hâtez-vous, amenez-moi mon homme. Entre beaucoup d’amis, il y en a peu sur qui on puisse compter.
CALIDORE. Je sais cela.
PSEUDOLUS. Retournez-vous donc pour faire votre choix ; prenez entre tous un homme bien sûr.
CALIDORE. Il sera ici tout à l’heure.
PSEUDOLUS. Allez ; autant de paroles, autant d’instants perdus.
SCÈNE IV. — PSEUDOLUS.
Il est parti et te voilà seul, Pseudolus. Que vas-tu faire maintenant, après avoir comblé de si belles promesses le fils de la maison ? Où sont tes moyens ? Tu n’as rien de prêt, pas de plan arrêté, pas l’ombre d’une obole. Que faire ? tu ne sais par quel bout t’y prendre, dans quel sens ourdir la trame. Mais le poëte, quand il saisit ses tablettes, cherche ce qui n’existe dans aucun coin du monde ; il trouve pourtant, et il donne une couleur vraisemblable à ce qui n’est que mensonge. Eh bien donc je me ferai poëte à mon tour, et ces vingt mines qui ne sont qu’une chimère, je les déterrerai. Voilà longtemps que j’ai promis de les lui donner. Je voulais jeter mon filet sur notre vieillard, mais, je ne sais comment cela se fait, il s’en est douté. Çà, faisons taire notre langue. Je vois venir par ici mon maître Simon avec Calliphon son voisin. Je tirerai aujourd’hui même vingt mines de ce vieux sépulcre pour en faire cadeau à son fils. Mais passons de ce côté afin d’entendre ce qu’ils disent.
SCÈNE V. — SIMON, CALLIPHON, PSEUDOLUS.
SIMON. Si l’on créait aujourd’hui dans Athènes un dictateur des dépensiers et des libertins, personne, je crois, ne damerait le pion à mon fils. Dans toute la ville on raconte qu’il veut affranchir sa maîtresse, et qu’il cherche de l’argent pour cela : plusieurs personnes m’en ont averti, mais depuis longtemps je m’en étais douté, je l’avais senti.
PSEUDOLUS, à part. Adieu paniers ; voilà mes plans à l’eau. Je voulais aller me ravitailler d’argent, mais les abords de la place sont fermés. Il est sur ses gardes ; plus de butin pour les maraudeurs.
CALLIPHON. Ces gens qui colportent et qui écoutent les médisances, si j’étais le maître, on les pendrait tous, les colporteurs par la langue, et les écouteurs par les oreilles. Tous ces rapports qu’on vous fait, que votre fils est amoureux et veut vous soutirer de l’argent, sont peut-être autant de mensonges. Si c’est la vérité, avec les mœurs d’à présent, est-ce donc une chose si étrange, si extraordinaire, qu’un jeune homme soit amoureux et qu’il veuille affranchir sa maîtresse ?
PSEUDOLUS, à part. L’aimable vieillard !
SIMON. Je ne veux pas qu’il fasse ce que j’ai fait dans le temps.
CALLIPHON. C’est comme si vous chantiez. Il ne fallait pas alors en faire autant dans votre jeunesse. Il n’y a qu’un père irréprochable qui puisse exiger que son fils soit encore plus irréprochable que lui. Avec vos dépenses, vos prodigalités, il y aurait eu de quoi faire largesses à tout le peuple. Et vous êtes surpris si votre fils tient de son père !
PSEUDOLUS. O Jupiter, que les hommes raisonnables sont rares ! A la bonne heure, voilà ce qu’on peut appeler un père !
SIMON. Qui parle là ? Eh, c’est mon esclave Pseudolus. C’est lui, le coquin, qui perd mon fils. C’est lui qui sert de guide, de précepteur : j’ai bonne envie de le faire mettre à la torture.
CALLIPHON, bas. Vous n’êtes pas adroit de laisser éclater votre colère. Ne valait-il pas mieux vous y prendre doucement et savoir de lui si ce qu’on vous rapporte est vrai, ou non ? Une bonne conduite, dans les mauvaises affaires, diminue le mal de moitié.
SIMON. Je suivrai votre conseil.
PSEUDOLUS, à part. On vient à toi, Pseudolus : prépare ce que tu dois dire au vieillard. (Haut.) Salut à mon maître d’abord, c’est de toute justice ; s’il en reste, ce sera pour les voisins.
SIMON. Bonjour ; comment va ?
PSEUDOLUS. Comme vous voyez.
SIMON. Regardez un peu, Calliphon, la posture du drôle ! on dirait d’un roi.
CALLIPHON. Il a l’air de se tenir comme il faut et avec assurance.
PSEUDOLUS. Il sied à un esclave innocent et sans reproche de se montrer fier, surtout devant son maître.
CALLIPHON. Nous voulons nous renseigner auprès de toi sur une chose que nous ne connaissons que comme à travers un nuage et par ouï-dire.
SIMON. Il manœuvrera si bien de la langue que vous ne croirez pas causer avec Pseudolus, mais avec Socrate.
PSEUDOLUS. C’est cela : il y a longtemps que vous avez mauvaise opinion de moi, je le vois bien ; je sais que je ne suis pas trop bien dans vos papiers : vous voulez que je sois un drôle, je n’en serai pas moins un brave homme.
SIMON. Ouvre tes oreilles toutes grandes, Pseudolus, que mes paroles puissent s’y loger comme je veux.
PSEUDOLUS. Soit, dites ce que vous voudrez, quoique je ne sois pas trop content de vous.
SIMON. Toi ! un esclave mécontent de son maître !
PSEUDOLUS. Cela vous étonne ?
SIMON. Oui, ma foi ; à t’entendre, il me faudrait craindre ta colère. Tu songes à me fustiger plus vertement que je n’en use d’ordinaire avec toi.(A Calliphon.) Qu’en dites-vous ?
CALLIPHON. Par Pollux, il me semble qu’il a raison d’être fâché de vous voir si peu de confiance en lui.
SIMON. Qu’il soit fâché, je le veux bien ; mais j’aurai soin qu’il ne fasse pas de mal. (A Pseudolus.) Ah çà ! et ce que je voulais te demander ?
PSEUDOLUS. Demandez-moi ce que vous voudrez ; si je le sais, prenez que la réponse vient de Delphes.
SIMON. Attention donc, et souviens-toi de ta promesse. Çà, sais-tu que mon fils est amoureux d’une joueuse de flûte ?
PSEUDOLUS. Assurément.
SIMON. Qu’il veut l’affranchir ?
PSEUDOLUS. Assurément encore.
SIMON. Ne t’apprêtes-tu pas à mettre en œuvre toutes tes ruses pour m’escroquer vingt mines ?
PSEUDOLUS. Vous escroquer…
SIMON. Oui, et les donner à mon fils afin qu’il rachète sa maîtresse.
PSEUDOLUS. Il faut encore avouer cela, assurément, assurément.
CALLIPHON. Il avoue !
SIMON. Ne vous le disais-je pas tout à l’heure, Calliphon ?
CALLIPHON. En effet.
SIMON. Pourquoi, dès que tu as su cette histoire, m’en as-tu fait un mystère ? pourquoi n’en ai-je pas été instruit ?
PSEUDOLUS. Je vais vous dire. Je ne voulais pas donner le mauvais exemple d’un esclave qui dénonce son maître à son maître.
SIMON. Si on ne devrait pas le faire traîner par le cou au moulin !
CALLIPHON. A-t-il donc si grand tort, Simon ?
SIMON. Très-grand.
PSEUDOLUS. Laissez, je connais parfaitement mon affaire, Calliphon ; mes fautes sont à moi. (A Simon.) Écoutez-moi, à présent. Si je ne vous ai pas informé des amourettes de votre fils, c’est que, si je l’avais fait, je savais bien que le moulin était tout prêt.
SIMON. Et ne savais-tu pas que de mon côté aussi, le moulin t’attendait pour m’avoir caché la vérité ?
PSEUDOLUS. Si fait.
SIMON. Alors pourquoi n’avoir rien dit ?
PSEUDOLUS Parce que d’une part le mal était imminent, de l’autre il était plus éloigné. Ici un danger présent, là un peu de temps à gagner.
SIMON. Et qu’allez-vous faire maintenant ? car pour me soutirer de l’argent, serviteur, surtout quand je suis averti. Je préviendrai tout le monde qu’on ne vous prête pas un denier.
PSEUDOLUS. Oh ! certainement je ne me mettrai aux genoux de personne, tant que vous serez de ce monde ; c’est vous, ma foi, qui me donnerez l’argent ; c’est de vous que je l’aurai.
SIMON. De moi ?
PSEUDOLUS. Parfaitement.
SIMON. Si je t’en donne, je te permets de m’arracher un œil.
PSEUDOLUS. Vous m’en donnerez. Prenez garde-à moi, je vous le conseille.
CALLIPHON. M’est avis que, si tu en viens à bout, tu auras accompli un exploit superbe.
PSEUDOLUS. Je m’en charge.
SIMON. Et si tu ne réussis pas ?
PSEUDOLUS. Faites-moi donner les étrivières. Mais si je réussis ?
SIMON. Je prends à témoin Jupiter que tu n’auras jamais rien à craindre pour cela.
PSEUDOLUS. Tâchez de vous en souvenir.
SIMON. Comment ! je ne saurai me tenir sur mes gardes, quand je suis prévenu ?
PSEUDOLUS. Gardez-vous bien, je vous en avertis, encore une fois, gardez-vous bien ; gardez-vous. Hé, hé ! de ces mains que voilà vous-même aujourd’hui me compterez la somme.
