Rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques/6

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6 décembre 1990 Documents administratifs 6.

Réponse du Premier ministre

Réponse du Premier ministre
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Je vous remercie pour ce rapport limpide, qui correspond exactement à la demande que j’avais faite au Conseil. Comme il était entendu, il exclut toute idée de réforme de notre orthographe, mais il présente des propositions de rectifications précises, limitées, et respectueuses de l’histoire et de la nature de notre langue, dans son passé comme dans son devenir.
Je tiens à féliciter l’ensemble des membres du Conseil, ainsi d’ailleurs que les éminents spécialistes du groupe d’experts qui ont travaillé en relation étroite avec le Conseil. Huit mois à peine après que je vous ai saisis, vous présentez, au sujet des cinq points de notre orthographe sur lesquels j’ai sollicité votre avis, des propositions qui vont permettre à notre langue d’accroître sa cohérence et son efficacité, et de renforcer ainsi à la fois son usage et ses usagers, c’est-à-dire tous les Français et tous les francophones.
Sur le trait d’union, sur les accents et trémas, sur le pluriel des mots composés et des mots empruntés, sur l’harmonisation des familles de mots présentant aujourd’hui des contradictions, vous avez réussi à mettre au point des solutions simples, modérées et acceptables par tous.
C’est en 1893 que le Recteur Gréard faisait voter par une commission de l’Académie française, dont il était membre, une proposition d’amélioration de l’orthographe portant notamment sur les points que vous avez traités. Mais, pas plus que celles qui lui succédèrent, cette tentative ne put aboutir. Un siècle après, nous y voilà enfin.
Il n’est que temps, si nous tenons à la vitalité de notre langue. Car les incohérences et les incertitudes que vous proposez de rectifier ne sont pas seulement cause d’innombrables fautes dans l’usage ordinaire de la quasi-totalité des Français ; elles sont aussi à l’origine de divergences portant sur des milliers de mots entre les dictionnaires courants, si bien qu’un enfant pourrait se voir compter une faute pour la simple raison que ses parents ne possèdent pas le même dictionnaire que son instituteur ; et elles posent, enfin, des problèmes jusqu’ici sans solution pour la création des mots nouveaux — et il s’en crée des milliers chaque année dans les sciences et les techniques.
Pour se porter bien, une langue doit être réglée sur des principes ; en clarifiant et renforçant les principes de notre orthographe, nous contribuons à assurer l’avenir de notre langue.
Vos propositions, Mesdames et Messieurs, me conviennent. Mais mon jugement personnel n’importe pas plus que celui de tout autre usager. Ce qui est décisif, en revanche, c’est que vous avez travaillé en étroite relation avec l’Académie française et avec les deux organismes parallèles à votre Conseil existant dans la francophonie : le Conseil de la langue française du Québec et le Conseil de la langue de la Communauté française de Belgique. Vos propositions ont reçu l’accord de l’un et de l’autre et l’avis favorable de l’Académie française à l’unanimité.
L’autorité de ces institutions se rajoutant à la vôtre propre, l’unanimité qui s’est établie me convainc de l’excellence de vos propositions.
J’accepte donc officiellement ces propositions de rectification de l’orthographe du français, et charge votre groupe de travail de leur mise au point définitive, pour la fin de l’année, après examen des réactions qui se feront jour d’ici là.
Il n’a jamais été question pour le Gouvernement de légiférer en cette matière : la langue appartient à ses usagers, qui ne se font pas faute de prendre chaque jour des libertés avec les normes établies. Mais il appartient au Gouvernement de faire ce qui relève de son pouvoir pour favoriser l’usage qui paraît le plus satisfaisant — en l’occurrence celui que vous proposez.
Je demande donc à Monsieur le ministre de l’éducation nationale de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que ces rectifications soient désormais enseignées, étant clairement posé que les formes actuellement en usage resteront évidemment admises Mais l’enseignement ne saurait être le seul lieu où ces rectifications s’utilisent. Je demande donc à Monsieur le ministre délégué chargé de la francophonie de réunir, conjointement avec le vice-président du Conseil, l’ensemble des responsables des dictionnaires, de la presse écrite et de l’édition, ainsi que les correcteurs professionnels et tous les spécialistes concernés pour envisager avec eux les moyens de faire passer ces aménagements de l’orthographe dans l’usage ordinaire. Afin que chacun puisse en prendre connaissance, le texte définitif du rapport sera publié au Journal officiel et au Bulletin officiel de l’éducation nationale.
Vous avez émis le vœu, Monsieur le Secrétaire perpétuel, que les usagers du français aient prochainement à leur disposition un lexique officiel des mots touchés par ces rectifications. Je demande à la Délégation générale à la langue française de préparer et de publier ce lexique. Dès sa publication, donnant l’exemple, le Gouvernement suivra vos recommandations dans les textes dont il est l’auteur.
Mesdames, Messieurs, vous savez combien le Président de la République[1] suit avec intérêt et attention votre travail au service de cette langue qu’il manie avec autant d’attachement que de maîtrise. Je me félicite, pour ma part, de ce que, dans cette séance de notre Conseil, la question de l’orthographe ait été située au sein d’un ensemble comportant également la question de l’organisation effective d’un véritable multilinguisme européen, celle du français scientifique, et celle de la place du français dans la langue de l’économie ou dans les industries de la langue. Notre action sur chacun de ces points ne forme qu’un même combat, et répond à un seul souci : celui d’armer le plus efficacement possible notre langue pour assurer son maintien, son développement et sa promotion en abordant les yeux ouverts la réalité de la concurrence linguistique.

Suppléments :

  1. Note du Wiki-éditeur : le Président de la République française en 1990 était François Mitterrand.