Règle de saint Benoît (1689)/Préface
Rusand, (p. 43-54).
Ecoutez attentivement, mon fils, les préceptes de votre maître ; prêtez l’oreille de votre cœur ; recevez avec joie, et accomplissez d’une manière effective l’instruction d’un père charitable ; afin que vous puissiez, par les travaux de l’obéissance, retourner à celui duquel vous étiez séparé par la mollesse et la lâcheté de la désobéissance. C’est donc à vous présentement que ma parole s’adresse ; vous, dis-je, qui que vous soyez, qui vous dépouillant de votre volonté propre, vous revêtez des armes de l’obéissance, si nobles et si redoutables ! pour vous engager dans le combat, sous les étendards de Jésus-Christ, le Seigneur et le véritable Roi.
Le premier avis que je vous donne, est de lui demander par de très-instantes prières, qu’il lui plaise de consommer tout le bien que vous pourrez entreprendre ; afin qu’après nous avoir fait la grâce de nous mettre au nombre de ses enfants, il n’ait pas sujet de s’affliger de notre mauvaise conduite : car nous devons lui obéir de telle sorte, et faire en tout temps un usage si fidèle de ce don d’obéissance que nous avons reçu de sa bonté, que non-seulement il n’ait pas lieu, en qualité de père, de s’offenser du dérèglement de nos mœurs, et de nous déshériter comme des enfans ingrats ; mais encore de nous punir comme un maître redoutable et irrité par nos excès ; et de nous condamner comme de méchans serviteurs à des peines éternelles, parce que nous n’avons pas voulu le suivre, et acquérir par notre obéissance la gloire qu’il nous avait préparée.
Réveillons-nous donc enfin, puisque l’Écriture nous appelle, en nous disant que L’heure est venue, et qu’il est tems de sortir de notre sommeil. (Rom. 13.) Ouvrons les yeux à cette lumière, qui transforme en Dieu même ceux qui la reçoivent. Écoutons avec étonnement ces paroles que l’Oracle du ciel fait retentir tous les jours à nos oreilles : Si vous entendez aujourd’hui sa voix, n’endurcissez point vos cœurs (Ps. 94) ; et ailleurs, Que celui qui a des oreilles pour écouter, entende ce que l’Esprit saint dit aux Eglises (Apoc. 2). Et que dit-il ? Venez, mes enfants ; écoutez-moi, je vous apprendrai à craindre le Seigneur. (Ps. 33.) Courez pendant que la lumière de la vie vous éclaire, de crainte que vous ne vous trouviez surpris par les ténèbres de la mort. (Jean 12.)
Dans un autre endroit, le Seigneur cherchant dans le milieu de son peuple auquel il adresse ces paroles, un ouvrier fidèle, il s’écrie : Qui est celui qui désire la vie, et qui souhaite de voir ses jours bienheureux ? (Ps. 33.) Que si, touché de cette voix, vous lui répondez, c’est moi ; il vous réplique aussitôt : Si vous voulez jouir de cette vie, véritable et éternelle, empêchez que votre bouche ne s’ouvre pour dire du mal, et que vos lèvres ne prononcent des paroles doubles et trompeuses ; détournez-vous du mal, et faites le bien ; cherchez la paix avec ardeur et avec persévérance (Ibid.) : « et lorsque vous agirez de la sorte, je ne détournerai point mes yeux de dessus vous ; je serai toujours prêt d’écouter vos prières, et je vous dirai Me voici, avant que vous me les ayez adressées. » (Is. 58 et 65.) Qu’y a-t-il de plus doux, mes très-chers frères, que cette voix du Seigneur si attrayante ! Vous voyez que sa bonté est si grande, qu’il nous montre lui-même le chemin de la vie. Ceignons donc nos reins de la pureté de notre foi et de la pratique des bonnes œuvres, et tenons-nous tout prêts à marcher, en suivant l’Evangile pour la règle de notre conduite ; afin qu’avançant dans les voies qu’il nous marque, nous puissions mériter de voir un jour dans son royaume celui qui nous a appelés à son service. Car si nous voulons nous établir une demeure dans ces sacrés Tabernacles, nous devons savoir que cela ne nous est pas possible, à moins de courir et de nous hâter de nous y rendre par la sainteté de nos actions. (Ephes. 6. )
Mais interrogeons le Seigneur, en lui disant avec le Prophète, Seigneur, qui est celui qui habitera dans vos Tabernacles, et qui reposera sur votre montagne sainte ? (Ps. 14.) Écoutons ensuite le Seigneur qui nous répond, et qui nous montre le chemin qui conduit à ce Tabernacle, et qui nous dit, C’est celui dont la vie est sans tache, et qui fait le bien ; qui dit la vérité du sentiment de son cœur ; de qui les lèvres sont pures et sincères ; qui ne fait de mal à personne, et qui n’écoute point ce que l’on dit au désavantage de son prochain (Ibid.) ; qui fermant toutes les avenues de son cœur, rejette tout ensemble et l’esprit de malice et les pensées qu’il lui suggère ; et réduisant à rien tous ses efforts, arrête et brise ses tentations encore toutes naissantes, contre la véritable pierre, qui est Jésus-Christ. (Ps. 136.)
