Quelques Odes de Hafiz/4

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Traduction par A.L.M. Nicolas.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXXIIIp. 19-22).
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IV


Oh ! viens, Soufi, viens, le cristal de la coupe est diaphane, viens admirer la couleur de rubis[1] du vin qu’elle contient.


L’Unka[2] ne deviendra jamais la proie de personne, emporte tes filets, car, vois-tu, dans cette voie, le filet[3] ne peut servir qu’à recevoir le vent.


Dans ce banquet de plaisirs[4], vide une ou deux coupes et va-t-en. Je veux dire : ne prétends pas à la présence constante de ta mie[5].


Profite du présent pour te réjouir, ô ami, car Adam lui-même a renoncé au Paradis dès que ses provisions furent épuisées.


Les mystères qui nous sont cachés derrière le rideau, demandes en l’explication aux buveurs pris de vin ; car, vois-tu, cette faculté n’a pas été donnée aux seigneurs dévots du clergé.


Oh ! mon pauvre cœur, le temps de ta jeunesse est passé sans que tu aies pu cueillir une fleur dans le jardin de la vie. N’essaye donc pas aujourd’hui de faire d’un grand renom, d’une réputation sage un ornement pour tes blancs cheveux[6].


Hafiz est l’esclave de la coupe de Djem. Ô Zéphyr, va-t-en et, de ma part, présente mes hommages au cheikh de Djam[7].


  1. Plus particulièrement rubis balais. Les vins de Chiraz sont toujours blancs.
  2. Nom d’oiseau : il est, comme le phénix, unique de son espèce. Chez les Soufis son nom signifie la connaissance de l’essence de Dieu. Les philosophes ont dit que l’essence de Dieu était impossible à connaître ; la création elle-même ne peut être pénétrée dans son essence. Ce que l’homme pense de la connaissance de Dieu est autre que ce qui est. Le connaître tel qu’il est est d’impossibilité absolue, mais chacun peut le voir suivant son intelligence. Mohammed ibn-Mohammed Darabi. T. L. U. G.
  3. Dans la voie du véritable amour point n’est besoin de ruses et de tromperies. Donnez votre cœur, donnez-le tout entier, et dépouillez-vous de tous les accessoires terrestres.
  4. Dans ce bas monde.
  5. Ici-bas, voir Dieu est difficile : si un instant tu le trouves, ne sois pas avide de l’avoir toujours, car l’éternité de la vue de Dieu est impossible sur cette terre : il n’apparaît que comme un éclair. Mohammed a dit : « Moi, j’ai un instant avec Dieu : je suis le seul à avoir cet instant : ni l’ange, ni les prophètes ne l’ont eu. » C’est-à-dire je n’ai pu qu’un instant contempler Dieu. Il a dit encore autre part : « Dieu apparaît dans mon cœur et m’accorde sa protection soixante et dix fois par jour. » Mohammed ibn Mohammed Darabi. Terdjumé lisan oul ghèib.
  6. Comme on le sait, le bien et le mal n’existent pas en réalité, et toutes nos actions, inscrites d’avance sur les feuillets de l’Univers, sont indifférentes. Ne t’occupe donc pas de l’opinion que les hommes peuvent avoir de toi, qu’importe leur estime, qu’importe leur opprobre. N’aie devant les yeux que le but vers lequel tu tends de par ta nature elle-même, c’est-à-dire Dieu, et méprise les clameurs humaines.
  7. Prêtre célèbre par l’austérité de ses mœurs et sa sainteté. Il y a là en même temps qu’un double jeu de mots par le rapprochement de Djem, Djam, et Djam, qui veut dire coupe, une ironie sanglante à l’adresse des prêtres de l’Islam.