Réflexions sur l’usage présent de la langue française/P

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P

Panser, Penser.


On écrit panser, quand il signifie mettre l’appareil à une playe : on écrit aussi panser un Cheval, & non penser. Mais quand ce mot signifie former une pensée, on l’écrit par un E, penser à quelque chose.


Panthere.

Panthère est féminin. « Un Prince donnant un Lion à celuy qui luy faisoit présent d’une Panthére, luy dit qu’il n’avoit aucun sujet de se plaindre, parce qu’il estoit payé en mesme monnoye[1]. »

« Si Democrite vivoit, & qu’il vist le peuple si occupé à dévorer des yeux quelque animal extraordinaire, qui tienne de la Panthére & du Chameau, cela le divertiroit plus que toutes les farces imaginables[2]. »


Commencer par.

Je commençay par luy dire que, &c. Cette maniere de parler est fort usitée ; mais il n’y a guéres que le verbe commencer que l’on puisse employer de la sorte avec grace : & je doute fort que cette phrase soit fort bonne : Il tascha de l’en détourner par luy dire que personne ne viendroit l’entendre[3]. Il falloit, il tascha de l’en détourner, en luy disant.


Parce separé de que.

Parce se separe quelquefois élégamment de que, comme : « il fût receu à Rome comme victorieux, parce seulement qu’il n’avoit pas desesperé des affaires de la République[4]. »

Lors que se separe souvent de la mesme sorte, comme : « il faut nous défier de la fortune, lors sur tout qu’elle nous flate le plus ».


Pardonnable.

Quelques-uns croyent que pardonnable se dit mieux de la chose que de la personne ; sa faute est pardonnable, & qu’on ne diroit pas si bien, cét homme est pardonnable : mais ces gens-là font paroistre en cela une délicatesse, qui n’est qu’un veritable degoust des meilleures choses.


Parenthese.

L’on appele ainsi une certaine suspension de sens, qui rompt le fil du discours, pour le reprendre aussi-tost apres : ces sortes de suspensions doivent estre fort rares dans le François, sur tout quand elles sont longues : car alors elles sont fort des-agreables, & souvent mesme ridicules ; témoin celle-cy, où l’Auteur parlant des Devises, dit : « Si les paroles ne conviennent qu’à la figure (comme celles d’un Cadran sous un Soleil, mihi tollunt nubila solem, c’est la Devise qui fut faite pour Anne d’Austriche l’an mil six cens quinze, lors que Loüis le Juste faisoit la guerre aux Rebelles ;) si les paroles, dis-je ne conviennent qu’à la figure[5]. »

Et cét autre : « Car comme un brave soldat, (c’est la comparaison de Saint Chrysostome, qui avoit luy-mesme éprouvé des afflictions tres-cuisantes, & qui est l’homme qui n’en ait jamais ressenty ? l’importance est de les souffrir pour l’amour de Dieu,) comme, dis-je, un brave Soldat, &c[6]. »

Il y a néanmoins des parenthéses élegantes, & qui donnent de la force au discours, en voicy deux exemples : « Les éminentes qualitez de Madame de Longueville (que toute la France respecte comme un rare exemple de vertu) sont aussi inaccessibles aux outrages de la calomnie, que la lumiere du Soleil l’est aux vapeurs de la terre[7]. »

« Ceux qui par leur rang ou par leurs devoirs, avoient l’honneur d’approcher la Reine, estoient touchez de ses bons exemples[8], & le peuple qui la voyoit dans ses devotions, (& dans quelle devotion ne la vit-on pas ?) l’admiroit, la benissoit, & l’imitoit. »


Partement, départ.

Ce mot ne se dit plus guéres. Des Auteurs polis néanmoins s’en sont servis. Lors qu’il estoit à la veille de son partement[9].

On m’a dit que vous estes sur vostre partement[10].

« J’ay remis de huit en huit jours mon partement, sans qu’il y ait de ma faute[11] », dit M. de Voiture.

« Il peut arriver mille choses qui retarderont, ou qui empescheront mon partement[12]. »


Des Participes.

Les Participes sont presque ce qu’il y a de plus difficile dans nostre Langue ; je vais tascher de resoudre icy les doutes principaux qu’on a coûtume de se former là-dessus.


Elle m’est venuë, elle m’est venu voir.

Il y a des personnes tres-éclairées, qui prétendent qu’en ces sortes d’exemples, le participe doit estre indéclinable lors qu’il y a un verbe aprés : & qu’ainsi l’on doit dire elle m’est venu voir, & non venüe. M. d’Ablancourt semble favoriser ce sentiment, lors qu’il dit : Elle estoit Sœur du Roy Vocion, laquelle l’estoit venu trouver en Gaule[13] ; & selon eux, s’il n’y a point de verbe immediatement aprés, il faut dire venuë, elle est venuë avec luy pour me voir, elle est allée chez luy pour luy demander avis.

Je crois que ces personnes-là ont raison : cependant, de bons Auteurs n’observent point cette régle, témoin ces Exemples. « Je sçay bien que je serois en droit de vous décrire le Château où la Marquise estoit allée passer l’Automne[14]. »

Palinis addressant la parole à 4 une de ses amies qu’elle estoit allée visiter, &c[15].


La Lettre que j’ay écrite.
La Lettre que j’ay écrit.

Quand le cas du verbe précéde le verbe auxiliaire avoir, ou le verbe auxiliaire estre, alors le participe se décline. Ainsi on doit dire ; La Lettre que j’ay écrite, & non que j’ay écrit, il faut excepter les deux verbes, craindre & plaindre : car on dit ; La maladie que j’ai craint, & non que j’ai crainte. Vostre disgrace, Madame, m’a beaucoup touché, & je vous ay toûjours plaint, & non plainte.

Que si le cas du verbe ne précéde pas le verbe auxiliaire, alors le participe n’est plus déclinable, ainsi on dira : J’ay écrit la Lettre, & non j’ay écrite la Lettre. Et le dernier des Traducteurs de l’Imitation est peu exact, de dire comme il fait au Chap. 31. du troisiéme Livre, Le Déluge inonda toute la terre, lors que toute chair eut corrompüe sa voye ; il faut eut corrompu, & non corrompuë ; parce que le cas du verbe qui est sa voye, se trouve aprés le participe & le verbe auxiliaire. Il faut donc dire : Les Sciences que j’ay apprises, les Livres que j’ay leus ; & j’ay appris ces Sciences, j’ay leu ces Livres.

Mais il est à propos de remarquer, que quand mesme le cas du verbe suivroit le verbe auxiliaire, pourveu seulement qu’il soit avant le participe, il ne laissera pas de se décliner, ce qui n’arrive que dans les Vers, comme par exemple en celuy-cy que l’on cite d’ordinaire là-dessus.

Dieu dont nul de nos maux n’a les graces bornées.

Il faut encore observer, que le participe ne se doit point décliner, quand le nominatif est aprés, ainsi au lieu de dire : La peine que m’a donnée cette affaire, il faut dire : La peine que m’a donné cette affaire, parce que, cette affaire, qui est le nominatif, n’est qu’aprés le participe : & je ne doute point que l’Auteur qui a dit : Ce sont des décisions, qui, par l’approbation que leur ont donnée les Prélats, sont devenuës les leurs[16], n’eust parlé plus correctement, s’il eust dit donné, au lieu de donnée. Cependant il faut avoüer icy, que tous ne conviennent pas de cette régle ; mais je sçay que c’est le sentiment de nos Maistres, & l’on peut voir là-dessus la Grammaire générale raisonnée.


Cette Ville que le Commerce a rendu puissante, ou a renduë.

L’Auteur de la Grammaire générale raisonnée, soûtient qu’il faut dire a rendu, & non renduë : en effet, puissante est là le cas de rendu ; ainsi le cas du verbe ne précédant pas, mais suivant au contraire, il faut selon la régle que nous avons déja donnée, que le participe demeure indéclinable. Car il n’est déclinable, que lors que le cas du verbe précéde le verbe auxiliaire.


Elle s’est tuée soy mesme, elle s’est tué soy-mesme.

Il faut dire : elle s’est tuée, parce que le cas du verbe précéde le verbe auxiliaire estre. Cependant il est bon d’observer, que si le participe ne se rapportoit pas au réciproque se, mais qu’il se rapportast à quelqu’autre chose, il ne seroit pas déclinable, comme : Œdippe s’est crevé les yeux, cette femme s’est crevé les yeux, & non crevée ni crevez. Elle s’est fait peindre, elle s’est rendu la Maistresse : & non elle s’est faite peindre, elle s’est renduë la Maistresse. La raison de cela est, qu’en ces exemples le cas du verbe au lieu de précéder suit le verbe auxiliaire estre. Car quand je dis : cette femme s’est crevé les yeux, les yeux, est le cas du verbe ; ainsi ce cas estant aprés le verbe auxiliaire, s’est crevé, ne doit avoir ni genre ni nombre. Et c’est comme si je disois : cette femme a crevé les yeux à soy-mesme ; de sorte que c’est une faute contre l’exactitude que cette phrase-cy : « On m’a dit que vous n’aviez point voulu épouser cette femme[17], qu’elle ne se fust faite Catholique. » Il falloit qu’elle ne se fust fait Catholique, parce que ce mot Catholique, qui est le cas du verbe, est aprés le verbe : Et je ne doute point que M. d’Ablancourt n’ait eu égard à cette régle, quand il a dit : « Cyrus ne voulut point voir une belle Dame qu’il avoit fait prisonniere ; de peur, disoit-il, de devenir le captif de sa captive[18] », où vous voyez qu’il dit : avoit fait prisonniere, & non avoit faite.


Elle s’est trouvé malade,
Elle s’est trouvée malade.

Si le sens est : qu’on a trouvé qu’elle estoit malade, alors comme le participe est passif, il faut dire elle s’est trouvée, parce que c’est comme s’il y avoit ; elle a esté trouvée malade. Mais si le sens est qu’elle a trouvé & qu’elle a senty elle-mesme qu’elle estoit malade, on doit dire elle s’est trouvé malade, parce qu’alors le participe est actif, & que c’est comme si l’on disoit : elle a trouvé qu’elle estoit malade, ainsi on dira ; elle s’est trouvée morte, & non, trouvé, le sens ne pouvant estre qu’elle a trouvé qu’elle estoit morte.


La moitié du corps découvert, découverte.

Je crois que l’un & l’autre se peut dire également, à l’exemple de M. d’Ablancourt, qui a dit dans un endroit : Ils ne se couvrent que de peaux, qui leur laissent une grande partie du corps découverte[19] : & dans un autre : ils ne se couvrent que de peaux, qui n’estant pas fort larges, leurs laissent la moitié du corps découvert. On peut de mesme dire indifferemment : une partie de l’os cassé, une partie de l’os cassée, une partie du pain mangé, une partie du pain mangée.


Il y a quelque chose dans ce Livre qui merite d’estre censuré, ou d’estre censurée.

Il faut dire : il y a quelque chose dans ce Livre, qui merite d’estre censuré, & non, censurée ; parce que, quelque chose se prend toûjours en François au genre neutre. On ne dira jamais quelque chose belle, mais plûtost, quelque chose de beau. On ne dira pas non plus : ai-je fait quelque chose que vous n’ayiez pas faite avant moy, il faut dire : ay-je fait quelque chose que vous n’ayiez pas fait avant moy.

Mais à propos de ce que je viens d’avancer, qu’on ne dit point, quelque chose belle, & que quelque chose est toûjours neutre, il me vient en pensée que ce terme n’est neutre que lors que quelque est tellement joint à chose, qu’il n’y a aucun mot entre deux. Ainsi, quoy qu’on ne dise pas, quelque chose belle, on ne laisse pas de dire, quelque belle chose. Mais on pourra encore m’opposer, que si je n’ay point d’autre raison qui m’oblige à dire que quelque chose est neutre, que parce qu’on ne dit point, quelque chose belle. Je détruis moy-mesme ce que je veux prouver, puisqu’on ne dit point non plus, quelque chose beau, quoy qu’on dise, quelque chose de beau. A cela je réponds, qu’on ne dira point à un Marchand à qui on demandera des étoffes fines & legeres ; je veux quelque chose qui soit belle, bien legere, & bien fine : mais, je veux quelque chose de beau, & qui soit bien leger, & bien fin. D’où je conclus que ce mot, quelque chose, est neutre, & nullement féminin ; si ce n’est lors que, quelque, est separé de chose, comme nous l’avons fait voir ; c’est en quoy s’est trompé le Traducteur de l’Imitation, (j’entends parler du dernier de tous,) lequel dit ; voyez-vous sous le Ciel quelque chose qui soit permanente, au lieu de dire, voyez-vous sous le Ciel quelque chose qui soit permanent.


Le peu d’affection qu’il m’a témoignée, qu’il m’a témoigné.

Il faut dire : le peu d’affection qu’il m’a témoigné parce que, témoigné se rapporte à peu, & non à affection.


Participes en ant.

Tous les participes en ant sont indéclinables, par exemple : Ils se plaignirent à luy, disant que, &c. & non, disans, parce que c’est comme s’il y avoit, en disant. J’ay trouvé cette Dame lisant un Livre, & non lisante, par la mesme raison.


Parties, qualitez.

Ce mot se dit quelquefois en ce sens, comme : « Il aimoit les dangers, il faisoit toûjours quelque entreprise ; mais sur tout, il avoit les parties qu’il faut pour commander[20]. » Autre exemple.

« Ce n’est pas un bon-heur mediocre à Sa Majesté, d’avoir trouvé en Mons. le Chancelier[21] toutes les parties necessaires pour soûtenir la grandeur de cette Charge. » On ne doit pourtant employer ce terme qu’avec beaucoup de délicatesse.


Parties des Animaux.

On dit le pied d’un Cheval, d’un Cerf, d’un Mouton, d’une Chévre, d’un Bœuf, d’un Chameau, d’un Eléphant, d’un Cochon. On dit la patte d’un Chien, d’un Chat, d’un Loup, d’un Ours, d’un Singe, d’un Liévre, d’un Lapin, d’un Rat ; en un mot, en parlant de tous les Animaux qui ont le pied de corne, on dit pied, & non patte. Nous disons encore les ongles d’un Lion, les griffes d’un Chat, d’un Tigre, &c. les serres d’un Aigle, d’un Epervier. On dit aussi les mains d’un Epervier : on dit la bouche d’un Cheval, la gueule d’un Chien, d’un Loup, d’un Serpent, d’un Dragon, &c. Le groin d’un Cochon, le muffle d’un Cerf, le bec d’un Oiseau, le museau d’un Chien, d’un Renard, d’un Poisson.

On dit les défenses ou les broches d’un Sanglier, en parlant de ses deux grosses dents crochuës & affilées. Nous disons la hure d’un Sanglier, pour la teste. On dit aussi la hure du Brochet.


Cierges Paschals, Cierges Paschaux.

Il faut dire des Cierges Paschals ; il est vray que selon la regle des noms en al, il semble qu’on devroit dire des Cierges Paschaux ; mais il y a peu de regle qui ne soit sujette à quelque exception.


Pas, point, plus.

C’est une petite question parmy ceux qui se picquent de politesse, si l’on doit mettre ces mots-là aprés ou devant le verbe ; par exemple, si l’on doit dire ; je vous prie de n’y aller pas, ou, de n’y pas aller. Je connois plusieurs personnes qui croyent que cela est indifferent ; mais il y en a d’autres qui prétendent que ces monosyllabes sont plus agreables à la fin ; & Mademoiselle de Scudery, qui parle avec tant de grace, ne les place presque jamais ailleurs ; en voicy quelques exemples tirés de sa Morale du Monde.

« Ces Dames leurs faisoient signe de temps en temps, de ne les suivre pas. Quoy que je ne des-approuve pas ce que vous me proposez, ces Dames me feroient un grand plaisir de ne nous bannir pas. »

« Elle le pria de ne s’irriter pas de son refus ; il luy répondit, qu’il luy seroit difficile de renonçer à son dessein, & qu’il la prioit de ne le luy commander pas. »

« Cléobule fut secretement pour l’y voir, dans le dessein d’examiner s’il devoit n’y penser plus. »

« Il est plus beau de ne desirer pas les richesses, que de les sçavoir bien employer. »

« Il faut sçavoir taire ce que nos amis ne nous prient pas de ne dire point. »

Il est vray que le langage de Mademoiselle de Scudery est quelques fois un peu affecté, mais voicy des éxemples d’Auteurs plus graves.

« On suppose qu’on aura quelque jour le temps de penser à la mort, & sur cette fausse assûrance, on prend toute sa vie le party de n’y penser point[22]. »

« On pleure pour estre plaint : On pleure pour estre pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas[23]. »


Passe.

Ce mot n’a pas toûjours eu une signification aussi ample que celle qu’il a aujourd’huy ; & ce n’est que depuis quelques années qu’on dit : Il est en belle passe, il est en passe de faire une grande fortune. On dit encore, passe pour cela, à la bonne heure. Toutes expressions familieres, propres aux conversations, aux entretiens, aux lettres, & autres discours de cette sorte.


Passer à quelqu’un pour, &c.
Passer dans l’esprit de quelqu’un pour, &c.

On dit : passer dans l’esprit de quelqu’un : cét homme passe dans mon esprit pour habile, il passe dans vostre esprit pour autre qu’il n’est. M. de Vaugelas néanmoins a dit fort à propos : il luy passe, pour, il passe dans son esprit. « Que luy eust sçeu prédire Aristandre, quoy qu’il luy passât pour un Oracle[24] ? » Cette expression à quelque chose de noble.


Passionné pour, passionné de.

Le P. Bouhours se trompe de croire qu’on dise toûjours passionné pour. Il est vray qu’on dit passionné pour la gloire, passionné pour les interests de son Prince, &c. mais quand il s’agit de la passion de l’amour, on dit : passionné de, comme : l’Amour exerce un cruel empire, & dés qu’un homme est devenu passionné d’une femme, il est esclave.


Pastorale, Pastorelle.

L’usage est pour Pastorale. Je sçay bien que les Colléges mettent ordinairement pastorelle dans les programes de leurs déclamations, l’herésie exterminée, pastorelle ; mais on sçait bien aussi que ce n’est pas sur le langage des Colléges, qu’il faut se regler pour bien parler.