CALLIPHON. C’est un garçon incomparable, s’il tient parole.
PSEUDOLUS, à Calliphon. Vous pourrez m’emmener en servitude chez vous, si je ne fais pas ce que je dis.
CALLIPHON. Voilà une parole gentille. Il est à moi.
PSEUDOLUS. Voulez-vous que je vous dise quelque chose qui vous étonnera plus encore ?
CALLIPHON. Je grille de l’apprendre, je t’écoute avec plaisir.
SIMON. Voyons, je t’entends parler avec assez de plaisir aussi.
PSEUDOLUS. Avant d’engager la bataille, j’en livrerai une autre, glorieuse, mémorable.
SIMON. Laquelle ?
PSEUDOLUS. Eh ! ce marchand, votre voisin, par mon industrie et mon subtil génie, je lui escamoterai gaiement cette joueuse de flûte qui tourne la tête à votre fils.
SIMON. Par exemple !
PSEUDOLUS. Et je remporterai ma double victoire d’ici à ce soir.
SIMON. Si tu exécutes ces deux coups de maître, comme tu t’en vantes, tu surpasseras en valeur le roi Agathocle. Mais si tu es battu, qu’auras-tu à dire si je te fourre à l’instant même au moulin ?
PSEUDOLUS. Ah ! que ce ne soit pas pour un jour seulement, mais pour tout le restant de ma vie. Et si j’en sors à mon honneur, me donnerez-vous l’argent pour le remettre aussitôt à ce marchand, de votre consentement ?
CALLIPHON. La demande de Pseudolus est trop juste ; dites que vous le voulez bien.
SIMON. Mais savez-vous à quoi je pense ? S’ils se sont entendus, Calliphon ? s’ils ont monté le coup ensemble pour m’escroquer mon argent ?
PSEUDOLUS. Y aurait-il un coquin plus effronté que moi, si j’étais capable d’un tour pareil ? Écoutez, Simon, si nous sommes d’intelligence, si nous avons jamais comploté ensemble pour cela, ou si même nous avons échangé un mot, vous pouvez me faire sur la peau, avec des plumes d’ormeau, autant de marques que le poinçon trace de lettres sur un rouleau.
SIMON. Eh bien, annonce pour quand il te plaira l’ouverture des jeux.
PSEUDOLUS. Donnez-moi cette journée, je vous prie, Calliphon, et ne vous occupez de nulle autre affaire.
CALLIPHON. J’avais décidé hier que j’irais à la campagne.
PSEUDOLUS. Changez vos dispositions.
CALLIPHON. Puisque c’est cela, je renonce à partir. J’ai envie d’assister à tes jeux, Pseudolus ; et si je vois qu’il ne te donne pas d’argent comme il l’a dit, je ne veux pas que cela soit, je t’en donnerai plutôt moi-même.
SIMON. Je ne me dédirai pas.
PSEUDOLUS. Non, car si vous refusiez on vous réclamerait à toute minute avec de beaux cris. Çà, rentrez à présent, et à votre tour laissez-moi la place nette pour dresser mes batteries.
SIMON. Soit, nous t’obéirons.
PSEUDOLUS. Mais je désire que vous ne bougiez pas de la maison.
SIMON. J’aurai encore cette complaisance.
CALLIPHON. Moi je vais faire un tour sur la place, et je reviens bien vite.
SIMON. Ne soyez pas long. (Les deux vieillards s’en vont.)
PSEUDOLUS, aux spectateurs. Je m’en doute bien, vous vous doutez que si je promets tant de belles choses, c’est pour vous amuser, pour arriver au bout de la pièce, et que je ne ferai pas ce que j’ai annoncé. Je ne me rétracte point, et il y a une chose dont je suis bien sûr, c’est que je ne sais pas encore comment je m’y prendrai ; mais je viendrai à mon but. Quand on se présente sur les planches dans une situation nouvelle, il faut y apporter quelque invention nouvelle aussi. Si l’on est impuissant, qu’on laisse la place à un plus capable. Mais je veux me retirer quelques instants au logis pour arrêter tout mon plan dans ma cervelle. Pendant ce temps, le joueur de flûte vous divertira.______________________________
ACTE II.
SCÈNE I. — PSEUDOLUS.
Grand Jupiter, comme tout ce que j’entreprends me réussit à souhait ! Plus d’hésitation, plus de crainte ! tout mon plan est dans ma tête. C’est sottise de confier une grande affaire à un cœur timide. Les choses sont ce qu’on les fait, elles ont l’importance qu’on leur donne. J’ai si bien préparé dans mon esprit un double et triple renfort de ruses et de perfidies que, en toute rencontre avec l’ennemi, fort de la vertu de mes artifices, de mon industrie, de ma malice, de ma rouerie, sans peine je vaincrai, sans peine, grâce à mon adresse, je dépouillerai mes adversaires. Quant à cet ennemi commun, le mien, le vôtre à tous, ce Ballion, je vais joliment le battre en brèche. Faites attention seulement : je veux disposer les approches de façon à emporter la place aujourd’hui même ; je vais donc faire avancer mes légions, et si l’assaut réussit, j’aplanirai la route à mes concitoyens. De là, sans perdre une minute, je ferai marcher mes troupes sur la vieille citadelle. Puis je chargerai, je comblerai de butin mes alliés et moi ; j’enverrai à mes ennemis la peur et la fuite, pour leur apprendre qui je suis, de quelle race je sors. Il me sied de faire des actions d’éclat, dont la gloire dure de longues années après moi… Mais que vois-je là ? qu’est-ce que cet inconnu qui s’offre à mes yeux ? Je suis curieux de savoir ce qu’il cherche avec son coutelas. Cachons-nous par ici pour surprendre ses intentions.
SCÈNE II. — HARPAX, PSEUDOLUS.
HARPAX. Voilà bien l’endroit, le quartier qu’il m’a indiqué, autant que j’en puis croire mes yeux. Mon maître le militaire m’a dit la septième maison à partir de la porte ; c’est là que demeure le marchand à qui il m’envoie porter le signe et cet argent. Je voudrais bien trouver quelqu’un pour m’enseigner au juste le logis de ce Ballion.
PSEUDOLUS, à part. Chut ! silence ! silence ! je le tiens, si je ne suis abandonné de tout ce qu’il y a de dieux et de déesses. Mais il me faut une combinaison nouvelle, car voilà une aventure que je n’attendais guère. Occupons-nous-en d’abord, et mettons de côté tout ce que nous avions ébauché déjà. Pour sa bienvenue, ma foi, je ferai voir le tour à ce belliqueux messager.
HARPAX. Je vais frapper à la porte et appeler quelqu’un.
PSEUDOLUS. Hé ! l’ami, je veux vous épargner la peine de frapper ; je suis sorti dans l’intention d’intercéder pour cette porte : c’est ma protégée.
HARPAX. Vous êtes Ballion ?
PSEUDOLUS. Non, mais je suis son Sous-Ballion.
HARPAX. Qu’est-ce que cela veut dire ?
PSEUDOLUS. Le dépensier, le pourvoyeur.
HARPAX. Dites donc l’intendant.
PSEUDOLUS. Non pas, l’intendant est sous mes ordres.
HARPAX. Êtes-vous esclave, ou libre ?
PSEUDOLUS. Pour le moment, je suis encore esclave.
HARPAX. C’est ce qui semble, et vous n’avez guère l’air d’être digne de la liberté.
PSEUDOLUS. Vous n’avez donc pas coutume de vous regarder, avant de dire des sottises aux autres ?
HARPAX, à part. Ce doit être un fin drôle.
PSEUDOLUS, à part. Les dieux me protégent et m’aiment. Voici une enclume sur laquelle je forgerai aujourd’hui bien des ruses.
HARPAX, à part. Qu’est-ce qu’il marmotte tout seul ?
PSEUDOLUS. Eh bien, mon brave ?
HARPAX. Qu’y a-t-il ?
PSEUDOLUS. Êtes-vous ou non à ce militaire macédonien qui est venu acheter chez nous une fillette ? Il a payé quinze mines à mon maître et lui en doit encore, cinq.
HARPAX. Oui ; mais d’où-me connaissez-vous, où m’avez-vous vu, où m’avez-vous parlé ? Je n’ai jamais mis le pied à Athènes, et je vous vois aujourd’hui pour la première fois.
PSEUDOLUS. Vous me faites l’effet de venir de sa part ; quand il est reparti, on a fixé ce jour-ci pour le payement qu’il doit nous faire, et il n’a pas encore payé.
HARPAX. Oui, mais voici.
PSEUDOLUS. Vous apportez l’argent ?
HARPAX. Moi-même.
PSEUDOLUS. Donnez donc vite.
HARPAX. A vous ?
PSEUDOLUS. Eh oui, ma foi, à moi, c’est moi qui fais les affaires et qui tiens les comptes de mon maître Ballion ; je reçois, je dépense, je paye ce qu’il doit.
HARPAX. Vous auriez beau, ma foi, être le trésorier du grand Jupiter, que je ne vous confierai pas une obole.
PSEUDOLUS. Dépêchez, ce sera une affaire faite.
HARPAX, montrant sa bourse. J’aime mieux la garder là, bien attachée.
PSEUDOLUS. La peste soit de vous ! il fallait vous déterrer pour trouver quelqu’un qui fasse affront à ma probité ! Comme si on ne me donnait pas tous les jours six cents fois autant, sans témoins !
HARPAX. Il est possible que cela convienne à d’autres, mais que je n’aie pas confiance, moi.
PSEUDOLUS. C’est comme si vous disiez que je veux vous escamoter votre argent.