Enfin, ce sont ceux qui, craignant Dieu, ne s’élèvent point du bien qu’ils peuvent apercevoir dans leur conduite ; mais qui reconnaissant qu’ils ne peuvent aucun bien d’eux-mêmes, et que c’est purement à lui qu’ils le doivent, le glorifient de ses propres œuvres, lui disant avec le Prophète : Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom seul, que la gloire en est due (Ps. 113) ; et imitant le saint Apôtre, qui, ne s’attribuant rien du succès de ses prédications, disait : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (1. Cor. 15) ; et ailleurs, Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur. (2. Cor. 10.)
Aussi le Seigneur dit lui-même dans son Évangile : Celui qui écoute mes paroles, et qui les accomplit, sera semblable à un homme sage, qui a bâti sa maison sur la pierre ; les fleuves ont débordé, les vents se sont élevés, et l’ont battue avec violence ; mais elle n’est point tombée, parce qu’elle était fondée sur la pierre. (Math. 7.) Pendant que le Seigneur travaille à nous faire entrer dans toutes ces vérités, il attend de jour en jour que nous répondions par la sainteté de nos œuvres à la sainteté de ses instructions ; et s’il nous accorde ici-bas quelques jours de vie et de repos, ce n’est qu’afin que nous ayons plus de temps et de moyens pour réparer les fautes passées, selon cette parole de l’Apôtre : Ignorez-vous que la patience de Dieu vous invite à la pénitence (Rom. 24) : et comme le Seigneur, si plein de bonté, le déclare, en disant : Ma volonté n’est pas que le pécheur meure, mais qu’il se convertisse, et qu’il vive. (Ezech. 11.)
Vous voyez donc, mes frères, qu’ayant demandé au Seigneur qui sont ceux qui entreront dans son Tabernacle, il nous a commandé d’y habiter, il nous a appris les devoirs de ceux qu’il y destine, et les conditions qu’ils sont obligés de garder pour se rendre dignes de son royaume.
Il faut donc préparer nos cœurs et nos corps tout ensemble, pour combattre sous l’obéissance de ses lois saintes et prier Dieu qu’il nous donne les grâces nécessaires pour pouvoir observer ce qui surpasse en nous les forces de la nature. Car si nous voulons éviter les peines de l’Enfer, et acquérir les récompenses immortelles, il faut, pendant que nous le pouvons, que nous sommes encore dans cette vie passagère, et que la lumière dont nous jouissons nous en donne les moyens, nous avancer avec vitesse ; et faire dès ce moment et sans différer, ce qui peut nous rendre éternellement heureux.
C’est donc pour cela que nous allons instituer une divine école afin d’y apprendre à servir Jésus-Christ ; dans laquelle nous espérons de ne rien établir ni de trop rude, ni de trop pesant. Que si le motif de la justice et de la raison, le dessein de corriger les vices et de conserver la charité, nous oblige d’ordonner quelque chose de plus resserré et de plus rigoureux, gardez-vous bien de vous laisser surprendre par la crainte, et de quitter la voix du salut, dont les commencements sont toujours plus épineux et plus étroits ; mais à mesure que l’on avance dans le chemin de la piété et de la foi, le cœur venant à s’élargir et à s’étendre, on court dans la voie des commandements du Seigneur, par un sentiment d’amour et par une douceur ineffable (Ps. 118) ; en sorte que nous attachant invariablement à la discipline de ce divin maître, à la pratique de ses instructions, et persévérant jusqu’à la mort dans le monastère, nous puissions nous rendre dignes de participer par nos souffrances à la passion de Jésus-Christ, et mériter d’être avec lui, les héritiers de son royaume. (2. Timoth. 2.)