Pastre, pasteur.

Ce mot qui avoit un peu vieilly est restably, & de bons Auteurs s’en servent. « Depuis le chef de la Tribu de Juda jusqu’au dernier Cadet de Benjamin[25], tous estoient Laboureurs& Pastres, menant eux-mesme leur charruë, & gardant eux-mesme leurs troupeaux. »


Un pendule, une pendule.

On dit une pendule en parlant de tout l’horloge, & un pendule en parlant seulement de cette petite partie de l’horloge qu’on appele aussi pendule.


Pécule, péculium.

M. Danet dit dans un certain Dictionnaire François, que péculium est mieux dit. Mais il se trompe en cette rencontre, aussi bien qu’en plusieurs autres. Péculium est pédantesque, & pécule est le mot ordinaire. « Renoncer à tout ce qu’on a, c’est renoncer à pere, à mere, à femme, à enfans, à freres, à sœurs, & à sa propre vie, puis que cela est comme le pécule particulier de chacun[26]. »


Stile pédantesque.

Ce stile consiste à parler toûjours avec emphase, à se servir sans cesse de termes de sciences, à faire parade de certains mots que tout le monde n’entend pas, comme a fait un Auteur qui a intitulé son Livre, Traité de Morale sur la valeur : Aprés avoir dit qu’il faut permettre la colere dans les combats, il ajoûte : cette opinion a prévalu, & le Lycée est plus suivi en ce point que le Portique. Pourquoy ne parler pas tout simplement ; & que sert de mettre là le Lycée & le Portique ?

Ce mesme Autheur nous founit encore un exemple que je crois à propos de rapporter, parce qu’il renferme seul presque tous les défauts, qui accompagnent le stile pedantesque : Voulant parler de la valeur à Monseigneur le Dauphin, à qui il a bien ozé dedier son Ouvrage, voicy comme il s’y prend.

« Les Latins par le mot de vertu, entendent singulierement la valeur, comme s’ils avoient pensé, que la valeur fut la seule vertu par excellence. D’ailleurs quelques-uns ont estimé avec beaucoup de vray-semblance, que ce mot tire son origine, d’un nom qui signifie l’homme, virtus à viro. Une semblable Etymologie est tout à fait évidente dans la Langue Grecque, qui non seulement donne le nom général de vertu à la valeur, en l’appelant ἀρετὴ, mais qui l’appele encore ἀνδρεία, comme pour marquer que l’homme y trouve son véritable caractere, & qu’il seroit indigne de porter le nom d’homme, s’il manquoit d’en avoir le cœur. La Langue des Grecs ni celle des Latins n’ont pas tant fait d’honneur à cette vertu que luy en a fait la nostre. N’est-ce pas une chose remarquable qu’on luy ait affecté le nom mesme qu’on employe pour exprimer le prix des choses, comme si l’on vouloit faire entendre que les hommes ne valent peu ou beaucoup qu’à proportion de leur courage. »

Se peut-il rien voir de plus pédantesque que ce discours ? Et n’est-ce pas là proprement ce qu’on appele, estre bouffi de Grec & de Latin. Mais outre les vices particuliers qui se trouvent dans cét exemple, il y en a un général, qui est d’affecter une Etymologie continuelle ; car l’étymologie n’estant pas une véritable preuve, il faut que celuy qui s’en sert, soit ou bien peu judicieux pour y faire fond, ou bien pédant pour en faire parade.

Ce stile consiste encore à avoir toûjours en bouche quelques Vers d’Horace & de Virgile, à citer sans cesse Platon & Aristote, en parlant mesme des choses les plus ordinaires. Il n’est rien de si opposé au génie de nostre Langue que cette sotte vanité ; & l’on ne peut souffrir un homme qui ne parle jamais que de Cicéron ou de Térence, où qui ne sçauroit presque dire qu’il fait chaud ou froid, sans ajoûter : comme disoit autrefois Platon, comme disoit autrefois Aristote. Mais ce défaut n’est pas aussi aisé à éviter que l’on pense ; & nous avons mesme des Auteurs galans qui y sont tombez ; comme il est facile de le voir par cét exemple tiré des entretiens d’Ariste & d’Eugene. « Les femmes n’ont pas la force de se taire, & le silence leur est un fardeau insupportable, pour user des termes d’un Poëte Grec. » Qui auroit crû que cela eust eû besoin de l’autorité d’un Poëte Grec ? & qu’il fallut chercher dans l’antiquité de quoy autoriser une expression qui est aujourd’huy en la bouche de tout le monde. On pardonne ces sortes de citations à de jeunes gens qui apprennent encore les Elemens de la Rhétorique, & qui tâchent de s’exercer sur les lieux que cét Art leur fournit. Mais on ne sçauroit les excuser dans ceux qui se veulent mettre au rang des Auteurs de conséquence, & sur tout qui se mêlent d’écrire en François.

On remarque que l’esprit de pédanterie est la source de tous ces titres extravagants que l’on void à tant de Livres, & qui n’ont rien de naturel, de raisonnable, ni de modeste ; de là nous sont venus en foule, l’encensoir fumant des pensées mystiques ; le brise-teste du dragon infernal ; le faisceau de myrrhe ; le zodiaque spirituel ; le Pharaon reprouvé ; la véritable méthode des Princes pour la Langue Latine, & une infinité d’autres pour le moins aussi ridicules que je passe à dessein. Voilà à peu prés ce que c’est que le stile pédantesque & la pédanterie, qui est un mot dont on abuse tant aujourd’huy ; car ce defaut est un vice d’esprit, plûtost que de profession. « Il y a des Pédans de toutes Robes, de toutes conditions & de tous estats, dit un Auteur célébre de ce temps. Relever des choses basses & petites, faire une vaine montre de sa science, entasser du Grec & du Latin sans jugement, c’est là proprement ce qu’on doit appeler pédanterie. »

On peut ajoûter qu’il y a aussi des Pédans de tout sexe, & que mesme ce vice est beaucoup plus insupportable dans les Dames, parce qu’on sçait bien que leur mérite n’est pas la science.

C’est ce qui fait dire à M. de Balzac qu’il n’approuve pas plus les femmes Docteurs que les femmes Cavaliers : ce n’est pas qu’il leur soit absolument défendu d’avoir quelque science, mais elles ne doivent pas la faire paroistre ; on prétend mesme qu’il faut qu’elles s’en cachent comme d’un larcin ; on peut voir leur soye & leurs aiguilles, mais leurs Livres & leurs Papiers ne doivent point paroistre. Que penserons-nous donc de celles qui ne parlent que de métaphores & d’apostrophes, qui mêlent par tout les idées de Platon, & les Categories d’Aristote, qui ne font pas un compliment où elles n’employent une douzaine d’orizons & d’hemispheres, qui ne croyent pas pouvoir mieux répondre aux loüanges qu’on leur donne, qu’en les appelans des hyperboles & des ironies, qui réglent la Poësie Epique & la Dramatique, & disent qu’elles ne peuvent souffrir une Comédie, qui n’est pas dans la loy des vingt-quatre heures, & cent autres pauvretez de la sorte ; Si j’avois un ennemy mortel, dit plaisamment à ce propos M. de Balzac, voilà justement le caractere de femme que je luy souhaiterois pour me vanger de luy.

Il faut avoüer néanmoins que ce qui fait qu’on a attaché le mot de pédanterie à un certain employ en particulier ; c’est qu’on a vû qu’il se trouvoit dans celuy-là plus de pédans que dans les autres ; soit qu’on y contracte ce vice, ou qu’on l’y apporte quand on y entre. En effet, si l’on en excepte quelques-uns, on verra que presque tout le reste est atteint de ce défaut. Ce sont des gens tout armez de pointes, qui ne respirent que la dispute & la chicane, qui vous poursuivent une proposition jusques sur les derniéres bornes de la Logique ; qui dans les plus paisibles conversations ne veulent rien débiter ni rien recevoir qui ne soit dilemme ou syllogisme : gens qui ne peuvent se reduire au sens commun, ni assujettir leur esprit à l’usage & à la coûtume ; ne parlant jamais que par décisions & d’un air de maistre ; sans se ressouvenir qu’un honneste homme propose toûjours ses sentimens, de la mesme maniére que ses doutes, & n’éleve jamais le ton de sa voix pour prendre avantage sur ceux qui ne parlent pas si haut. Il ne faut, dit M. de Balzac, ni accompagner son discours de trop d’action, ni rien dire de trop affirmatif, parce que la conversation a plus de rapport à l’estat populaire qu’au gouvernement d’un seul, & que chacun y a droit de suffrage & y joüit de la liberté.

On verra enfin que ce sont des gens, qui par une sotte émulation de rigueur & de séverité, s’animent à châtier & à punir rigoureusement les moindres fautes, jusques mesme à en faire gloire : plus rudes mille fois sur un défaut de mémoire, une distraction échapée, un divertissement dérobé, que sur des vices considérables qui seront contre les mœurs, accoûtumant leurs disciples à faire plus leur devoir par crainte que par raison, c’est à dire les élevant plus en bestes qu’en hommes ; se plaignant sans cesse & le plus souvent sans sujét de la tendresse des parens pour leurs enfans, comme s’ils s’imaginoient qu’un pere & une mere deussent renoncer à tous les sentimens de la nature, pour contenter l’humeur rustique, & quelquefois brutale d’un homme qui se conduit plus par caprice que par raison. Toûjours entestez d’eux-mesmes & de leur prétenduë science, toûjours pleins de leur mérite, qui n’est souvent qu’imaginaire.


Peinturer, peindre.

Bien loin que peinturer soit un mauvais mot comme le prétendent quelques personnes, n’est-ce point un terme necessaire qui peut servir à distinguer deux choses toutes differentes ; car peindre ne signifieroit-il point réprésenter avec le pinceau la figure de quelque chose, comme d’une campagne, d’un oiseau, d’un homme, &c. & peinturer, mettre seulement des couleurs sur quelque matiére que ce soit ; lors par exemple, qu’un Sculpteur ayant fait une statuë de bois, y applique les couleurs convenables, ne peut-on pas dire qu’il la peinture ; car pour la peindre, il semble qu’il faudroit qu’avec ses couleurs, il en tirast la répresentation, ce qui est tres-différent. Aussi l’excellent Traducteur de la Sagesse n’a pas manqué d’employer ce mot dans une occasion semblable : « Vous vous plaignez, disoit S. Augustin, qu’on vous a pris vostre Hercule, nous sommes prests à vous satisfaire, nous avons de la pierre, des ouvriers & de l’argent ; on vous taillera un Hercule, on le peinturera, comme estoit le vostre ; mais rendez-nous les ames de tant de personnes innocentes, ausquelles vous avez fait perdre si cruellement la vie. »


Penser à, penser en.

Penser en quelqu’un a un sens plus fort que penser à quelqu’un : je pense en vous, par exemple, signifie non seulement que je vous ay dans ma pensée ; mais encore que je pense à vous obliger en quelque chose, & à vous faire quelque faveur. Si donc j’ay demandé quelque grace à une personne, & que je l’aille trouver pour l’en prier de nouveau, il doit me répondre, je pense en vous, & non : je pense à vous.


Un penser, une pensée.

Un penser, des pensers, c’est un mot qui ne se dit guéres qu’en Poësie.

Mais à ce seul penser je sens que je m’égare[27].

Ton cœur s’entretenoit de ces pensers pieux,
Et de la terre ainsi s’élevoit dans les Cieux[28] !

Il y a peu d’années qu’on s’en servoit aussi en Prose, & M. Sarasin a dit : sur ces pensers il alla reconnoistre la place[29].

Et ailleurs : cét homme n’eut jamais que des pensers vastes & des esperances trop élevées[30].


Pérégrination.

Ce mot est quelquefois tres-bon, 5 & M. Sarasin l’employe fort à propos quand il dit[31]. Apres beaucoup de mois d’une longue pérégrination, &c. Il ne s’est jamais veu une plus longue pérégrination que celle que cet ouvrage contient[32].


Périodes.
De leur étenduë.

Il est difficile de s’exprimer en peu de paroles, & je ne m’étonne pas que M. Paschal s’excuse de la longueur d’une Lettre, sur ce qu’il n’avoit pas eu le temps de la faire plus courte. Cependant il n’y a peut-estre point de stile moins au goût de nostre Langue que le stile diffus. Le François aime à renfermer beaucoup de sens en peu de mots, la briéveté est aujourd’huy à la mode, & l’on ne peut souffrir des périodes trop longues, des épithetes inutiles, & des Synonimes qui n’ajoûtent rien au sens ; nos expressions doivent estre courtes & animées ; l’on peut dire qu’il en est de ceux qui sçavent s’exprimer parfaitement en peu de paroles, comme de ces habiles Ingenieurs, qui ont le secret de faire par des moyens tout simples & sans beaucoup de dépenses, ce que d’autres ne sçauroient faire qu’à grands frais & à force de machines. Et si l’on y prend garde, ceux qui écrivent le mieux, ont un stile également serré & poli, sans obscurité, sans embarras. On n’a qu’à lire Voiture, d’Ablancourt, Sarasin, Costar, & quelques autres, & l’on trouvera ce que je dis. Il ne faut pas neanmoins condamner toutes les périodes longues ; on ne reprend que celles dont la longueur n’est pas naturelle, & ne vient que d’une superfluité de paroles, ou d’un déplacement de termes, comme par exemple, celle-cy ; où l’Auteur en criant contre ce défaut, y tombe luy-mesme. « Les grandes périodes, dit-il, en parlant de Mrs de P. R. & sur tout celles qui par leur longueur excessive, suffoquent ceux qui les lisent (comme parle un Auteur Grec) sont tout-à-fait à leur goust[33]. »

Il semble, comme l’a remarqué Cléanthe, que l’Auteur ait voulu parler Latin en François, & qu’il ait affecté de mettre là le verbe à la fin. Cependant il n’estoit pas difficile de couper cette longue phrase, il n’y avoit qu’à dire : « Les grandes périodes sont tout-à-fait à leur goust ; & sur tout celles qui par leur longueur excessive, suffoquent ceux qui les lisent, comme parle un Auteur Grec. »

On ne condamne donc pas toutes les périodes, il y en a dont l’estenduë n’a rien de forcé & de contraint, & qu’on peut mesme comparer à ces grandes personnes, à qui une taille avantageuse donne de la Majesté ; celles-là sont d’une grande beauté dans le stile oratoire, & en voicy un exemple dont je me contenteray : « Si c’est une grande gloire à M. le Chancelier, d’avoir esté honoré de la premiére Charge de France, par le plus grand Prince de la terre & un comble de bonheur d’y estre receu dans cét auguste Parlement, où luy & ses Ancestres se sont rendus si célébres ; ce m’est aussi une heureuse occasion d’avoir à loüer ces hommes illustres devant de si sages Magistrats ; & un extrême avantage de rencontrer pour Juges de leurs loüanges les témoins mêmes de leurs vertus[34]. » La longueur de ces sortes de périodes ne déroge point à cette briéveté que nous récommandons, & qu’on peut regarder comme un avantage de la Langue Françoise sur la Latine. Nous ne marquons pas tant les choses que nous voulons dire, & nous laissons davantage à penser. C’est pourquoy dans les bonnes Traductions, on voit tant de mots retranchez, non que ce qu’on retranche ne soit beau en Latin, mais c’est qu’il ne s’accorde nullement avec le génie du François.

César, par exemple, pour dire que les Gaulois ont des Idoles d’osier d’une grandeur démésurée, qu’ils remplissent d’hommes vivans, & où aprés ils mettent le feu ; se sert de ce tour de paroles qui est merveilleux en sa Langue, mais qui seroit ridicule en la nostre : « Ils ont des Idoles d’une grandeur démésurée, dont ils remplissent d’hommes vivans les parties qui les composent, lesquelles sont d’osier, & où aprés avoir mis le feu, les hommes qui y sont enfermez meurent environnez de flâmes[35] » ; c’est ce que porte le Latin mot à mot. Ce que M. d’Ablancourt traduit ainsi en peu de mots, & d’une maniére conforme au génie François : Ils ont des Idoles d’ozier d’une grandeur extraordinaire, qu’ils remplissent d’hommes vivans, & puis y mettent le feu.

C’est encore tout autre chose dans Cicéron, il n’y a presque pas une ligne qu’on puisse traduire selon le goust de nostre Langue, si l’on n’en retranche quelque terme. J’excepte ses Lettres à Atticus où il a affecté la briéveté. La Langue Latine est extrémement diffuse, son génie est de tout exprimer, & elle a mesme un tour beaucoup plus long que la Grecque, parce qu’ayant moins de mots elle est obligée de donner bien moins d’estenduë à ses expressions, & de suppléer par la varieté de ses phrases, & la diverse liaison de ses termes, à ce que les Grecs peuvent souvent exprimer par un mot propre & particulier, où par un composé pris de plusieurs racines ; de sorte qu’il est difficile de bien traduire le Latin en François sans rien retrancher.

Il est vray qu’il y a quelques expressions Latines qui sont si courtes & si serrées, qu’il est impossible de les bien exprimer en François sans ajoûter quelque terme ; comme par exemple, ce passage de S. Paul : ego enim delibor ; car pour le traduire, il faut nécessairement le faire de cette maniére ; car pour moy je suis comme une victime, qui a déja receu l’aspersion pour estre sacrifiée ; mais aussi il faut avoüer que le nombre de ces sortes de phrases est petit ; & qu’il y en a beaucoup plus où il est besoin de retrancher, qu’il n’y en a où il est besoin d’ajoûter. Les Auteurs mesmes les moins estendus comme César, Tacite, & plusieurs autres, demandent qu’on y fasse je ne sçay combien de retranchemens pour les traduire comme il faut. Aussi l’on dit que M. de Vaugelas aprés avoir veu quelques Traductions de M. d’Ablancourt, en gousta tellement le stile, un peu moins estendu que le sien, qu’il recommença toute sa Traduction de Quinte-curse qui estoit déja achevée ; & en fit une toute nouvelle, qui est celle que nous avons.

