Racine et Shakespeare (édition Martineau, 1928)/Racine et Shakspeare II/Préface

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 62-78).
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Racine et Shakspeare II

PRÉFACE




Un jour, et il y a de cela cinq ou six mois, l’Académie française continuait la marche lente et presque insensible qui la mène doucement et sans encombre vers la fin du travail monotone de la continuation de son dictionnaire ; tout dormait, excepté le secrétaire perpétuel et le rapporteur Auger, lorsqu’un hasard heureux fit appeler le mot Romantique.

À ce nom fatal d’un parti désorganisateur et insolent, la langueur générale fit place à un sentiment beaucoup plus vif. Je me figure quelque chose de semblable au grand inquisiteur Torquemada, environné des juges et des familiers de l’Inquisition, devant lesquels un hasard favorable au maintien des bonnes doctrines aurait fait amener tout à coup Luther ou Calvin. À l’instant on aurait vu la même pensée sur tant de visages d’ailleurs si différents ; tous auraient dit : « De quel supplice assez cruel pourrons-nous le faire mourir ? »

Je me permets d’autant plus volontiers une image si farouche, qu’assurément l’on ne peut rien se figurer de plus innocent que quarante personnages, graves et respectés, lesquels se constituent tout à coup en juges, bien impartiaux, de gens qui prêchent un nouveau culte opposé à celui dont ils se sont faits les prêtres. Certes, c’est en conscience qu’ils maudissent les profanateurs qui viennent troubler ce culte heureux qui, en échange de petites pensées arrangées en jolies phrases, leur vaut tous les avantages que le gouvernement d’un grand peuple peut conférer, les cordons, les pensions, les honneurs, les places de censeurs, etc., etc. La conduite de gens ordinairement si prudents pourrait rappeler, il est vrai, un mot célèbre du plus grand de ces hommes de génie qu’ils prétendent si burlesquement honorer par leurs homélies périodiques, mais génie si libre en ses écarts, si peu respectueux envers le ridicule, que pendant un siècle l’Académie refusa d’admettre non sa personne, mais son portrait. Molière, que tout le monde a nommé, fait adresser ce mot connu à un orfèvre qui ne voit rien de si beau pour égayer et guérir un malade que de grands ouvrages d’orfèvrerie exposés dans sa chambre : « Vous êtes orfèvre, M. Josse. »

Quelque classique et peu nouvelle que soit cette plaisanterie, le sûr moyen de se faire lapider eût été de la rappeler le jour où l’Académie fut tout à coup tirée de sa langueur accoutumée par la voix du rapporteur de son dictionnaire, appelant le mot fatal Romantique entre les mots Romarin et Romaniste. M. Auger lit sa définition ; à l’instant la parole lui est enlevée de toutes les parties de la salle. Chacun s’empresse de proposer, pour terrasser le monstre, quelques phrases énergiques ; mais à la vérité elles appartiennent plutôt au style de Juvénal qu’à celui d’Horace ou de Boileau ; il s’agit de désigner clairement ces novateurs effrénés qui prétendent follement qu’il se pourrait qu’on arrivât enfin, et peut-être, hélas ! de nos jours, à faire des ouvrages plus intéressants et moins ennuyeux que ceux de messieurs de l’Académie. Le plaisir si noble de dire des injures à des ennemis sans défense jette bientôt les académiciens dans un transport poétique. Ici la prose ne suffit plus à l’enthousiasme général, l’aimable auteur des Étourdis[1] et de tant d’autres comédies froides est prié de lire une satire qu’il a faite dernièrement contre les Romantiques. Je crois inutile de parler du succès d’un tel morceau en un tel lieu. Lorsque les pères conscrits de la littérature se furent un peu remis du rire inextinguible qu’avaient fait naître en ces grandes âmes les injures lancées à des rivaux absents, ils reprirent avec gravité le cours de leurs opérations officielles. Ils commencèrent par se déclarer compétents à l’unanimité pour juger les Romantiques ; après quoi, trois des membres les plus violents furent chargés de préparer la définition du mot Romantisme. On espère que cet article sera travaillé avec un soin particulier ; car, par un hasard qui n’a rien d’étonnant, ce morceau de douze lignes sera le premier ouvrage de ces trois hommes de lettres.

