Psyché (Laprade)/Livre deuxième/Épilogue

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Alphonse Lemerre, éditeur (Œuvres poétiques de Victor de Lapradep. 95-97).








ÉPILOGUE



Quel sentier, unissant les sphères l’une à l’autre,
Jusqu’au monde idéal mène au sortir du nôtre ?
Quel vent souffle du ciel pour aider notre essor
Sur les degrés divers de cette échelle d’or ?
Comment, sans se confondre, atteignant jusqu’au maître,
Se touchent les anneaux de la chaîne de l’être ?…
Je ne sais ! Qui dira comment l’être est éclos,
Comment au sein du vide a germé le chaos ?…

Qui sait d’où tu venais quand la jeune nature,
Déployant sous tes pieds sa robe de verdure,
Amena ses enfants rangés autour de toi,
Te saluer en chœur comme on salue un roi ?
Loin de ce dieu qui t’aime et qui te frappe encore,
Que fais-tu sur la terre, ô Psyché ?… je l’ignore.

Mais j’en crois le concert des peuples et des temps
Par qui Dieu se révèle en signes éclatants ;
J’en crois aussi la voix de ce verbe suprême
Qui parle irrésistible au dedans de moi-même ;
Qui siège au fond des cœurs comme dans sa maison,
Illuminant tout homme à travers la Raison.

Il est dans l’avenir des régions meilleures
Où l’amour à Psyché prépare des demeures ;
Pour m’attirer à lui ce dieu me tend la main.
Un asile de paix attend le genre humain.

Oui, malgré nos douleurs, nos ténèbres, nos crimes,
Malgré la pesanteur des passions infimes,
Et les temples détruits, et le mal triomphant,
Et l’ironie allant du vieillard à l’enfant,
Et la haine qui gronde au fond de nos poitrines,
Et le monde ébranlé par le vent des doctrines,
Et le Sphinx maître encor du secret redouté,
Du mot de l’univers, je n’ai jamais douté !

Les âmes et les eaux prennent diverses routes,
Mais au même océan elles arrivent toutes ;
Leur cours est lent parfois, mais il ne s’en perd rien ;
En traversant le mal, nous marchons vers le bien.
Le bien de toute chose est la source et le terme.
Chaque homme du bonheur en soi porte le germe.
Oui, l’éternel principe à qui tout fait retour,
La cause de la vie et sa fin, c’est l’amour !

Repose-toi, Psyché ! Le dieu que tu supplies
A compté le trésor des œuvres accomplies ;
C’est à lui de descendre et de te consoler.
Le désir t’a conduit jusqu’où tu peux voler.

Nul du monde où tu vas ne peut franchir la porte
Sans qu’une main d’en haut le saisisse et l’emporte ;
Goûte enfin le repos ! Laisse, oubliant l’effort,
Ton âme s’incliner sur les bras de la mort.

Déjà pour t’enlever au sein des harmonies,
L’époux a déployé ses ailes infinies.
L’invisible s’avance et t’ouvre son séjour.
Le ciel que tu perdis t’est rendu dès ce jour ;
Car ton cœur, ô Psyché ! sut bien remplir sa tache
De souffrir sans blasphème et d’aimer sans relâche.

Prends courage, ô mon âme ! et marche jusqu’au soir ;
Pour atteindre le but, il suffit de vouloir.
Le désir, le désir survivant à la tombe,
Continue à monter quand notre corps y tombe.
Va donc comme Psyché vers l’éternel amant ;
Cours au-devant de Dieu jusqu’à l’épuisement.
Au seuil d’un autre monde où la route s’achève,
Dieu fait souffler sur nous un vent qui nous enlève,
Et l’homme, enfin tiré de la nuit et du mal,
Joyeux et pur s’éveille au sein de l’idéal.