Réflexions préliminaires des vrais principes politiques/La popularité n’est pas toujours une preuve de mérite

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XI.

La popularité n’est pas toujours une preuve de mérite.

La popularité n’est pas toujours une preuve de mérite. Lorsqu’elle est acquise par la vertu et par des causes honorables, il est sans doute glorieux de la posséder ; mais trop souvent ceux qui en jouissent n’en ont aucun droit réel, et c’est quand ils y sont parvenus par la déception les fausses promesses, l’injustice commise en flattant et servent les passions populaires et l’esprit de parti en ce qu’ils ont de répréhensibles. Combien de fois cette popularité n’est-elle pas le prix que le peuple paye à des chefs pour le tromper, le trahir et le vendre ! Les vices et les folies d’un chef populaire ne deviennent que trop souvent populaires eux-mêmes.

Quand le peuple est libre, il juge mieux des hommes par leurs bonnes ou leurs mauvaises actions ; il est alors susceptible de séparer le vice de la vertu, et le juste de l’injuste ; ainsi, sous un bon gouvernement, où la corruption est exclue, les hommes les plus vertueux, les plus animés du bien public, sont ordinairement les plus populaires : les plus dignes sont les plus estimés. Mais lorsque l’or ou la terreur interviennent, et que le gouvernement se tourne en faction, le jugement du peuple se vicie ; et alors on le voit préférer les hommes les plus vils, qui savent mieux se prêter à ses vices et à ses passions mauvaises, qui savent mieux employer, sans honte, tous les moyens de corruption en leur pouvoir.

Qui fut plus aimé à Rome que Spurius Melius, dans le tems même qu’il méditait l’esclavage du peuple romain ? Qui eurent plus de partisans, plus d’applaudissemens, plus de flatteries, plus de trophées, plus de statues que Murius et Sylla, Pompée et César, Auguste et Antoine, dans leurs œuvres criminelles du renversement de l’État, de l’oppression du genre humain, et dans leurs massacres d’une partie du peuple pour imposer leurs chaînes ? Tous ces hommes furent les ennemis de la liberté, de la vérité, de la paix et du bonheur du peuple ; ils furent les plaies et les fléaux de la terre ; mais ils trompèrent et détruisirent la nation avec son propre consentement ; et, par leurs iniquités, ils obtinrent la plus grande popularité.