Rapport de Lord Durham/05
CONCLUSION.
J’ai passé en revue les traits les plus saillans de la condition et des institutions des colonies britanniques de l’Amérique Septentrionale. J’ai eu à remplir la pénible tâche d’exposer un état de choses, que ne pourra contempler sans douleur, quiconque a à cœur le bien-être de nos concitoyens coloniaux et l’intégrité de l’empire britannique. J’ai décrit l’opération des causes de division qui existent malheureusement dans la composition même de la société : les maux produits par le fonctionnement d’un système colonial mal-imaginé, et la mal-administration pratique que ces vices fondamentaux ont fait naître dans chaque département du gouvernement.
Il n’est pas nécessaire que je prenne la peine de prouver que cet état de choses ne doit ni ne peut continuer. L’existence politique ni l’existence sociale d’aucun état ne peuvent supporter beaucoup plus longtemps l’opération des causes, qui dans le Bas-Canada ont déjà amené une longue cessation pratique du cours régulier du gouvernement constitutionnel, qui ont occasionné la violation et nécessité l’absolue suspension de la constitution provinciale, et qui ont fini par deux insurrections, par la substitution à deux reprises de la loi martiale à la loi civile, et par deux périodes de suspension générale de toute garantie regardée comme essentielle à la protection des droits d’un sujet britannique. J’ai déjà décrit l’état des sentimens qui règnent dans chacun des partis, ou plutôt des races en lutte ; inimitié universelle et irréconciliable l’une contre l’autre ; la désaffection entière et irrémédiable de toute la population Française, de même que la méfiance avec laquelle les Anglais regardent le gouvernement impérial ; et la détermination des Français jointe à la tendance des Anglais à chercher un remède à leurs présens maux intolérables dans les chances d’une séparation de la Grande-Bretagne. Les maux du Bas-Canada n’admettent pas de délai ; la forme existante du gouvernement n’est qu’une subjugation temporaire et forcée. La constitution récente est une constitution dont ni l’un ni l’autre parti ne souffrirait le rétablissement, et qui a si mal opéré qu’aucun ami de la liberté ou de Pondre ne saurait désirer voir la province soumise de nouveau à son influence pernicieuse. Quelle que coït la difficulté de trouver un remède, l’urgence en est certaine et évidente.
Je ne crois pas non plus que la nécessité d’adopter quelque mesure large et décisive pour la pacification du Haut-Canada, soit du tout moins impérieuse. Le rapport que j’ai donné des maux qui existent dans cette province, fera voir que je ne les considère nullement comme étant de nature à être irrémédiables, ou même susceptibles d’aucun remède, qui n’effectuera pas un changement organique dans la constitution existante. On ne peut nier, en vérité, que la continuation du grand nombre de griefs pratiques que j’ai décrits comme étant des sujets de plainte, et, surtout, la résistance déterminée à un système de gouvernement responsable qui donnerait au peuple un contrôle réel sur sa propre destinée, ont, jointe à l’irritation causée par la dernière insurrection, induit une grande partie de la population à jeter des yeux d’envie sur la prospérité matérielle de leurs voisins des États-Unis, sous un gouvernement parfaitement libre et éminemment responsable ; et dans le désespoir d’obtenir de tels avantages, sous leur institutions actuelles, à désirer l’adoption d’une constitution républicaine, ou même l’incorporation dans l’union Américaine. Mais je suis porté à croire que ces sentiments n’ont pas fait de progrès formidables ni irréparables ; au contraire, je pense que tous ceux qui sont mécontents, et surtout les réformistes du Haut-Canada, attendent avec beaucoup de confiance les résultats de ma mission. Les différents partis pensent que lorsque l’affaire aura été franchement mise devant la mère-patrie, ils obtiendront facilement les changements désirés dans la politique de leur gouvernement ; ils sont maintenant tranquilles et loyaux, je pense ; déterminés à en passer par la décision du gouvernement impérial, et à défendre leurs biens et leurs pays contre la rébellion et l’invasion. Mais je ne puis m’empêcher d’exprimer la croyance où je suis, que c’est le dernier effort de leur patience presque épuiser, et que le désappointement de leur attente en la présente occasion détruira pour toujours leur espérance de voir résulter du bien de la connexion Britannique. Je ne veux pas dire qu’ils renouvelleront la rébellion ; encore moins m’imagine-je qu’ils se combineront en nombre si formidable, qu’ils pourront arracher le gouvernement de leur pays aux grandes forces militaires que la Grande-Bretagne pourra employer contre eux. S’ils sont maintenant frustrés dans leur attente, et tenu dans une soumission sans espoir à des gouvernements non responsables au peuple, ils se contenteront, pour le moins, d’attendre dans une morne prudence les événements qui pourront faire dépendre la conservation de la province de la loyauté dévouée de la grande masse de sa population.