Mais ce n’est pas assez d’estre court dans ses expressions, il faut quelquefois estre coupé, c’est le stile que demandent les Lettres, & sur tout les narrations ; car la maniére de bien raconter, est de ne se servir presque que de phrases détachées, mais liées pourtant par le sens ; d’employer peu de liaisons, & de rejetter tous les termes inutiles, comme on le peut voir pratiqué en cét exemple.

« M. le Tellier, comme un autre Moïse, partagea son esprit avec ceux qui se trouvoient associez à sa Judicature, esprit de régularité & d’ordre. Une téméraire jeunesse se jettoit sans estude & sans connoissance dans les Charges de la Robe ; on entroit dans le sanctuaire des Loix, en violant la premiére Loy, qui veut qu’on soit instruit de sa profession. Pour obtenir les privileges des Jurisconsultes, il suffisoit d’avoir de quoy les acheter. L’équité s’éteignoit avec la science, & les fortunes des particuliers tomboient entre les mains de ces ignorans volontaires, à qui le pouvoir de les défendre estoit un titre pour les ruiner[36]. »

Mais avant que de finir cette remarque, je ne puis m’empescher de faire encore cette réflexion sur le langage diffus, qui est que ce défaut ne consiste pas seulement à faire des périodes longues, mais encore à redire cent fois les mesmes choses sous des paroles différentes ; les personnes peu éclairées regardent cela comme une perfection : les uns disans, de ceux qui y sont sujéts, qu’ils ont une grande abondance : les autres, une grande volubilité : les autres, un grand flux de paroles, c’est leur terme ; & cependant c’est la vraye marque d’un esprit stérile. La plûpart des Auteurs s’y laissent aller ; & il y a peu de Livres où il ne fallust retrancher plus de la moitié, si l’on vouloit oster toutes les paroles & les phrases superfluës. Un Auteur de ce temps a bien eu raison de dire, que pour former les hommes à l’éloquence, il vaudroit mieux leur apprendre à se taire qu’à parler[37]. Cependant c’est à quoy l’on ne pense pas ; & je m’estonne de voir que ceux qui composent des Livres, les augmentent toûjours dans les nouvelles éditions, & n’y retranchent jamais rien ; ce qu’on lit d’abord à la premiére page, c’est : reveu, corrigé & augmenté de nouveau, on ne lit jamais : reveu, corrigé & diminué.


Périphrase.

La périphrase est une figure qui consiste à exprimer une chose par les qualitez qui luy sont propres, au lieu de l’appeler par son nom ordinaire, comme : le Créateur de l’Univers, pour Dieu : la maistresse souveraine de nos vies, pour la mort : le Vicaire de Jesus Christ, pour le Pape : l’Epoux de nos ames, pour Jesus-Christ.

Il y a des occasions où la périphrase est d’un grand secours ; c’est lors qu’on a lieu de craindre que si l’on se servoit des termes ordinaires, cela ne fit un mauvais effét dans l’esprit : C’est pourquoy l’éloquent M. le Maître, ne voulant pas avoüer crûment qu’un Gentilhomme, dont il plaidoit la cause, en avoit tué un autre ; se sert, aprés Cicéron, de ce tour adroit : Voilà, Messieurs, quel a esté l’homicide dont on accuse ma partie. Ayant esté attaqué par un Gentilhomme nommé Fonteiron ; & ayant receu un coup de pistolet dans le corps, dont la cicatrice se voit encore ; son Valet fit en cette rencontre, ce que tous ceux qui tomberoient en pareils malheurs, desireroient que leurs Valets fissent[38].

Les Prédicateurs qui ont souvent à parler sur certains pechez qu’il n’est pas toûjours à propos de nommer, doivent souvent aussi recourir à ces tours, & à ces périphrases qui font connoistre de quoy on parle, sans qu’on en puisse recevoir aucune mauvaise impression. Il y a certaines choses dont les noms ne sçauroient entrer dans le stile sublime, parce qu’ils sont trop bas, il faut alors recourir à la périphrase ; cette figure est aussi fort nécessaire dans les citations des Auteurs, j’entends principalement des Auteurs Payens ; car souvent il est de la politesse de supprimer leurs noms, se contentant de les indiquer seulement. En voicy un bel exemple d’un de nos plus fameux Ecrivains[39]. « Si cette régle qui regarde la sagesse avec laquelle les mariages se doivent faire, paroist peut-estre trop parfaite, & trop spirituelle à quelques-uns ; il est bon qu’ils sçachent qu’elle est tellement conforme à la vraye raison, qu’elle a esté veuë, & réprésentée avec des expressions tres-fortes par les Payens mesmes. C’est ce qui a fait dire à l’un d’eux, qui a mêlé aux agrémens de la Poësie les régles les plus importantes, & les plus solides de la morale des Philosophes ; ces paroles qui sont rapportées par quelques Interprettes[40]. Si vous me demandez pourquoy nostre siécle est si fécond en toutes sortes de déréglemens & de vices ; je vous diray que c’est parce que la corruption régne dans la maniere, dont se font les mariages. »

Il est aisé de voir que c’est d’Horace dont il s’agit. Cette maniére de s’expliquer est quelquefois plus noble, & a souvent plus de grace, que de citer tout court son Auteur ; & je crois que cét autre exemple tiré du mesme Livre le peut encore faire voir.

« Quoyqu’il soit vray que Dieu estant l’estre souverain ne peut rien ajoûter à sa grandeur[41] ; on peut dire néanmoins que lors qu’il s’est abaissé si profondément pour sauver les hommes, il s’est relevé en quelque sorte au dessus de luy-mesme. Un sage Payen a reconnu cette vérité avec beaucoup de lumiére, dans les loüanges qu’il donne à un Empereur ; lors qu’un Prince, dit-il, par sa qualité de Souverain, est monté au comble de la grandeur, il ne luy reste plus qu’un moyen pour s’élever encore plus haut, qui est de s’abaisser par les témoignages de sa bonté vers ceux qui luy soûmis. »

Qui ne voit que cét exemple perdroit beaucoup de sa beauté, si l’on nommoit l’Auteur ? & que l’on dist : Pline second a reconnu cette vérité avec beaucoup de lumiére, &c.

On ne doit pas néanmoins s’imaginer qu’il faille toûjours en user ainsi, il faut avoir égard au stile dans lequel on écrit ; car ces supressions de noms ne conviennent point au stile dogmatique ; & qui au lieu de citer Horace, Pline, Aristote, Cicéron, iroit chercher alors des tours de phrases pour s’exempter de les nommer se rendroit ridicule ; il ne faut pas mesme l’affecter dans le discours où cela est le plus nécessaire. On doit quelquefois citer son auteur simplement & sans user de périphrase ; pourveu qu’on ne le fasse point trop souvent, ce ne sçauroit estre un vice, au contraire il paroist en cela une certaine négligence, & pour ainsi dire, je ne sçay quelle inaffectation qui sied bien. Il y a des gens qui croiroient avoir fait une grande faute, si au lieu de dire : Cicéron, Quintilien, ils ne disoient : l’Orateur Romain, le maistre de l’éloquence Romaine ; sans prendre garde qu’il y a des endroits où il faut appeler Cicéron Cicéron, & d’autres où on le peut appeler l’Orateur Romain. Il y a encore aujourd’huy des Prédicateurs si aheurtez à ces périphrases, que les noms de saint Thomas, de saint Bonaventure, de Scot, ne leur paroissent pas assez beaux pour estre mis dans leurs discours. Il leur faut un Docteur subtil, Séraphique, Angélique, ou autrement ils ne croyent pas s’être exprimez sçavamment. Pures pédanteries, dont on commence, Dieu mercy, à revenir aujourd’huy.


Perplexité.

Ce mot est fort bon. Je l’ay trouvé fort en peine, & dans une grande perplexité.

Perplexité comme on le void mesme par cét exemple, signifie irrésolution dans une affaire importante ; & dont on craint quelque fâcheux évenement, qu’on ne sçait comment prévenir. « Au milieu de tant de dangers il ne sçavoit où chercher son salut ; & il estoit dans une si grande perplexité, que plusieurs fois il fut prest de se donner la mort. » Perplex n’est plus d’usage.


Personne,
De quel genre ?

Personne est quelquefois masculin, sur tout lors que il se dit d’un homme, au moins cela est-il vray ordinairement. « A ce que je vois cette personne que vous m’avez fait si petit, est un des plus grands hommes de France[42] » ; dit M. de Voiture, & non, si petite ; qui sans doute ne seroit pas si bien. Cét exemple fait voir que le Pere Bouhours n’a pas tout-à-fait bien rencontré, quand il a dit dans ses Remarques, qu’« encore que la chose signifiée soit un homme, on met le féminin aprés personne, quand le mot qui s’y rapporte y est joint en quelque façon ». Car enfin, il me semble qu’en cét exemple-cy, petit, n’est guéres éloigné de personne, & qu’il en est assez prés pour luy estre joint en quelque façon.


Personnes changées.

Il est élégant quelquefois de changer les personnes. Ce changement se fait souvent, en mettant à la seconde personne, ce qu’on a coûtume d’exprimer par la troisiéme : rien n’est plus commun dans le discours familier, vous diriez à le voir que, &c. Il y a des gens si complaisans, que vous ne sçauriez les hair, pour, on diroit à le voir que, &c. Il y a des gens si complaisans qu’on ne sçauroit les hair. Cette figure sert beaucoup en certaines occasions pour réveiller l’attention de ceux qui nous écoutent ; comme on le peut voir en cét autre exemple : « C’est quelque chose de bien terrible qu’une tempeste ; il est bien difficile de ne pas craindre, lors que vous voyez les flots soûlevez qui viennent fondre sur vous ; le vent qui frémit avec fureur dans les voiles ; la mer qui blanchit d’écume ; vostre Pilote qui se trouble, &c. » Ceux à qui nous parlons alors se regardent en quelque façon dans ces sortes de peintures ; & il leur semble voir ce qu’on leur réprésente si vivement.

Mais on abuse souvent de cette figure ; & l’on voit tous les jours des gens commettre des incivilitez tres-grandes, faute de sçavoir l’employer à propos. Une personne spirituelle d’ailleurs tenoit un jour ce discours en bonne compagnie à un homme de la premiére qualité, à qui il parloit des formules de la Justice pour convaincre les criminels : premierement, Monsieur, disoit-il, on vous fait mettre sur une cellette ; quand vous estes-là on vous questionne, on vous demande souvent les mesmes choses sous divers termes, pour vous faire couper en cas que vous ne disiez pas la vérité ; & quand on ne peut plus rien tirer de vostre bouche, on vous donne la question jusqu’à ce que vous ayiez tout avoüé. Apres quoy on fait vostre procez selon les formes ordinaires. Il fut interrompu à ces mots ; mais si on l’eust écoûté davantage, je ne doute point qu’aprés un si beau debut, il n’eût continué de la mesme force, & qu’il n’eût enfin terminé son discours par dire : on vous pend, ou on vous foüette par la Ville. La compagnie cependant s’en divertit, & nostre homme apprit à se servir une autrefois plus à propos du mot de, vous.

Il est bon d’observer encore avant que de finir cette Remarque que le mot, vous, n’est pas des plus respectueux, lors qu’on parle à quelque personne que l’on doit ou que l’on veut traiter avec respect. Si par exemple on est avec un grand Seigneur, & qu’on ait occasion de luy demander sa volonté sur quelque chose, il faut bien se garder si l’on n’est pas son égal, de luy aller dire, vous plaist-il Monseigneur, &c. ou ce qui seroit bien pis : voulez-vous Monseigneur, &c. il faut parler indirectement, Monseigneur agréroit-il que, &c. Monseigneur souhaite-t-il que, &c. mille gens font des fautes en ces occasions ; & j’en ay veu un tres-grand nombre de ceux mesme qui se piquent de politesse, aller jusqu’a cét excés de grossiéreté, que de dire en abordant des personnes de la premiére qualité. Comment vous portez-vous ? ce qui ne se doit demander qu’en termes fort indirects quand on parle à des personnes un peu considérables, & avec lesquelles on n’est pas familier.

Dans les Complimens & dans les Lettres, le vous est encore à éviter quand on écrit à des personnes du premier rang, sur tout si la Lettre est courte. Ce n’est pourtant pas une régle générale, car il y a certaines occasions où ce seroit se gesner inutilement que de se contraindre en ce point, le jugement est la plus seure régle qu’on puisse suivre là-dessus.


Petit à petit.

Petit à petit n’est pas une expression noble, c’est un terme qui à cours parmy le petit peuple, il faut dire, peu à peu.


Peuple.

Il faut estre bien peuple pour croire cela ; c’est à dire, il faut avoir l’ame bien basse, & estre bien plein des sentimens du peuple. Cette expression plaist à quelques précieuses ; mais bien des personnes n’osent encore s’en servir. Je crois pourtant que cette maniére de parler pourra s’establir avec le temps.


Phrases mauvaises.

Une mauvaise phrase se fait en joignant ensemble des mots qui ne sont point faits l’un pour l’autre, par exemple ; qui diroit, amasser des préparatifs, pour, faire des préparatifs, feroit une méchante phrase ; parce qu’il joindroit ensemble ces deux mots, qui ne sont point faits pour estre ensemble. Il y a quelque temps que j’oüis dire à un homme qui parloit en public, on employa pour cela les plus pénibles recherches. Il est certain qu’il fit là une mauvaise phrase, employer ne s’accorde point bien avec recherche ; on ne dit point employer une recherche : on dit, faire une recherche. L’Auteur des Entretiens d’Ariste & d’Eugene dit : « Ariste & Eugene se rencontrerent durant la plus belle saison de l’année. » Cette phrase n’est pas bonne : on ne dit pas se rencontrer durant une saison ; parce que, durant, suppose une durée de temps ; & rencontrer, ne suppose qu’un moment. Ainsi ces deux mots ne s’accordent pas. On dira bien se divertir durant une saison, parce que ce verbe là suppose une longue durée de temps ; au lieu que rencontrer, ne supposant qu’un moment, on ne sçauroit dire, se rencontrer durant une saison.

Le mesme Auteur dit, en parlant de la liaison des mots, qu’il faut que leur alliance soit autorisée par l’usage ; ces deux termes ne sont point faits l’un pour l’autre ; on ne dit nullement l’alliance des mots ; on ne dit pas non plus l’alliage, comme a fait l’Auteur de l’Art de parler, mais on dit, la liaison.

Avoir la crainte de Dieu devant les yeux, est une expression fort commune, mais c’est une mauvaise phrase, & je ne vois rien qui la puisse justifier. Est-ce que la crainte peut estre devant les yeux, n’est-ce pas dans le cœur qu’elle reside ? Ce n’est pas aussi parmy les personnes qui parlent le mieux que cette expression à tant de cours.

Plusieurs disent, imiter les traces de ses Ancestres ; mais c’est encore une mauvaise phrase, on dit suivre les traces. Il y en a qui font scrupule de dire, suivre l’exemple ; mais l’usage a autorisé cette expression ; & c’est une fausse délicatesse que de la condamner. Il en est de mesme d’acquérir de l’éclat, phrase qu’Ariste & Eugene ne peuvent souffrir, & qui néanmoins est fort bonne ; car si l’éclat se peut perdre, pourquoy ne pourra-t-il pas s’acquerir.

L’Auteur des Remarques nouvelles sur la Langue Françoise, dit dans sa Préface : « Ce n’est qu’aprés des réflexions infinies qu’on peut parvenir à épuiser une remarque. » Cette phrase ne vaut rien du tout, on ne dit point épuiser une remarque. J’ay bien oüi dire épuiser une matiere, mais pour une remarque jamais.

Il est bon de remarquer qu’il y a encore d’autres maniéres de faire de mauvaises phrases ; on peut, par exemple, faire un faux sens en se servant de termes qui n’ont rien de disconvenant ; & ces sortes de phrases sont plus vicieuses que les autres. L’Auteur des Entretiens d’Ariste & d’Eugene nous en fournit plusieurs exemples. Il dit en un endroit : ne vous y fiez point, ne soyez point en assurance : c’est là un faux sens, car la pensée n’est pas qu’il ne faut point estre en assurance, mais seulement qu’il ne faut pas se croire en assurance, ainsi il falloit dire : ne vous croyez point en assurance, & non pas, ne soyez point en assurance. Le mesme Auteur fait une pareille faute quand il dit : « Le langage ressemble à une eau pure qui coule de source, & non pas à ces eaux artificielles qu’on fait venir dans les Jardins des Grands. » On les y fait venir artificiellement ; mais que pour cela elles soient artificielles, c’est ce que personne n’a jamais dit ni pensé : ainsi cette expression faisant un faux sens, est une mauvaise phrase.


Pile.

Pile se dit de deux choses fort différentes ; on appelle ainsi ces masses de pierres en forme de pilliers qui soûtiennent les bâtimens ; & généralement tout ce qui est composé de plusieurs choses, appuyées les unes sur les autres, en forme de colomne. Il a des piles de Livres.

Pile se prend encore pour un des costez de la monnoye ; d’où vient, joüer à croix & à pile. C’est aussi ce qui a fait dire à Ovide.

Tum bona posteritas puppim signavit in ære.

Parce qu’autrefois on marquoit un Vaisseau sur la monnoye ; & qu’en vieux langage pile signifie Navire, d’où nous avons retenu le mot de pilote.


Piper.

Ce terme est d’usage dans le discours familier ; « quiconque, dit un excellent Auteur, a dessein de piper le monde, est assuré de trouver des personnes qui seront bien aises d’estre pipées[43]. »


Piqué au jeu.

Estre piqué au jeu, cette façon de parler est fort jolie dans le discours familier ; elle marque un homme qui est fâché d’une chose, dont il tache de se vanger, mais dont cependant il ne voudroit pas que l’on connût qu’il est fâché.

Il semble que l’Auteur soit piqué au jeu, & qu’il y ait icy plus que de la raillerie[44], dit Cléanthe dans sa Critique.


Pirement.

Cét adverbe n’est pas d’usage. Il est vray qu’un grand homme a dit, en parlant de ces « enfans infortunez, que les peres & les meres mettent par force en Religion ; qu’ils sont traitez d’eux pirement que des esclaves[45]. » Mais il n’est digne en cela que de remarque.


Plage.

Ce terme n’est bon qu’en Poësie :

Est-il dans l’Univers de plage si lointaine
Où ta valeur, grand Roy, ne te puisse porter[46].


