Réflexions sur l’usage présent de la langue française/O

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O


Obscene.


Ce mot n’est pas encore assez estably, mais je crois qu’il s’establira, parce qu’il exprime quelque chose que ni impur ni impudique n’expriment pas. Des danses obscenes. Des chansons obscenes : Il y a beaucoup d’esprits obscenes, encore plus de médisans, & de satyriques[1].


Œuvre curieux, Œuvre curieuse.

Œuvre dans le sens d’ouvrage d’esprit est féminin, on dit : toutes les œuvres de Cicéron, & non tous les œuvres. Dans le sens d’action de pieté ou de quelque entreprise considerable, il est masculin aprés son adjectif, & feminin devant. Et c’est la régle que suit M. Patru : Toutes les Communautez Ecclesiastiques & seculieres coopéroient d’une mesme ardeur à ce saint œuvre[2], Et ailleurs, la gloire d’une œuvre si sainte. C’est aussi comme parle M. Varillas : « leurs fideles sujets espéroient que leurs Majestez ne s’appliqueroient pas à ce saint œuvre avec moins de pieté que le Roy Josias. » Et l’Auteur du Panégyrique du Prince de Condé prononcé à Paris dans l’Eglise de la maison Professe des Jésuites, dit aussi en parlant de l’empressement que ce Prince avoit de disposer les choses à la paix durant les troubles où il se trouva engagé : hesita-t’il à sacrifier tout plûtost que d’apporter à ce grand œuvre le moindre retardement.

On dit pourtant, de bonnes œuvres, une bonne œuvre ; ce qui me fait croire que l’adjectif bonne est excepté de cette régle, aussi bien que l’adjectif belle : car on dit, c’est une belle œuvre, mieux que c’est un bel œuvre. Mais il est constant que ce mot est toûjours féminin lors que l’adjectif est aprés : & c’est une faute de dire, comme a fait le dernier Traducteur de l’Imitation : Mes œuvres, Seigneur, demeurent cachez en vous ; il faloit, demeurent cachées en vous.


Oisif, oiseux.

Quelques personnes croyent que oiseux ne se dit bien que des paroles : des paroles oiseuses, mais qu’il faut dire, une personne oisive, mener une vie oisive. Je remarque néanmoins que nos Auteurs les plus délicats n’observent pas cette régle, & qu’ils disent indifferemment l’un & l’autre ; & entr’autres, je me souviens de ces deux exemples de M. Fléchier : « il fut réduit à mener une vie oiseuse & obscure[3]. »

« Les Abeilles ont un Roy à qui elles obeïssent, celles qui sont oiseuses sont forcées de travailler[4]. »


On.
S’il est particule, ou nom.

On, n’est point une particule, comme quelques-uns l’ont crû, c’est un veritable nom substantif ; quand nous disons ; on chasse, on se proméne, on court, &c. cet on, comme l’a observé M. de Vaugelas, vient du mot homme ; ce qui paroist par les Poétes Italiens, qui disent huom teme pour huomo, on craint ; & par les Allemans, & les autres peuples Septentrionaux qui expriment nostre on par le mesme mot, qui en leur Langue signifie homme, sçavoir, mann. On peut ajoûter à cela l’exemple de la Langue Grecque, qui use souvent de τίς, aliquis au mesme sens. Mais ce qui favorise encore beaucoup cette Etymologie, c’est que nos vieux Auteurs écrivoient homs au lieu de on, ce qui a changé par succession de temps ; de sorte que, on dit, est la mesme chose que hommes disent, les hommes disent.


l’Onze, le onze.

On dit le onze, & non l’onze ; du onze, & non de l’onze. Mais on dit jusques à l’onziéme, & non jusques au onziéme.

Les Livres de Diodore le Sicilien ont esté perdus, depuis le cinquiéme jusques à l’onzième[5].


Opportunité.

Opportunité est un vieux mot, qui se trouve souvent dans Balzac. « Si jamais homme, dit-il, sçeut connoistre l’heure de l’execution des choses, & se prévaloir de l’opportunité, on me doit avoüer que c’est le Prince de qui je parle[6]. »

Et M. d’Ablancourt dans ses Commentaires ; Il prit l’opportunité du vent. C’est dommage qu’il ait vieilly : car il exprime ce que le mot d’occasion ni de commodité ne sçauroit si bien dire.


Oppresseur.

Ce mot se dit avec beaucoup de grace, tant il y a peu de seureté pour ces oppresseurs de la liberté des peuples[7].


Original, c’est un Original.

