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Rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques/3

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6 décembre 1990 Documents administratifs 3.

Présentation du Rapport, devant le Conseil supérieur de la langue française

Présentation du Rapport, devant le Conseil supérieur de la langue française,
le 19 juin 1990 par

M. Maurice Druon,
Secrétaire perpétuel de l’Académie française, président du groupe de travail
Monsieur le Premier ministre,
 
Vous me permettrez une remarque liminaire.
Quand un Premier ministre se penche sur l’état de la langue française, ce qui n’arrive pas tous les jours, il met ses pas, volens nolens, dans ceux de Richelieu.
Quand le Cardinal fonda l’Académie, il lui assigna pour principale fonction de donner des règles certaines à notre langue, de la rendre éloquente et pure, capable de traiter des arts et des sciences.
En installant, en octobre dernier, le Conseil supérieur ici assemblé, vous le chargiez, entre autres missions, de formuler des propositions claires et précises sur l’orthographe du français, d’y apporter des rectifications utiles et des ajustements afin de résoudre, autant qu’il se peut, les problèmes graphiques, d’éliminer les incertitudes ou contradictions, et de permettre aussi une formation correcte aux mots nouveaux que réclament les sciences et les techniques.
Qu’on veuille bien ne voir dans ma remarque aucune assimilation hâtive ou gênante.
Je voulais simplement souligner qu’une permanence apparaît et s’impose dès lors qu’on entreprend d’agir sur les structures du français, et que cette permanence s’exprime par les termes de certitude, clarté, précision, pureté, toutes qualités qui font notre langue suprême dans les domaines de l’éthique, du droit des accords et conventions, et, plus généralement, dans l’art de l’exposé ou de la définition.
Perdrait-elle ces caractères qui l’ont faite universelle, notre langue verrait son audience et son emploi se réduire dans le monde.
C’est pourquoi, écartant tout projet d’une réforme bouleversante de l’orthographe qui eût altéré le visage familier du français et dérouté tous ses usagers répartis sur la planète, vous nous avez sagement invités à proposer des retouches et aménagements, correspondant à l’évolution de l’usage, et permettant un apprentissage plus aisé et plus sûr.
Le Conseil supérieur, dès son installation, a donc constitué en son sein un groupe de travail à cet effet. J’ai eu l’honneur d’en assumer la présidence, avec l’assentiment de l’Académie française. Ce groupe s’est réuni à plusieurs reprises depuis le début de l’année, menant son labeur, en cette matière complexe, avec une assiduité et une diligence dont je veux donner acte à mes collègues.
Le vice-président du Conseil supérieur, M. Bernard Quémada, a souvent participé à nos travaux et leur a apporté, avec bonne grâce, sa riche expérience linguistique.
Nous avons fait appel à un comité d’experts, animé avec une remarquable efficacité par M. Bernard Cerguiglini, Délégué général à la langue française et spécialiste de l’histoire de la langue.
Ces experts de grande valeur, professeurs, grammairiens, linguistes, correcteurs, éditeurs de
dictionnaires, unissent les compétences théoriques les plus sûres à une expérience confirmée des questions pratiques afférentes à l’orthographe.
Les principes qui ont régi ce travail sont les suivants :
 
Primo :
Il a été entendu que les propositions des experts devraient être à la fois fermes et souples : fermes, afin que les rectifications constituent une nouvelle norme et que les enseignants puissent être informés précisément de ce qu’ils auront à enseigner aux nouvelles générations d’élèves ; souples, car il ne peut être évidemment demandé aux générations antérieures de désapprendre ce qu’elles ont appris, et donc l’orthographe actuelle doit rester admise.
La situation est en fait la même qu’en 1835, quand la graphie oi fut remplacée par la graphie ai conforme à la prononciation d’usage dans les mots j’avais, j’aimais, français. Chateaubriand approuva cet ajustement, tout en continuant d’écrire comme il en avait l’habitude.
Secundo :
Il a été entendu que les améliorations seraient fondées sur le souci d’utilité et que les travaux porteraient en premier lieu sur les points qui aujourd’hui posent le plus de problèmes, non seulement aux enfants mais aussi aux adultes, écrivains compris. Ce qui est proposé a pour objectif de mettre fin à des hésitations, à des incohérences impossibles à enseigner de façon méthodique, à des « scories » de la graphie, qui ne servent ni la pensée, ni l’imagination, ni la langue, ni les utilisateurs.
Ces rectifications ne prétendent pas à rendre l’orthographe simple et rationnelle : d’aucuns s’en affligeront, d’autres s’en réjouiront. On rappellera seulement que, si la logique doit régir la syntaxe, c’est beaucoup plus l’usage et les circonstances historiques ou sociales qui commandent au vocabulaire et à sa graphie.
Tertio :
Il a été entendu que les propositions s’appuieraient sur ce qu’on est convenu d’appeler « le génie de la langue », les usages qui s’établissent, les tendances à la cohérence déjà repérables, les évolutions déjà amorcées.
Quarto :
Il a été entendu que les modifications seraient mesurées, qu’elles n’entraîneraient pas de bouleversements, et qu’on s’en assurerait par des moyens informatiques. On a pu ainsi constater que la [1] mots affectés par les modifications, dans une page de roman, fût-elle de Proust, se comptaient sur les doigts d’une seule main.
*
*     *
Ces principes établis, les experts, au prix d’un travail diligent et vraiment intense, ont rédigé, chacun selon ses compétences, un rapport en conformité avec la mission

  1. Note du Wiki-éditeur : le texte original contient une coquille oubliée « la » au lieu de « les ».