HARPAX. C’est comme si vous le disiez, et comme si, moi, je m’en méfiais. Mais comment vous appelle-t-on ?
PSEUDOLUS, à part. Ballion a un esclave du nom de Syrus, je dirai que c’est moi. (Haut.) Je me nomme Syrus.
HARPAX. Syrus ?
PSEUDOLUS. Oui, c’est mon nom.
HARPAX. Voilà bien assez de paroles. Si votre maître est au logis, que ne le faites-vous venir ? Je m’acquitterai de ma commission, et appelez-vous comme vous voudrez.
PSEUDOLUS. S’il y était, je ne demanderais pas mieux ; mais si vous voulez me donner l’argent, le payement sera encore plus sûr que si vous le versiez dans ses mains.
HARPAX. Écoutez donc : mon maître m’a envoyé pour payer et non pour perdre la somme. Je vois bien que vous avez la fièvre de ne pouvoir jeter le grappin là-dessus. Mais moi je ne compterai pas une obole, que ce ne soit à Ballion en personne.
PSEUDOLUS. Il est absent ; il a une affaire au tribunal.
HARPAX. Bonne chance je lui souhaite. Quand je penserai le trouver à la maison, je reviendrai. Prenez cette lettre et remettez-la-lui ; elle renferme le signe convenu entre mon maître et lui pour livrer la poulette.
PSEUDOLUS. Je sais ; votre maître a dit de la faire partir avec celui qui apporterait l’argent et son portrait sur un cachet. Il nous a laissé ici une empreinte semblable.
HARPAX. Vous possédez l’affaire de point en point.
PSEUDOLUS. Encore plutôt !
HARPAX. Donnez-lui donc ce signe.
PSEUDOLUS. Soit ; mais comment vous appelle-t-on ?
HARPAX. Harpax.
PSEUDOLUS. Arrière, Harpax ! vous ne me revenez guère. Vous n’entrez ma foi pas chez nous ; comme cela vous n’agripperez rien[10].
HARPAX. J’ai coutume d’enlever l’ennemi tout vivant du champ de bataille : de là mon nom.
PSEUDOLUS. Je crois bien plutôt que vous enlevez les casseroles de cuivre dans les maisons.
HARPAX. Nullement ; mais savez-vous ce que je vous demanderai, Syrus ?
PSEUDOLUS. Je le saurai si vous le dites.
HARPAX. Je suis descendu hors de la porte, ici, au troisième cabaret, chez une vieille, un vrai tonneau, une grosse bancale, Chrysis.
PSEUDOLUS. Eh bien, après ?
HARPAX. Venez me chercher quand votre maître sera rentré.
PSEUDOLUS. Comme il vous plaira, soit.
HARPAX. Je suis arrivé très-fatigué du voyage, et je veux me refaire.
PSEUDOLUS. Bonne idée, rien de plus raisonnable ; mais arrangez-vous pour que je n’aie pas à courir après vous quand j’irai vous appeler.
HARPAX. Non ; dès que j’aurai cassé une croûte, je dormirai.
PSEUDOLUS. C’est fort bien vu.
HARPAX. Vous n’avez plus rien à me dire ?
PSEUDOLUS. Allez vous coucher.
HARPAX. J’y vais.
PSEUDOLUS. Écoutez, Harpax, dites qu’on vous couvre bien ; vous vous trouverez à merveille d’une bonne suée.
SCÈNE III. — PSEUDOLUS.
Dieux immortels ! l’arrivée de cet homme m’a sauvé ; sa venue me tire de la fausse voie et me remet dans le bon chemin. L'Opportunité elle-même ne pouvait se présenter à moi d’une façon plus opportune que cette lettre qui me tombe à point dans les mains : c’est une corne d’abondance où je trouverai tout ce qui me plaira. C’est une mine de ruses, de fourberies ; intrigues, argent, maîtresse de mon jeune maître, tout cela est là dedans. Déjà, je peux m’en vanter, grâce à mon génie fécond, pour souffler la fillette à son marchand, j’avais tout mon plan dressé, formé, établi, tracé dans ma tête, comme je l’entendais ; mais voilà comme vont les choses : une seule déesse, la Fortune, vaut plus que les mesures concertées par une centaine d’hommes adroits. Et c’est la vérité : selon que vous avez la fortune, vous vous tirez de pair, chacun vante votre sagesse. Apprend-on qu’une entreprise a réussi : « Oh l’habile homme ! » s’écrie-t-on ; quant à celui qui échoue, c’est une grosse bête. Niais que nous sommes, nous ne savons pas combien il nous arrive souvent de nous tromper dans ce que nous souhaitons le plus ardemment, comme si nous pouvions connaître ce qui nous vaut le mieux. Nous lâchons le certain pour courir après l’incertain, et que nous en revient-il ? au milieu de nos soucis et de nos souffrances, la mort vient tout doucement nous surprendre. Mais c’est assez de philosophie ; je n’en finis pas de bavarder. Grands dieux ! on payerait au poids de l’or le mensonge que j’ai imaginé brusquement tout à l’heure en me donnant pour un des gens de notre marchand, que ce ne serait pas trop cher. A présent, avec cette lettre, je vais faire trois dupes, mon maître, ce Ballion et celui même qui m’a remis la missive. Bravo ! à bon chat bon rat. Mais voici encore une aubaine que je désirais, Calidore vient par ici ; je ne sais de qui il se fait accompagner.
SCÈNE IV. — CALIDORE, CHARIN, PSEUDOLUS.
CALIDORE. Le doux et l’amer, je t’ai tout confié. Tu sais mon amour, tu sais mes peines, tu sais ma pauvreté.
CHARIN. Je me souviens de tout cela : dis-moi seulement ce que tu veux que je fasse.
CALIDORE. En te racontant cette histoire, je t’ai parlé du signe de reconnaissance…
CHARIN. Je me souviens de tout, te dis-je. Dis-moi seulement ce que tu veux que je fasse.
CALIDORE. Pseudolus m’a commandé de lui amener Un homme de cœur, un ami.
CHARIN. Tu es fidèle au commandement ; car tu amènes un ami, un ami dévoué. Mais ce nom de Pseudolus ne me dit rien.
CALIDORE. C’est un charmant garçon, plein d’invention ; il m’a promis de faire ce dont je t’ai parlé.
PSEUDOLUS, à part. Je vais l’aborder d’un air superbe.
CALIDORE. Quelle voix se fait entendre ?
PSEUDOLUS. Vivat ! vivat ! vivat ! C’est vous, vous, vous, mon prince, que je réclame, vous qui donnez des lois à Pseudolus, je vous cherche pour vous offrir trois fois, en triple hommage et sous triple forme, une triple joie, une triple allégresse trois fois gagnée par un triple artifice aux dépens de trois ennemis vaincus par malice, fraude et tromperie. Je vous apporte le tout sous ce petit pli cacheté.
CALIDORE, à Charin. C’est notre homme.
CHARIN. Comme il fait son tragédien, le bourreau !
CALIDORE, à Pseudolus. Avance-toi en même temps que moi.
PSEUDOLUS. Tendez hardiment la main pour recevoir votre salut.
CALIDORE. De quel nom faut-il te saluer, Pseudolus ? Espoir ou Salut ?
PSEUDOLUS. L’un et l’autre.
CALIDORE. Salut donc, l’un et l’autre. Mais qu’y a-t-il de fait ?
PSEUDOLUS. Que craignez-vous ?
CALIDORE, montrant Charin. Voici celui que j’ai apporté.
PSEUDOLUS. Comment, apporté ?
CALIDORE. Amené, veux-je dire.
PSEUDOLUS. Comment s’appelle-t-il ?
CALIDORE. Charin.
PSEUDOLUS. Bravo ! mais je lui rends grâce.
CHARIN. Que ne me commandes-tu ce qu’il faut faire ?
PSEUDOLUS. Bien obligé. Merci, Charin ; je ne veux pas que nous vous importunions.
CHARIN. M’importuner, vous ? ah ! c’est ce mot-là qui m’importune.
PSEUDOLUS. Demeurez donc.
CHARIN. Qu’est-ce que ceci ?
PSEUDOLUS. La lettre et le signe ; je les ai interceptés tout à l’heure.
CHARIN. Le signe ! quel signe ?
PSEUDOLUS. Celui qu’envoie le militaire ; son esclave l’apportait avec cinq mines d’argent, (à Calidore) et venait pour emmener d’ici votre maitresse ; mais je l’ai joliment enfoncé tout à l’heure.
CALIDORE. Comment cela ?
PSEUDOLUS. C’est pour les spectateurs que se joue la comédie. Ceux qui se trouvaient là le savent ; je vous le raconterai plus tard.
CALIDORE. Que faisons-nous à présent ?
PSEUDOLUS. Aujourd’hui même vous embrasserez votre maitresse devenue libre.
CALIDORE. Moi ?
PSEUDOLUS. Vous.
CALIDORE. Moi ?
PSEUDOLUS. Vous-même, vous dis-je, si je ne- perds la vie ; mais il faudrait me trouver vitement un homme.
CHARIN. De quelle figure ?
PSEUDOLUS. Malin, madré, roué, qui une fois la main à la pâte, soit assez habile pour savoir se conduire ensuite par lui-même, et surtout qu’on n’ait pas vu souvent par ici.
CHARIN. S’il est esclave, cela fait-il quelque chose ?
PSEUDOLUS. Non, je le préférerais de beaucoup à un homme libre.
CHARIN. Je crois pouvoir vous donner un malin, un finaud, que mon père vient de m’envoyer de Caryste : il n’a pas encore mis le pied hors de la maison, et il est arrivé hier à Athènes pour la première fois.
