Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Nicolas de Sainte-Marthe

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SAINTE-MARTHE



Dans ce Siècle heureux qui va de 1550 à 1650, il y a des familles entières où le culte, l’usage, la gloire des Lettres, est un patrimoine que nul ne laisse tomber en déshérence. Tels les Sainte-Marthe.


Après un Charles de Saincte-Marthe qui publiait en 1540 un recueil de Poesie Françoise, le plus illustre d’entre eux, est le grand Scévole, l’aîné, l’ancêtre, qui eût mérité d’être dix fois Consul de Rome et qui ne fut que Président à Poitiers. Il se retira sur ses vieux jours à Loudun, sa ville natale, dont les citoyens l’honoraient du titre de « Père de la Patrie », le remerciant ainsi d’avoir détourné d’eux les horreurs de la guerre, par la force seule de sa parole ; son éloquence était telle en effet que, lorsqu’il commençait une harangue, Henri IV faisait faire silence à tous pour écouter « l’homme le mieux disant du Royaume ». Il savait l’hébreu et le grec aussi parfaitement que le latin et le français, et son érudition était infinie. Il laissa en belle prose Cicéronienne cinq Livres d’Eloges, en élégants mètres Ovidiens ou Virgiliens des poëmes didactiques, lyriques, épigrammatiques, en langue vulgaire des Metamorphoses Sacrées, un Bocage des Sonnets, des Vers d’Amour, des Alcyons.


Il laissait aussi sept fils : Abel, Scévole, Louis, Irénée, Pierre, François et Henri.


Abel de Sainte-Marthe est l’auteur de Panegyriques et de poésies latines : un Livre du Laurier sous le titre de Daphné, la Loi Salique, des Sylves, des Hymnes, des Odes, des Elegies… Il fut bibliothécaire du Château de Fontainebleau. Scévole et Louis, qui étaient jumeaux, s’associèrent pour écrire une Histoire Généalogique. Pierre, sieur de la Jalletière, travailla pour le théâtre. Il composa une comédie : L’Amour Médecin, et, en 1618, le procès d’Eleonora Galigaï, maréchale d’Ancre, lui fournit le sujet d’une tragédie : La Magicienne Etrangère. Il n’était pas d’ailleurs le seul auteur dramatique de la Maison, puisqu’Abel donna aussi une Isidore ou la Pudicité vengée, tirée de l’Astrée, et que nous rencontrons encore un Nicolas de Sainte-Marthe qui publia en 1614 un Œdipe.


Ce Nicolas de Sainte-Marthe n’était pas le fils, mais était le neveu du grand Scévole. Il avait hérité de son père la charge de Lieutenant général du Poitou et résidait à Poitiers. C’est chez lui que notre Tristan L’Hermite, lorsqu’il errait à travers la France, furtif et misérable, arriva d’abord. « Cet honneste Gentil-homme » (ce sont les paroles de Tristan) reconnut vite en l’enfant déguenillé une nature riche de promesses ; il le recueillit et lui ouvrit son « cabinet de beaux Livres » ; il lui « donnoit presque tous les jours quelque Epigramme Latine à traduire ou quelque Sonnet de Petrarque à tourner, et lui mesme (ajoute le Page Disgracié) me montroit parfois quelqu’une de ses compositions, qui n’estoient pas à mon avis bien escrites, et d’un Génie qui fust heureux, encore qu’il fust d’une race toute pleine de beaux esprits, et de grands Poëtes. » Tristan tombé malade, son hôte le soigna avec la plus tendre bonté, puis l’envoya, muni d’une lettre de recommandation « fort affectionnée » à Loudun, chez le grand vieillard Scévole. Là, le futur Tragique de La Mariane et de Panthée passa quinze ou seize mois, une ample et bonne année d’apprentissage, au milieu des fructueuses leçons et des incessants exemples, et en camaraderie de travail avec les deux derniers fils de Scévole, François et Henri : car ils ne s’écartaient pas des traces paternelle et fraternelles. « Je trouvay dans un grand Livre Manuscrit beaucoup de Lettres et de Poësies de leur façon, et cela me fît naistre l’envie de les pouvoir esgaler en quelque sorte, et deslors je m’attachay sur cette montagne sacrée dont les fleurs sont si fort aimables, mais qui rapportent si peu de fruict. »


Nous vimes Tristan émettre un jugement quelque peu sévère sur les productions de « l’honneste Gentil-homme ».


Hélas ! il nous faudra peut-être bien nous ranger à son opinion lorsque nous aurons lu quelques vers qui ont trait à Fontainebleau. C’est une : Traduction du Poesme de Georges Critton professeur du Roy, sur le Baptistère de Monseigneur le Dauphin, par Nicolas de Sainctemarthe, qui occupe six pages petit in-12 ; au recto du quatrième feuillet, un Sonnet, indifférent.


L’original latin a pour titre : Baptisteria, lustrico nominaliorum die, Delphine Franciæ inscripta, G. Critonio, professore regio, auctore.


La version française débute par une question adressée à la Naïade de Fontainebleau, interpellée d’abord sous le nom que le vieil Hugues Salel lui donnait déjà du temps de François Premier.


Dy moy, Callirhoë, soit que mieux on t’appelle
Ou la belle Naïs ou la Fontaine belle
Decorant de ton nom le Palais de mon Roy,
D’où vient que ce Daulphin est amoureux de toy ?


Callirhoë, ou Naïs, expose les différents mérites qui lui valent les faveurs du jeune Louis. Et le moindre de ses titres n’est pas le souvenir du pieux monarque qui se plaisait à dater ses édits de cette sorte : Donné en nos dezerts de Fontainebleau.


                              Levez un peu vos yeux}}
Vert cet arbres haussans leurs cymes jusqu’aux cieux.
Dans le plus boccageux de la forest ombreuse
Reside une Dryas tressaincte et très heureuse
Qui recevoit les vœux, les roses et les lys
Que jadis luy offroit le bon Roy sainct Louys :
L’autel y reste encor au milieu du bocage,
Elle aime les déserts de son vieux hermitage…


C’est plus qu’il n’en faut, paraît-il !


Puisqu’une saincteté si grande et si certaine
Est infuse dans l’eau de ma claire fontaine
Et dans ceste forest, vous émerveillez vous
Si Seine se soumet et descend au dessous
De mon petit ruisseau ?


Seine vient apporter ses hommages, escortée de tous les fleuves de France, et même de ceux de tous les pays du monde, jusques et y compris Nil.


Seine me tend les bras pour me faire service
Veu que le vieux Nerée et ceux qui sont sortis
De son tige escumeux me sont assujettis,
Et que Callirhoë est sur tous honorée
Et resonne aux chansons des filles de Nerée.

Toutes ces beautés poétiques ne vont pas

nous empêcher de remarquer qu’il n’est guère ici question du Baptistère proprement dit, de ce Dôme de la Cour Ovale qui fut appelé le Dôme des Dauphins. Il faudrait prendre le terme : Baptistère, dans un sens plus étendu, englobant le Château, la Ville, et la Région, où le fils de Henri IV reçut les prénoms de Louis, et de Panarète, — si ce n’était pas une simple traduction, signifiant : Vers de Baptême.