Qui l’aura ?…

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E. Dentu, éditeur (p. 199-269).

QUI L’AURA ?…




CHAPITRE PREMIER.


Chaque année, on voit surgir du sein de la bohême parisienne, qui, selon la saison, va s’étourdir à Valentino, à Mabille, au pré Catelan, même à la Reine-Blanche, un nom de femme brillant, éphémère comme les feux de Bengale qui illuminent ces lieux de folies. Cette femme, étoile filante de l’empyrée Bréda, est la femme à la mode, de la saison, en ce temps-ci qu’il n’est plus de mode pour les femmes du monde de s’afficher. En revanche, les hommes s’affichent avec ces célébrités d’un jour, on pourrait dire ces célébrités de commande, car on leur monte un succès ; ils sont fiers que tout Paris les voie avec elles au bois, au bal de l’Opéra… dans une avant-scène, aux premières représentations ; ils sont fiers de faire stationner leur coupé en plein jour devant leur porte. Les feuilletonistes du lundi, qui Cherchent partout du nouveau pour en emplir, vaille que vaille, le rez-de-chaussée de leur journal, s’empressent d’annoncer au public ennuyé l’apparition de cette étoile entrevue par eux dans le ciel de minuit de quelque jardin public. Les poètes affamés leur dédient des sonnets. Les auteurs inconnus, qui veulent lancer leurs ouvrages, se hâtent de les mettre sous leur patronage, dans une ébouriffante préface. Les spéculateurs littéraires écrivent soi-disant les mémoires de ces dames sous leur dictée ; aussitôt leurs petits livres sont traduits en toutes les langues vivantes, et courent le monde du pôle nord au pôle sud.

Ces beautés, quelquefois sans beauté, mais qui ont eu le talent ou la chance de mettre leur bonnet d’une certaine façon sur le coin de l’oreille, ou bien d’inventer à Mabille une audacieuse pirouette qui a ému leur public, s’appellent tour à tour Mogador, Pomaré, Marie Duplessis, Rigolboche, Gambilmuche que sais-je encore ? Chacun se demande : D’où viennent-elles ? qu’ont-elles de remarquable ? pourquoi sont-elles à la mode ? Personne ne répond ; personne n’en sait rien. Puis… elles s’évanouissent comme des bulles de savon, elles s’en vont…… où s’en sont allées leurs devancières, dormir sous les neiges d’antan.

Un jour, une femme du monde honnête et légitimement mariée assistait à une reprise des Huguenots ; près d’elle dans des stalles d’amphithéâtre, se trouvaient deux femmes, venues ensemble et dont l’une surtout se faisait remarquer par sa toilette de duchesse et sa beauté… de lorette. Toutes deux habitaient indubitablement ce terrain neutre qu’on appelle la Sonore parisienne où les belles chercheuses d’or courent l’aventure.

— As-tu remarqué la jolie femme qui était près de nous ? dit le mari à sa femme en sortant du spectacle.

— Oui, mais…

— Mais elle n’en a pas moins une délicieuse figure. Qui, diable, est-ce donc ? ce n’est pas une débutante, et on n’en parlait point encore quand je fréquentais ce monde-là.

Maladresse de mari, comme il leur arrive si souvent d’en commettre ! Il est des choses qu’une femme sait fort bien, sur lesquelles elle ne se fait nulle illusion, mais il est fort inutile que son mari vienne les lui confirmer ; un peu de vague est nécessaire dans la vie, même dans la vie conjugale. N’y a-t-il rien de plus ridicule qu’un monsieur qui commence à prendre du ventre, racontant ses bonnes fortunes à sa jeune épouse, presque jeune fille encore ? Hélas ! les hommes ont tant besoin de se vanter et de poser.

Et la jeune femme, tant soit peu étreinte par les pinces de la jalousie qui tenaillent parfois les femmes dans le mariage, n’aimassent-elles que médiocrement leurs maris : peut-être ne sont-elles pas jalouses de l’homme ; mais à tort ou à raison elles sont toujours jalouses de leurs droits, ce qui revient à peu près au même pour la manifestation de cette jalousie, qui flatte le mari tout en l’ennuyant parfois : — Mon ami, dit-elle, tu as dû souvent rencontrer, soit au spectacle, soit dans la rue, quelques-unes de tes anciennes maîtresses, et alors…

— Mais non.

— En vérité ? reprit-elle avec un sourire d’incrédulité.

— Je te l’assure : ces femmes n’ont qu’une saison, leur jeunesse ; on ne les voit jamais vieillir ; quand la quarantaine arrive, elles se cachent sans doute comme les animaux pour mourir ; elles ont au moins la pudeur de leurs rides.

— Que deviennent-elles ?

— Le sais-je ? elles nous ont donné leur printemps, elles nous ont ri de leurs dents de nacre ; une nuit, une semaine, un mois tout au plus, elles ont tortionné leur beau corps dans nos bras ; elles ont passé avec nous des soirées de rire, de folie, d’orgie : c’est tout ce que nous leur demandons ; que nous importe le reste ? Quelques-unes, et celles-là sont rares, épousent leurs entreteneurs ; aussi papillotent-elles aux yeux des débutantes comme les gonfalons de la confrérie ; mais, ainsi qu’à la Bourse, pour une qui réussit, il en est mille qui ont une fin misérable. Elles meurent jeunes pour la plupart ; celles qui résistent à cette vie fatigante se font femmes de ménage, ouvreuses de loges, marchandes à la toilette ; elles tiennent des appartements meublés, où elles recèlent et protégent à haut intérêt de jeunes lorettes à leurs débuts et leur procurent des entreteneurs.

