Psyché/Première Partie/Chapitre VII.

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VII

LE DÉPART D’AIMERY


Le départ d’Aimery fut moins animé. Pendant les premières minutes du réveil s’étend une période intermédiaire où nous ne distinguons pas du tout l’imaginaire et le réel. Nous sentons bien que nous avons rêvé, mais le palais du songe existe encore, et s’il n’est pas vrai que nous en sortions, nous y entrerons tout à l’heure.

Aimery crut avoir subi une aberration semblable quand il se réveilla de son mirage optimiste dans l’automobile silencieuse qui le menait à la gare d’Orsay.

Un brusque petit rire de dépit, et il haussa l’épaule.

« Évidemment, elle ne viendra pas. »

Pour la séduire il fallait d’abord ne pas la quitter. Après le « non » qu’elle avait dit, quel revirement spontané pouvait-on attendre d’elle sans que rien ne fût intervenu en faveur du rendez-vous ?

Mais lorsque Aimery mit pied à terre sur le trottoir de la gare, il lui resta encore un doute, c’est-à-dire une espérance. Psyché n’était pas là ? Qu’en savait-il ? Si le rendez-vous eût été donné dans un endroit désert… mais ici, dans cette foule en mouvement ! C’était peut-être elle, ce chapeau voilé de bleu ?… et là-bas, ce long manteau beige ?… Non. Il était trop tard sans doute… Et si elle était arrivée la première, si elle était en bas, dans le compartiment !… Supposition invraisemblable ! Mais encore une fois, qu’en savait-il ? Il était fou d’espérer sans motif, mais ne serait-il pas plus insensé de désespérer sans preuve ?

Il descendit, chercha le wagon, prit place. Mais Psyché n’était pas dans le compartiment.

Comme si elle devait venir, néanmoins, il ferma les rideaux, il disposa les fleurs qu’il avait prises pour elle, et quatre coussins à lui dans les deux coins de la banquette. Un parfum végétal et frais combattit et chassa bientôt l’odeur épaisse de la gare souterraine. Il mit deux petites coupes sur la tablette, l’une pleine de bonbons, l’autre vide, pour les bagues. Enfin il tendit sur toute la paroi du fond une grande soie chinoise souple et fine, qui était jaune brodée de bleu.

« C’est un peu compromettant, se dit-il avec ironie. Mais puisqu’elle ne viendra pas ! »

Il pensait tout le contraire. Plus le petit ameublement qu’il improvisait prenait apparence de chambre amoureuse et plus l’ombre de Psyché y prenait de réalité. Elle était là, flottante et presque invisible, attendant son corps absent qui allait se confondre avec elle. Aimery l’adorait, lui souriait déjà.

Ah ! l’ardente chimère que cette évasion ! S’aimer, se le dire un jour et fuir dans la nuit ! Rompre avec toutes les règles de l’amour classique, déchirer le protocole du flirt, inobserver le jeûne préalable, sauter trois actes et sept tableaux entre la cavatine et le duo d’amour ! Ah ! si elle était femme à aimer ainsi, à partir « spontanément comme si c’était l’idée la plus simple du monde que d’aller où le printemps l’appelle et d’y conduire son amant. » Il l’avait crié ! Que n’entendait-elle !


Cependant l’heure passait. La voix du chef de train appelant « les voyageurs pour l’express de Nantes » fit bondir Aimery, qui devint pâle.

Trois minutes encore, et le train partirait.

Le tumulte de la gare allait grandissant. On entendait des appels précipités, des cris d’adieu qui se croisaient avec les commandements de services, des sifflets soudains qui assourdissaient le bruit émouvant des portières fermées.

Aimery s’appuya de la main au chambranle de la petite porte et son cœur se mit à battre avec tant d’emportement qu’il ne savait pas si c’était de désir, de désespoir ou d’incertitude. Dix fois il voulut se jeter dehors et courir jusqu’au marchepied pour voir de ses yeux… pour appeler peut-être… « Pressez-vous !… Pressez-vous ! » À quoi bon ? Elle présente, il pouvait la perdre. Elle absente…

Brusquement, la porte s’ouvrit et Psyché, Psyché elle-même, non plus son image ni son ombre, mais son corps véritable, son regard, son parfum, toute elle… Psyché entra.

Elle ferma en tremblant la porte, s’y adossa, tendit les mains :

« Je vous en supplie, ne me touchez pas… Je ne sais pas ce que je fais ici… »

« Sa voix ! C’était aussi sa voix ! »

« Ce que vous faites ici, Psyché ? Mais toute la beauté de la vie pour celui qui vous entend ! »

Les yeux clos, la main sur le front, elle parlait comme à elle-même, tandis que le train retentissant roulait sous le tunnel de Paris.

« Comment suis-je venue ?… Je ne sais pas… Toute la journée, je n’ai pensé qu’à vous fuir… J’avais peur de vous… peur de moi… Il n’y a que cinq minutes je vous fuyais encore… et je me suis prise… vous le voyez… tout est fait…

— Psyché !

— C’est insensé, vous me le disiez vous-même ! C’était impossible… Et me voici !

— Psyché ! »