Répertoire national/Vol 1/Utilité de l’histoire et surtout de celle de son pays

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 74-78).

1807.

UTILITÉ DE L’HISTOIRE ET SURTOUT DE CELLE DE SON PAYS.[1]


L’histoire, dit Cicéron, est le témoin des temps, le flambeau de la vérité, le dépôt des évènements : elle est l’oracle de l’antiquité, qu’elle nous dévoile ; du présent, dont elle nous informe ; et de l’avenir qu’elle nous fait prévoir. Elle nous remet devant les yeux et propose à notre émulation les traits mémorables, les excellentes qualités des législateurs, des rois, des sages, des héros et des honnêtes citoyens de tous les temps et de tous les pays. C’est dans son temple que résident la source des bons conseils et de la prudence, l’aiguillon du courage et des belles actions, la règle de la conduite et des mœurs. Elle nous offre le modèle des vertus que nous devons pratiquer, et le tableau des vices qu’il nous faut éviter : enfin c’est à elle qu’il appartient de former le cœur, et rien n’y est plus propre que les traits touchants que l’on y rencontre à chaque page.

Ici je vois Codrus mourir pour le salut de son peuple, et cette mort m’apprend combien il est beau de se sacrifier pour sa patrie. Là c’est le malheureux Enée qui fuit sa patrie réduite en cendres ; il tient le jeune Ascagne par la main, prend sur ses épaules ses dieux pénates et le vieux Anchise, puis jetant un regard attendri sur les ruines de son pays, qu’il abandonne, il semble se consoler de ses infortunes par la vue des précieux dépôts dont il est chargé. Ici, lecteur, tu es touché de sa piété envers les dieux, de son respect pour son père et de sa tendresse pour son fils.

Tantôt c’est un prince aimable qui va pleurer sur la tombe et honorer les cendres de l’auteur de ses jours, il se prosterne, son cœur s’ouvre à la tristesse, ses sanglots le suffoquent, il expire victime de sa tendresse filiale. On admire et on plaint le sort de cet aimable prince ; mais on s’attendrit lorsque l’on voit Pythias disputer à Damon la triste prérogative de donner ses jours pour conserver les siens. La contestation fut touchante, le tyran (Denis) en fut témoin, et il ne put résister à tant de vertu : il se précipite de son trône, vole dans leurs bras, les embrasse et les renvoyé en enviant leur sort.

Que de regrets on mêle aux pleurs d’Artémise, qui consacre l’amour conjugal, en recevant dans son sein la froide cendre de son malheureux époux ! Que ce mausolée lui semble glorieux !

Mais continuons de puiser des leçons dans l’histoire. Paraissez, ô habitants de l’Isle de Côs, apprenez-nous à aimer la pudeur. Pranitèle vous avait présenté deux statues de Vénus, dont l’une était bien inférieure à l’autre en beauté ; vous la préférâtes néanmoins, parce qu’elle était modestement voilée, pour la placer à Cnide dans le temple de cette déesse. Et vous, chastes romaines, prenez un deuil général à la mort du premier Brutus ; vous le pleurâtes un an, comme le vengeur de votre pudicité, par l’éclatant châtiment qu’il avait infligé à Tarquin le meurtrier de Lucrèce. J’admire votre conduite, et elle m’est une leçon que je n’oublierai jamais.

Ici c’est un général romain, qui dédaigne la victoire, que lui promet la mort de son ennemi empoisonné. Il chasse avec mépris le vil médecin qui a eu la témérité de lui en faire la proposition, et recommande à Pyrhus de mieux choisir ceux en qui il met sa confiance. Quelle générosité ! que ne méritait-elle pas, et quelle fut sa récompense ? La victoire, et une victoire que toutes les armées romaines n’auraient peut-être pu remporter. Le roi d’Épire, admirant tant de délicatesse et de franchise, ne put se résoudre à continuer la guerre avec un peuple conduit par un héros qui lui avait conservé la vie.