Cette séance si mémorable, pendant laquelle on a dit quelque chose d’intéressant, allait se terminer, lorsqu’un des quarante se lève et dit : « Toute l’absurdité des pygmées littéraires, barbares fauteurs du sauvage Shakspeare, poëte ridicule dont la muse vagabonde transporte dans tous les temps et dans tous les lieux les idées, les mœurs[2] et le langage des bourgeois de Londres, vient, messieurs, d’être exposée avec une éloquence égale au moins à votre impartialité. Vous étiez seulement les conservateurs du goût, vous allez être ses vengeurs. Mais quand arrivera le moment si doux de la vengeance ? Peut-être dans quatre ou cinq ans, quand nous publierons ce dictionnaire que l’Europe attend avec une respectueuse impatience. Or, je vous le demande, messieurs, chez une nation qui depuis peu se livre à la funeste manie de tout mettre en discussion, non seulement les lois de l’État, mais encore, ce qui est bien plus grave, la gloire de ses Académies, quels immenses progrès l’erreur et le faux goût ne peuvent-ils pas faire pendant quatre années ? Je demande que, le 24 avril prochain, jour solennel de la réunion des quatre Académies, vous chargiez l’un de vous de déclarer à un peuple avide de vous entendre notre arrêt sur le romantisme. N’en doutez point, messieurs, cet arrêt tuera le monstre. »

Des applaudissements unanimes arrachent la parole à l’orateur. M. Auger, académicien d’autant plus strict adorateur des règles que jamais il ne fit rien, est d’une commune voix chargé de foudroyer le Romantisme.

Huit jours se passent ; M. Auger paraît à la tribune ; il y a foule dans la salle ; on compte treize membres présents ; plusieurs ont revêtu leur costume. Avant de dérouler son manuscrit, le directeur de l’Académie adresse ces mots à l’honorable assemblée :