PSEUDOLUS. C’est à merveille. Mais je voudrais aussi emprunter cinq mines, que je rendrai dans la journée ; (montrant Calidore) son père me les doit.
CHARIN. Je les donnerai ; inutile de chercher ailleurs.
PSEUDOLUS. Oh ! le digne homme ! il me faut encore une chlamyde, un coutelas et un chapeau.
CHARIN. Je peux les fournir.
PSEUDOLUS. Dieux immortels ! ce n’est pas Charin, c’est le dieu de l’abondance ! Mais cet esclave fraîchement débarqué de Caryste, a-t-il un peu de goût ?
CHARIN. Un goût de bouc sous les aisselles.
PSEUDOLUS. Il sera bon qu’il ait une tunique à manches. A-t-il un peu de sel dans l’esprit ?
CHARIN. Oui, du plus salé.
PSEUDOLUS. Et s’il fallait tirer du même tonneau un peu de douceur, en a-t-il aussi ?
CHARIN. Belle demande ! vin de myrrhe, vin cuit, vin de liqueur, hydromel, miel de toute sorte. Bien mieux, il s’était mis dans le temps à tenir dans son esprit un débit de boisson.
PSEUDOLUS. Bravo, très-bien, Charinus, vous me fouettez avec mes propres verges. Mais comment s’appelle-t-il, cet esclave ?
CHARIN. Simia.
PSEUDOLUS. Sait-il se retourner quand cela va mal ?
CHARIN. Il tourne plus vite qu’une toupie.
PSEUDOLUS. Du jugement ?
CHARIN. Cent fois, pour ses méfaits.
PSEUDOLUS. Et en cas de flagrant délit ?
CHARIN. C’est une anguille, il glisse des mains.
PSEUDOLUS. Est-il savant ?
CHARIN. Comme un livre.
PSEUDOLUS. C’est un homme parfait, à vous entendre.
CHARIN. Ah ! si tu savais ! dès qu’il te verra, il te racontera sur-le-champ ce que tu veux de lui. Mais que vas-tu faire ?
PSEUDOLUS. Voici : quand j’aurai costumé mon homme, je veux le faire passer pour l’esclave du militaire ; il portera le signe au marchand avec les cinq mines ; il emmènera la belle de ce repaire : voilà toute l’histoire. Je lui expliquerai à lui-même comment il devra s’y prendre pour les détails.
CALIDORE. Pourquoi maintenant rester plantés là ?
PSEUDOLUS. Amenez-moi sans retard ce garçon habillé et avec tous les accessoires chez le banquier Eschine. Mais dépêchez-vous.
CHARIN. Nous y serons plus vite que toi.
PSEUDOLUS. Partez donc vivement. (Charin et Calidore s’en vont.) Tout ce que j’avais d’incertain et de trouble dans l’esprit est maintenant fixé et éclairci ; ma tête est toute débrouillée. Je vais faire avancer mes troupes enseignes déployées, mes braves légions ; heureux auspices, bons présages, tout est à souhait : je suis certain de pouvoir mettre l’ennemi en déroute. Allons sur la place, et faisons bien la leçon à ce Simia, qu’il sache ce qu’il doit faire, qu’il ne bronche point, qu’il joue son rôle en habile homme. Bientôt (montrant la maison de Ballion) nous emporterons ce bouge d’assaut.
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ACTE III.
SCÈNE I. — UN JEUNE ESCLAVE.
Quand les dieux mettent un esclave en service chez un homme du métier de mon maître, si avec cela ils lui infligent la laideur, certes, autant que je puis le sentir, ils le condamnent au pire des malheurs et à toutes les souffrances. C’est ce qui m’arrive dans cette condition, où je suis entouré de toutes les misères, petites et grandes ; et je ne puis trouver un amoureux qui s’attache à moi et me mette en état d’être un peu plus propre. C’est aujourd’hui le jour de naissance du maître, et il nous a menacés tous, du plus grand au plus petit, de faire périr demain dans les plus affreuses tortures celui qui ne lui enverrait pas un présent. Ma foi, je ne sais que devenir. Je ne puis faire ce que font d’habitude ceux qui en ont les moyens. Et pourtant, si je ne donne aujourd’hui mon cadeau, il me faudra demain passer par les mains du foulon. Hélas ! je suis cependant bien petit encore ! et comme je le crains, comme je tremble devant lui ! Si quelqu’un me donnait de quoi me rendre la main moins légère, quoiqu’on dise que cela fasse jeter les hauts cris, il me semble que je viendrais à bout de serrer les dents. Mais silence ! Voici mon maître ; il revient au logis et ramène un cuisinier.
SCÈNE II. — BALLION, UN CUISINIER, L'ESCLAVE.
BALLION. On dit la place aux cuisiniers, c’est une sottise ; ce n’est pas la place aux cuisiniers, mais la place aux voleurs. Quand j’aurais fait serment de chercher un pire marmiton que celui que j’amène là, je n’aurais pu le trouver : bavard, vantard, bête, propre à rien : si Pluton ne l’a pas encore voulu recevoir, c’est pour qu’il y ait ici-bas un drôle qui cuisine pour les morts ; lui seul est capable de faire des ragoûts qui leur plaisent.
LE CUISINIER. Si vous me croyiez tel que vous dites, pourquoi me preniez-vous ?
BALLION. Faute d’autre ; il n’y en avait pas. Mais pourquoi faisais-tu le pied de grue sur la place, si tu dames le pion à tous les gâte-sauce ?
LE CUISINIER. Je vais vous le dire ; c’est à cause de l’avarice des gens que je suis moins couru, ce n’est pas à cause de mon talent.
BALLION. Comment cela ?
LE CUISINIER. Écoutez : quand on vient chercher un cuisinier, personne ne demande le meilleur et le plus cher : on choisit plutôt celui qui coûte le moins. C’est pour cela qu’aujourd’hui ! j’étais tout seul à attendre sur la place. Les autres vont en ville pour une drachme ; mais moi, on ne peut me faire lever à moins du double. Je ne dresse pas un dîner comme ces marmitons, qui vous apportent sur les plats un pré accommodé, prennent les convives pour des bœufs, les bourrent d’herbes, assaisonnent ces herbes avec d’autres herbes, mettent de la coriandre, du fenouil, de l’ail, du persil, ajoutent de l’oseille, du choux, de la poirée, de la blette, délayent une bonne livre de laser, mêlent avec le tout leur infernale moutarde pilée, qui, tandis qu’on la pile, vous fait pleurer les yeux. Qu’ils gardent pour eux leur cuisine. Ils n’assaisonnent pas avec des épices, mais avec des vampires qui rongent les entrailles des convives tout vivants. Voilà pourquoi de notre temps on vit si peu ; on se farcit l’estomac de ces maudites herbes dont le nom seul fait peur et qu’on frémit de manger : les bêtes n’en veulent pas, les hommes les avalent.
BALLION. Et toi, tu as sans doute des recettes divines pour prolonger la vie, puisque tu déblatères si bien contre cette cuisine ?
LE CUISINIER. Vous pouvez le dire hardiment : ils sont capables d’aller jusqu’à deux cents ans, ceux qui mangent des mets de ma main. Quand j’ai mis dans mes casseroles du cicilindre, du sipolindre, de la macis ou de la sancaptis, cela cuit de soi-même. Cela, c’est pour assaisonner le gibier de Neptune ; pour le gibier de terre, je l’apprête avec du cicimandre, de l'happalopside ou de la cataractrie.
BALLION. Que Jupiter et tous les dieux te confondent avec tes assaisonnements et toutes ces menteries.
LE CUISINIER. Laissez-moi donc parler.
BALLION. Parle et va te pendre.
LE CUISINIER. Quand les casseroles bouillent, je les découvre, et le fumet s’envole au ciel à toutes jambes : c’est de ce fumet que Jupiter soupe tous les jours.
BALLION. Du fumet, à toutes jambes !
LE CUISINIER. La langue m’a fourché.
BALLION. Eh bien ?
LE CUISINIER. Je voulais dire à tire-d’ailes.
BALLION. Et quand tu ne vas cuisiner nulle part, de quoi soupe Jupiter ?
LE CUISINIER. Il va coucher sans souper.
BALLION. Va te pendre. Et c’est comme cela que tu crois tirer de moi aujourd’hui tes deux drachmes ?
LE CUISINIER. Je suis un cuisinier très-cher, j’en conviens, mais j’en donne pour l’argent, et l’on voit ce que je sais faire dans les maisons où l’on m’emploie.
BALLION. Oui, pour voler.
LE CUISINIER. Prétendez-vous trouver un cuisinier qui n’ait pas les griffes d’un milan ou d’un aigle ?
BALLION. Prétends-tu aller cuisiner chez le monde sans qu’on te serre les griffes tandis que tu fais tes ragoûts ? (A un esclave.) Toi qui es à mon service, je te commande de rentrer bien vite toutes nos affaires, d’avoir les yeux de ce drôle dans tes yeux, de regarder où il regarde, d’aller où il ira. S’il allonge la main, allonge-la aussi. S’il prend quelque chose à lui, laisse-le prendre ; si c’est à nous, tiens-le d’un bout. S’il marche, marche ; s’il reste en place, restes-y. S’il se baisse, accroupis-toi. Et je donnerai aussi à ses élèves des surveillants, un à chacun.
LE CUISINIER. Soyez donc tranquille.
BALLION. Eh ! dis-moi, comment puis-je être tranquille quand je t’amène chez moi ?