Plaist-il.

Plaist-il, est fort bien dit. On sçait bien que pour parler régulierement, il faudroit dire, que vous plaist-il : mais comme cela est trop long, on aime souvent mieux dire, plaist-il pour abreger. Nous avons plusieurs façons de parler où l’on abrege de la sorte, comme : a vous dîné, pour, avez-vous dîné. Il est vray qu’à le prendre à la rigueur, cela n’est pas correct ; mais cependant l’envie de dire promptement ce qu’on veut dire, fait souvent passer là-dessus ; & des personnes tres habiles que j’ay consultées, ne croyent point que ce soit une faute de s’exprimer ainsi.


Plaire.

Quand plaire marque une volonté absoluë on met de aprés, comme : il me plaist de faire cela, mais quand ce verbe signifie avoir la bonté, comme en terme de civilité, alors il est libre de le mettre ou de l’oster ; s’il vous plaist m’écouter, ou, de m’écouter : si néanmoins le verbe suivant n’avoit qu’une syllabe, il ne faudroit pas retrancher de, parce que la phrase finiroit trop brusquement, s’il vous plaist de m’oüir, & non, s’il vous plaist m’oüir.

Quelquefois plaire veut aprés soy la particule à au lieu de la particule de. On dit se plaire à faire quelque chose, & non, de faire : mais en Poësie on le peut dire. Et M. Perrault dans son excellent Poëme de Saint Paulin ne fait point de difficulté de mettre.

Ce fut là que Paulin, qui dans l’agriculture
S’estoit plû d’admirer l’Auteur de la Nature, &c.


Plaire, Complaire.

L’Auteur des Entretiens d’Ariste & d’Eugene déclame fort contre complaire ; il le condamne comme un mot éloigné de l’usage ; & il semble, si on l’en veut croire, que ce n’est point un terme François : mais il s’est trompé grossiérement.

Plaire & Complaire marquent deux choses, plaire signifie agréer, divertir. Cette opinion me plaist, les marionnettes plaisent aux enfans. Complaire signifie, se rendre complaisant, avoir de la déférence, condescendre, obeïr ; c’est ce qui a fait dire à un de nos Auteurs François, que quiconque sçait complaire, peut hardiment espérer de plaire[47]. Aussi le bon Traducteur de l’Imitation[48], en parlant de la soûmission, qu’on doit avoir aux ordres de Dieu, a préféré complaire, à plaire.

N’ayez qu’une fin unique qui est de me complaire.

Et ce mot se trouve dans nos meilleurs Auteurs. Une des plus éloquentes bouches du Barreau a dit : « souffrirez-vous, Messieurs, que des meres veüillent obliger de pauvres enfans de se rendre Religieux par force, c’est à dire de se rendre misérables pour leur complaire[49]. » Et un des plus polis Ecrivains que nous ayions aujourd’huy, dit encore, on luy conseilla de s’appliquer à la Jurisprudence, il s’y attacha pour complaire à ceux qui l’y avoient engagé[50].


Pleger.

C’est un terme de pratique. « Il ne voulut jamais traiter des Fermes & autres revenus de la République ni pléger ceux qui en avoient pris les partis[51]. »


Plénier.

M. Richelet dit que Plénier n’est usité qu’au féminin[52], en quoy il se trompe, on dit : Indulgence pléniere, mais on dit aussi un Concile plénier : c’estoit un Concile plénier de toute l’Afrique[53].


Plurier douteux.

M. de Vaugelas dit dans ses Remarques, que ce ne seroit pas bien parler de dire : ou la douceur ou la force le feront. La raison qu’il en apporte est que comme c’est une disjonctive, il n’y a que l’une des deux qui regisse le verbe ; mais cette raison n’est pas valable, car on dira fort bien : est-ce que son pere ou sa mere sont morts, & ce seroit au contraire tres-mal dit, est-ce que son pere ou sa mere est mort, ou bien : est-ce que son pere ou sa mere est morte.

D’ailleurs si ce principe estoit vray, il s’ensuivroit que lors que ce seroit une conjonctive, il faudroit mettre le plurier, car alors le verbe se rapporteroit aux deux nominatifs ensemble : cependant nos meilleurs Auteurs font souvent le contraire. Témoin ces exemples, vous durez encore places que l’Art & la Nature a fortifiées[54].

La modération & la douceur est le véritable caractere d’une ame sage[55].

« La vigilance continuelle & l’extréme charité du saint Archevesque, fut cause que les pauvres ne souffrirent que peu dans cette misere publique[56]. »

Il y a d’autres occasions où l’on est encore quelquefois embarassé sur ces pluriers ; quoyque cependant le nominatif du verbe soit un singulier. Par exemple, on demande s’il faut dire, la plûpart des hommes sçavent, ou, la plupart des hommes sçait ; parce que ce mot, la plupart, qui est le nominatif, est au singulier. Il certain qu’il faut mettre le verbe au plurier, quoyque son nominatif n’y soit pas, & dire : la plupart des hommes sçavent. La régle qu’on doit suivre en cela est que dans ces sortes d’exemples, c’est le génitif qui fait tout, & que lors qu’il est au plurier, il faut que le verbe y soit aussi : ce qui paroist en ce que si je dis, la plupart du monde, je dois dire sçait, & non sçavent : la plupart du monde sçait, au lieu que si je mets des hommes, il faut dire : sçavent : la plupart des hommes sçavent. Ainsi on doit dire : « C’est dans les pensions des Colléges qu’une infinité de jeunes gens se perdent », & non se perd. C’est pourquoy un de nos Auteurs François a dit : « Ils pensent que ceux qui sont élevez aux grandes dignitez sont les dispensateurs des plaisirs dont le reste des hommes peuvent joüir sur la terre[57]. » Il semble qu’il faudroit mettre peut, mais comme je l’ay remarqué cela se régle par le génitif. Ce principe peut servir aussi à justifier cét autre exemple. Le reste des assistans s’en retourna frappant leurs poitrines[58]. Je doute que sa poitrine fust aussi bien dit.


Plurier, pluriel.

M. Ménage se tourmente fort sur cette question ; mais je crois qu’on ne la peut mieux résoudre qu’en disant que plurier est bon & pluriel aussi ; c’est un défaut ordinaire à nos Grammairiens de s’imaginer que dés qu’une chose se dit de deux façons, il faut condamner l’une pour autoriser l’autre. Pourquoy ne pourront-elles pas estre toutes deux bonnes ? on voit des gens disputer long-temps, s’il faut dire bréveté ou briéveté, il semble qu’il ne leur soit pas libre de les admettre tous deux, & qu’il faille nécessairement qu’il y en ait un de mauvais, en quoy ils se trompent fort.


Plurier joint avec un verbe singulier.

Nous avons plusieurs expressions où un nominatif plurier se trouve joint avec un verbe singulier, comme : il est passé par là dix mille hommes, pour, dix mille hommes ont passé par là ; vous vous estes promené, vous vous estes diverty, pour, tu t’es promené, tu t’es diverty ; & ne disons-nous pas, il est dix heures, comme nous disons, il est une heure ; au lieu de quoy quelques-uns au Palais disent encore, ils sont dix heures. Il y a de ces façons de parler en toutes les Langues, les Grecs & les Latins en sont remplis.


Plus bon, plus bien.

Quoyqu’il soit constant que plus bon & plus bien ne se disent point, & qu’il faille dire meilleur, mieux ; il y a néanmoins un sens où ils se peuvent dire, & où ils se disent tous les jours, comme par exemple : autrefois il écrivoit bien, mais à present il n’écrit plus bien ; quand les fruits sont trop murs, ils ne sont plus bons : La raison de cela est que le plus n’est pas comparatif en ces sortes de phrases, & que lors qu’on dit : quand les fruits sont trop murs, ils ne sont plus bons, c’est comme si l’on disoit, quand les fruits sont trop murs, ils cessent d’estre bons.

Il y a néanmoins une occasion où l’on peut mettre plus bon, le plus estant comparatif. C’est lors que bon se prend en mauvaise part, & qu’il signifie, niais, simple, à la bonne foy. Par exemple, je ne crois pas que ce fust mal parler de dire : « Vous vous estonnez, dites-vous, qu’il ait esté assez bon pour croire toutes ces choses ; & moy je vous trouve encore bien plus bon de vous imaginer qu’il les ait cruës. » Il est visible que meilleur ne vaudroit rien là.


Plus, le plus.

On dit le plus lors qu’il n’y a point de comparaison, comme : ses maniéres sont obligeantes, c’est ce que j’aime le plus en luy ; & plus, lors qu’il y en a, comme : vous aimez le travail, & je l’aime encore plus.

Ainsi le nouveau Traducteur de l’Imitation (j’entends le dernier de tous) n’est pas fort exact de dire : « la plus grande joye des Apôtres estoit d’embrasser avec affection ce que le monde a plus en horreur. » Il falloit ; ce que le monde a le plus en horreur.


De la ponctuation.

La ponctuation a esté inventée pour distinguer les diverses parties du discours, & pour marquer les poses qu’on doit faire en lisant, afin de ne rien confondre. Voicy ce qu’il y a de plus considerable là-dessus, selon qu’il est aujourd’huy en usage parmy les habiles gens.

Il y a quatre distinctions qui servent à la netteté du discours, la virgule ; les deux points ; le point ; le point & la virgule. La virgule se marque par un petit c renversé de cette sorte (,) les deux points ainsi (:) le point ainsi (.) & la virgule & le point de cette sorte (;)


De la virgule.

La virgule est nécessaire quand il faut distinguer les noms, les verbes, les adverbes, & les autres parties du discours qui sont les plus liées.

Les noms, comme : l’eau, l’air, la terre, le feu sont quatre élemens qui composent toutes les choses de la nature.

S’il y a une conjonction, il ne faut point de virgule, pourveu que les noms soient synonimes. Comme : c’est un homme qui a beaucoup de science & d’érudition ; mais s’ils sont différents il est mieux de mettre une virgule, comme : c’est un homme qui a beaucoup de science, & de modestie.

Les verbes, comme : on a beau le prier, l’exhorter, le flater. Mais s’ils sont joints par quelque conjonction, il ne faut point mettre de virgule, pourveu toutefois qu’ils soient synonimes, c’est la mesme chose qu’aux noms.

Les adverbes, comme : tost, ou tard, il faut quitter la vie.

Les membres du discours, comme : « nous avons une si grande idée de l’ame de l’homme que nous ne pouvons souffrir d’en estre méprisez, & de n’estre pas dans l’estime d’une ame ».

Cette virgule ne se mét que quand les parties du discours ont une liaison particuliere, & qu’elles sont courtes, comme dans l’exemple proposé.


Des deux points.

Les deux points marquent un sens déja accomply en soy, mais qui demande encore quelque suite, comme : « il faut avant toutes choses se bien connoître soy-mesme : parce que nous croyons souvent pouvoir plus que nous ne pouvons. »

« Il ne faut pas que l’Univers entier s’arme pour écraser l’homme : une vapeur, une goute d’eau, suffit pour le tuer. »

Quand la période est longue, on en distingue toûjours chaque membre par les deux points, comme : ne nous affligeons pas de la mort des fidelles : ils ont fait ce qu’ils avoient voüé : ils ont achevé l’œuvre que Dieu leur avoit donné à faire : Ils ont accomply la seule chose pour laquelle ils avoient esté créez.


Du point.

Le point sert à marquer le sens finy, & entiérement achevé. Comme : « il y a une guerre intestine dans l’homme entre la raison & les passions. Il pourroit joüir de quelque paix s’il n’avoit que la raison sans les passions, ou s’il n’avoit que les passions sans la raison. Mais ayant l’un & l’autre, il ne peut estre sans guerre, ne pouvant avoir la paix avec l’un, qu’il ne soit en guerre avec l’autre. Ainsi il est toûjours divisé, & contraire à luy-mesme. »


Du point, et de la virgule.

Cette ponctuation marque une pose un peu plus considérable que la virgule, & moindre que les deux points, comme en cét exemple : « Il est juste que nous soyions affligez, & consolez comme Chrestiens ; & que la consolation de la grace l’emporte par dessus les sentimens de la nature ; afin que la grace soit non seulement en nous, mais victorieuse en nous ; & qu’ainsi en sanctifiant le nom de nostre pere, sa volonté devienne la nostre ; que sa grace régne & domine sur la nature. »

Ce point & cette virgule ont particulierement lieu dans les choses opposées & contraires, comme : la vie & la mort ; la santé & la maladie ; les richesses & la pauvreté.


Du point interrogant & admiratif.

Les interrogations se marquent par cette figure (?) comme : peut-on s’imaginer une vertu plus héroïque ?

Le point admiratif se marque ainsi (!) comme : ô Dieu qui ne laissez subsister le monde, & toutes les choses du monde que pour exercer vos Elûs, ou pour punir les pecheurs !

Comme la ponctuation comprend les accens, & plusieurs autres choses qui concernent l’écriture ; je crois qu’il ne sera pas hors de propos d’en parler icy.


Des accens.

Les accens sont de petites notes qui marquent le ton de la voix dans la prononciation, il y en a de trois sortes, l’aigu, le grave, & le circonflexe.

L’aigu releve un peu la voix, & se marque par une petite ligne qui descend de la droite à la gauche, de cette sorte (´) bonté.

Le grave rabaisse un peu la voix, & se marque par une petite ligne tirée de la gauche à la droite ainsi (`) voilà.

Le circonflexe est composé de ces deux accens, & se marque de cette façon (^) Apôtre, nôtre.

On mét un accent aigu sur tous les e qui se prononcent comme en ces mots : bonté, clarté, fierté, pourveu qu’ils ne soient pas au plurier, car alors on met au bout un z qui tient lieu d’accent, comme : les bontez, vous sçavez. On le marque encore en ces mots : succés, procés, excés, &c.

L’accent grave se marque sur les a particules, c’est à dire qui ne viennent pas du verbe avoir. Comme : à Paris, à deux heures. Sur les qui signifient le lieu, proprement ou figurément, comme : la maison où il demeure. L’affaire où il s’est engagé. Et sur la particule , comme : cét homme là, demeurez-là, voilà. Ce qui fait qu’on en met un sur voilà, c’est que ce mot est un composé du verbe voir, & de l’article , c’est comme si l’on disoit : vois-là, voyez-là.

L’accent circonflexe est le moins usité, il y en a qui s’en servent pour suppléer au rétranchement des s, écrivant par exemple vôtre au lieu de vostre, Evêque au lieu d’Evesque, connoître au lieu de connoistre : mais cette maniére d’écrire n’est pas la meilleure ; d’ailleurs il est bien plus facile de mettre l’s, que de la suppléer par un accent.

Voilà quelles sont les régles des accens selon l’usage présent. Je sçay bien que l’Auteur du Livre intitulé, les véritables principes de la Langue Françoise, veut en donner d’autres régles, mais il ne l’emportera jamais contre l’usage.


De quelques autres marques particulieres.

Quand on retranche une voyelle à la fin d’un mot, on marque au dessus une petite virgule, qui s’appelle apostrophe. Comme en ces mots : grand’Messe, grand’mere.

Cette mesme apostrophe se marque au commencement des mots, lors que l’on retranche la voyelle, comme : r’entrer, r’amener, s’oublier, l’homme, parce que c’est comme si l’on disoit reentrer, reamener, se oublier, le homme ; la conjonction, si, se marque d’une apostrophe devant le pronom il, comme : s’il vient, pour si il vient. Autrefois on faisoit la mesme chose devant presque toutes les voyelles ; & l’on trouve dans les vieux Auteurs s’on, pour si on, s’un pour si un, s’en pour si en, s’elle pour si elle.

Quand on veut joindre une voyelle avec une autre, on met deux points dessus, comme : broüillard ; pour montrer qu’il ne faut pas prononcer brou-illard. Car ces deux points ne sont point mis pour empescher qu’on ne lise brovillard, parce que écrivant broüillard avec un u voyelle, on ne peut s’y tromper. Ces deux points se marquent aussi pour séparer une voyelle d’avec une autre, comme, Poëte, Saül, Esaü, il y en a qui marquent deux points sur ruë, tuë, & autres mots semblables ; mais comme ces deux points ne servent là de rien, dautant que l’on ne peut lire ces mots de deux maniéres, je crois qu’il est mieux de n’en point marquer. Les mots composez demandent qu’on mette une petite ligne au milieu pour en joindre les parties, comme : mal-heur, bon-heur, tres-grand, quelques-uns, gens-d’armes. Vray-semblable, peut-estre, luy-mesme, nous-mesmes, bien-heureux, quoy-que, contre-dire, contre-faire, qu’est-ce, dit-il, dit-on, dis-je, a-t’il, faut-il, &c.


Des mots qui doivent commencer par une grande lettre.

Les mots qui commencent par une grande lettre sont les noms propres, comme : Moïse, Homere, Rome.

On écrit par respect le nom du Sauveur en lettre capitale, Jesus-christ.

Les noms qui tiennent lieu de noms propres, s’écrivent aussi par une lettre capitale au commencement, comme : l’Apostre, pour, S. Paul : le Psalmiste, pour, David.

Les noms propres des Arts & des Dignitez se commencent par une lettre capitale, comme Rhétorique, Astronomie, Roy, Capitaine.

Ceux des Festes, comme : Pasques, Noël.

Les mots qui commencent une nouvelle période s’écrivent de mesme, pourveu que la période soit un peu longue.

Les Vers doivent aussi s’écrire par une capitale au commencement de chaque ligne.


Poindre.

Ce mot se peut dire quelquefois : le jour ne commençoit qu’à poindre, & le Soleil à rayonner sur le sommét des montagnes, quand nous nous mismes sur le Rhosne[59], dit M. de Voiture.


Des pointes
ou Jeux de mots.