« Toutes les mesures extrêmes, messieurs, sont voisines de dangers extrêmes. En faisant aux romantiques l’honneur insigne de les nommer en cette enceinte, vous ferez connaître l’existence de cette secte insolente à certains salons vénérables, où jusqu’ici le nom du monstre n’avait point pénétré. Ce péril, tout grand qu’il puisse vous paraître, n’est encore, du moins à mes yeux, que le précurseur d’un danger extrême, et à la vue duquel, je ne crains pas de le dire, messieurs, vous prendrez peut-être la résolution de priver le peuple français de la grande leçon que vous lui prépariez dans la solennité du 24 avril. Le célèbre Johnson chez les Anglais, il y a plus d’un demi-siècle ; vers la même époque, le poëte Métastase chez les Italiens ; et de nos jours encore, M. le marquis Visconti ; M. Schlegel, cet Allemand d’une célébrité si funeste, qui donna jadis à madame de Staël la cruelle idée de se faire l’apôtre d’une doctrine malheureuse pour la gloire nationale, plus malheureuse encore pour l’Académie ; vingt autres que je pourrais nommer, si je ne craignais de vous fatiguer de trop de noms ennemis, ont publié des vérités, hélas ! trop claires aujourd’hui, sur le Romantisme en général, et en particulier sur la nature de l’illusion théâtrale. Ces vérités sont très-propres à éblouir les gens du monde, en ce qu’elles jettent un jour dangereux sur les impressions qu’ils vont chercher tous les jours au théâtre. Ces vérités funestes ne tendent à rien moins, messieurs, qu’à couvrir de ridicule notre célèbre unité de lieu, la pierre angulaire de tout le système classique. En les réfutant, je courrais le danger de les faire connaître ; j’ai pris le parti plus sage, selon moi, de les traiter comme non avenues ; je n’en ai pas dit le plus petit mot dans mon discours… » (Interruption, applaudissements universels.) « Grande mesure ! profonde politique ! » s’écrie-t-on de toutes parts. « Nous n’eussions pas mieux fait, » dit tout bas un jésuite. L’orateur continue : — « Ne donnons pas, messieurs, le droit de bourgeoisie aux funestes doctrines qui ont fait la gloire des Johnson[3], des Visconti, des auteurs de l’Edinburgh Rewiew et de cent autres : reprochons-leur en masse seulement, et sans les nommer, une obscurité ridicule. Au lieu de dire les Prussiens, les Saxons, comme tout le monde, disons les Bructères et les Sicambres[4]. Tous les partisans des saines doctrines applaudiront à tant d’érudition. Moquons-nous en passant de la pauvreté si ridicule de ces bons écrivains allemands qui, dans un siècle où la notice se vend au poids de l’or, et où le rapport mène à tout, disposés à l’erreur par leur sincérité[5], se contentent, avec un goût que j’appellerai si mesquin, d’une vie frugale et retirée qui les éloigne à jamais de la pompe des cours et des brillantes fonctions qu’on y obtient, pour peu qu’on ait de savoir-faire et de souplesse. Ces pauvres gens allèguent le prétexte gothique et peu académique qu’ils veulent conserver le privilége de dire sur toutes choses ce qui leur semble la vérité. Ils ajoutent, ces pauvres Sicambres qui n’ont jamais rien été sous aucun régime, pas même censeurs ou chefs de bureau[6], cette maxime dangereuse, subversive de toute décence en littérature : Ridendo dicere verum Quid vetat ? Ce qui nous semble vrai, pourquoi ne pas le dire en riant ? Je vois, messieurs, à cette phrase sur le ridicule, un nuage sombre se répandre sur vos physionomies, d’ordinaire si épanouies. Je devine l’idée qui traverse vos esprits ; vous vous souvenez de certains pamphlets publiés par un Vigneron, et qui ne tendent à rien moins qu’à déconsidérer tout ce qu’il y a au monde de plus respectable, tout ce qu’il y a de considérable parmi les hommes, je veux dire les choix de l’Académie des Inscriptions et l’admission si mémorable dans ce corps savant de MM. Jomard et le Prévot-d’Iray[7]. N’en doutez point, messieurs, le monstre du Romantisme ne respecte aucune décence. De ce qu’une chose ne s’est jamais faite, il en conclut, et j’en frémis, non qu’il faut soigneusement s’en abstenir, mais, au contraire, qu’il sera peut-être piquant de la tenter ; de quelque respectable costume qu’un homme de lettres soit parvenu à se revêtir, il osera s’en moquer. Ces malheureux romantiques ont paru dans la littérature pour déranger toutes nos existences. Une fois nommé, qui eût dit à notre collègue le Prévot-d’Iray qu’on irait lui demander le Mémoire couronné qu’il jura de ne jamais imprimer ?

« Si un Romantique était ici présent, je ne fais aucun doute, messieurs, qu’il ne se permît, dans quelque misérable pamphlet, de rendre un compte ridicule de nos travaux si importants pour la gloire nationale. Je sais bien que nous dirons qu’il y a un manque de goût scandaleux dans de tels ouvrages, qu’ils sont grossiers. D’après un exemple officiel, nous pourrons même aller jusqu’à les traiter de cyniques. Mais voyez, messieurs, comme tout change ; il y a quarante ans qu’un tel mot eut suffi pour perdre non-seulement le livre le plus travaillé, mais encore son malheureux auteur. Hélas ! naguère ce mot cynique, appliqué aux écrits de certain Vigneron, homme sans existence et qui n’a pas même de voiture, n’a servi qu’à faire vendre vingt mille exemplaires de son pamphlet. Vous voyez, messieurs, l’insolence du public et tous les dangers de notre position. Sachons nous refuser le plaisir si doux de la vengeance : sachons ne répondre que par le silence du mépris à tous ces auteurs Romantiques, écrivant pour les exigences d’un siècle révolutionnaire, et capables, je n’en doute point, de ne voir dans quarante personnages graves, se rassemblant à jours fixes pour ne rien faire, et se dire entre eux qu’ils sont ce qu’il y a de plus remarquable dans la nation, que de grands enfants jouant à la chapelle. »

Ici, les bravos interrompent M. Auger. Mais en prenant la résolution de continuer à écrire le moins possible, les illustres Académiciens semblent avoir entrepris de redoubler de faconde. La foule des orateurs est telle, que l’admission du manifeste rédigé par M. Auger n’a pas occupé moins de quatre séances consécutives. Il y a telle épithète placée avant ou après le substantif, qu’elle affaiblit, qui a changé sept fois de position, et qui s’est vue l’objet de cinq amendements[8].

