Racine et Shakespeare (édition Martineau, 1928)/Appendice II/Giornata … 1

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 239-246).
Appendice II — Des périls de la langue italienne.
GIORNATA …
Dei Rimedj.

In quella giornata abbiamo molto cicalato intorno ai pericoli che minacciano la nostra sublimissima favella, dalla parte della sua caïnesca sorella la lingua francese. Nessuna favella può dirsi sicura della vita mentre tutti gli illuminati parlano una lingua forestiera, chiara, simplice, filosofica e già superba di essere parlata dalla maggior parte d’Europa. Qualli sono i remedj che possono salvare la nostra aurea favella ?

Certamente primi di tutto sono un giusto vocabolario e una grammatica. Il libro santo lo dice : « Ogni casa divisa ira di se perirà. » D’abord unissons-nous contre l’ennemi commun : l’invasion française. Jetons un coup d’œil sur les qualités nécessaires au vrai grammairien ; nous verrons ensuite plus facilement si nous avons des grammairiens.

La grammaire de la langue italienne, c’est l’art de bien exprimer ses idées en italien[1].

Or un art est la collection des maximes ou préceptes pratiques dont l’observation conduit à faire avec succès une chose quelconque, et une science consiste dans les vérités qui résultent de l’examen d’un sujet quelconque.

Voilà pourquoi nous n’aurons réellement une bonne grammaire italienne que lorsque la science générale de l’expression des idées, la grammaire générale sera perfectionnée parmi nous.

Le langage d’action fut probablement le langage ordinaire de l’homme. Ce langage est composé de gestes, de cris, d’attouchements. Il s’adresse à la vue, à l’ouïe, au tact.

L’effet de tous nos signes, quels qu’ils soient, n’est pas seulement de communiquer nos idées, comme l’ont dit jusqu’à ce jour les auteurs de toutes nos vieilles grammaires. La propriété la plus importante des signes est : 1o de nous aider combiner nos idées élémentaires et à en former des idées composées, et 2o de nous aider à fixer ces composés dans notre mémoire.

Toutes nos idées abstraites et généralisées n’ont d’autre soutien dans notre esprit que le signe qui les représente. On sait par l’exemple des sauvages que sans noms de nombre, nous pourrions à peine avoir nettement l’idée de six.

Les mouvements internes de notre cerveau par lesquels s’opèrent nos pensées sont très légers, ébranlent fort peu la machine humaine. Au contraire, le signe que je joins à une idée, le mot six par exemple que ma langue prononce et que mon oreille écoute, ébranle assez fortement toute ma personne.

Je dirai aux jeunes gens qui ont étudié les mathématiques que nous sommes aussi réellement conduits (mais non pas aussi sûrement) par les mots dans nos raisonnements que l’algébriste par ses formules dans ses calculs.

À mesure que nous faisons de nouvelles combinaisons de nos idées, le nombre de nos signes augmente. Plus nos signes expriment des nuances délicates, plus nos analyses deviennent fines.

On voit l’immense étendue de l’absurdité des Toscans et des pédants leurs adorateurs qui veulent que nous exprimions toutes nos idées du dix-neuvième siècle avec les signes en usage au quatorzième. Nous avons un bel exemple de l’effet d’un système aussi absurde dans l’Histoire d’Amérique, par M. Botta. Ce littérateur distingué a voulu exprimer toutes les circonstances du gouvernement représentatif, qui a été inventé il y a à peine cinquante ans, avec les signes du quatorzième siècle. Malgré une idée aussi ridicule, son histoire est lue, d’abord parce qu’elle est protégée par les pédants, secondement parce que M. Botta est un homme de beaucoup d’esprit ; en troisième lieu parce que son livre n’est qu’une suite d’extraits des excellents discours prononcés en Angleterre et en Amérique au sujet de la révolte des États-Unis de 1774 à 1783.

Les hommes qui peuplent la société sont ici plus fins, plus entraînés par une imagination enflammée qu’en France. S’ils avaient pu, de 1530 à 1770, être naturels en écrivant, la littérature italienne (en mettant toujours à part les ouvrages de génie qui partout font exception) l’emporterait sur les littératures française et anglaise, mais les pédants s’étant trouvés, par une combinaison fatale, les maîtres de la littérature, tout ce qui a écrit a été pédant. De là le manque presque total en italien de tournures vives, nobles, pittoresques pour exprimer les idées fines. De là l’impossibilité d’un style rapide et supprimant toutes les idées intermédiaires. De là le manque de goût qui porte les génies les plus nobles et les plus élevés à rendre leurs idées sensibles par des images révoltantes et basses. De là, M. Botta, au lieu d’écrire comme Hume et Montesquieu, a écrit comme Boccace et Cicéron. Toutes les idées fines disparaissent dans ce style et au milieu de phrases de trente lignes.

Il est clair que nous devons aux signes toutes nos relations sociales et la possibilité de jouir de toutes les connaissances acquises par nos semblables.

L’inconvénient, c’est que : 1o nous apprenons ordinairement les signes avant de connaître par nous-mêmes les éléments des idées qu’ils représentent ; 2o nous ne sommes jamais complètement sûrs que ceux à qui nous parlons comprennent absolument les mêmes combinaisons que nous sous les mêmes signes. En nous servant de tel signe, souvent nous nous abusons nous-mêmes et nous n’entendons pas les autres.