Ce mot a un grand penchant à estre pris en mauvaise part. C’est un original, dit-on, en parlant de quelque personne dont les manieres sont tres-ridicules. Quelquefois aussi il se prend en bonne part ; comme quand on dit qu’il y a peu d’Auteurs Originaux ; qu’il vaut toûjours mieux lire les originaux ; & il est bon de remarquer, que quand ce mot se dit en ce sens, il faut bien prendre garde qu’on ne le puisse interpreter en raillerie. On dit souvent en parlant de quelque Auteur dont les Ouvrages ne sont point des copies, c’est un original, ce qui est tres-mal dit ; & je m’étonne que le Pere Bouhours dans ses Remarques, approuve cette maniere de parler : car si l’on vouloit se mocquer adroitement d’un homme, on ne s’y prendroit pas autrement. Les personnes qui parlent avec exactitude, taschent d’adoucir le terme ; ils diront par exemple ; c’est un Auteur original, c’est un Auteur qui est original, ce qui n’est pas sujet à estre pris en un mauvais sens, comme de dire tout court c’est un original ; il est vray que l’expression n’est guéres differente ; mais il faut considerer que l’idée qu’on y attache dans l’usage, n’est pas semblable à beaucoup prés.


Oüailles, Brebis.

Ce mot avoit un peu vieilly, mais depuis quelque temps, il s’est introduit : ces sortes d’invectives causoient du scandale, & révoltoient les ouailles contre les Pasteurs[8].


Oüir, entendre.

Ouyr se dit proprement d’un son, & d’un bruit qui ne dure pas ; dés qu’on ouyt gronder l’orage qui vint fondre sur l’Empire[9].

Entendre se dit plûtost d’un discours ou d’un bruit qui dure, & qui a de l’estenduë ; comme ; j’ay entendu un bon Sermon, je l’ay entendu jouer de l’épinette pendant plus d’une heure.


Ourdir.

Peut-estre, dit M. Patru, la verrons-nous un jour rompre de ses propres mains la trame qu’elle a ourdie[10] ; ce mot a beaucoup de grace. C’est un ouvrage d’iniquité, une trame ourdie par les Concubines d’Antoine[11].


Ouvrages.

Ce mot est toûjours masculin au singulier, en quelque sens qu’il se prenne : mais estant mis au plurier, s’il signifie des ouvrages de femmes, il est feminin, & l’on dira ; Voilà de belles ouvrages, & non, de beaux ouvrages.


Ouvrages d’Esprit.
Ouvrages de l’Esprit.

Les inventions des hommes dans les Arts, & dans les Sciences, s’appelent des Ouvrages de l’esprit : ainsi les régles de la Poesie, & des autres Arts, s’appelent Ouvrages de l’esprit ; & c’est en ce sens que Mademoiselle de Scudery prend ce mot, quand elle dit ; La chose du monde où l’usage est le plus absolu, c’est sur les Ouvrages de l’esprit[12].

Mais les ouvrages qui se font sur ces régles & sur ces inventions déja trouvées, s’appelent Ouvrages d’esprit, pourveu que ce soit en matiere de Sciences. Ainsi les compositions ingénieuses des gens de lettres, soit en Prose ou en Vers, sont des Ouvrages d’esprit. Et c’est en ce sens qu’a parlé M. Fléchier, quand il a dit de Madame de Montausier, qu’elle pénétroit des son enfance les deffauts les plus cachez des Ouvrages d’esprit[13].


Ouvrir un avis.

Cette phrase est fort figurée ; mais elle est d’usage, & se dit mesme avec grace. « Ils convinrent, selon l’avis qu’ouvrit Ignace, qu’ils se tiendroient quittes de leur vœu. »

« Un seul disoit son avis, & tous les autres estoient obligez de le suivre, quoy qu’ils ne l’approuvassent point, & que mesme celuy qui l’avoit ouvert l’approuvast encore moins qu’eux[14]. »


  1. Mœurs de ce siecle.
  2. Plaid. de M. Patru.
  3. Préface de la Vie du Card. Comm.
  4. Vie du Cardin. Comm.
  5. Réflexion sur la Physique.
  6. Le prince, ch. 16.
  7. Vie du Cardin. Comm.
  8. Vie de S. Ignace.
  9. Oraison Funebre de la Reine, par M. Fléch.
  10. Plaid. de M. Patru.
  11. Traduct. nouv. de la 2. Phil.
  12. Conversation sur la Tyrannie de l’usage.
  13. Fléchier — Oraison Funébre de Madame de Montaus.
  14. Panegyr. de Trajan, par l’Abbé Esprit.