Quant aux autres provinces de l’Amérique Septentrionale, je ne parlerai pas de ces maux comme étant imminents, parce que je crois fermement que quelque mécontentement qui puisse y régner, il n’y existe aucune irritation de nature à affaiblir le fort sentiment d’attachement qu’ils ont envers la couronne et l’empire britanniques. En vérité, dans toutes les provinces de l’Amérique Septentrionale il règne parmi la population britannique une affection pour la mère-patrie, et une préférence pour ses institutions dont une politique sage et ferme de la part du gouvernement impérial peut faire le fondement d’une connexion sûre, honorable et durable. Mais ce sentiment même peut s’affaiblir, et je dois avertir ceux qui ont leurs destinées entre les mains, qu’ils ne doivent pas se fier trop aveuglement sur la loyauté toute-endurante de mes compatriotes. Il n’est pas politique de gaspiller et gêner leurs ressources, et de laisser l’état arriéré des provinces britanniques présenter partout un triste contraste avec les progrès et la prospérité des États-Unis. Dans tout le cours des pages qui précèdent j’ai eu constamment occasion de référer à ce contraste. Je n’ai pas hésité à le faire quoique rien ne puisse plus profondément blesser le juste orgueil national de tout homme, et son ferme attachement à ses institutions, que l’admission mortifiante d’infériorité. Mais je remplirais mal mon devoir envers votre majesté, je ne donnerais qu’une vue imparfaite de la condition réelle de ces provinces, si je me bornais à détailler de simples faits statistiques, sans décrire les sentiments qu’ils engendrent dans ceux qui les observent journellement, et qui journellement en éprouvent l’influence sur leurs propres fortunes. Le contraste que j’ai décrit est le thème de tous les voyageurs qui visitent ces pays, et qui observent d’un côté de la ligne l’abondance, et de l’autre côté la paucité de tous les signes de prospérité matérielle qu’indiquent une agriculture prospéra et des cités florissantes, et de cette civilisation dont les écoles et les églises rendent témoignage, même aux sens extérieurs. Tandis qu’il excite l’exaltation des ennemis des institutions britanniques, la réalité en est plus fortement démontrée par l’admission qu’en font à contre-cœur les sujets les plus attachés de votre Majesté. Ce n’est pas une vrai loyauté que de cacher à votre majesté l’existence d’un mal qu’il est au pouvoir de votre Majesté de guérir, comme c’est le plaisir bienveillant de votre majesté de le faire ; car l’attachement patient et fervent que les sujets Anglais de votre majesté dans toutes ces provinces portant encore à leur allégéance et à la mère-patrie, laisse encore la possibilité de la réforme. Une réflexion calme et une loyale confiance ont conservé ces sentiments intacts, même au milieu de la croyance funeste et générale que les propriétés de chaque personne ont moins de valeur que du côté opposé. Il est temps de récompenser cette noble confiance en faisant voir qu’on n’a pas espéré en vain qu’il y avait dans les institutions britanniques un pouvoir pour rectifier les maux existants, et a les remplacer par un bien-être qu’aucune autre domination ne saurait donner. Ce n’est pas dans les terreurs de la loi ni dans la puissance de nos armées qu’il faut chercher un lien de connexion sûr et honorable. Il existe dans l’opération bienfaisante des institutions britanniques qui unissent le plus grand développement de liberté et de civilisation avec l’autorité stable d’une monarchie héréditaire, et qui, bien organisées et bien administrées dans les colonies, comme elles le sont dans la Grande-Bretagne, feraient du changement d’institutions un mal additionnel à ajouter à la perte de la protection et du commerce de l’empire britannique.
Mais tout en comptant ainsi avec confiance sur la possibilité de conserver permanemment et avantageusement notre connexion avec ces importantes colonies, je ne dois pas déguiser le mal et le danger de les tenir dans leur état actuel de souffrance. Je regarde les chances d’une rébellion heureuse comme le moindre danger que l’on ait à craindre. Je ne doute pas que le gouvernement britannique, s’il veut retenir ces dépendances à tout prix, puisse accomplir cet objet. Je crois qu’il a les moyens de mettre une partie de la population contre l’autre, et de garnisonner les Canadas de troupes régulières suffisantes pour tenir en respect tous les ennemis intérieurs. Mais cela même ne pourra se faire sans de grands frais et hasards. L’expérience des deux dernières années ne fournit qu’un échantillon des dépenses auxquelles un pareil système de gouvernement entraînerait. Au calcul le plus bas, l’addition de 1,000,000 par année à nos dépenses coloniales annuelles nous suffirait à peine pour atteindre cette fin. À moins d’un changement dans notre système de gouvernement, le mécontentement qui existe, se répandra et avancera. À mesure que s’accroîtront les frais du maintien de ces colonies, leur valeur décroîtra rapidement ; et si la nation britannique se contente de retenir, par de tels moyens, une souveraineté stérile et désavantageuse, elle ne fera qu’offrir un appât aux chances de l’agression étrangère, en tenant continuellement exposée à un voisin puissant et ambitieux une dépendance éloignée, dans laquelle un envahisseur ne rencontrerait pas de résistance, mais où il pourrait plutôt compter sur la coopération active d’une partie de la population fixe.
