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Qu’est-ce que l’Évangile ?/5

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V

TOUS FRÈRES


Matth. V, 43, 44, 46. — L’ancienne loi dit : Fais-le bien aux gens de ta race, et fais le mal aux étrangers.

Et moi je vous dis : N’aimez pas seulement vos compatriotes mais encore les hommes de tous les pays. Et si les étrangers vous haïssent, vous outragent et vous persécutent, louez-les et faites-leur du bien. Si vous n’êtes bons qu’avec vos frères, les autres aussi ne sont bons qu’avec leurs frères, et c’est de là que naissent les guerres. Vous devez être pareils envers les hommes de tous les pays, et vous serez les fils du Père. Tous les hommes sont ses enfants, donc tous sont frères.

Voici donc le cinquième commandement : Traitez les étrangers comme je vous ai dit de vous traiter entre vous. Pour le Père de tous les hommes, il n’y a ni divers peuples ni divers pays : tous sont frères, tous fils du même père.

Ainsi : 1° Ne vous mettez pas en colère et soyez en paix avec tout le monde ; 2° ne vous abandonnez pas aux plaisirs de la chair ; 3° ne prêtez serment à personne ni dans aucun cas ; 4° ne vous opposez pas au mal, ne jugez ni ne plaidez, et 5° ne faites pas de distinction entre divers peuples, et aimez les étrangers comme vos frères.


La dernière des petites règles, la cinquième, même telle qu’elle est formulée dans l’Évangile, est si nette qu’aucun doute sur sa signification ne saurait s’élever.

« Il vous a été dit : aime ton frère le Russe, et hais le Juif, l’Allemand, le Français. Et moi je dis : aime les étrangers et fais-leur du bien, lors même où ils t’attaquent. Dieu est le même chez les Français, chez les Allemands et chez les Russes et ils l’aiment du même amour ; vous serez donc ses fils égaux et, comme Lui, vous leur ferez à tous le bien ».

Que peut-il être de plus précis, de plus simple et de plus net ? Et si on considère dans quel but ces paroles ont été dites et qui les a prononcées, leur sens devient indiscutable.

Quelle est l’intention de ce discours ?

Jésus enseigne aux hommes le bien véritable ; il ne saurait donc passer sous silence la question de la haine entre les peuples et celle de la guerre qui constitue, jadis comme aujourd’hui, le plus grand des maux.

Sommes-nous donc seuls si profonds, tandis que lui n’a pas vu cette source inépuisable du mal, n’a rien dit des collectivités nombreuses ni des guerres entre elles et s’est occupé seulement de la communion par le pain et le vin ? Celui qui a dit qu’il ne révélait pas le bien aux seuls Juifs, celui qui ne reconnaît ni mère, ni frère, ni famille, ni ancienne foi, celui qui parle à des vagabonds comme lui, peut-il reconnaître l’État, peut-il passer sous silence les rapports entre les peuples, et dire qu’ils sont excellents, de même que les guerres qui en résultent, peut-il reconnaître que tous ces maux n’ont rien à voir avec son enseignement ?

Dès le début, Jésus dit que non seulement on ne doit pas tuer, mais encore s’irriter contre personne. Comment alors aurait-il pu passer sous silence le phénomène éternel de la guerre qui non seulement jette de l’animosité entre les hommes, mais encore les fait s’entre-tuer ?…

Ce qui frappe dans cette incompréhension de mots aussi simples, c’est sa cause. Cette incompréhension résulte de ce que la doctrine du Christ n’est pas admise comme indication de la manière de vivre, mais est considérée comme une sorte de complément, d’ornement de la vie et qui est prise pour la véritable. Puisque sa doctrine ne se plie pas aux exigences de la vie, il n’y a qu’à l’interpréter.

Jésus interdit toute haine contre l’étranger, il interdit de se défendre et ordonne de se soumettre à tout ennemi, et cependant nous avons des États, des codes, et les guerres continuent. Lorsqu’on demande pourquoi la guerre existe parmi les peuples chrétiens, on répond : Jésus ne dit rien des États ni des guerres. Il s’ensuit qu’en interdisant d’adresser à un homme une parole grossière, d’offenser ou de ne pas vivre en paix avec un seul individu, il autorise les violences et les assassinats en masse : il a oublié de le dire ou bien cela ne concerne nullement sa doctrine.

Mais quand on lit comme c’est écrit, on apprend ceci :

Première petite règle : la loi de l’homme est en lui, dans son cœur. En expliquant le commandement : tu ne tueras point, Jésus dit qu’il recommande aux hommes de ne pas faire du mal à ses semblables ; cela ne signifie pas seulement : ne tue pas, mais n’aie aucun ressentiment contre ton frère, et, s’il te fait du mal, fais la paix avec lui.

Deuxième petite règle, celle qui vise les relations entre hommes et femmes. En expliquant le commandement : tu ne commettras point d’adultère, qui a pour but d’empêcher les hommes de se nuire par leurs relations sexuelles, Jésus dit : ne considère pas les plaisirs de la chair comme une bonne action.

Troisième petite règle qui vise les rapports sociaux. En expliquant le commandement sur le serment ayant pour but la fidélité à observer dans ces rapports, Jésus dit : la source du mal ce sont les engagements que l’homme contracte ; on ne peut rien promettre d’avance, on ne doit jurer en aucune circonstance.

Quatrième petite règle concernant les rapports de l’homme avec l’État et ses lois. En expliquant un article des lois de son peuple, Jésus enseigne qu’on ne peut venger aucune violence par le châtiment ; il faut au contraire donner tout ce que l’on veut vous prendre et ne jamais plaider.

Cinquième et dernière petite règle de la doctrine, qui commence par fixer le devoir d’un seul individu et qui, s’étendant sur un nombre toujours croissant d’hommes finit par englober toute l’humanité. Cette règle vise ceux que nous appelons ennemis lorsque notre peuple est en guerre avec eux. Et Jésus dit : il ne doit pas y avoir de peuples ennemis. S’ils vous font la guerre, ne ripostez pas, soumettez-vous et faites leur du bien. Faites comme Dieu pour lequel il n’y a ni méchants ni bons, soyez bons pour tous les hommes sans distinction, de quelque pays qu’ils soient.