Les Jeux de mots ne sont guéres du génie de nostre Langue, sur tout aujourd’huy qu’elle est plus sérieuse que jamais. Il y a néanmoins des Prédicateurs encore entestez de ce stile ; mais à qui plaisent-ils, qu’à ceux qui ne sçavent ce que c’est que de parler solidement & avec justesse ? aussi on voit quelquefois de ces gens là, qui aprés s’estre fait quelque réputation dans Paris, échoüent à la Cour où le goust est plus rafiné, quoyque les mœurs n’y soient pas mieux réglées. Ceux qui se mettent trop tost à la Prédication, sont sujéts à ce défaut ; n’ayant point de fond, ils tâchent au moins de payer de paroles, & par là tombent souvent dans des extravagances. Témoin ce Prédicateur, qui faisant l’Eloge d’un Saint de l’Ordre des Récolets, disoit que son Saint avoit esté un parfait Récollet, un parfait Recüeilly, un parfait Recüeillant. Témoin un autre, qui parlant de saint Bonaventure, promit de montrer dans les deux parties de son discours, qu’il avoit esté le Docteur des Séraphins, & le Séraphin des Docteurs. Ceux qui se joüent de cette sorte sur les mots, sont des ignorans, qui vont chercher de vieux sermonaires, où ils puisent toutes ces belles expressions ; car c’estoit-là le stile de nos Prédicateurs du vieux temps. Ils croyoient avoir dit une belle chose ; quand pour exprimer que les hommes aiment à estre instruits sans vouloir estre repris, ils disoient qu’ils aiment la vérité luisante, & qu’ils haïssent la vérité cuisante. On n’aime point aujourd’huy ces puérilitez ; & il n’y a personne pour peu qu’il ait de bon sens, qui ne regarde comme une pauvreté cette ridicule pointe du Pere Caussin, que « les hommes ont bâty la Tour de Babel, & les femmes la Tour de Babil[60]. »

Il n’y a personne non plus qui pust goûter cette fade allusion de mots du Pere Cotton : « Tout est souple devant vous, vostre sceptre est un caducée, qui conduit, induit & reduit les ames à ce qu’il veut[61]. »

Je ne sçay mesme si M. le Maîstre, pour avoir un peu trop voulu copier Cicéron, n’est point à reprendre de dire, « c’est une loy, Messieurs, qui n’est pas écrite par les hommes, mais qui est née avec tous les hommes ; qui n’est pas peinte au dehors, mais qui est empreinte au dedans de nous ; que nous avons plûtost réconnuë que leuë, plûtost comprise qu’apprise ; plûtost conçeuë en nous-mesmes, que receuë des autres[62]. »

Ce n’est pas que je veüille condamner tous les jeux de mots ; il y en a qui n’ont rien de bas & d’affecté. Les Antitheses, par exemple, sont de petits combats de paroles, qui ne messient point à un discours, pourveu qu’elles ne soient pas trop fréquentes. Nous voyons mesme que nos Ecrivains les plus polis en sçavent faire un des plus beaux ornemens de leur diction. Et je trouve que M. Fléchier dit avec beaucoup de grace, en parlant de certaines personnes déréglées : « Qu’ils ne défendoient leur liberté que pour entretenir leur libertinage[63]… ». Et de la feuë Reine : « qu’elle estoit humble sans bassesse, simple sans superstition, exacte sans scrupule, sublime sans présomption, animée enfin de l’esprit de Dieu, & réglée par ses préceptes. »

L’Auteur des Régles de la vie Monastique dit encore fort à propos[64] : « Le Chrestien doit estre mort au monde, à ses biens, à ses honneurs, à ses affaires, à ses plaisirs, véritablement il luy suffit d’y renoncer par la disposition du cœur ; mais il faut que ce sentiment soit en luy si réel & si essentiel, qu’il soit pauvre dans l’abondance, chaste dans le mariage, tempéré dans la bonne chere. »

Ces Antitheses paroissent belles, parce qu’elles sont naturelles & sans affectation, c’est ce qu’il faut toûjours observer dans les figures dont on se sert.


Porcelaine, porceline.

On dit ordinairement : Vases de porcelaine. « Nous passames dans une fort belle chambre ornée de miroirs & de grands vases de porcelaine[65] », dit Mademoiselle de Scudery.


Porte-Dieu.

C’est grand’pitié qu’un terme si peu respectueux pour exprimer une chose si digne de respect, ait tant de cours dans le petit peuple. C’est le Porte-Dieu d’une telle Paroisse, dit-on d’ordinaire en parlant de celuy dont la fonction auguste est de porter le saint Viatique aux malades. Cette façon de parler s’est mesme communiquée par contagion à quelques personnes du monde, qui d’ailleurs ont de la politesse & du sens ; mais les honnestes gens de la Cour, & presque toutes les personnes qui se piquent de parler noblement, ne s’en servent point, & ne la peuvent mesme souffrir. On dit bien le Porte-Croix ; mais, Porte-Dieu, n’est point bien dit, & la raison que certaines personnes apportent en faveur de cette expression, (qui est qu’on dit bien Christiferi,) est une raison pédantesque ; il n’y a ni Grec, ni Latin qui doive m’obliger à me servir d’un terme qui ne vaudra rien en ma Langue. On peut dire ; celuy qui porte le saint Viatique ; ou qui porte le S. Sacrement aux malades ; termes un peu plus respectueux que l’autre, qui ne marque ni beaucoup de politesse dans la Langue, ni beaucoup de respect pour les choses saintes.


Porter impatiemment.

Cette phrase est d’usage.

« Elle porta fort impatiemment l’affront qu’elle receut alors[66]. »

« C’est l’Eglise qui vous a nourris, & qui porte avec tant de peine que vous veüilliez demeurer enfans[67]. »

Je doute de ce dernier Exemple ; car enfin on ne dit point, porter que, comme on dit : souffrir que, ainsi il me semble qu’il falloit dire : qui souffre avec tant de peine que vous veüilliez demeurer enfans.


Porter, comprendre.

Ce Verbe se prend souvent en ce sens & mesme avec grace, comme en cét Exemple, les hommes n’estoient pas encore capables de porter des véritez si relevées[68].


Estre à portée.

Cette expression est en usage, nous ne sommes point à portée de vous voir des yeux corporels[69].


Postposer.

Postposer n’est pas un terme élégant ; & pour peu qu’on se pique de bien parler, on s’en abstient.


Poudré, poudreux.

Il y a une différence notable entre l’un & l’autre. Poudré, se dit d’une personne dont les cheveux sont ajustez avec de la poudre à poudrer, & poudreux d’une personne ou d’une chose pleine de poussiere, ainsi il faut dire, les pieds poudreux, & non poudrez ; si le vent jette de la poussiere dans vos cheveux, ils sont poudreux, & non poudrez.


Poumonique, pulmonique.

La plûpart des Provinciaux croyent bien parler quand ils disent, poumonique, parce qu’ils voyent qu’on dit, poumon, mais l’usage est pour pulmonique. Il auroit executé ce dessein, si une de ses esclaves ne l’eust assuré que Sénéque estoit pulmonique[70].


Pour-que.

Le Pere Bouhours condamne dans ses Remarques cette maniére de parler, elle est néanmoins fort usitée aujourd’huy, les plus habiles Auteurs s’en servent ; & un fameux Prédicateur n’a pas fait difficulté de l’employer dans l’Oraison Funébre du Prince de Condé. C’estoit un Héros ennemy de la louange mesme la plus sincére ; car il estoit difficile qu’on luy en donnât d’autre ; mais c’estoit assez qu’elle fust louange, pour qu’il ne pust pas la soutenir[71].


Pratic.
Un homme pratic dans les affaires.

Versé est meilleur, ou expérimenté. Un Auteur moderne a dit[72] : un Magistrat alloit par son mérite à la premiére Dignité ; il estoit homme délié & pratic dans les affaires ; mais je crois qu’il eust mieux fait de dire, il estoit homme délié & experimenté dans les affaires.


Pratiquer.

Ce mot a plusieurs significations différentes, on dit : pratiquer quelqu’un, pour fréquenter ; c’est un homme qui ne pratique que d’honnestes gens. Pratiquer se prend encore pour, ménager bien une chose, comme : j’ay pratiqué un petit cabinet dans ma chambre. Pratiquer se dit encore pour arranger & disposer, comme : les couleurs sont merveilleusement bien pratiquées dans cette étoffe. Il se dit aussi pour briguer, comme : il a pratiqué les voix & les suffrages de tout le monde, pour parvenir à cette Charge.


Précaire, précairement.

Précaire & précairement sont des mots fort en usage.

« C’est régner précairement, quand l’empire ne s’estend que sur les choses permises[73]. »

« Cette maniére de gouverner, qui n’eust esté que précaire, c’est à dire, de pure souffrance, estoit trop opposée au génie de la Reine[74]. »


Précoce.

Ce mot est receu. « J’appréhende de me mettre en chemin dans un temps, où les grandes chaleurs, & les fruits précoces font paroistre en public, les Maîtres de cerémonies à la teste d’un deüil[75]. »


Préfix.

On ne se sert guéres de ce mot ; mais il se peut dire au sens que l’a dit M. le Maistre : le legs n’est fait qu’en ce cas particulier & prefix[76].


Prématuré.

Prématuré se dit quelquefois avec beaucoup de grace, la mort ne peut estre prématurée à un Consulaire[77].


Prémice.

Prémice est féminin. « Employez vos richesses à offrir des Sacrifices à Dieu ; & que les premices de tous vos biens luy soient offertes[78]. »


Prendre plaisir à voir,
Prendre plaisir de voir.

Prendre plaisir de voir ne vaut guéres en Prose, il se souffre en Poësie.


Prés du Palais, Prés le Palais.

Quand l’article le ou la se rencontre, j’ay remarqué qu’on peut mettre prés ou proche sans ajouter la particule de. Prés le Palais, prés la maison. Il avoit fait bastir une maison proche l’Eglise de saint Antoine[79]. On peut faire la mesme chose quand il y a un pronom ou quelque adjectif. Elle les obligea de venir loger pour un temps proche son Palais[80].

Quand le mot n’a point d’article, & qu’il n’a qu’une syllabe ou deux, il faut toûjours mettre de. Prés de luy, proche de moy, prés de là, prés d’icy, & non prés icy, prés là.


Prestigiateur.

Ce terme à quelque chose de noble. Exemple : « Il n’y a nulle apparence que Dieu ait laissé la liberté à ces esprits, qui sont ses ennemis, d’operer ces merveilles, pour faire adorer un Prestigiateur, au lieu du vray Dieu[81]. »


Présupposer.

Plusieurs personnes n’osent employer ce verbe, & condamnent cét Exemple d’un Auteur fort poly, la haine que vous dépeignez avec des couleurs si sombres, n’aveugle pas au point que vous le présupposez[82], je crois en effét que supposer seroit meilleur.


Préterit mal placé.

Exemple : Milan a eu le bonheur d’avoir entendu saint Ambroise. Nostre grand cardinal a eu le bonheur d’avoir esté un des premiers instrumens dont, &c[83].

Ce prétérit de l’infinitif est une faute dans ces deux Exemples, il falloit : Milan a eu le bonheur d’entendre prescher saint Ambroise, & non d’avoir entendu.

Nostre grand Cardinal a eu le bonheur d’estre un des premiers instrumens dont, &c. & non d’avoir esté.


Prétexter.

Ce mot est parfaitement bon. « De quelque maniére qu’il pretexte son dessein[84]. »

« S’il se familiarise quelquefois jusqu’à inviter ses amis à un repas, il prétexte des raisons pour ne pas se mettre à table[85]. »


Je prévoiray.

Comme voir fait au futur verray, il semble que prévoir, qui en est un composé, doive faire préverray ; mais l’usage veut qu’on dise, je prévoiray, il en est de mesme de pourvoir.


Principauté, Principalité.

En parlant de la charge d’un Principal de Collége, il faut dire principalité, & non principauté, l’un est fort éloigné de l’autre, les principaux ne sont pas des Princes, il s’en faut bien. M. le Maistre néanmoins dit toûjours principauté[86] ; mais apparemment qu’il ne se soucioit pas beaucoup des termes de Collége, & ce n’est pas aussi un grand défaut de les ignorer.


Privautez.

Ce mot est fort énergique & tombe souvent dans le discours, vous prenez certaines privautez que je n’aime point.

« Ils l’avoient veu le jour devant Colonel de la Cavalerie[87] : Ils sçavoient qu’il avoit esté du Festin du Roy, & dans toutes les privautez de la faveur. »


Privé, apprivoisé.

Tous deux sont bons.

M. d’Ablancourt & plusieurs autres disent, privé ; on voyoit nager dans l’eau des poissons tout privez[88] ; quelques-uns croyent qu’apprivoisé est du plus haut stile.


Prix.

Au prix de la mort.
Au prix de la vie.

On dit, acheter une chose au prix de la vie & au prix de la mort, l’un & l’autre sont bons. Il y a des personnes qui sont quelquefois embarassées là-dessus ; par ce, disent elles, qu’on n’achete pas une chose au prix de celle que l’on reçoit, mais au prix de celle que l’on donne, comme : acheter une chose au prix de son bien, c’est donner son bien pour l’avoir ; & ainsi on doit dire qu’on achete une chose au prix de la vie & non au prix de la mort, puis que c’est la vie que l’on perd ; mais ces personnes ne prennent pas garde que l’on dit bien : acheter le Ciel au prix du martyre, acheter le repos au prix de mille inquietudes ; ainsi cette raison n’est pas bonne, c’est qu’en matiére d’usage, il ne faut pas tant raisonner, il faut s’en tenir à ce qui est, & laisser là toutes ces subtilitez, qui ne sont bonnes qu’à se tirer d’une question d’Ecole ; mais pour appuyer cecy de l’autorité de quelque Ecrivain poly, voicy un Exemple du Pere Bouhours. L’honneur de vous plaire n’est pas une chose si avantageuse que je veuille l’acheter au prix de ma mort[89].


Proferer.

Ce mot est bon & se dit mesme avec grace, l’insensé ne profere que des discours extravagans, qui luy causent mille déplaisirs[90].


Promettre, asseurer.

Promettre ne regarde que le futur, & asseurer se dit de tous les temps. Je vous promets que je le feray, je vous promets que je tiendray ma parole ; cependant je remarque que bien des gens disent, promettre, où il faut dire, asseurer. Je vous promets que cela est, je vous promets que j’y ay estè, ce qui est tres-mal dit, il faut, je vous asseure que j’y ay esté ; parce que promettre, n’estant que pour le futur ne peut se dire du passé ny du présent ; c’est à quoy l’on ne prend pas assez garde dans la conversation ; je dis dans la conversation, parce que je ne me souviens point d’avoir jamais veu cette faute dans aucun bon Auteur, & que je l’ay veu faire souvent dans les entretiens.



DE LA
PRONONCIATION
VICIEUSE DE QUELQUES MOTS.

Les Picards & les Gascons prononcent breves, la plûpart des syllabes qu’on doit faire longues ; par exemple, ils disent un patté, de la patte, battir, pour un pasté, de la paste, bastir ; ils disent la tette pour la teste, une cotte, pour une coste, confondant ainsi par leur prononciation des mots tres-différens ; ils prononcent hoste & hotte de la mesme maniére, & ce vice de prononciation les suit par tout, en sorte qu’ils font les mesmes fautes dans le Latin ; à moins que par des soins tres-grands, ils ne tâchent de vaincre ce défaut. Ils sont encore sujéts à mal prononcer les finales ; ils diront, par exemple, laquez, pour laquais, succez pour succés, mér pour mer, fier pour fiér, cher pour chér, & ainsi de plusieurs autres. Ce qui m’a obligé de faire deux observations, la premiére est des voyelles longues & breves, dont la difference ne se connoist guéres que dans les pénultiémes des mots. Pour l’ordinaire cette longueur des voyelles se marque avec une s. comme pasle, beste, viste, hoste, fluste, quoy qu’il y en ait aussi de longues sans cela, comme grace ; mais il y en a peu.

Des mots qui finissent en deux ss quelques-uns ont la voyelle de devant longue, comme casser, lasser, qui signifie fatiguer, Abbesse, fosse, craignisse, courusse. D’autres l’ont breve, comme : fracasser, lasser, qui signifie serrer avec un lasset ; quoyque néanmoins le mieux soit de l’écrire avec un c. rudesse, colosse, aumusse, on peut encore ajoûter basse, tasse, qui se prononcent longs, & fasse, grimasse, qui se prononcent brefs.

Des mots qui s’écrivent par c. les uns ont aussi la voyelle longue, & les autres l’ont breve, grace l’a longue, place l’a breve.

La seconde observation est de l’é ouvert & de l’é fermé ; car outre l’é muet ou féminin, qui se prononce comme en puissance, vie, &c. nous en avons encore deux autres : l’un ouvert & clair, comme en ces mots : succés, procés, mer, enfer, fer, Jupiter ; l’autre fermé, comme : liberté, libertez, aimer, estudier, parler, &c.

Voicy le moyen de connoître où il faut prononcer, er par e ouvert, & où il le faut prononcer par e fermé ; quand c’est un nom substantif il faut ordinairement prononcer er par un e ouvert, comme : mer, Hiver, Jupiter, excepté les noms en cher & en gner, comme : bucher, chasteigner, & les noms de profession, comme : Conseiller, Chancellier, & tous les noms en ier, comme : bouclier, étrier ; mais je n’y comprens pas hier, tiers. Quand c’est un nom adjectif, il faut aussi prononcer l’e ouvert, comme : amer, cher, ouvert, pervers, leger, verd, couvert, excepté ménager.

Les infinitifs des verbes terminez par er se prononcent par e fermé, comme : aimer, prescher, raconter, bailler, mouiller, &c. de là vient qu’on ne peut souffrir la rime d’aimer & de mer, comme on le peut voir en ces Vers de Ronsard.

Sers moy de phare & garde d’abismer,
Ma nef, qui flotte en si profonde mer.

Malherbe a rimé de mesme, philosopher avec enfer, dont il n’y a point d’oreille qui ne soit choquée. Je m’estonne que les Poëtes modernes n’ayent pas évité cette rime ; car il est certain qu’à bien juger des choses, elle doit estre rejettée, non seulement comme n’estant pas riche, mais comme estant tout-à-fait vicieuse.

On croit que ce qui peut avoir introduit ce mauvais usage, c’est la mauvaise prononciation de quelques Provinces de France, principalement vers la Loire & dans le Vendômois, d’où estoit Ronsard, & dans la Normandie, d’où estoit Malherbe, où l’on prononce, mer, enfer, Jupiter, avec un e fermé, comme : aimer, triompher, assister.


De la prononciation
des consonnes à la fin des mots.