LE CUISINIER. C’est qu’aujourd’hui avec mes ragoûts je ferai comme Médée, quand elle mit à la casserole le bonhomme Pélias ; on dit qu’au moyen de drogues et d’herbes connues d’elle, elle rajeunit le vieux barbon ; je vous en ferai autant.
BALLION. Tu es donc empoisonneur aussi ?
LE CUISINIER. Non pas, mais plutôt conservateur de l’espèce humaine.
BALLION. Attends : combien me prendras-tu pour m’enseigner une seule recette ?
LE CUISINIER. Laquelle ?
BALLION. Le moyen de te surveiller assez pour que tu ne me dérobes rien.
LE CUISINIER. Si vous avez confiance, deux drachmes ; sinon, je ne voudrais pas même pour une mine. Mais traitez-vous ce soir des amis ou des ennemis ?
BALLION. Eh, des amis, je pense.
LE CUISINIER. Invitez vos ennemis plutôt que vos amis. Car j’apprêterai un tel souper à vos convives, je l’accommoderai si délicieusement, qu’on ne touchera pas à un de mes plats sans se manger le bout des doigts.
BALLION. Fais-moi le plaisir, avant de rien servir, de goûter tes sauces toi-même et de les faire goûter à tes mitrons, pour que vous mangiez vos mains larronnesses.
LE CUISINIER. Vous ne croyez peut-être pas ce que je vous dis.
BALLION. Ne m’ennuie pas ; tu ne fais déjà que trop aller ta crécelle, c’est fatigant. Çà, voici ma maison, entre et prépare activement ton dîner.
LE CUISINIER. Mettez-vous à table, vous et vos convives. Mes plats se gâtent déjà.
BALLION. Hum ! voyez un peu quelle engeance ! Cet autre apprenti lèche-plat est déjà un franc drôle. Je ne sais ma foi de quoi me garer d’abord, tant j’ai de filous chez moi ; (montrant la maison de Pseudolus) et le corsaire est sous les armes. Tout à l’heure mon voisin, le père de Calidore, m’a recommandé très-instamment sur la place de me méfier de son esclave Pseudolus, de ne pas l’écouter : car il rôde aujourd’hui pour tâcher de me souffler la fillette, et il a juré ses grands dieux, à ce que dit le maître, de m’enlever Phénicie par ses stratagèmes. Rentrons, et prévenons tout le monde au logis, que personne ne prête l’oreille à ce Pseudolus.
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ACTE IV.
SCÈNE I. — PSEUDOLUS, SIMIA.
PSEUDOLUS. Si jamais les dieux immortels ont voulu venir en aide à quelqu’un, c’est bien Calidore et moi qu’ils protégent, et notre vil marchand qu’ils veulent perdre, puisqu’ils ont mis au jour pour me seconder un homme si habile et si adroit… Mais où est-il ? suis-je sot, de causer ainsi tout seul avec moi-même ! Il s’est moqué de moi, je pense ; fin contre fin, j’ai mal pris mes mesures. Par Pollux, c’est fait de moi s’il s’est éclipsé : je ne viendrai pas aujourd’hui à bout de mon entreprise… Ah ! le voici, cette statue de bouleau : quelle superbe démarche ! Ah çà, dis-moi, je te cherchais ; j’avais grand’peur que tu n’eusses détalé.
SIMIA. J’aurais agi en cela à ma mode, j’en conviens.
PSEUDOLUS. Où t’es-tu arrêté ?
SIMIA. Où il m’a plu.
PSEUDOLUS. Je le savais bien.
SIMIA. Alors, pourquoi demandes-tu ce que tu sais ?
PSEUDOLUS. Je veux te donner, un avertissement.
SIMIA. Garde-le, il t’est plus nécessaire qu’à moi.
PSEUDOLUS. Tu finis par être bien dédaigneux.
SIMIA. Eh ! si je ne l'étais pas, comment aurais-je l’air d’un homme d’épée ?
PSEUDOLUS. J’entends qu’on se mette à l’œuvre tout de suite.
SIMIA. Est-ce que j’ai l’air d’avoir la tête ailleurs ?
PSEUDOLUS. Marche donc vite.
SIMIA. Je veux marcher à mon aise, moi.
PSEUDOLUS. L’occasion est belle, tandis que notre homme dort. Il faut que tu te présentes le premier.
SIMIA. Qu’est-ce qui te presse ? Doucement ! N’aie pas peur : si seulement Jupiter envoyait ici en même temps ce drôle, quel qu’il soit, qui vient de la part du militaire ! Jamais, par Pollux, il ne sera Harpax mieux que moi. Sois tranquille ; je te débrouillerai comme il faut ton écheveau. A force de ruses et de mensonges, je ferai si belle peur à ce soldat étranger qu’il se désavouera lui-même et trouvera que c’est moi qui suis lui.
PSEUDOLUS. Comment-est-ce possible ?
SIMIA. Tes questions m’assomment.
PSEUDOLUS. Tu es joli aussi avec tes ruses et tes mensonges ! Que Jupiter te conserva à moi !
SIMIA. A moi plutôt. Mais regarde, ce costume me sied-il ?
PSEUDOLUS. A ravir.
SIMIA. Bon.
PSEUDOLUS. Que les dieux immortels te comblent de tous les biens que tu peux désirer ! car si je te souhaitais ceux que tu mérites, ce serait moins que rien. Je n’ai jamais rien vu de plus malin ni de plus malfaisant que ce coquin.
SIMIA. C’est à moi que tu parles ?
PSEUDOLUS. Je me tais : mais que ne te ferai-je pas, que ne te donnerai-je pas, si tu mènes bien notre barque !
SIMIA. Te tairas-tu enfin ? A force de leur faire la leçon, on ôte la mémoire à ceux qui savent le mieux leur affaire. Je me souviens de tout, j’ai tout dans ma tête, mon plan est on ne peut mieux concerté.
PSEUDOLUS. L’honnête garçon !
SIMIA. Honnête ! ni toi ni moi.
PSEUDOLUS. Ne va pas broncher.
SIMIA. Veux-tu bien te taire !
PSEUDOLUS. Les dieux me protégent, aussi vrai que…
SIMIA. Ils n’en feront rien, tu ne vas débiter que menteries.
PSEUDOLUS. Aussi vrai que je t’aime, Simia, et te crains et t’admire pour ta perfidie !
SIMIA. Je sais en donner aux autres, mais moi on ne me fait rien avaler.
PSEUDOLUS. Comme je te régalerai, une fois le coup achevé !
SIMIA. Ha, ha, ha !
PSEUDOLUS. Bonne chère, vins, parfums, fines bouteilles et friands ragoûts ; avec cela une femme charmante, qui te donnera baisers sur baisers.
SIMIA. Me voilà joliment régalé.
PSEUDOLUS. Si tu réussis, tu auras bien plus raison de le dire.
SIMIA. Si je ne réussis pas, offre-moi un régal de gibet, bourreau. Mais montre-moi vite où est la porte de ce Ballion.
PSEUDOLUS. Par ici, la troisième.
SIMIA. St ! tais-toi, la porte bâille.
PSEUDOLUS. C’est que sans doute elle a mal au cœur.
SIMIA. Comment cela ?
PSEUDOLUS. Parce que, ma foi, elle vomit le prostitueur en personne.
SIMIA. C’est lui ?
PSEUDOLUS. Oui.
SIMIA. Triste marchandise.
PSEUDOLUS. Regarde un peu ; il ne marche pas droit, il va de travers, comme les écrevisses.
SCÈNE II. — BALLION, PSEUDOLUS, SIMIA.
BALLION. Il n’est pas si malin que je croyais, ce cuisinier : il n’a encore harponné qu’un cyathe et une coupe.
PSEUDOLUS, à Simia. Hé, voici le moment, l’occasion.
SIMIA. Je suis de ton avis.
PSEUDOLUS. Fais adroitement ton petit chemin, je reste ici en embuscade.
SIMIA, haut. J’ai bien compté, la sixième rue après la porte, c’est là qu’il m’a recommandé de descendre ; mais je ne me rappelle plus trop quelle maison il m’a dit.
BALLION, à part. Qu’est-ce que cette homme en chlamyde ? d’où vient-il ? que cherche-t-il ? C’est une figure étrangère et qui m’est inconnue.
SIMIA. Mais voici quelqu’un qui pourra me tirer d’embarras et me renseigner exactement.
BALLION. Il vient droit à moi. De quel pays peut-il bien être ?
SIMIA. Hé, vous l’homme à la barbe de bouc, répondez à une question.
BALLION. Ah çà, vous ne saluez pas d’abord ?
SIMIA. Je n’ai pas de salut à jeter au nez des gens.
BALLION. Eh bien, ma foi, je vous en offrirai autant.
PSEUDOLUS, à part. Ils vont bien pour leur début.
SIMIA. Connaissez-vous quelqu’un dans cette rue ? répondez.
BALLION. Je me connais, moi.
SIMIA. Il y a peu d’hommes aussi avancés que vous ; sur la place, il n’y en a pas un sur dix qui se connaisse.
PSEUDOLUS, à part. Je suis sauvé ; il fait déjà le philosophe.
SIMIA. Je cherche ici un coquin, un ennemi des lois, un parjure, un vaurien.
BALLION, à part. C’est moi qu’il cherche, voilà bien mes surnoms ; il ne lui reste plus que le nom à dire. (Haut.) Comment s’appelle-t-il ?
SIMIA. Ballion.
BALLION, à part. N’avais-je pas deviné ? (Haut.) Je suis celui que vous cherchez, l’ami.
SIMIA. Vous êtes Ballion ?
BALLION. En chair et en os.
