Psyché au cinéma/Sur les Petits Chapeaux

La bibliothèque libre.
Paradis-Vincent (p. 23-30).


SUR LES PETITS CHAPEAUX


Ah ! les petits chapeaux que voici, ah ! les petits chapeaux que voilà ! On dirait vraiment qu’ils se sont donné le mot de rencontre rue Sainte-Catherine. Non pas qu’ils manquent aux regards rue Saint-Laurent ou rue Notre-Dame. Mais Sainte-Catherine les exhibe avec une telle impudeur qu’ils frappent les yeux les plus distraits, les plus étrangers à cette vision-là, les plus lourds de larmes suspendues à des images lointaines. Ils nous crèvent avec leurs aigrettes effilées, nous blessent de leurs plumes-couteaux, et nous assomment de

leurs crosses arrondies. En vérité, en vérité, ils nous veulent du mal et nous allons les haïr, car je les soupçonne de vouloir nous empêcher d’être heureux : ils ont l’air de secrets assassins. Oh ! les monstres. Ils sont une armée visible et menaçante qui tâche de prendre les femmes au filet de la vanité.

Quand elles arboraient des chapeaux follement larges et qui, par la profusion des fleurs jetées là, évoquaient l’idée de jardins suspendus, elles nous étonnaient, nos femmes, elles nous faisaient presque peur. Nous voyions dans cet édifice une perversion suprême dont elles aimaient à nous accabler en s’accablant elles-mêmes. S’il faut que, maintenant, elles s’ingénient à façonner des bonnets lilliputiens, on va les prendre pour nos égales.

Et nous irons au théâtre tout seuls ; nous oserons esquisser un pas dans la rue sans nous entendre dire : « Eh ! attends un peu, je m’habille et je sors avec toi. » Nous n’aurons plus de ressemblance avec les esclaves qui traînent un boulet à leurs jambes : ça va être toute une révolution, l’émancipation des hommes tant désirée depuis des siècles !

Tout de même sont-ils assez petits, les chapeaux femelles ? C’est à n’en pas revenir de surprise. Celui-ci parle : « Ramassez-moi donc, je naquis pour ressembler à un monsieur chapeau qu’on cueille » ; celui-là bafouille et nous bave un chou crème ; cet autre, noir, très noir, si noir orné de cactus artificiels, eût fait les délices de M. des Esseintes : il est morbide ! Non pareil, capricieux, ployé, j’en vois un qui simule l’oiseau mort et tient des narcisses dans son bec : c’est le chef-d’œuvre du genre et il finira, espérons-le, ainsi que le bicorne de Flambeau, au musée. Regardez ce rouge, semé de violettes, il crâne. Son destin sera de se poser sur un crâne de musette. Crâne donc, crâneux qui crânera !

Allô, violet mystérieux avec des marguerites noires, chapeau sombre comme mon âme. Tu dis ? Chut ! tu vas me trahir.

Ne me parlez pas de ces chapeaux qui semblent des îles escarpées et sans bords : la vertu n’a pas d’histoire et ceux-ci sont des saints. J’ai peur des saints et voudrais vous communiquer mon frisson, le frisson qu’ils me donnent. Caché au milieu de tous, est-il agaçant, celui-là, le jaune-bleu, pourri de coquelicots, fleurs de péché ? Il ne se rend pas et « c’est bien la pire peine que ce chapeau, sans amour et sans haine », ce chapeau ! me fasse tant de peine, ce chapeau ! Il coûte si cher et ne se rend pas. Damné chapeau que j’aime !

Plusieurs se fondent en niaiseries de fleurs et de rubans ; vous en distinguez qui sont des défis de plumes d’autruche. Tel s’élance en oiseau de paradis ; tel s’achève en ruche gaillarde, pleine d’épanouissements. Je fais signe à l’un qui m’évoque les bibescos du Boulevard Saint-Germain, si exquisement mangeables. Quelle démence d’en arriver à produire des coiffures qui singent les tartes ! On veut donc me faire mourir !

Il en est qui affectent des conques bizarres, férues de lichens et de mousses. Mon Dieu, que je voudrais broyer celui-ci dans ma main, car il est beige ; il est terriblement mode à toutes et pour toutes. Qui n’a pas son beige de chapeau ? On en a mis partout ; c’est une fureur, un délire ; on voit beige. On veut donc niveler les têtes de nos femelles ? Oh ! non, par exemple. Écrasons cet infâme !

Puis, il y a la série des petits chapeaux qui donnent dans la grivoiserie, les bonnets Sodome et Gomorrhe. Qui nous délivrera de l’immoralité des petits chapeaux ? C’est un grand scandale, vous savez ! Que fait M. Bérenger, l’illustre pornomane ? Peut-être qu’à son défaut nous pourrions nous adresser à cet avocat de chez nous qui, avec des jeunes gens bien intentionnés, vient de châtrer le Faust de Berlioz, afin de le rendre, sans doute, un peu moins allemand, et « potable » à un public d’enfants de chœur. Procédé d’ailleurs admirable, réclame décisive à un héros qui, goûté dans toutes les langues, connaît, à notre époque de renaissance religieuse et de vertus morales, le supplice du moyen-âge ! Je rêve une épuration des petits chapeaux par de tels châtreurs.

Oh ! les petits chapeaux ! les petits chapeaux, comme il y en a rue Sainte-Catherine, rue Sainte-Catherine !

Tout le printemps les soulève, les mange de rayons. Ils vont sortir des magasins, escalader le front des jeunes filles.

Mon corps, tu défailles !