Il faut ordinairement faire sonner les consonnes à la fin des mots, lors qu’il suit une voyelle, par exemple, on prononce il est allé, comme il est t’allé ; il a fait une faute, comme il a fait t’une faute : aller à la chasse, comme aller r’à la chasse : on a dit, comme on n’a dit : un bon homme, comme un bon n’homme : ils dînent ensemble, comme ils dînent t’ensemble : void-il, entend-il, comme voit-il, entent t’il ; car dans tous les mots qui finissent par un d. le d. prend le son du t. mais quand devant la voyelle il y a une h aspirée, la consonne ne se prononce pas, on dit un hoqueton, & non un n’hoqueton. Cette prononciation des consonnes n’a pas lieu en toute sorte de mots. Dans la conjonction &, par exemple, on ne prononce point le t, si ce n’est en la nommant en particulier, comme une des lettres de l’alphabet ; car alors on dit un & ; la lettre & en appuyant sur le t. sans mesme qu’il y ait de voyelle aprés. Dans aucuns des noms terminez en er par un e fermé, comme : acier, cuirassier, la derniere consonne, sçavoir l’R, ne se prononce pas ; on ne dit point, par ex. de l’acier réclatant mais de l’acier éclatant. On ne prononce point non plus la derniére consonne dans la plûpart des noms substantifs ou adjectifs, propres ou appellatifs terminez en an, en om, en ont, en in & en im, comme, Cicéron, Platon, maison, bouton, nom, affront, chagrin, malin, faim ; car on ne prononcera pas Cicéron a dit, comme s’il y avoit Cicéron n’a dit, ny maison à louer, comme maison n’a loüer ; on ne doit point dire non plus : c’est un affront t’estrange ; c’est un nom m’auguste ; il est chagrin n’a toute heure ; il a faim m’et soif, mais : c’est un affront étrange sans prononcer le t. c’est un nom auguste sans prononcer l’m, il est chagrin à toute heure sans prononcer l’n, & ainsi des autres. On y peut ajoûter encore presque tous les noms substantifs en am, en ant, en and, en ent, en ang, en un, & en um, comme adam, un van, le vent, sang, parfum, tribun, ce seroit tres-mal parler que de prononcer les consonnes finales de ces mots, comme font les Normands, qui ne peuvent dire, par exemple, j’ay entendu un Sermon aujourd’huy, qu’ils ne prononcent, un Sermon n’aujourd’huy. Je remarque néanmoins qu’il y a une occasion, où la derniére consonne du mot sang se prononce, c’est en cette phrase cy : suer sang & eau ; car on prononce comme s’il y avoit : suer sang guet eau, ou plûtost comme s’il y avoit : suer sang quet eau ; car le g prend là le son du q, hors cela on ne prononce point la consonne de ce mot, on dit : le sang est nécessaire à la vie, sans prononcer le g.

Je remarque encore que le mot, sens, doit se prononcer avec l’s, non seulement devant une voyelle ; mais lors mesme qu’il ne suit rien aprés ; comme : c’est un homme qui a bon sens. Il n’est rien de si necessaire que le bon sens, en quoy ce mot est fort différent des autres de la mesme terminaison ; car quand on dit, par exemple, il fait beau temps, c’est un homme qui a bon temps, on ne prononce point l’s comme le Gascon ; on ne la fait sonner que devant une voyelle, comme : le temps est plus précieux qu’on ne pense.

Les mots où l’on prononce les consonnes, sont les verbes, les participes des verbes, les pronoms son, mon, ton, la particule on, comme : allant à la Campagne, venant à Paris, mon épée, on a dit, ce qui se doit prononcer comme s’il y avoit, allant t’à la Campagne, venant t’à Paris, mon n’épée ; on n’a dit.

On doit prononcer un Marchand, comme s’il n’y avoit point de d au bout, excepté en Poësie ; mais dans Marchant, qui vient de marcher, il faut prononcer la consonne.

Dans tous les noms terminez en er par e ouvert, comme : leger, fer, enfer ; la derniére consonne sçavoir l’r se prononce.

On fait sonner quelquefois les consonnes finales dans les adjectifs, & c’est seulement lors que l’adjectif est immediatement devant le substantif ; par exemple, on dit : un saint t’homme, un sçavant t’homme, un bon n’enfant, un vieux z’homme ; mais si l’adjectif n’a pas de substantif aprés soy, on ne prononce point la consonne, comme on le peut connoistre par ces exemples : Il est saint au plus au degré, il est sçavant & modeste, il est bon autant qu’on le peut estre, il est vieux & de bonne humeur ; car ce seroit tres-mal prononcer, il est saint t’au plus haut degré, il est sçavant t’et humble, il est bon n’autant qu’on le peut estre, il est vieux z’et de bonne humeur, qu’on y fasse réflexion, & l’on verra que cela se trouve vray.

Il y a des mots, ou au lieu de prononcer la derniére consonne devant une voyelle, on ne prononce que la pénultiéme ; ces mots sont, part, depart, lard, petard, fier, sort, ressort, effort, port, mort, fort, corps, d’accord, d’abord, il sort, il court, discours, toûjours, sourd, lourd, & quelques autres semblables, c’est à dire, qu’il les faut prononcer comme s’ils finissoient par r, & dire par exemple : voila ma par, & la vôtre, & non, ma part t’et la vôtre ; vôtre sor est le mien, & non, vôtre sort t’est le mien ; je suis d’accor avec vous, & non d’accord d’avec vous ; il est for & robuste, & non, for t’et robuste, & ainsi des autres ; mais si fort est adverbe, le t se prononce, on dit : fort t’estendu, fort t’illustre, & non, for estendu, for illustre. Dans le mot de corps au singulier, c’est l’antepénultiéme syllabe qui se prononce, & non l’s ny le p. On dit : nôtre cor est sujet à mille infirmitez, & non, nôtre cor s’est sujet.


De la prononciation
de mes, tes, ses, &c.

Ces monosyllabes & quelques autres semblables, se prononcent autrement devant des voyelles que devant des consonnes. Lors qu’elles sont devant des consonnes, elles gardent l’e masculin, & l’on prononce més, tés, sés. Més chevaux, tés chevaux, &c. mais lors qu’elles sont devant des voyelles, elles quittent l’e masculin ; pour prendre l’e féminin ; & alors l’s qui est à la fin prend le son du z, & s’allie avec le mot suivant, de sorte qu’il faut prononcer le zhommes, me zamis, se zamis ; les Provinciaux manquent presque tous à cela : des personnes tres-éclairées croyent néanmoins que dans un discours public, il est plus à propos de prononcer ces monosyllabes devant des voyelles de la mesme maniére, qu’on les prononce devant des consonnes, c’est à dire avec un e ouvert, parce que cette prononciation est plus propre pour se faire entendre ; & je sçay plusieurs habiles gens qui le pratiquent de la sorte.


De la prononciation
des premiéres personnes des verbes.

Les premiéres personnes des verbes qui finissent par un e muet, comme : je parle, je dispute, je donne ; perdent leur e muet & féminin dans les interrogations & en prennent un masculin, qui se prononce comme en ces mots, bonté, sainteté : ainsi au lieu de dire parle-je, comme on dit en quelques Provinces, il faut dire, parlé-je, me fàché-je, joüé-je, &c.


De la prononciation
des secondes personnes des futurs.

Dans les secondes personnes des futurs, lesquelles se terminent par e, on prononce cét e à peu prés comme en ces mots cy, procés, succés ; ainsi, bien qu’on écrive, vous verrez, vous direz, vous ferez ; il faut prononcer, vous verrés, vous dirés, vous ferés, prenant garde toutefois de ne pas faire sonner cette syllabe és, comme s’il y avoit verrais, dirais, ferais, ainsi que prononce la Bourgeoisie & le petit peuple de Paris ; car la bonne prononciation est de tenir le milieu entre ferez, & ferais, c’est à dire, de ne prononcer ny ferez, ny ferais, mais ferés, & c’est comme on prononce à la Cour.


De la prononciation
de l’R, & de l’A.

Il est bon de faire sonner un peu les R, cela donne de la grace au langage ; mais il ne faut pas se régler sur le peuple de Paris, qui les prononce jusqu’à écorcher les oreilles, mon perre entend-on quelquefois, ma merre, mon frerre ; ce n’est pas ainsi qu’on prononce à la Cour, l’on doit un peu faire entendre l’R, mais il faut que ce soit d’une maniére douce, & qui n’ait rien de grossier ny de badaut.

Le peuple de Paris est encore fort accoûtumé à prononcer les R, à la fin des infinitifs, comme : aller, venir, &c. mais tres-mal & fort rudement ; il ne faut pas faire néanmoins comme dans la plûpart des Provinces, où on les supprime tout-à-fait.

Les R, doivent se prononcer à la fin des infinitifs lors qu’il suit une voyelle, comme : il faut commander à ses passions ; s’il suit une consonne la prononciation de l’R ne doit presque pas estre sensible ; je dis presque pas, parce qu’il ne faut pas tout-à-fait la supprimer.

La lettre A se doit prononcer longue au milieu de la plûpart des mots ; en certaines Provinces ; comme à Lyon & ailleurs on la prononce presque toûjours breve ; mais à Paris on la fait longue en plusieurs mots ; on dit : Versaille, bataille, collation, recreation, en traînant un peu sur l’a ; mais il faut toûjours éviter la prononciation du peuple, parmy lequel l’on prononce quelquefois les a si longs, qu’il semble qu’on aille rendre l’ame. On doit se régler sur les personnes de la Cour ; ils ont une prononciation douce & agréable, & qui n’a rien d’affecté ; il est bon néanmoins d’observer que l’a, qui se rencontre en ces sortes de mots, comme : aimable, loüable, admirable, &c. Timbale, avale, Sale, &c. se doit prononcer bref, aussi bien que celuy d’Abbé ; c’est à quoy manquent bien des Provinciaux, & sur tout les Lyonnois.


AUTRES OBSERVATIONS
importantes sur la
Prononciation.

Aprés ces Remarques sur la prononciation, il m’est venu en pensée de chercher quelques régles précises pour la quantité des Syllabes, & en ayant trouvé qui n’ont pas déplû aux personnes à qui je les ay montrées ; j’ay crû que je les devois mettre icy, ce que j’ay dit là-dessus ne paroissant pas encore suffisant, pour donner une connoissance entiére de ce qui en est.

La prononciation des syllabes breves & des syllabes longues, est l’écuëil non seulement des Etrangers, mais de la plûpart des Provinciaux, & particuliérement des Normands, des Picards, des Lyonnois, des Gascons, & des Provençaux qui s’y m’éprennent à tous momens. J’ay examiné ces syllabes en leur faveur, & voicy ce que j’ay découvert, c’est des pénultiémes, dont j’entends parler principalement, la différence de la quantité n’estant presque pas sensible dans les autres, je marque les syllabes longues en mettant au dessus une ligne ¯ & les breves en mettant un ˘, comme il se pratique en Latin.


De la syllabe A

devant le B.

L’A se prononce toûjours bref devant deux BB. comme : ăbbé, ăbbois, il se prononce ordinairement de mesme devant un seul B. comme : ăbord, ăbri, ăbsous, ăbstrus, ăbus, hăbit, ădmirăble, effroyăble, venerăble, capăble, tăble, estăble, estăblir, excepté, sāble, rāble, chāble, fāble, sābre, sinābre.


Devant le C.

L’A, devant le C. se prononce bref, comme : tabernăcle, mirăcle, orăcle, ăchat, ăcier, glăce, făce, trăce, trăcer, plăce, plăcer, becăce, grimăce, hăche, excepté, grāce.


Devant le D. & l’F.

Il est bref devant le D. & l’F. comme : făde, ambassăde, barricăde, mousquetăde, estrăde, boutăde, răde, colonăde, ădam, ădroit, ăfin, ăffreux, ăffront, excepté, rāfle, rāfler.


Devant le G.

Devant le G. il est bref encore, comme : ăgir, ăgneau, ăguet, săge, visăge, personnăge, hommăge, paysăge, feüillăge, ramăge, bocăge, fourrăge, excepté, age, agé.


De la diphtongüe
ai.

La diphtonguë ai est longue devant l’l & le z. Devant l’l, comme : pāille, cāille, Versāille, escāille, vāille, āille, rāiller, bāiller, excepté, băiller, au sens de donner, & măillet, măillot, médăille, espăiller, jăillir, rejăillir, assăillir ; devant le z, comme : āise, āizé, frāise, chāize, bāise, bāiser ; devant les deux ss. elle est longue aussi, comme : lāisse, lāisser, grāisse, engrāisser.

Devant les autres lettres elle est breve, comme : ăide, ăider, ăigle, ăiglon, ăigre, ăigrir, ăigreur, ăigu, migrăine, făite, parfăite, il n’y a que les Provinciaux, & sur tout les Lyonnois, qui traînent sur ces syllabes, excepté, traīner, entraīner.


De la syllabe a
devant l’L.

L’A devant l’l, est bref, comme, ăller, estăller, avăler, cavălé, băle, ovăle, Théologăle, régăle, hălle, ăloy, excepté, rāle, rāler.


Devant l’M.

Il est bref, comme : răme, rămer, Epigrămme, anagrămme, ămas, ămy, affămer, excepté, āme, flāmme, condāmner, dont l’a se prononce un peu plus du gosier.


Devant l’N.

Il est bref, comme : făner, cabănne, sotănne, vănner, excepté, crāne, āne.


Devant le P.

Bref, comme : ăppast, ăppel, ăppuis, ăppris, ăprés, atrăper, & non, āprés, atrāper, comme prononcent les Picards, excepté : cāpre.


Devant l’R.

L’A, est bref devant une R, suivie d’une consonne, comme : échărpe, fărce, cărpe, gărde, regărde, chărge, bărbe, ărbre, mărbre, lărcin, devant une R, suivie d’une voyelle, il est bref aussi, comme : égărer, Băron, fanfăron, macăron, cela s’entend pourveu que la voyelle ne soit pas un e féminin ; car alors l’a est long, comme : je m’égāre ; devant deux RR, il est long, comme : cārrosse, cārreau, cārré, bārreau, bārre, bārré, lārron, mārron.


De la syllabe a
devant l’S ou le Z.

L’A est long devant une S, lors que cette S, a le son du Z, comme : rāzer, cāze, bāze, vāze, emphāze, extāze, évāzion, quand l’S est suivie d’un T, & que cette S. se prononce ; l’A, est toûjours bref, comme : făste, văste, chăste, căsque, măsque, plăstron, băstion ; quand l’S, ne se prononce pas l’A est toûjours long, comme : āsne, hāste, hāster, tāster, pāste, pāsté, gāster, gāsteau, āspre, alebāstre, plāstre, pāsle, pāsteur, folāstre, folāstrer.

Devant les deux SS, l’A est long, comme : chāsse, en parlant d’une biere, enchāsser, bāsse, tāsse à boire, entāsser, cāsser, pāsser, pāssion, quelquefois bref, comme, ăssaut, assăssin, ăssis, chăsse, chăsser, măsse, terrăsse, făsse, le Tăsse.


Devant le T.

Devant le T, l’A est toûjours bref, comme : ătour, ăttrait, băteau, bătre, combătre, quand le mot finy par tion, l’A, qui précede est long, comme : collātion, prédicātion, appellātion, nātion, vocātion, obligātion, admirātion, il ne faut pourtant pas trop traîner sur l’A.


De la diphtongue
au.

Cette diphtongue est toûjours longue, comme : aūlne, saūge, aūtre, Claūde, paūvre, vaūtrer, fraūde, haūte, haūteur, faūte, saūver, Saūveur, &c.


De la syllabe A
devant l’V.

L’A devant l’V est long, pourveu que cét V soit suivy d’un E féminin, comme : grāve, cāve, hāve, concāve, brāve, entrāve, Gustāve, lāve ; mais s’il est suivy d’un E masculin il est bref, comme : grăvier, l’ăvoir, grăver.


De la syllabe E

devant l’R.

L’E devant l’R suivie d’un E féminin est long, vērre, misēre, sincēre, revēre, mais devant un E masculin il est bref, comme : vĕrrez, vĕrrons.

L’E devant l’R, suivy d’une consonne est bref, comme : mĕrle, mĕrlons, cavĕrne, modĕrne, fĕrme, ciĕrge, Conciĕrge, Viĕrge, aspĕrge, cĕrcle, & non, cavērne, modērne, fērme, comme on prononce en plusieurs Provinces & sur tout à Lyon.


Devant une S suivie d’une voyelle.

La syllabe E devant une S suivie d’une voyelle, ou devant un Z est toûjours longue, comme : Genēze, thēse, hypothēse.


Devant deux SS.

L’E devant deux SS est bref, comme : politĕsse, tendrĕsse, rudĕsse, richĕsse, Duchĕsse, Princĕsse ; il y en a quelques-uns d’exceptez, comme : prēsse, comprēsse, Abbēsse, interēsse, interēsser.


Devant l’S & le T.

Cette syllabe devant l’S & le T est toûjours longue, lors que l’S est muette, comme : tēste, fēste, arbalēste, tempēste, rēsve, rēsver, bēsler ; quand l’S se prononce l’E est bref, comme : lĕste, vĕste, rĕste, rĕster, funĕste, travĕstir.


Devant le T.

L’E est bref devant le T, comme : Prophĕte, trompĕtte, Interprĕte, discrĕtte, levrĕtte, civĕtte, thermomĕtre vergĕtte, burĕtte, &c.


De la diphtongue Eu.

Cette diphtongue est longue : crēuser, guēuser, mēugler, &c. excepté, seŭle, asseŭrer, fleŭron, fleŭret, effleŭrer, fleŭrir.


De la syllabe I

devant le B.

Elle est breve : lĭbre, calĭbre, équilĭbre, &c.


Devant le C.

L’I devant le C est long : servīce, escrevīce, benefīce, offīce, excepté : polĭce, vĭce, suplĭce.


Devant le D, l’L & l’M.

L’I est bref devant le D, l’L, & l’M, comme : humĭde, timĭde, livĭde, avĭde, ovĭde, &c. argĭle, vĭlle, civĭle, chavĭlle, tuĭle, &c. crĭme, escrĭme, mĭne, famĭne, estamĭne, sarrazĭne, &c.