Donc une bonne grammaire italienne aura pour premier effet de rapprocher les diverses peuplades qui se divisent la malheureuse ed avilita Italia, et rendra les disputes entre elles plus courtes et plus faciles à terminer. C’est un des moyens les plus lents, mais les plus sûrs de faire que l’habitant de Milan n’appelle plus le Bergamasque un Forastè.

Il me semble que le défaut des meilleures grammaires italiennes est de vouloir rendre raison de la composition des signes, avant d’avoir expliqué la composition des idées qu’ils représentent et d’avoir exposé avec clarté le jeu des facultés intellectuelles qui concourent : 1o à la formation de ces idées, 2o à leur expression.

Les grecs, gens vifs et spirituels, avaient cédé à leur impatience naturelle et, pour abréger, avaient cherché plutôt à deviner la nature qu’à la connaître. Les rêveurs que l’on appelle communément les philosophes grecs bâtirent mille systèmes plus bizarres les uns que les autres sur la nature de leur intelligence, avant d’avoir seulement examiné les opérations de cette intelligence. C’est un homme qui veut parler littérature et qui ne sait pas lire.

Ce qu’une impatience d’enfant a fait chez les Grecs, la grande autorité dont ont été revêtus parmi nous une certaine classe de savants l’a fait pendant deux ou trois siècles.

Les théologiens au lieu de se borner aux vérités lumineuses de notre sainte religion ont eu l’orgueil bien naturel à l’homme de vouloir nous expliquer la manière dont nous pensons. Le juste respect qu’on a pour eux a longtemps empêché de discuter ces matières. Or sans discussion libre, point de vérité. Le plus grand homme peut se tromper ; l’homme du génie le plus ordinaire peut entreprendre de le critiquer. Un cordonnier osait critiquer Praxitèle et un étudiant en médecine ose trouver à redire dans un ouvrage du plus grand poète d’Italie. Le chemin de la libre discussion est le seul pour parvenir a découvrir la vérité. L’homme du plus grand génie a besoin d’être critiqué pour ne pas se reposer sur un premier aperçu comme sur le résultat de ses méditations les plus profondes.

Voyons l’histoire de l’esprit humain à l’époque brillante de la civilisation grecque et romaine et a l’époque de Léon X, à ce moment si glorieux pour l’Italie où Raphaël et l’Arioste se sont tout à coup élancés au sublime au milieu des regards surpris de l’Europe encore barbare.

Les Grecs et les Romains commencèrent par les chefs-d’œuvre et les jouissances des arts et des lettres. Puis ils ont fait plus ou moins de progrès dans les sciences physiques et mathématiques, ensuite dans la philosophie morale. Enfin est arrivé pour eux l’âge des sophistes, des grammairiens et des critiques. Comme l’esprit humain est toujours le même, les modernes ont suivi la même succession de circonstances. Ce n’est que dans ces derniers temps que l’on s’est beaucoup occupé de grammaire raisonnée et d’analyse métaphysique. Genovesi, Pietro Verri, Baccaria ont brillé parmi nous.

Le grand cheval de bataille des pédants que nous combattons est de dire que c’est la lassitude et l’épuisement du génie qui produisent ce penchant à la réflexion et à la discussion. Ils proclament comme un signe de décadence l’apparition de cet esprit subtil et sévère qui, se portant à la fois sur les choses et sur les mots, veut tout analyser, tout connaître, tout apprécier. Ils ont peur de ces gens qui cherchent à se rendre compte de toutes leurs impressions jusque dans les moindres détails.

Mais tout cela est encore un progrès de notre intelligence, progrès qui doit nécessairement suivre les autres et ne peut les précéder. Car ce n’est qu’après avoir eu des succès dans tous les genres que l’homme peut se replier sur lui-même et chercher dans l’examen de ses ouvrages les causes générales de leur perfection et le moyen de procéder encore avec plus de justesse et de sûreté. Et certes de tous les travaux, ce ne sont pas là ceux qui exigent le moins de force de tête, ni ceux qui doivent produire les moins grands résultats.

Du temps de Dumarsais, le plus moderne des grammairiens que cite l’illustre auteur que nous osons combattre, la grande révolution de la grammaire n’était pas encore commencée. Le célèbre d’Alembert lui-même ne s’en doutait pas lorsqu’il dit dans l’éloge de Dumarsais (Encyclopédie de Paris, vol. 7) et en parlant de sa logique : « Ce traité contient sur la métaphysique tout ce qu’il est permis de savoir, c’est-à-dire que l’ouvrage est très court… et peut-être pourrait-on l’abréger encore. »

Si un homme tel que d’Alembert n’a pas vu nettement en 1760 ce que c’était que la grammaire, que dirons-nous de nos pauvres pédants trecentisti ?

Est-ce à eux qu’il faut s’adresser pour avoir enfin un vocabulaire italien qui ne soit pas un ouvrage de parti mais de raison ? Et une grammaire qui nous apprenne exactement quelles sont en Italie les tournures usitées pour exprimer chacun de nos sentiments ?

  1. Stendhal ici et pour ce qui va suivre renvoie fréquemment en marge de son manuscrit à l’Idéologie et à la Grammaire de Destutt de Tracy. N. D. L. É.