Quand chantait la cigale/Marche funèbre

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Édition Privée (p. 59-60).


MARCHE FUNÈBRE


Tragique et noir, le soir tombe.

Et brusquement, dans le calme lourd, passe comme un gémissement étouffé dans les cimes des grands ormes.

À l’horizon, d’énormes nuages tumultueux et sombres s’entrechoquent, semblent vouloir escalader le ciel.

De nouveau, la plainte se fait entendre, lente, profonde, douloureuse. Une plainte déchirante qui va jusqu’au fond des entrailles.

Quelque part, là-bas, une femme aimée va mourir.

Les branches des grands ormes s’agitent désespérément comme des bras, des bras qui s’élèvent et s’abaissent avec fièvre et qui, impuissants, retombent tout le long du corps.

Là-haut, dans la cime touffue des ormes centenaires, passe la plainte angoissante. Leurs rameaux s’agitent comme des poings furieux qui se crispent et se tordent.

Et le désespoir gémit et hurle inlassablement.

Plus forte se fait entendre la plainte. C’est un cœur qui se brise. Un instant, le gémissement cesse. Les branches s’agitent longuement, lentement, comme pour éventer une figure à l’agonie.

Pendant quelques secondes, le silence se fait, un silence tragique, solennel.

Un souffle doux comme un dernier soupir passe dans l’air.

Une plainte immense, une plainte comme il n’en fut peut-être jamais poussée, emplit tout le soir.

Quelque part, là-bas, une femme aimée est morte.

Des yeux d’amour se sont fermés pour toujours.

Le gémissement reprend plus fort, plus profond, plus lamentable, plus véhément que jamais.

Le désespoir éclate dans toute sa frénésie.

C’est comme un vomissement de blasphèmes et de malédictions ; un rugissement de furieuses imprécations.

Des gouttes d’eau lourdes comme des larmes, glissent sur les feuilles, tombent sur le sol. Elles ruissellent, et c’est comme si tous les pleurs de la terre coulaient en ce moment.

Un assourdissant fracas de tonnerre éclate. De fauves lueurs strient le firmament apocalyptique et un déluge s’abat sur la cime touffue des grands ormes qui gémissent dans le soir devenu plus noir.

Les arbres s’agitent tout entiers comme des poitrines secouées par des sanglots.

Ô morte lointaine, comme tu étais aimée !

Et la plainte gémit toujours dans la nuit qui succède au soir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Maintenant, le calme s’est presque fait. La nuit infinie enveloppe le monde.

Les branches des grands ormes s’agitent faiblement comme des encensoirs, des encensoirs qui encenseraient la douce figure d’une morte aimée. De longs rameaux, comme de souples et mouvantes tentures de deuil, frémissent dans le mystère des ténèbres.

Et dans l’eau, le pâle reflet de la lune semble être la blanche figure de la morte qui, avant de descendre dans l’éternel tombeau, dresse vers l’amant lointain, ses yeux encore extasiés d’amour.