SIMIA. A ton costume, tu me fais l’effet d’un perceur de murailles.
BALLION. Si tu me rencontrais la nuit, tu ne jouerais pas des mains, n’est-ce pas ?
SIMIA. Mon maître m’a chargé de mille compliments pour vous. Prenez cette lettre, il m’a dit de vous la remettre.
BALLION. Qui est-ce qui vous a donné cette commission ?
PSEUDOLUS, à part. C’est fuit de moi, le voilà en plein bourbier, il ne sait pas le nom : nous sommes accrochés.
BALLION. Qui est-ce qui m’écrit ? dites.
SIMIA. Regardez l’empreinte, et dites-moi le nom vous-même, que je sache si vous êtes bien Ballion.
BALLION. Voyons la lettre.
SIMIA. Tenez ; reconnaissez le cachet.
BALLION. Oh, oh ! Polymachæroplacidès ? C’est lui tout craché, je le reconnais bien : hé !
SIMIA. Polymachaeroplacidès, c’est bien le nom ; je vois que j’ai remis la lettre en bonnes mains, puisque vous avez dit le nom, Polymachæroplacidès.
BALLION. Comment va-t-il ?
SIMIA. Comme un brave, ma foi, un digne guerrier. Mais lisez vitement, je vous prie, c’est nécessaire, et recevez tout de suite votre argent, et remettez^moi la belle. Il me faut être aujourd’hui même à Sicyone ou périr demain, tant j’ai un maître exigeant.
BALLION. Je le sais, inutile de le dire.
SIMIA. Alors lisez sur-le-champ.
BALLION. C’est ce que je fais, si vous pouvez vous taire. « Le militaire Polymachæroplacidès envoie cette lettre au prostitueur Ballion avec l’empreinte dont nous sommes convenus tous les deux dans le temps. »
SIMIA. Le signe est dans la lettre.
BALLION. Je le vois, je le reconnais : mais est-ce qu’il n’a pas même l’habitude de saluer par écrit dans ses lettres ?
SIMIA. C’est la mode militaire, Ballion : ils saluent de la main leurs amis, et de la même main ils châtient leurs ennemis. Mais vous avez commencé, continuez, et voyez un peu ce que cette lettre chante.
BALLION. Écoutez donc. « Celui qui vient vers vous est Harpax, mon valet. » C’est vous qui êtes Harpax ?
SIMIA. Oui, Harpax en personne.
BALLION. « J’entends que vous receviez l’argent des mains du porteur de la lettre et que vous fassiez partir la jeune femme avec lui. On doit quand on écrit saluer ceux qui le méritent : si je vous en croyais digne, je vous saluerais. »
SIMIA. Eh bien ?
BALLION. Donnez l’argent et emmenez la femme.
SIMIA. Lequel de nous deux est le lambin ?
BALLION. Suivez-moi donc à la maison.
SIMIA. Je vous suis.
SCÈNE III. — PSEUDOLUS.
SCÈNE IV. — SIMIA, PSEUDOLUS, PHÉNICIE.
SIMIA, à Phénicie. Ne pleurez pas, vous ne savez pas de quoi il retourne, Phénicie ; mais je vous le ferai savoir bientôt, en vous mettant à table. Je ne vous mène pas à ce Macédonien aux longues dents qui est la cause de vos larmes. Je vous conduis à celui auquel vous désirez par-dessus tout appartenir ; dans un instant je vous ferai embrasser votre Calidore.
PSEUDOLUS. Que faisais-tu là dedans si longtemps ? Mon cœur est tout courbaturé d’avoir tant battu contre ma poitrine.
SIMIA. Tu choisis bien le moment, pendard, pour m’interroger au milieu des embûches de l’ennemi. Éloignons-nous plutôt au pas redoublé.
PSEUDOLUS. Ma foi, tout vaurien que tu es, l’avis est bon. Venez par ici, droit à la coupe triomphale.
SCÈNE V. — BALLION.
Ha, ha ! maintenant enfin j’ai l’esprit en repos ; le voilà parti, et la belle avec lui. Je serais curieux de voir venir ce fripon de Pseudolus pour essayer de me l’enlever à force de ruses. Par Hercule, j’aimerais mieux faire mille faux serments en termes formels que de lui servir de jouet. Si je le rencontre, je me moquerai joliment de lui. Mais j’espère qu’on l’enverra au moulin, comme il a été dit. Je voudrais bien me trouver avec Simon pour lui faire partager ma joie.
SCÈNE VI. — SIMON, BALLION.
SIMON. Je viens voir ce qu’a fait mon Ulysse, s’il a déjà enlevé la statue de la citadelle de Ballion.
BALLION. Heureux Simon, donnez-moi votre heureuse main !
SIMON. Qu’y a-t-il ?
BALLION. A présent…
SIMON. Eh bien, à présent ?
BALLION. Vous n’avez plus rien à craindre.
SIMON. Comment cela ? Notre homme est venu ?
BALLION. Non.
SIMON. Alors, quel si grand bonheur ?
BALLION. Elles sont sauvées et en sûreté, les vingt mines que Pseudolus a pariées aujourd’hui avec vous.
SIMON. Je le voudrais bien, ma foi.
BALLION. Demandez-moi vingt mines s’il s’empare aujourd’hui de la jeune fille ou s’il la donne aujourd’hui à votre fils, comme il lui a dit ; demandez, je vous eu prie en grâce, je grille de les promettre. Et pour que vous sachiez bien que ? le péril est complétement passé, je vous donne encore la fillette par-dessus le marché.
SIMON. Je ne risque rien, il me semble, à conclure cet arrangement. Aux termes de ta promesse, me donneras-tu vingt mines ?
BALLION. Je vous les donnerai.
SIMON. Voilà une bonne affaire faite. Mais as-tu vu notre homme ?
BALLION. Je les ai même vus tous les deux.
SIMON. Qu’est-ce qu’il dit ? qu’est-ce qu’il raconte ? qu’est-ce qu’il chante, dis-moi ?
BALLION. Des sornettes de théâtre, des plaisanteries comme on en adresse dans les comédies aux gens de mon métier, et que les enfants même savent : il m’appelait vaurien, scélérat, parjure.
SIMON. Par ma foi, il n’a pas menti.
BALLION. Je ne me suis pas fâché ; qu’importent les injures quand on n’en fait nul cas et qu’on n’y répond pas ?
SIMON. Et pourquoi n’as-tu pas peur de lui ? c’est là ce que je voudrais savoir.
BALLION. Parce qu’il ne m’enlèvera pas la fille, il ne le peut plus. Je vous disais tantôt, si vous vous en souvenez, que je l’avais vendue à un militaire de Macédoine.
SIMON. Je me rappelle.
BALLION. Eh bien, son valet est venu m’apporter l’argent, et le signe sous un pli cacheté.
SIMON. Après ?
BALLION. Le signe dont j’étais convenu avec le militaire, et il a emmené Phénicie il n’y a qu’un moment.
SIMON. Parles-tu de bonne foi ?
BALLION. Où en prendrais-je ?
SIMON. Prends garde seulement qu’il ne t’ait machiné quelque tour.
BALLION. Avec la lettre et le portrait, je suis sûr de mon affaire. Et même il vient de partir avec elle pour Sicyone.
SIMON. Tant mieux, par Hercule ! Je ne veux pas tarder à faire enrôler Pseudolus dans la colonie du moulin… Mais qu’est-ce que c’est que cet homme à chlamyde ?
BALLION. Je n’en sais rien, ma foi ; regardons où il va, ce qu’il veut.
SCÈNE VII. — HARPAX, SIMON, BALLION.
HARPAX. C’est un drôle, un vaurien que l’esclave qui néglige les ordres de son maître. Ce n’est pas grand’chose non plus que celui qui ne pense pas à faire son devoir, si on ne l’avertit. Ces garnements qui s’imaginent être libres dès qu’ils ont perdu le maître de vue, ils se donnent du bon temps, courent les maisons de filles, mangent ce qu’ils ont, et gardent longtemps le nom d’esclaves : ils n’ont de talent pour rien, s’ils ne se bornent à faire le mal. Jamais je ne les hante, jamais je ne leur parle, jamais je n’ai fait connaissance avec eux. Une fois mon ordre reçu, le maître a beau ne pas être là, je m’imagine toujours qu’il y est ; je le crains absent, pour n’avoir pas à le craindre présent. Mais occupons-nous de ma commission. Ce Syrus, à qui j’ai remis le signe de reconnaissance, m’a laissé tout ce temps à l’auberge ; j’y suis resté selon ses instructions ; il m’avait dit qu’il viendrait me chercher dès que notre homme serait au logis ; mais puisque je ne le vois pas et qu’il ne me fait rien dire, je viens de moi-même pour savoir ce qui en est ; je ne veux pas qu’il se moque de moi. Ce que j’ai de mieux à faire, c’est de frapper et d’appeler quelqu’un de la maison. Je veux que cet homme reçoive son argent et me laisse emmener la femme.
BALLION, à Simon. Hé, hé !
SIMON. Qu’est-ce que tu veux ?
BALLION. Cet homme est à moi.
SIMON. Comment cela ?
BALLION. Parce que c’est une proie qui m’arrive : il cherche une fillette, il a de l’argent. J’ai bien envie de lui donner un premier coup de dent. SIMON. Veux-tu le manger, par hasard ?
BALLION. Oui, tandis qu’il est frais. Quand on le sert, tout chaud, c’est le moment d’avaler. Les gens sages m’appauvrissent, les prodigues me nourrissent et grossissent mon bien ; les braves gens me ruinent, les vauriens me rapportent.