Il est vrai que l’histoire, qui nous conserve le souvenir des actions louables, ne laisse pas dans l’oubli les vicieuses. Mais ceci, loin d’être une objection aux avantages de l’histoire, ne fait que les confirmer. Le contraste, qui résulte de leur comparaison, nous fait mieux sentir leur différence. En admirant les unes, on a les autres en horreur, et la réflexion vient achever de fixer notre choix. Car quel est celui qui n’apercevra pas quelle distance existe entre Néron faisant les délices du peuple romain, et ce même Néron mourant détesté de l’univers pour ses crimes et ses cruautés ? entre Épaminondas qui respectait la vérité jusqu’à n’oser mentir par amusement, et Lysandre qui disait qu’où la peau du lion ne peut atteindre, il faut y coudre la peau du renard ? N’en doutons point, la vertu se fait toujours distinguer du vice, on applaudit à la modeste retenue de Scipion, qui remet à son amant une jeune beauté que les soldats lui amenèrent, pendant qu’on voit toujours d’un mauvais œil les excès qui se commettent dans les villes emportées d’assaut.

C’est ainsi que l’histoire par ses bons ou mauvais exemples contribue également à nous rendre meilleurs. Ajoutons à ces avantages celui de récréer l’esprit, de rendre les hommes plus propres à intéresser dans les différens cercles où la société les rassemble, et où les connaissances agréables et littéraires décident l’opinion du bon sens sur le mérite de ceux qui briguent ses faveurs ; et il sera alors évident que l’étude du passé nous est recommandée par une foule d’avantages incomparables. Celle du présent n’est pas moins utile. C’est par elle que l’on apprend ce qui se passe dans les différentes parties du globe : par elle on connaît les divers gouvernemens qui existent, l’étendue et la nature de leurs territoires, leurs revenus, leur commerce, les intérêts réciproques des nations, les passions de ceux qui les gouvernent, les guerres qu’ils entreprennent. En un mot, elle fait l’office d’un tableau où l’on verrait représenter et agir tous les habitants de la terre. La multiplicité de leurs opinions et de leurs intérêts, la différence de leur éducation, qui rend les hommes si dissemblables, tout cela et plusieurs autres causes contribueraient à former une espèce de chaos politique, dont chaque spectateur jugerait différemment. Chacun s’efforcerait de pénétrer les motifs qui font agir telles ou telles nations de telle ou telle manière ; tous ou presque tous donneraient leur opinion sur l’issue de ces diverses entreprises, et il en résulterait proprement ce qu’on appelle la politique. Si on l’unit à l’histoire du passé, nous aurons la véritable base de ce que nous appelons l’histoire de l’avenir. Car la première en nous apprenant ce qu’ont été les hommes, la seconde ce qu’ils sont, nous permettent de prévoir ce qu’ils seront dans la suite. Tels sont les principaux avantages qui résultent de l’étude de l’histoire en général, et lui servent de recommandation. Il y en a d’autres qui doivent nous faire aimer plus particulièrement celle de notre pays. Nous allons dire les principaux.

Le premier est le plaisir qu’on éprouve à lire le récit de ce qui s’est passé ou se passe dans le pays que l’on habite et où l’on a pris naissance. Quel vif intérêt n’excite pas en nous le détail des évènements où nos ancêtres jouaient le premier rôle, et où leur bonne ou mauvaise conduite décidait souvent des bons et mauvais succès ? Quel Canadien n’apprendra avec plaisir la glorieuse défense qui fit échouer, en 1775, l’entreprise de nos ennemis et les obligea de rebrousser chemin ?

Une autre raison qui doit porter à étudier l’histoire de son pays, c’est que sans en avoir au moins une médiocre connaissance, personne ne peut prétendre avoir une éducation complète. Il y a longtemps que l’on a dit : sans posséder sa langue maternelle, on ne peut se flatter d’avoir acquis une éducation libérale. Comment donc celui qui ignore l’histoire de son pays, pourra-t-il se vanter de la posséder ! Convenons-en, il importe à tout citoyen de savoir l’histoire de sa patrie, et nous devons en conséquence faire tous nos efforts pour acquérir une connaissance aussi utile.



  1. On attribue cet écrit à M. L. Plamondon, de Québec, alors avocat distingué et écrivain de mérite.