Réflexions préliminaires des vrais principes politiques/L’égalité et l’inégalité des Hommes

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VIII.

L’égalité et l’inégalité des hommes.


 Les hommes sont égaux par les lois de la nature, et aucun d’eux ne s’élève au-dessus de ses semblables que par la force ou le consentement ; nul homme ne naît jamais supérieur à tous les autres hommes ; aussi quel que soit la bonté ou la malice d’un homme, on peut toujours trouver son semblable ; il n’est jamais une exception unique de son espèce. Mais la populace insensée voit rarement s’élever quelqu’un sans lui attribuer des qualités supérieures à tous les autres hommes. Aussi celui qui est à la tête d’un parti est-il toujours exalté par ses partisans, comme étant supérieur au reste du genre humain. Néanmoins sa conduite prouve constamment, que le plus élevé dans l’ordre social est sur le même niveau que beaucoup d’autres. Les hommes revêtus de grandes dignités, sont presque toujours vus avec des yeux préjugés ; la plupart des autres hommes les regardent dans l’éloignement au travers d’un verre grossissant qui les grandit ; d’autres sont frappés de leur splendeur, et beaucoup sont aveuglés par l’éclat du pouvoir dont ils jouissent. Le plus souvent, tout ce qui paraît à l’homme, brillant ou terrible, lui semble grand aux yeux de son imagination.

Il est évident qu’il ne doit exister d’inégalité dans la société que pour le bonheur social. Ceux qui se croient orgueilleusement plus que leurs semblables, sont souvent au-dessous de la plupart. Ils se targuent follement de leur naissance, comme si dans la nature on trouvait aucune distinction de sang et de supériorité. Tous, nous naissons faibles, assujettis aux mêmes besoins et aux mêmes maux, Ce ne sont que les vertus et les talens, fruits d’une bonne éducation, qui font l’inégalité réelle. Quiconque prétend être naturellement supérieur aux autres hommes, réclame de la nature ce qu’elle n’a jamais fait pour personne. Il n’y a rien de moral dans le sang, ou dans un titre, ou dans un emploi quelconque ; seulement les actions, et les causes qui les produisent sont morales. Un noble sang ne prévient ni la folie ni le crime ; au contraire, il donne plus souvent l’occasion de s’y livrer. Un bon villageois est meilleur qu’un tyran haut placé. D’être élevé en dignité n’est pas au pouvoir de tous les hommes ; mais il est au pouvoir de tous d’être bons citoyens, d’être vertueux ; en cela ils sont tous sur un pied d’égalité.