SIMON. Que les dieux te confondent, car tu es trop scélérat !
HARPAX. Allons, je tarde trop à frapper et à m’informer si Ballion est chez lui.
BALLION, à Simon. Ce sont des cadeaux que Vénus me fait, quand elle m’envoie ces paniers percés, ces bourreaux d’argent qui ne songent qu’à mener joyeuse vie ; ils mangent, ils boivent, ils font l’amour : ce sont d’autres caractères que vous, qui ne pouvez souffrir de vous donner du bon temps et qui êtes jaloux de ceux qui en prennent.
HARPAX, frappant. Holà ! y a-t-il quelqu’un ?
BALLION. Il s’en va tout droit chez moi.
HARPAX. Holà ! y a-t-il quelqu’un ?
BALLION. Hé, l’ami, qu’est-ce qu’on vous doit ici ? (A part.) Il me laissera ses plumes : je m’y connais, les présages sont bons.
HARPAX. M’ouvrira-t-on ?
BALLION. Hé ! l’homme, avec votre chlamyde, qu’est-ce qu’on vous doit ici ?
HARPAX. Je cherche le maître de la maison, Ballion l’entremetteur.
BALLION. Qui que vous soyez, l’ami, vous pouvez vous épargner la peine de chercher.
HARPAX. Comment cela ?
BALLION. Parce qu’il est ici présent ; vous le voyez et il vous voit.
HARPAX. C’est vous ?
SIMON. Prenez garde, l’homme à la chlamyde, de vous attirer quelque grosse mésaventure ; montrez-lui les cornes, c’est un prostitueur.
BALLION. Oui, mais un honnête garçon. Au lieu que vous, l’homme de bien, à chaque instant on vous chante pouille au tribunal, car vous n’avez pas une obole, si le prostitueur ne vous vient en aide.
HARPAX, à Ballion. Ne pouvez-vous me parler ?
BALLION. Je vous parle. Que voulez-vous ?
HARPAX. Vous faire toucher de l’argent.
BALLION. Si vous en avez à donner, voilà une heure que je tends la main.
HARPAX. Tenez. Il y a là cinq mines d’excellent argent, bien comptées. Mon maître Polymachœroplacidès m’a chargé de vous payer cette dette et de recevoir Phénicie de vos mains.
BALLION. Votre maître ?
HARPAX. Oui.
BALLION. Le militaire ?
HARPAX. Oui.
BALLION. Le Macédonien ?
HARPAX. Oui, vous dis-je.
BALLION. Polymachaeroplacidès vous envoie chez moi ?
HARPAX. Vous dites la vérité.
BALLION. Pour me remettre cet argent ?
HARPAX. Si vous êtes bien Ballion le prostitueur.
BALLION. Et pour emmener la femme de chez moi ?
HARPAX. Oui.
BALLION. Et il a dit qu’elle s’appelait Phénicie ?
HARPAX. Vous avez bonne mémoire.
BALLION. Attendez, je suis à vous tout de suite.
HARPAX. Au moins faites vite, dépêchez-vous ; je suis pressé ; ne voyez-vous pas qu’il se fait tard ?
BALLION. Si fait. (Il montre Simon.) Mais je veux qu’il m’assiste. Restez seulement là, je reviens. (A Simon.) Eh bien, Simon, que faire ? à quel parti m’arrêter ? Je le prends en flagrant délit, ce porteur d’argent. SIMON. Comment cela ?
BALLION. Vous ne voyez pas de quoi il retourne ?
SIMON. Non, je suis là-dessus le plus ignorant du monde.
BALLION. Par ma foi, c’est un grand pendard que ce Pseudolus ! Comme il a bien combiné sa fourberie ! Il a donné à cet homme tout juste la somme que me devait le militaire, et l’a déguisé pour venir chercher la belle. C’est votre Pseudolus qui nous l’envoie, comme s’il venait de la part du militaire macédonien.
SIMON. As-tu palpé l’argent ?
BALLION, montrant les cinq mines. Comment ! vous demandez ce que vous voyez ?
SIMON. Hé ! pense alors à me donner la moitié du butin : part à deux, cela doit être.
BALLION. Peste ! comment donc ! c’est bien tout à vous.
HARPAX. Vous occuperez-vous bientôt de moi ?
BALLION. Je m’en occupe. (A Simon.) Que me conseillez-vous, Simon ?
SIMON. Égayons-nous un peu aux dépens de ce prétendu ambassadeur.
BALLION. Oui, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’on se moque de lui. Suivez-moi. (A Harpax.) Eh bien, vous êtes donc son esclave ?
HARPAX. Tout à fait.
BALLION. A quel prix vous a-t-il acheté ?
BALLION. A-t-il aussi un beau jour conquis la prison, votre patrie ?
HARPAX. Si vous dites des sottises, vous en entendrez.
BALLION. En combien de jours êtes-vous venu de Sioyone ici ?
HARPAX. En un jour et demi.
BALLION. Vous avez bien marché, ma foi. Il a des ailes aux jambes. On n’a qu’à regarder ses mollets pour être sûr qu’il est de force à porter de fameuses entraves. Ah çà, quand vous étiez petit, aviez-vous l’habitude de coucher dans un berceau ?
HARPAX. Sans doute.
BALLION. Et aviez-vous l’habitude de faire… vous m’entendez ?
SIMON. Assurément il en avait l’habitude.
HARPAX. Êtes-Vous fous tous les deux ?
BALLION. Répondez un peu. La nuit, quand le militaire était de service, alliez-vous avec lui ? son épée entrait-elle bien dans votre fourreau ?
HARPAX. Allez vous faire pendre.
BALLION. Vous pourrez y aller vous-même aujourd’hui, et de bonne heure.
HARPAX. Voyons, remettez-moi la femme ou rendez-moi l’argent.
BALLION. Attendez.
HARPAX. Pourquoi attendre ?
BALLION. Dites un peu combien vous avez loué cette chlamyde.
HARPAX. Qu’est-ce à dire ?
BALLION. Et le coutelas ? à quel prix ?
HARPAX. Voilà des gens qui auraient bon besoin d’hellébore.
BALLION. Et puis…
HARPAX. Assez.
BALLION. Combien le chapeau rapporte-t-il à son maître pour la journée ?
HARPAX. Comment, à son maître ? rêvez-vous ? Tout cela est à moi, bien à moi, acheté de mon pécule.
BALLION. Oui, de celui que tu as au haut des cuisses.
HARPAX. Ces deux vieillards sont huilés ; ils veulent se faire frotter à la vieille mode.
BALLION. Répondez, je vous prie, mais sérieusement cette fois, à ma question : combien gagnez-vous ? combien Pseudolus vous a-t-il loué ?
HARPAX. Quel Pseudolus ?
BALLION. Celui qui vous a fait la leçon, qui vous a enseigné cette fourberie, pour emmener en trahison Phénicie de chez moi.
HARPAX. Qu’est-ce que vous me chantez avec votre Pseudolus et vos trahisons ? Je ne sais seulement pas de quelle couleur il est.
BALLION. Çà, vous en irez-vous ? Les fripons n’ont rien à gagner ici aujourd’hui : allez dire à Pseudolus qu’un autre a emmené la proie, Harpax, qui s’est présenté avant lui.
HARPAX. Eh ! ma foi, c’est moi qui suis Harpax.
BALLION. C’est-à-dire, ma foi, que vous voudriez bien l’être. (A Simon.) Voilà un maître coquin.
HARPAX. Je vous ai remis l’argent, et tantôt en arrivant j’ai donné le signe à votre esclave, une lettre cachetée du portrait de mon maître, ici, devant la porte.
BALLION. Vous avez donné la lettre à mon esclave ! quel esclave ?
HARPAX. Syrus.
BALLION. Il manque d’aplomb ; quel maladroit trompeur ! ses histoires n’ont ni queue ni tête, car le véritable Harpax est venu en personne m’apporter la lettre.
HARPAX. C’est moi qui m’appelle Harpax ; c’est moi qui suis l’esclave du militaire macédonien ; je ne mets là dedans ni friponnerie ni finesse, je ne sais qui est votre Pseudolus, je ne le connais point.
SIMON, à Ballion. A moins d’un miracle, Ballion, la péronnelle est perdue pour vous.
BALLION. Ma foi, plus je l’entends, plus j’en ai peur.
SIMON. Et moi aussi, par Pollux, voilà un bon moment que ce Syrus qui a reçu le signe me fait froid au cœur. Il y a du louche : c’est Pseudolus. (A Harpax.) Ça, quelle mine avait-il, celui à qui vous avez remis le signe ?
HARPAX. Rousseau, ventru, grosses jambes, teint brun, tête énorme, œil perçant, trogne enluminée, grands pieds.
SIMON. Ah ! tu nous achèves, en parlant de ces grands pieds. C’était Pseudolus.
BALLION. C’est fait de moi : Simon, je meurs.
HARPAX. Par Hercule, je ne vous laisserai pas mourir qu’on ne m’ait rendu l’argent, vingt mines.
SIMON. Et vingt autres mines à moi.
BALLION. Comment ! vous me prendriez une somme promise en plaisantant ?
SIMON. Il faut tout prendre aux coquins, argent et butin.
BALLION. Livrez-moi au moins Pseudolus.
SIMON. Que je te livre Pseudolus ! Qu’a-t-il fait ? Ne t’ai-je pas averti cent fois de prendre garde à lui ?
BALLION. Il m’a ruiné.
SIMON. Et moi il m’a mis à l’amende de vingt belles mines.
BALLION. Que faire ?
HARPAX. Rendez-moi l’argent, et pendez-vous après.