Devant deux LL moüillées.

L’I devant deux LL. moüillées est bref, comme : grĭlle, chenĭlle, étrĭlle, &c.


Devant l’R.

L’I devant l’R, suivie d’un E féminin est long, comme : īre, Navīre, cīre, Sīre, rīre, détruīre, desīre, inspīre, līvre, cuīre, écrīre, excepté, dĭre, médĭre, zéphĭre, interdĭre, suffĭre, Quand l’R est suivie d’une consonne, l’I est bref, comme : cĭrque, sĭrte, mĭrthe, smĭrne, aussi bien que quand il est suivy d’une voyelle dont le son est masculin, comme : cĭron, desĭrer, inspĭrer, &c.


De l’I devant l’S & le Z.

L’I devant une S suivie d’une voyelle est long, comme devant un Z : Eglīse, remīse, frīse, crīse, entreprīse, valīze, &c.

Devant deux SS il est bref : vĭsse, coulĭsse, reguelĭsse, glĭsser, lambrĭsser, exceptez ces subjonctifs des verbes, apprīsse, fīsse, dīsse, vīsse.

Devant l’S suivie d’une consonne, lors que l’S se prononce l’I est bref, comme : rĭsque, pĭste, lĭste, chimĭste, artĭste, Académĭste, molinĭste.


Devant l’V.

L’I devant la syllabe vre, est long, comme : vīvre, survīvre, līvre, cuīvre, īvre, suīvre, devant la syllabe, ve, il est bref : dans les noms, comme : salĭve, lessĭve, solĭve, olĭve, grĭve, & long dans les verbes, comme : vīve, écrīve, arrīve, &c.


De la syllabe O

devant le B, & l’L.

Elle est breve : Rŏbe, dérŏbe, dérŏber, garderŏbe, gŏber, sŏbre, &c. banderŏle, pŏli, pŏlitesse, fŏlle, pistŏle, parŏle, pistŏlet, &c. excepté, rōle, enrōler, drōle, pōle.


De la syllabe Or.

Elle est breve, comme : fŏrce, amŏrce, écŏrce, écŏrcher, pŏrte, pŏrter, impŏrter, mŏrte, fŏrte, mŏrdre, tŏrdre, misericŏrde, concŏrde, les Lionnois ont besoin de cét avis.

Devant l’R, suivie d’une voyelle, pourveu que cette voyelle ne soit pas un E féminin, l’O est bref, comme : évapŏrer, dŏrer, colŏrer, dévŏrer, excepté, pōreux, si l’E est féminin l’O est long, comme : pōre, dōre, colōre, évapōre, dévōre, j’honōre, &c. excepté, encŏre.


De la syllabe O
devant l’S.

Devant l’S suivîe d’une voyelle, l’O est long comme devant le Z : rōse, éclōse, repōse, repōser, suppōse, suppōser, gōzier, &c.

Devant les deux SS il est bref, comme : écŏsse, bŏsse, bŏssu, carrŏsse, colŏsse, brŏsse, crŏsse, grŏssier, excepté, fōsse, grōsse, grōsseur, qui se prononcent par un O long, quoyque grŏssier se prononce par un O bref.

Devant l’S suivie d’un T, il est bref aussi, comme : pŏste, la pŏste, & non, pōste, ainsi que prononcent les Lyonnois.


De la diphtongue Ou.

La diphtongue ou est tantost longue & tantost bréve, on dit : soūdre, coūdre, voūte, coūte, coūter, croūte, coūcher, coūche ; mais on dit, coŭche en terme de peinture, une coŭche, deux coŭches de couleurs, on prononce un Boūcher & boūcher quelque chose ; mais on dit, la boŭche, on prononce aussi toŭche, cartoŭche, toŭcher, faroŭche, soŭche, escarmoŭche, coŭde, moŭcher ; mais on dit, loūche, une moūche ; quand il y a une R, ou est toûjours bref, comme : soŭrde, loŭrde, foŭrbe, &c.


De la syllabe o
devant l’S muette.

Elle est longue, Pentecōste, cōste, ōster, aumōsne, rōsne, &c.


De la syllabe o
devant le T.

Devant le T elle est bréve, Aristŏte, flŏtte, cŏtte, hŏtte, bŏtte, crŏtte, barbŏtter, trŏtter, balŏter, marmŏtte, marmŏtter, &c.


De la syllabe U

devant l’L, l’M, & l’N.

Cette syllabe devant l’L est un peu longue, comme : brūler, recūler, brūle, recūle, & bréve dans les noms, comme celŭle, scrupŭle, formŭle, ferŭle, modŭle, &c. elle est bréve aussi devant l’M & l’N, comme fŭme, fŭmée, plŭme, enclŭme, rŭme, &c. dŭne, Neptŭne, fortŭne, brŭne, prŭne, &c.


De la syllabe ur.

Elle est bréve, comme Noctŭrne, tacitŭrne, ŭrne.


De l’U, devant une R.

Quand l’R est suivie d’une voyelle l’U est bref, pourveu que cette voyelle ne soit pas un e féminin, comme : murmŭrer, ceintŭrer ; car l’e féminin rend l’U un peu moins bref, quoy qu’il ne le rend pas tout-à-fait long, comme nourritūre, confitūre, ceintūre, murmūre, brulūre, dorūre, bordūre, parūre, &c.


Devant l’S.

L’U est un peu long devant l’S, suivie d’une voyelle : refūser, amūser, accūser, ūser ; devant les deux SS il est bref dans les noms, comme aumŭsse, & long dans les verbes, comme crūsse, courūsse, voulūsse ; devant l’S muette & le T il est long, comme flūste, būsche ; quand l’S se prononce l’U est bref, bŭste, robŭste, brŭsque, brŭsquer, &c.


Devant le T.

L’U est bref devant le T, comme bŭte, bŭter, hŭtte, brŭte, brŭtal.

Il est facile de voir par ces petites observations, combien la quantité Françoise est éloignée de la Latine. Je ne m’estonne pas que ceux qui ont essaïé de faire des Vers à la mesure des Latins, l’ayent tenté en vain ; ils ont fait voir par là qu’ils n’avoient pas assez compris ce que portoit le génie de nostre Langue ? quelle grace, par exemple, peut-on trouver en ceux-cy, que M. des Portes a voulu faire, selon la mesure des Vers Saphiques.

Sī lĕ tōut puīs sānt n’ĕstă blīt lă māison
L’hōmme y trāvāil lānt sĕ pĕine ōutrĕ rāisŏn
Vōus vĕil lēz sāns fruīt lă cĭ tē dĕfendănt
Diēu nĕ lă gārdānt.

Il est impossible de trouver des mots François, qui ayent la quantité nécessaire pour la mesure des Vers Latins ; aussi on voit en ces Vers plusieurs syllabes faites bréves ou longues contre leur prononciation naturelle, comme : pĕine, vĕilles, dĕfendant, gārdant ; car premierement la quantité de la premiere syllabe du mot de peine, n’est point sensible ; au contraire, elle est plûtost longue que bréve ; & la premiére syllabe de gardant loin d’estre longue, se doit prononcer bréve selon la bonne prononciation, gărde, gărder. Il est vray qu’en Latin une voyelle suivie de deux consonnes est toûjours longue ; mais il n’en est pas de mesme en François.


De la prononciation
de la Diphtongue ai, eu & eau.

La diphtongue ai, se prononce souvent comme un e féminin, & c’est sur tout dans le verbe faire, cette prononciation a lieu en certains temps comme au plurier du present de l’indicatif, nous faisons, & à l’imparfait, je faisois, & au participe, faisant ; car il faut prononcer comme si l’on écrivoit, nous fesons, je fesois ; je dis comme si l’on écrivoit, parce qu’on ne l’écrit point ainsi ; quoyque l’Auteur des véritables Principes de la Langue Françoise prétende le contraire.

La diphtongue eu, se doit prononcer quelquefois comme un u tout seul ; & cela arrive dans ces mots cy, j’ay eu, tu as eu, &c. J’ay veu, tu as veu, &c. Et dans la premiére syllabe de heureux ; car il faut prononcer j’ay u, tu as u, hureux. Il y a des Provinces, ou l’on prononce bonhur, au lieu de bonheur, malhur, pour malheur, buf, pour beuf. Ce qui est une tres-mauvaise prononciation, l’E & l’U dans ces sortes de mots doivent tenir du son l’un de l’autre, c’est à dire estre prononcez tous deux ensemble dans une mesme syllabe. Pour ce qui est de, eau, il faut ordinairement prononcer, au, comme : couteau, roseau, de l’eau, les Lyonnois doivent prendre garde à ce dernier, eux qui prononcent, de l’eau, presque en deux syllabes.


De la prononciation
des mots terminez en, ain, aim, ein, in, im.

Plusieurs Provinciaux, & entr’autres les Normands prononcent tres-mal ces syllabes ; ils gardent autant qu’ils peuvent le son naturel de l’I, lors mesme qu’il est joint avec une N, qui finit la syllabe, comme en : clavessin, satin, coussin, cousin, s’imaginant que s’ils prononçoient, clavessain, satain, coussain, cousain : Il faudroit donc prononcer aussi cousaine au lieu de cousine ; en quoy ils se trompent grossiérement, ne prenant pas garde que dans le mot de cousine la lettre N, ne sçauroit changer la prononciation de l’I ; parce qu’elle est jointe à une autre syllabe qu’elle commence, cousi-ne, au lieu que dans cousin l’N est jointe à l’I ; & faisant avec cét I une syllabe, donne un autre son ; car c’est une proprieté de l’N & de l’M d’étendre le son de la voyelle à quoy elles sont jointes, & d’en rendre la prononciation plus pleine ; ainsi l’N remplissant icy le son de l’I, elle fait qu’il devient le mesme que celuy de l’Ei ; il semble de là que ce son devroit s’estendre à proportion, & que ces mots cy : saint, pain, train, devroient avoir une prononciation extrémement longue ; ce qui n’est pourtant pas, parce que nostre Langue fuyant les prononciations trop pleines, l’usage a voulu adoucir celle de l’ai, & la rendre semblable à celle de l’ei ; de sorte que ces trois syllabes in, ein, ain, se prononcent de mesme, comme : vin, dessein, pain.


De la prononciation
des syllabes, am & an.

Quand ces syllabes font partie d’un mot de plusieurs syllabes, elles se prononcent quelquefois comme un a tout seul ; par exemple, au lieu de prononcer condam ner, dam né, an née ; Il faut prononcer, condaner, dané ; mais on doit prendre garde de ne pas faire l’a bref ; ce qui rendroit cette prononciation fort vicieuse, il le faut faire un peu long.


De la prononciation
de la syllabe aon.

Cette syllabe se prononce en certains mots sans faire sonner l’O, comme : paon, faon, laon, car on prononce : pan, fan, l’an.


Comment il faut prononcer Payen &
quelques autres mots de la sorte.

Quelques personnes disent : peyen, reyon, reyonner, eyons ; mais cette prononciatîon est mauvaise ; il faut prononcer l’a & dire, payen, rayon, rayonner, ayons. Il faut cependant prononcer, j’eye, tu eyes, peyer, peyons, & non, pa-yer, pa-yons.


De la prononciation
de la diphtongue oi.

Cette diphtongue a deux sons différens, tantost on y prononce l’O comme un O, ainsi que dans bois, voix, choix, tantost on l’y prononce comme un a, ainsi que dans connoître, paroître ; car on dit, connaître, paraître ; c’est ce qui fait qu’on est en peine sur certains mots ou cette syllabe se rencontre ; par exemple, on ne sçait souvent s’il faut prononcer les Français, ou les François ; l’on prononce ordinairement Français, les Français, la Langue Française, comme estant plus doux. Il n’en est pas de mesme du mot de croire, craire, ne seroit pas tout-à-fait bien, sur tout dans un discours public. Je dis le mesme de froid & d’estroit, dans la conversation on prononce frait, estrait ; mais en public, il est mieux de prononcer froid, estroit, ce ne seroit pourtant pas une fort grande faute de prononcer autrement.

Cette diphtongue a encore une autre prononciation, quelquefois elle se prononce par ouai, comme dans oiseau, car ceux qui parlent bien prononcent, ouaiseau, quelquefois par oui, comme dans Moise ; car d’ordinaire on prononce Mouise.


De la prononciation
de l’H.

Nous avons plusieurs mots, où l’H se prononce du gosier, c’est à dire, où elle est aspirée, tels que sont, hache, hair, haine, hale, halebarde, hanche, hante, hanter, haquenée, harangue, haranguer, harceler, hardy, hardiesse, harnois, hazard, haste, haster, have, hauteur, haye, hennir, héros ; mais dans heroine l’H n’est pas aspirée, herisser, hérisson, herse, hestre, heurler, hibou, hideux, hie, Holande, Hongre, Hongrie, hante, hoquet, hoqueton, hors, hotte, mais dans hoste, hostel, hostellerie, l’H n’est pas aspirée, houblon, houlette, houppe, huppe, housse, houssine, huer, huée, huche, hacher, humer, hure de Sanglier, hurler, hurlement.


De la prononciation
de l’V consonne & du B.

Il y a peu de gens qui ne sçachent que c’est une faute grossiére de prononcer ces deux lettres l’une pour l’autre, comme font les Gascons qui disent aboir, pour avoir, & voire, pour, boire : cependant on peut dire que cette prononciation, toute vitieuse qu’elle est aujourd’huy, a son fondement dans l’antiquité ; & que l’V consonne a toûjours eu un grand rapport avec le B, ce qui se voit en certains mots, qui changeant de Langues ont pris souvent l’une de ces lettres pour l’autre ; les Grecs, par exemple, disoient Βίω je vis, & ce mot passant chez les Latins a quitté le Β & a pris l’V, vivo ; car il est constant que les Grecs prononçoient Βίω, & non vio, leur Βήτα estoit comme nostre B ; mais l’on trouve encore dans de vieux marbres cibica pour civica, base pour vase, l’on trouve aussi veneficium pour Beneficium, sibe pour sive & dans les pandectes de Florence aveo pour abeo, vobem pour bovem, vestias pour bestias ; & mesme autrefois on disoit aveille pour Abeille, ce qui ne favoriseroit pas peu la prononciation des Gascons : si en matiére de Langue l’usage le plus ancien estoit le plus suivy.


De la prononciation
pour le nombre des syllabes.

On est quelquefois en peine si l’on doit prononcer certaines voyelles séparément en deux syllabes, ou conjointement en une ; les syllabes où l’on est le plus en doute là-dessus sont celles-cy ; ion, ui, ie, eu, ai, comme : passion, fuir, altier, lumiére, j’ay eu, je hais ; car on ne sçait souvent s’il faut prononcer passion en deux syllabes, ou en trois ; s’il faut prononcer, fuir, ou fu ir, joüir, ou jou ir, altier, ou alti er, ouvrier, ou ouvri er, j’ay eu, ou j’ay e u.

Voicy en peu de mots ce qui est à observer là-dessus. Dans la Prose il faut dire passion, action ; c’est à quoy doivent prendre garde les Provençaux & les Gascons, & dans la Poësie il faut dire passi on, acti on ; pour ce qui est de fuir les Poëtes ne le font que d’une syllabe, & l’oreille seroit choquée, si on le faisoit de deux ; il faut prononcer en Prose, joüir, réjoüir, oüir, foüir, ébloüir, & en Poësie, joü ir, réjoü ir, &c.

L’I & l’E joins ensemble font quelquefois deux syllabes en Poësie, & cela arrive d’ordinaire devant l’n, comme : Histori en, Grammairi en, sci ence, experi ence : excepté : mien, tien, sien, soûtien, bien, maintien, entretien ; & devant l’R, comme, sangli er, baudri er, coli er, ouvri er, ouvri ere, excepté, premier, altier, lumiére, carriere ; en quoy il faut consulter l’oreille plus qu’autre chose.

Pour ce qui est de l’e & de l’u, c’est une chose constante qu’ils ne font qu’une syllabe, & ceux qui disent j’ay e u, pour j’ay eu parlent mal.

Il est bon de remarquer encore que l’I & l’E en ces mots remerciement, maniement, ne se prononcent que comme une syllabe ; & que cette syllabe prend le son de l’I, & que l’E qui est aprés, ne sert qu’à rendre le son de l’I, un peu plus plein & plus estendu, remercīment, manīment.

Au regard de je hais, il est certain qu’encore qu’on dise hair en deux syllabes, & qu’on prononce aussi, nous haissons, ils haïrent en trois syllabes, il faut dire, je hais, tu hais, il hait, en une seule, comme :

C’est Dieu qui rompt les fers d’un pécheur qui le hait
Qui ne trouve dans nous que le bien qu’il y met[91].

Le doute qu’on a sur le nombre des syllabes de ces mots ne vient que de l’union des voyelles qui s’y rencontrent, lesquelles estant jointes peuvent se prononcer en une syllabe, ou en deux : mais il y a des mots où le nombre des syllabes est douteux sans cela. On demande, par exemple, s’il faut prononcer Cabaretier, ou Cabartier, esperon ou espron ; Je réponds qu’en Prose la bonne prononciation de ces mots est de retrancher l’e féminin, quoy qu’on ne laisse pas de l’écrire : ainsi il faut prononcer, jartiére, & non, jaretiére ; Cabartier, & non, Cabaretier ; taphtas, & non, taphetas ; chaudron, espron, & non, chauderon, esperon ; tromprie, fourbrie, moqrie, tapisrie, brodrie, & non, tromperie, broderie ; quoyque ce soit ainsi que ces mots s’écrivent, qrir, & non, querir, bandrole, & non banderole ; pluche, & non, peluche, &c.



DE LA
PRONONCIATION
de l’E.

Les sons différents que reçoit cette lettre embarassent souvent dans la prononciation ; c’est pourquoy j’ay crû à propos de faire quelques remarques précises là-dessus, en observant tous les mots où l’e se prononce masculin ou fermé, comme dans bonté, ceux où il se prononce féminin, ou muét, comme dans rose ; & ceux où il se prononce ouvert comme dans succés ; mais cette différence n’embarassant guéres qu’aux premiéres syllabes, nous examinerons particulierement celles-là, en suivant toûjours l’ordre alphabétique.


E.