Je l’avoue, ce manifeste me jette dans un grand embarras. Pour le mettre à l’abri de toute réfutation, messieurs de l’Académie ont usé d’une adresse singulière, et bien digne d’hommes admirés dans Paris pour les succès de la politique appliquée aux intérêts de la vie privée. Si ces messieurs n’avaient été que des écrivains brillants d’esprit, que de simples successeurs des Voltaire, des La Bruyère, des Boileau, ils auraient cherché à rassembler dans leur écrit des raisons invincibles, et à les rendre intelligibles à tous par un style simple et lumineux. Que serait-il arrivé ? On eût attaqué ces raisons par des raisons contraires, une controverse se serait établie ; l’infaillibilité de l’Académie eût été mise en doute, et la considération dont elle jouit eût pu recevoir quelque atteinte parmi les gens qui ne s’occupent que de rentes et d’argent, et qui forment l’immense majorité dans les salons.

En ma qualité de Romantique, et pour n’imiter personne, pas même l’Académie, je me proposais de relever une discussion aussi frivole par un avantage bien piquant et bien rare, un peu de bonne foi et de candeur. Je voulais bonnement commencer ma réfutation en réimprimant le manifeste de M. Auger. Hélas ! ma bonne foi a failli m’être funeste ; c’est aujourd’hui le poison le plus dangereux à manier. À peine ma brochure terminée, je l’ai lue, ou plutôt j’ai tenté de la lire à quelques bons amis brûlant de me siffler ; on s’asseoit, j’ouvre mon cahier, il commençait par le manifeste académique. Mais hélas ! à peine étais-je arrivé à la sixième page, qu’un froid mortel se répand dans mon petit salon. Les yeux fixés sur mon manuscrit, ne me doutant de rien, je continuais toujours, cherchant seulement à aller vite, lorsque l’un des amis m’arrête. C’est un jeune avocat d’un tempérament robuste, aguerri par la lecture des pièces dans les procédures, et qui, bien que fortement éprouvé, avait cependant encore la force de parler. Tous les autres, pour mieux se livrer à leur attention profonde, se cachaient le front de la main, et, à l’interruption, aucun n’a fait de mouvement. Consterné de cet aspect, je regarde mon jeune avocat : « Les phrases élégantes que vous nous débitez, me dit-il, sont bonnes à être récitées dans une assemblée solennelle ; mais comment ne savez-vous pas qu’en petit comité il faut au moins une apparence de raison et de bonne foi ? Tant que l’on n’est que sept à huit, tout n’est pas excusé par la nécessité de faire effet ; chacun voit trop clairement, que personne n’est trompé. Dans une assemblée nombreuse, on pense toujours à Paris que l’autre côté de la salle est pris pour dupe et admire. Une séance de l’Académie est une cérémonie. L’on y arrive avec l’inquiétude de ne pas trouver de place ; rien en France ne dispose mieux au respect. Comment tant de gens s’empresseraient-ils pour ne voir qu’une chose ennuyeuse ? À peine rassemblé, le public s’occupe des femmes élégantes qui arrivent et se placent avec fracas ; plus tard, il s’amuse à reconnaître les ministres présents et passés qui ont daigné se faire de l’Académie ; il considère les cordons et les plaques. Enfin, ce qui sauve les discours à l’Institut, c’est qu’il y a spectacle. Mais vous, mon cher, si vous ne trouvez pas d’autre manière de commencer votre pamphlet que de citer M. Auger, vous êtes un homme perdu. »

Deux de nos amis, que nos voix plus animées avaient tirés de la rêverie, ajoutent : « Ah ! c’est bien vrai. » L’avocat reprend : « Comprenez donc que des phrases académiques sont officielles, et partant faites pour tromper quelqu’un ; donc il y a inconvenance à les lire en petit comité, et surtout entre gens de fortunes égales. »

Ah ! répondis-je, le Constitutionnel m’avait bien prévenu, si j’avais su le comprendre, que M. Auger était un critique sage et froid (no du 26 avril), il aurait dû dire très-froid, à l’effet qu’il produit sur vous ; car enfin, messieurs, à l’exception du titre de mon pamphlet, je ne vous ai pas encore lu une phrase de mon cru, et je ne vous en lirai point ; je vois que toute réfutation est impossible, puisque, rien qu’en exposant les raisons de ma partie adverse, j’endors le lecteur. Allons chez Tortoni, il est de mon devoir de vous réveiller, et certes je ne vous dirai plus un mot de littérature ; je n’ai ni jolies femmes ni grands cordons pour soutenir votre attention.