BALLION. Que les dieux vous exterminent ! Venez donc avec moi sur la place, que je vous paye.
HARPAX. Je vous suis.
BALLION. Je solderai aujourd’hui les étrangers ; demain je m’arrangerai avec les citoyens. Pseudolus a prononcé ma sentence de mort, en m’envoyant le drôle qui a emmené Phénicie. (A Harpax.) Suivez-moi. (Aux spectateurs.) N’attendez pas que1 je rentre par ici dans ma maison. Après cette belle aventure, je suis bien décidé à prendre par les ruelles.
HARPAX. Si vous aviez aussi bonnes jambes que bonne langue, vous seriez déjà sur la place.
BALLION. Il est certain que de mon jour de naissance je ferai le jour de mes funérailles.
SCÈNE VIII. — SIMON.
Je l’ai joliment étrillé, et l’esclave a joliment étrillé son ennemi. Mais je veux recevoir Pseudolus autrement qu’on ne fait dans les comédies, où l’on apprête les fouets et les étrivières. Au lieu de le punir je lui compterai les vingt mines que je lui ai promises en cas de succès ; je les lui apporterai de moi-même. C’est un gaillard bien fin, bien rusé, bien madré ; oui, Pseudolus a enfoncé le Troyen Dolon et Ulysse. Rentrons, apprêtons l’argent, et attendons-le.
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ACTE V.
SCÈNE I. — PSEUDOLUS.
Eh bien, qu’est-ce que cela, mes jambes ? Est-ce ainsi que l’on se comporte ? Voulez-vous bien vous tenir, ou non ? Voulez-vous que je m’étale et me fasse ramasser ? Ma foi, si je tombe, ce sera votre faute. Avancerez-vous ? Ah ! il faudra me fâcher aujourd’hui. Le vin a un grand tort, il s’attaque d’abord aux jambes : c’est un perfide lutteur. Sur mon âme, me voilà en plein dans les vignes : une si bonne chère, si propre, si comme il faut, ah ! nous avons été joliment hébergés dans un joli endroit ! A quoi bon tant de détours ? C’est là ce qui fait qu’on aime la vie ; là sont toutes les voluptés, tous les agréments. Je me crois presque un dieu. Lorsqu’un amant tient dans ses bras sa maîtresse, que les lèvres se joignent, que deux langues se collent et s’enlacent, qu’un sein presse un autre sein, ou, si l’on aime mieux, que deux corps se replient… une blanche main offre la coupe de délices en buvant à la plus tendre affection… personne qui vous ennuie, qui vous importune, pas de propos à dormir debout… essences, parfums, rubans, couronnes éclatantes… car en fait de provisions rien n’était épargné, inutile de me le demander. De cette façon mon jeune maître et moi nous- avons passé une ravissante journée ; aussi avais-je accompli mon entreprise comme je le souhaitais, et mis l’ennemi en déroute. J’ai laissé les autres à table, buvant, faisant l’amour, avec leurs maîtresses, et la mienne aussi ; ils se donnent du bon temps. Quand je me suis levé, ils m’ont prié de danser. Je me suis mis en cadence comme ceci pour leur faire plaisir, selon les règles, car j’ai appris à fond la danse ionienne. J’ai donc exécuté un pas joyeux, comme cela, enveloppé dans mon manteau ; on m’applaudit, on me crie de recommencer. Je me mets encore à tourner de cette façon-ci ; en même temps, je me prêtais aux caresses de ma belle ; mais en faisant la pirouette, je tombe, et bonsoir la comédie ! Je fais un effort, pax ! j’ai presque embrené mon manteau. Ma chute les a, ma foi, bien fait rire. On me donne une coupe, je bois ; je change de manteau, je laisse l’autre, et je sors pour dissiper les fumées. Et maintenant je quitte mon jeune maître pour venir rappeler au vieux maître notre traité. (Il frappe.) Ouvrez, ouvrez, hé ! qu’on aille avertir Simon que je suis là.
SCÈNE II. — SIMON, PSEUDOLUS, BALLION.
SIMON. C’est la voix d’un fier drôle qui m’appelle. Mais qu’est-ce à dire ? Comment ! tu… Que vois-je ?
PSEUDOLUS. Sous cette couronne, votre esclave Pseudolus ivre. SIMON. Comme un homme libre, ma foi ! Mais voyez un peu cette tenue. Se trouble-t-il devant moi ? (A part.) Je ne sais trop quel ton je dois prendre, badin ou sévère. Mais ce que je porte là[11] m’invite à filer doux, peut-être reste-t-il encore quelque espoir.
PSEUDOLUS. C’est un vaurien qui vient trouver un honnête homme.
SIMON. Que les dieux te bénissent, Pseudolus !… Pouah ! va te pendre.
PSEUDOLUS. Eh ! pourquoi donc me ferais-je du mal ?
SIMON. Qu’as-tu besoin, ivrogne, de venir me roter au nez ?
PSEUDOLUS. Là, doucement, retenez-moi, prenez garde que je ne tombe. Ne voyez-vous pas que je suis tout à fait humecté ?
SIMON. Quelle audace de te promener ainsi en plein jour, ivre, avec une couronne !
PSEUDOLUS. C’est mon plaisir.
SIMON. Comment, ton plaisir ! Tu vas encore me roter au nez ?
PSEUDOLUS. Ce sont de suaves soupirs ; laissez-moi donc.
SIMON. Je crois, ma foi, scélérat, que tu serais capable d’engloutir en une heure les quatre plus belles récoltes des coteaux du Massique.
PSEUDOLUS. Dites dans une heure d’hiver.
SIMON. Tu as raison de me reprendre. Mais voyons, d’où viens-tu si bien lesté ?
PSEUDOLUS. Je me suis arrosé tout à l’heure avec votre fils. Hein ! Simon, comme notre prostitueur a été attrapé ! Comme je suis venu à bout de ce que je vous avais dit !
SIMON. Tu veux rire ? Quel drôle !
PSEUDOLUS. Grâce à moi la belle est libre et à table avec votre fils.
SIMON. Je sais de point en point tes prouesses.
PSEUDOLUS. Que tardez-vous donc à me compter l’argent ?
SIMON. Tu y as droit, j’en conviens. Tiens.
PSEUDOLUS. Vous disiez que vous ne me le donneriez pas, vous me le donnez pourtant ; chargez-le sur mon épaule, et suivez-moi par ici.
SIMON. Sur ton épaule ?
PSEUDOLUS. Oui, vous le voudrez bien, j’en suis sûr.
SIMON. Que pourrais-je bien lui faire ? m’emporter, ainsi mon argent, et se moquer de moi !
PSEUDOLUS. Malheur aux vaincus !
SIMON. Tourne donc le dos. Hé ! (Ballion entre et se met aux genoux de Pseudolus.)
BALLION. Je n’aurais jamais cru devenir ainsi ton suppliant… Hi ! hi ! hi !
PSEUDOLUS. Assez.
BALLION. J’ai tant de chagrin !
PSEUDOLUS. Si tu n’en avais pas, c’est moi qui en aurais.
BALLION. Qu’est-ce à dire, Pseudolus ? emporter ainsi l’argent de ton maître ?
PSEUDOLUS. Oui, et avec plaisir, et de grand cœur.
BALLION. Ne voudrais-tu pas me faire cadeau d’une petite partie ?
PSEUDOLUS. Je sais : tu diras que je suis un avare, car tu ne seras pas par moi plus riche d’une obole. Tu n’aurais pas eu pitié de mon dos, si je n’avais pas réussi.
BALLION. Je saurai me venger si les dieux me prêtent vie.
PSEUDOLUS. Pourquoi me menacer ? j’ai de bonnes épaules.
BALLION. Soit donc. (Il s’en va.)
PSEUDOLUS. Allons, reviens.
BALLION. A quoi bon revenir ?
PSEUDOLUS. Reviens toujours, tu ne seras pas attrapé.
BALLION. Me voici.
PSEUDOLUS. Viens-t’en boire avec moi.
BALLION. Que j’aille boire ?
PSEUDOLUS. Fais ce que je te dis. Si tu viens, tu auras la moitié de ceci, et même plus.
BALLION. Je viens, mène-moi où tu voudras.
PSEUDOLUS. Eh bien, Simon, êtes-vous fâché contre moi ou contre votre fils à cause de cette histoire ?
SIMON. Non certes.
PSEUDOLUS, à Ballion. Par ici.
BALLION. Je te suis. Que n’invites-tu aussi les spectateurs ?
PSEUDOLUS. Ma foi, ils n’ont pas l’habitude de m’inviter, ni moi de les inviter non plus. (Aux spectateurs.) Mais si vous voulez applaudir et donner votre approbation à la pièce et à la troupe, je vous inviterai demain.
- ↑ De la Vieillesse, chap. xv.
- ↑ Voyez le Plaidoyer pour Roscius, chap. vii.
- ↑ Cet argument, qui est acrostiche, est attribué au grammairien Priscien.
- ↑ Nous empruntons à Levée la traduction de ce prologue, dont les deux derniers vers seulement sont admis comme pouvant être de Plaute.
- ↑ Ce monologue était un des triomphes de Roscius.
- ↑ Jeu de mots sur leno et lanius.
- ↑ Il y a ici une lacune de quelques mots.
- ↑ La loi Lœtoria, qui défendait de faire crédit à un fils âgé de moins de vingt-cinq ans, ou de passer marché avec lui si le père vivait encore.
- ↑ C’était le quartier des bouchers.
- ↑ Harpax est un mot grec qui signifie ravisseur.
- ↑ Les vingt mines.