— Ah ! mon Dieu ! dit la jeune femme en serrant son châle sur ses épaules, comme si elle avait froid.

— Que veux-tu, c’est la loi générale ; l’argent gagné facilement s’en va de même ; la réhabilitation de ces femmes n’est possible que dans les livres. C’est Eugène Sue qui a inventé les Fleur de Marie ; il n’en croît point de par le monde.

Ce mari, dans la brutalité de ses révélations, faisait du réalisme réel.

Ce dialogue conjugal, qui me fut rapporté, me remit en mémoire l’épisode oublié de l’une de ces existences flétries.

Voulez-vous que je vous raconte cette histoire ? elle vous semblera bien insignifiante sans doute, tout accommodée… au naturel, comme je vous la servirai.

Elle n’a qu’un mérite, celui d’être vraie ; et, comme tout ce qui est Vrai, elle est simple, sans maPage:Vallory - Un amour vrai.pdf/221 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/222 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/223 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/224 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/225 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/226 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/227 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/228 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/229 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/230 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/231 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/232 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/233 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/234 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/235 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/236 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/237 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/238 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/239 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/240 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/241 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/242 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/243 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/244 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/245 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/246 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/247 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/248 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/249 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/250 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/251 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/252 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/253 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/254 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/255 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/256 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/257 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/258 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/259 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/260 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/261 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/262 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/263 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/264 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/265 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/266 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/267 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/268 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/269 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/270 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/271 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/272


CHAPITRE IV.


Cette seconde bataille gagnée, on s’empressa d’admettre la juive dans le giron catholique, en lui ouvrant la porte sainte du baptême ; on s’empressa de la faire renoncer à Satan, à ses pompes, à ses œuvres, et de la revêtir de l’armure invulnérable de la foi, sous laquelle, hélas ! succombent encore tant de parfaits croyants. Mais, comme me disait l’un d’eux, auquel je reprochais ses faiblesses : « Si l’on ne péchait jamais, on n’aurait point la douceur ineffable de se repentir et de rentrer dans le droit chemin. » Encore une volupté quintessenciée.

Les deux combats qu’avait essuyés la jeune néophyte équivalaient au moins à une année d’enseignement catéchismal : n’avait-elle pas déjà reçu le baptême de sang de la lutte, ainsi que le baptême du désir, qui, dans les cas extrêmes, prétend-on, suffit seul pour effacer la tache du péché originel et ouvrir aux croyants les portes du ciel, que cette malheureuse tache, l’eût-on lavée et poncée avec maintes bonnes actions, ferme impitoyablement ?

La veille du jour fixé pour la cérémonie de son abjuration et de son baptême, la pauvre Lia eut une crise, pendant laquelle elle faillit mourir : elle revint à elle par un véritable miracle, prétendit-on, et, pour soutenir son zèle, on lui persuada — les malades croient tout alors — qu’aussitôt que l’eau sainte aurait ruisselé sur son front, une rénovation physique et morale se ferait en elle ; que soudain elle retrouverait force et fraîcheur, et que si la santé ne lui revenait pas, comme on avait tout lieu de le croire, c’est qu’elle était mûre pour le ciel ; c’est que Dieu voulait la compter au nombre de ses élus, et dans la céleste demeure elle serait plongée dans des joies ineffables, auprès desquelles tous les fades plaisirs de la terre ne sont rien.

Ce qui a été la grande force du catholicisme, et le rendra longtemps encore tout-puissant sur les masses, c’est qu’il n’a fait qu’un tout du besoin de savoir et du besoin de jouir ; c’est qu’il a fait rêver la volupté en plaçant au delà de la mort, et les idéalisant, — trop Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/275 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/276 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/277 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/278 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/279 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/280 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/281 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/282 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/283 Page:Vallory - Un amour vrai.pdf/284 vait des souvenirs dans lesquels, à la tombée du jour, elle s’enfermait comme dans un oratoire, et là, dans un rayon de novembre, le dernier rayon de son cœur, se dessinait la silhouette d’un rêve ; c’était bien peu…, c’était encore quelque chose. Mais elle fut proclamée en tous lieux comme une parente modèle ; elle ne déshérita point ses nièces, qui se marièrent à des jeunes gens du pays ayant de bons principes, une position solide et des espérances, un esprit obtus, un caractère incolore ; bref, possédant toutes les qualités requises pour faire d’excellents maris.

Dans tout autre siècle que le siècle d’impiété où nous vivons, nul doute que Lia la juive n’eût été canonisée, nul doute que ses ossements, enchâssés dans l’or, n’eussent opéré des miracles et guéri des milliers d’infirmités ; peut-être même qu’elle aurait été notée au légendaire comme une sainte spécialiste ; mais à notre temps d’incrédulité, de dissolution même, il en est beaucoup qui se demandent si cette conversion avait toutes les qualités requises pour être parfaite, même valable ? si cette âme de pécheresse plus encore que de pénitente alla tout droit en paradis, sans passer par les brumeuses grèves du purgatoire ? Quelques-uns doutent, beaucoup sourient en haussant les épaules ; mais, dans l’esprit de tous les témoins de cette mort édifiante, la croyance catholique prévalut : Lia fut sauvée, le judaïsme fut vaincu, Rome triompha.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme cette conversion avait fait du bruit, la sœur des Anges et le chapelain obtinrent de l’avancement.

FIN.