Comme je parlais ainsi avec un peu d’humeur, contrarié d’avoir travaillé quatre jours pour rien, et d’avoir été dupe de tant de raisonnements, qui en les écrivant me semblaient si beaux : « Je vois bien que vous ne réussirez jamais à rien, reprit l’avocat ; vous vivriez dix ans à Paris que vous n’arriveriez pas même à être de la société pour la morale chrétienne ou de l’académie de géographie ! Qui vous dit de supprimer votre brochure ? Hier soir, vous m’avez montré une lettre qui vous est adressée par un de vos amis classiques. Cet ami vous donne en quatre petites pages les raisons que M. Auger aurait dû présenter dans son feuilleton de quarante. Imprimez cette lettre et votre réponse ; arrangez une préface pour faire sentir au lecteur le tour jésuitique et rempli d’une adresse sournoise que l’Académie cherche à jouer à l’imprudent qui voudra réfuter son Manifeste. »

De deux choses l’une, se sont dit les membres du premier corps littéraire de l’Europe, ou l’homme obscur qui nous réfutera ne nous citera pas, et nous crierons à la mauvaise foi, ou il transcrira le feuilleton de ce pauvre Auger, et sa brochure sera d’un ennui mortel. Nous dirons partout, nous qui sommes quarante contre un : Voyez comme ces romantiques sont ennuyeux et lourds avec leurs prétendues réfutations.

Je présente donc au public la lettre classique que je reçus deux jours après que le manifeste de M. Auger eut fait son apparition dans le monde par ordre. Cette lettre renferme toutes les objections produites par M. Auger. Ainsi, en réfutant la lettre, j’aurai réfuté le manifeste, et c’est ce que je me réserve de faire sentir aux moins attentifs, en citant à mesure de la discussion plusieurs phrases de M. Auger.

Me fera-t-on quelques reproches du ton que j’ai pris dans cette préface ? Rien ne me semble plus naturel et plus simple. Il s’agit entre M. Auger, qui n’a jamais rien fait, et moi, soussigné, qui n’ai jamais rien fait non plus, d’une discussion frivole et assurément sans importance pour la sûreté de l’État, sur cette question difficile : Quelle route faut-il suivre pour faire aujourd’hui une tragédie qui ne fasse point bâiller dès la quatrième représentation ?

Toute la différence que je vois entre moi et M. Auger, dont je ne connaissais pas une ligne il y a quatre jours avant de chercher à le réfuter, c’est qu’il y a quarante voix éloquentes et considérables dans le monde pour vanter son ouvrage. Quant à moi, j’aime mieux encourir le reproche d’avoir un style heurté que celui d’être vide ; tout mon tort, si j’en ai, n’est pas d’être impoli, mais d’être poli plus vite.

Je respecte beaucoup l’Académie comme corps constitué (loi de 1821) ; elle a ouvert une discussion littéraire, j’ai cru pouvoir lui répondre. Quant à ceux de messieurs ses membres que je nomme, je n’ai jamais eu l’honneur de les voir. D’ailleurs je n’ai jamais cherché à les offenser le moins du monde, et si j’ai dit célèbre à M. Villemain, c’est que j’ai trouvé ce mot-là dans les Débats[9], dont il est rédacteur, à côté de son nom.


  1. Andrieux. N. D. L. É.
  2. Page 14 du Manifeste.
  3. Voir la célèbre préface aux Œuvres complètes de Shakspeare, imprimée en 1765 ; examen de cette question : en quoi consiste l’illusion théâtrale ?
  4. Page 20 du Manifeste.
  5. Page 5 du Discours de M. Auger.
  6. Auger avait été précisément l’un et l’autre. N. D. L. É.
  7. Cf. Lettre à Messieurs de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de P.-L. Courier. N. D. L. É.
  8. Historique.
  9. Numéro du 12 mars 1823.