Tous les E qui viennent de la diphtongue Latine Æ ou œ se prononcent fermez, soit au milieu du mot, à la fin ou au commencement, comme : César, Egypte, Phénix, céleste, célibat, &c.

Tous les mots qui commencent par la lettre E ont l’E fermé, comme Eglise, Election, Eloquence, &c.

Tous les E qui sont devant la syllabe ge, se prononcent aussi fermez, comme : manége, Collége, cortége, privilége, & non ouvert, comme font les Lionnois, prononçant : Collaige, privilaige, &c.

Tous les E suivis de deux SS sont ouverts, comme : richesse, tendresse, &c. suivis d’une S, & d’une autre consonne, ils sont ouverts aussi, comme : tempeste, gresle, reste, veste, leste, &c. quand ils sont suivis de deux TT, ils sont ouverts encore, comme : civette, levrette, chainette ; quand l’E n’est suivy que d’un T, & qu’il finit le mot, il est encore ouvert, comme : secrét, discrét, balét, plumét, &c.


Be.

Devant l’A.

Be devant l’A est toûjours fermé, béant, Béarnois, béatitude, béatifier, &c.

Devant le C.

Fermé, bécasse, bécher, béchée.

Devant le D. muét, Bedeau.

Devant le G. fermé ; bégue, béguayer.

Devant l’L. muét, belette, belitre, belouze, belouzer, excepté, bélier,

Devant l’N. fermé : bénédiction, bénefice, Béneficier, béneficence, bénignité, excepté, benin, benir, & ses dérivez.

Devant le Q. fermé : béquille, béqueter, béquée.

Devant l’S. muét : besogne, besoin, Besançon.

Devant l’V. fermé : béveuë.


Ble.

Fermé, blémir, blesser, blessure.

Il est bon de remarquer icy que les E, qui sont suivis de deux SS. ne se prononcent jamais féminin en quelque syllabe que ce soit. Les Provinciaux ont besoin de cét avis, & sur tout les Lionnois qui prononcent tous : confesser, blesser, par un E muét, au lieu de prononcer : confésser, blésser, il faut excepter : dessus, dessous, ressort.


Bre.

Muét : bredoüiller, brelan, Breton, Bretagne, brevage, brevet, bretelles, brebis, excepté, bréche, bréveté avec ses dérivez.


Ce.

Devant l’A il est fermé, céans.

Devant le C. il est muét, cecy.

Devant le D. il est fermé : cédre, cédule, céder.

Devant l’L muet : cela, celuy, celer, excepté, célebre, & ses dérivez, avec céleste, & les temps du verbe, celer, qui ont la terminaison féminine à la seconde syllabe, comme : je céle, ils célent, il célera.

Devant l’R muét, cerin, cerise, &c. excepté, céremonie, céruse.


Che.

Muét, chemin, cheminée, chemise, chenet, cheneviére, chenille, chenu, cheval, Chevalier, chevet, cheveux, chevelu, cheville, chevreüil, chevron, chetif, excepté, chélidoine, chévre, chérément, chére, chérir.


Cle. Cre.

Fermé, clémence, clément, cléricature, &c. créance, créancier, créer, Créateur, création, créche, crédule, crédulité, crépine, crépuscule, excepté, creneau & ses derivez, crevasse, crever, & tous les temps de ce verbe, dont la seconde syllabe est masculine, comme : creva, creverent, &c.


De.

Fermé ; débat, débatre, quoy que M. Ménage les fasse féminins, débarquer, débarasser, débauche, débiliter, débile, débiter, débourser, débris, déclarer, décamper, décadence, déchirer, décider, déclin, déchifrer, décrier, dédire, déduire, défaillance, défaire, défectueux, défaite, défendre, déferer, défier, défiler, défrayer, dégager, dégat, dégel, dégeler, dégénérer, dégourdir, dégoust, déguiser, dégrader, déjeuner, délasser, déleguer, déliberer, délay, délaisser, délicat, délicatesse, délivrer, délices, démarche, démasquer, déméler, démettre, démenty, démolir, démontrer, démordre, déniaiser, dénoüer, dépayser, dépenser, dépit, député, & une infinité d’autres, excepté : decrét, dedans, defaut, demain, demande, demander, Demoiselle, demy, demis, denier, piece de monnoye, depuis, devoir, devant, devancer, devenir, devise, devin, demeurer, derechef, degré ; je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup d’autres.


Des.

Muét, estant suivy d’une voyelle, comme : desabuser, desagréer, desagreable, desaltérer, desormais, desarroy, desastre, desastreux, desavoüer, desert, deserter, desobliger, desespoir, desir, desirer, &c. Car l’s qui est aprés de se prononce, comme si elle estoit jointe à la voyelle suivante, desobliger, deserter, &c.


Fe.

Fermé, féroce, férocité, félicité, fécondité, féminin, excepté les mots où fe est devant une N. Comme : fenestre, feniere, fenoüil, &c.


Fle.

Fermé ; fléche, fléchir, flétrir, &c.


Fre.

Muét devant le D, l’L, & le T. fredon, fredonner, frelater, frelon, freluche, freté, fretillant, fretin, excepté, fréle ; il est fermé devant les autres lettres, frémir, frémissemens, frénesie, fréquenter, fréquentation, &c.


Ge.

Fermé ; pourveu que ce ne soit pas devant une L, général, généalogie, généreux, gémir, gémissement, génois, génitif, &c. excepté : geneve, genievre, genest, genoust, genoüilliere.

Devant L, il est muét, gelinote, gelée, geler, excepté : les temps de ce verbe, dont la seconde syllabe a la terminaison féminine, comme : géle, gélera.


Gre.

Muét : grelot, grenade, grenadier, grenier, grenoüille, grener, &c. excepté : gréle, gréler, gréce, & les temps du verbe grener, qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe.


Gue.

Fermé : guéable, guéres, guéridon, guérir, guérison, guérite, guéter, guétre, &c. excepté, guenon, guenuche, guenillon.


Je.

Fermé : jéricho, jéroflée, Jésuite, &c. excepté, jeton & jeter, avec tous les temps de ce verbe, qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe, comme : il jeta, je jetay, &c.


Le.

Fermé : Légat, légation, légataire, légion, léger, légume, léguer, &c. excepté, leçon, lézar, léziner, levraut, lever, & tous les temps de ce verbe, qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe, comme : leva, levé, &c.


Me.

Fermé : mélange, mélisse, méfier, méfiance, médiocre, médiocrité, médire, méditer, méditation, médiation, médiateur, mécontent, mérite, mériter, Médecin, médaille, mécanique, méchant, méche, &c. excepté, melon, mener, menacer, menace, menée, menu, mesurer, mesure, menuiserie.


Pe.

Fermé, jusqu’à la lettre L, pécher, pécheur, péage, pédant, &c.

Muét, devant la lettre L, en ces mots cy : peluche, pelure, pelisse, peloton, pelu, peler, & dans tous les temps de ce verbe, qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe, comme : pela, pelerent.

Fermé dans ceux-cy : pélage, pélagiens, pélican, péletier, pélerin, pélerinage, péloponese.

Devant l’N fermé : pénitence, péninsule, pénible, pénetrer, pénetration, excepté, penon, penonage.

Devant le P muét, pepie, pepin, excepté, pépiniere.

Devant l’R fermé : pére, période, périr, péregrination.

Devant l’S & le T muét : pesant, pesanteur, pesamment, peser & tous les temps de ce verbe qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe, comme : il pesa, je pesay, &c. petar, petit, petiller, petillement, excepté, pétrir, pétrifier, impétrer.


Ple. Pre.

Fermé : plénitude, plénier, pléjades, préferer, prétendre, prérogative, prédire, &c. excepté : Prevost, Prevosté, & les temps du verbe prendre, qui ont la terminaison féminine à la seconde syllabe, comme, il prenoit, nous prenions, &c.


Que.

Muét : querelle, quereller, querir, quenoüille, &c.


Re.

Quand cette syllabe marque de la réitération, & qu’elle est devant un mot qui commence par une consonne, elle a toûjours l’E féminin, comme : revenir, rebâtir, refaire, refleurir, rehausser, redire, reparler, reparer, du mot parer, excepté : réformer, réformé, réhabiliter, régenerer ; mais quand elle est devant un mot, qui commence par une voyelle, l’E est toûjours fermé, comme réünir, réünion, réiterer, réchaufer du verbe, échaufer, réchapper, récrire, &c. ce qui fait que dans ces derniers mots, l’E se prononce fermé ; c’est que re se mange avec la premiére syllabe du mot suivant qui est un e fermé ; & qu’au lieu de dire réestablir, réechaper, on supprime le premier e pour faire sonner celuy qui commence le mot.


Re.

Quand re ne marque point de réiteration, il est muet devant le B & le C. comme rebours, rebus, rebuter, rebrousser, &c. recevoir, reclus, recoin, recüeillir, recours, recouvrer, reculer, refuser, excepté : réciproque, récit, réciter, récompense, récompenser, récréer, récréation, récréatif.

Fermé devant le D. rédiger, réduire, réduction, rédemption, Rédempteur, excepté : redoutable, redevable, redevance.

Muet devant l’F, refus, refuser, refuge, refrogner, refroidir, excepté : réfrener, réflechir, & ses derivez, réfugier, réfuter, & réfutation ; car quoy qu’on dise refuge & refuser par un E muét, il faut dire réfugier & réfutation par un E fermé.


Re.

Fermé devant le G. régale, régaler, Régent, régir, Régiment, régle, régler, réglement, régne, régner, régulier, régularité, &c. excepté : regard, regarder, regimber, regret, regorger, registre.

Muet devant l’J consonne, & devant l’L, l’M & l’N. Devant l’J, comme : rejetter, rejetton, &c. excepté : réjoüir & réjoüissance.

Devant l’L, comme : relâcher, relais, relancer, relief, relier, Religieux, religion, relique, reluire, &c. devant l’M, comme remarque, remede, remercier, remettre pardonner, remise, delay, remise de carrosse, remontrance, remords, &c. devant l’N, comme : renard, renegat, renoncer, renoncement, renom, renommée, &c. excepté : rélation & rémission avec leurs derivez.

Muét encore devant un P. qui n’est point suivy d’un U ou d’une R. repaire, repaistre, repartir, repartie, repas, repentir, replet, repos, excepté : répéter, répétition, répit, réparation, répandre, réplique, répliquer.

Fermé devant un P. suivy d’un U, ou d’une R. République, Républicain, répugner, répugnance, réputation, réputer, répudier, répresenter, répresentation, réprimende, réprimer, réprouver, réprobation, &c. excepté : reprise, reproche, reprocher, reprendre.

Muét devant le Q. requeste, requerir, requis, &c. excepté, réquisition.

Fermé devant l’S. résident, résidance, résignation, résister, résistance, résoudre, déterminer résolu, résolution, résulter, résurrection, résusciter, excepté : resonner, reserve, reservé, resoudre, quand il signifie dissoudre, & ses dérivez.

Muét devant le T. retarder, retardement, retenir, retentir, retenuë, retour, retraite, retrancher, retranchement, retrousser, &c. excepté : rétine, Rhétorique, Rhétoricien, rétif, rétrograder, rétribution, rétracter, rétractation.

Fermé devant l’V, & l’R réverer, réveil, révelation, réveler, réverence, révision, réünion, réünir, révoquer, révolte, révolter, réussir, révolution, révulsion, &c. excepté : revanche, reveche, revenu, rente, revers, reveuë.


Se.

Fermé, sécher, sécheresse, sécoüer, séconder, sécourir, séculier, séculariser, séverité, sédentaire, sédition, séduire, séducteur, sécourir, séjourner, Séminaire, Sénat, Sénateur, Sénéchal, séparer, séparation, sépulchre, sépulture, séquestre, séquestrer, sérenité, sérenissime, sérenade, sérieux, sévere, séverité, &c. excepté : second, secondement, qui se prononcent par un E muét ; quoy qu’on dise séconder par un é fermé, secours, quoy qu’on dise sécourir, secousse, quoy qu’on dise ; sécoüer, excepté encore : secret, Secretaire, selon, semaine, seringue, serein, quoy qu’on dise, sérénité, j’ajoûte, semaille, semer, & tous les temps de ce verbe, qui ont la terminaison masculine à la seconde syllabe, comme : semasse, semoit, semerent, &c.


Te. The.

Fermé Télescope, témeraire, témerité, témoin, témoignage, Térence, théatre, Théologie, thése, Thésée, &c. excepté les noms où cette syllabe est suivie d’une N, comme : tenable, tenir, tenuë, &c.


Tre.

Fermé, trésor, Trésorier, trébuchet, tréfle, trémousser, trépas, tréve, &c.


Ve.

Muét, velours, velouté, velu, venaison, vené, venir, venin, Veneur, venuë, vetiller, vetille, &c. excepté, véne, vénérable, vénerie, vérité, vétement, véture, vénimeux, quoy qu’on dise, venin par un E muet.

Fin de la Prononciation.


Prophete Royal.
Roy Prophete.
Prophete Roy.

Prophete Royal n’est plus du bel usage ; Prophete Roy est plus usité, mais Roy Prophete paroist le meilleur des trois. Les Prédicateurs commencent à se défaire de Prophete Royal, & ceux qui parlent bien disent le Roy Prophete, c’est ainsi qu’il se trouve dans les nouveaux Livres de pieté, qui sont écrits avec quelque politesse.


Ptolomée, Ptolémee.

Quelques-uns croyent qu’il faut dire Ptolomée, en parlant de l’astronome, le systeme de Ptolomée, & Ptolémée, en parlant des anciens Rois d’Egypte, le Roy Ptolémée ; mais je crois qu’il y a un peu d’imagination en cela.


Pusillanime.

Ce mot est bon & fort estably : « Il ne faut donner ny trop de crainte à une ame pusillanime, ny trop de confiance à une ame présomptueuse[92]. »

Pusillanimité se dit aussi, & de bons Auteurs s’en servent, on luy reprochoit de prendre trop de mesures, & on appelloit sa crainte pusillanimité.


  1. d’Ablancourt, Apopht. des Anc.
  2. Traduct. d’Hor. par le P. Tart.
  3. Vie de S. Ignace.
  4. Disc. sur l’Hist. univers.
  5. Entretiens d’Ariste & d’Eug.
  6. Panegyr. de S. Loüis par M. l’Abbé de la Chambre.
  7. M. le Maistre plaid. 16.
  8. Oraison Funébre de la feué Reine.
  9. M. le Maistre Plaid. 21.
  10. Traduct. de Phédre.
  11. Lettres à Madame la Marquise de Sablé.
  12. Lettr. à M. Costar.
  13. Commentaires de César.
  14. Entretiens sur la pluralité des mondes.
  15. Morale du monde.
  16. Lettres de S. Augustin.
  17. Lettres de S. Augustin.
  18. Apophtegm. des Anciens.
  19. Livr. 6. des Commentaires de César.
  20. Retraite des dix mille.
  21. M. le Maistre. Présentation de M. le Chancelier Séguier au Grand Conseil.
  22. Des quatre fins de l’homme. Essais de morale.
  23. Réflexion morale.
  24. Traduction de Quinte-curse.
  25. Mœurs des Israëlites.
  26. Lettres de Saint Augustin.
  27. Satyre de Dépreaux.
  28. Poëme de S. Paulin.
  29. Histoire de Dunkerque.
  30. Conspiration de Valstein.
  31. Dialogue.
  32. Discours sur la Tragedie.
  33. Entretiens d’Ariste & d’Eugene.
  34. Présentation de M. le Chancelier Séguier au Parlement.
  35. Commentaire de César l. 6.
  36. Oraison Funébre de M. le Chancelier.
  37. Art de parler.
  38. Plaid. 25.
  39. Traduct. de la Genese chap. 6. sens spirituel.
  40. Horace Ode 6. liv. 3.
  41. Traduct. de la Genese chap. 3. sens spirituel.
  42. Lettre à Mademoiselle Paulet.
  43. Art de penser, premier discours.
  44. Sentimens de Cléanthe sur les entretiens d’Ariste & d’Eug.
  45. M. le Maistre plaid. 6.
  46. Satyres de Dépreaux.
  47. Traité de l’honneste homme.
  48. M. du Beüil.
  49. M. le Maistre Plaid. 5.
  50. Vie du Cardin. Comm.
  51. Sarasin. Vie d’Aticus.
  52. Dictionnaire de Richelet.
  53. Lettres de saint Augustin.
  54. Oraison Funébre de M. de Turenne par M. Fléchier.
  55. Morale du Sage.
  56. Vie de Dom. Barthelemy des Martyrs.
  57. Nouvelles réflexions sur l’Art Poëtique.
  58. Histoire de la vie de Jesus-Christ par l’Abbé de S. Réal.
  59. Lettre à Mademoiselle de Ramboüillet.
  60. Cour sainte traité I. liv. 2. p. 6. q. in folio.
  61. Institut. Catholiq. Epistre au Roy Henry IV.
  62. Plaid. 25.
  63. Oraison Funebre de M. de la Moignon.
  64. Eclaircissement sur le Livre de la vie Monastique. chap. 5.
  65. Entr. sur la Paresse.
  66. Pratique de l’éducation des Princes.
  67. Lettres de S. Augustin.
  68. Mœurs des Israélites.
  69. Lettres de saint Augustin.
  70. Mademoiselle de Scudery, Conversation sur l’envie.
  71. Le Pere Bourdalouë.
  72. Mœurs de ce siecle.
  73. Mémoires sur les guerres de Paris.
  74. Histoire de Charles IX.
  75. Traduction d’Horace par le P. Tart.
  76. Plaid. 5.
  77. Traduct. de la seconde Philipp.
  78. Morale du Sage.
  79. Vie du Cardin. Comm.
  80. Vie de S. Ignace.
  81. Mémoires touchant la Religion.
  82. Mademoiselle de Scudery, Conversation sur la haine.
  83. Panégyr. de Saint Charles Borro.
  84. Histoire de Cyrus.
  85. Caracteres de Théopraste.
  86. Plaid. 4.
  87. Vaug. Quint.
  88. Retraite des dix mille.
  89. Lettres à une Dame de Province.
  90. Morale du Sage.
  91. Poëme de saint Prosper part. 3.
  92. Vie de S. Ignace.