Je suis loin de présenter ce risque d’une manière à irriter le juste orgueil qui reculerait devant la pensée de céder aux menaces d’une nation rivale. Parce que, quelque importance que je donne aux rapports étrangers de cette question, je ne crois pas qu’il y ait maintenant aucun danger très prochain d’une collision avec les États-Unis, en conséquence du désir de cette puissance de prendre avantage de l’état agité des Canadas. Dans la dépêche du 9 Août j’ai décrit l’impression que j’avais de l’état des sentiments à l’égard de l’insurrection du Bas-Canada, qui ont existé et existaient alors aux États-Unis. Outre les causes de sentiments hostiles qui découlent de la simple juxta-position de cette puissance vis-à-vis de nos provinces de l’Amérique Septentrionale, j’ai décrit l’influence qui avait été sans aucun doute exercée par cette sympathie politique mal pensée envers les insurgés du Bas-Canada, que les habitants des États-Unis ont été induits à entretenir. Il n’y a pas de peuple au monde si peu fait pour sympathiser avec les vrais sentiments et la vraie poétique des Canadiens-Français, que celui des États-Unis ; aucun peuple si peu disposé à partager leur désir de préserver de vieilles lois barbares, et d’arrêter l’industrie et l’avancement de leur pays, afin de flatter l’idée folle et étroite d’une nationalité rétrécie et visionnaire. Les Américains qui ont visité le Bas-Canada comprennent fort bien l’affaire ; ils voient que la querelle est une querelle de races ; et ils montrent certainement peu d’inclination à prendre la part des Canadiens-Français et de leurs institutions.
Sur le grand nombre de voyageurs Américains, venant de toutes les parties de l’Union, qui visitèrent Québec pendant le séjour que j’y fis, et de la société desquels j’eus, ainsi que les Messieurs attachés à ma mission, l’avantage de jouir, pas un seul n’exprima jamais à aucun de nous aucune approbation de ce qu’on peut appeler les objets nationaux des Canadiens Français, tandis que plusieurs ne cachèrent pas la forte aversion qu’ils leur portaient. Il n’y a pas de peuple au monde auquel les institutions Canadiennes Françaises sont plus intolérables, lorsque les circonstances les forcent à s’y soumettre. Mais la masse du peuple Américain avait jugé de loin la querelle ; ils avaient été obligés de former leur jugement sur les motifs apparents de la dispute ; et ils ont été ainsi trompés, comme sont exposés à l’être tous ceux qui jugent sous de telles circonstances et sur de tels motifs. La contestation avait quelque ressemblance à cette grande lutte de leurs propres ancêtres, qu’ils regardent avec le plus grand orgueil. Comme elle, ils croyaient que c’était une contestation entre une colonie et l’empire dont la mauvaise conduite perdit leur propre pays ; ils considéraient que c’était une lutte entreprise par un peuple qui cherchait l’indépendance d’un contrôle éloigné et l’extension des privilèges populaires ; et enfin une lutte dans laquelle le premier coup était frappé en conséquence de la violation d’une constitution coloniale et de l’appropriation des revenus coloniaux sans le consentement des colons. Nous ne devons pas être surpris que de telles causes apparemment probables et suffisantes fussent généralement prises par le peuple des États-Unis comme expliquant complètement toute la dispute ; qu’on ait vu une forte analogie entre l’insurrection Canadienne et la guerre de l’indépendance ; et qu’un peuple libre et généreux ait montré avec chaleur sa sympathie envers des gens qu’il regardait comme essayant courageusement, avec des moyens inégaux, à faire triompher la cause glorieuse que leurs propres pères avaient triomphalement maintenue. Je crois que la sympathie a été plus forte et plus durable envers le Haut-Canada ; et quoique l’occasion de la lutte fût moins marquée en apparence, je n’ai aucun doute que cela fut plus que compensé par la similitude de langage et de manières qui mit les rebelles de la province supérieur eu état de présenter leur cause plus facilement et avec plus de force à ceux dont ils cherchaient l’assistance et la sympathie. Les incidents de toute lutte dans laquelle une grande portion d’un peuple se trouve engagée contre son gouvernement, exciteront toujours, dans un temps ou dans un autre, quelque sympathie pour ceux qui, à l’observation superficielle d’une nation étrangère ne paraissent que des martyrs à la cause populaire, et les victimes d’un gouvernement conduit sur des principes différents du sien ; et je n’ai aucun doute que si la lutta est renouvelée, la sympathie du dehors reprendra sa première force dans un temps ou dans un autre.
Car il faut se rappeler que les liens naturels de sympathie entre la population Anglaise des Canadas et les habitants des États limitrophes de l’Union sont naturellement forts. Non seulement ils parlent la même langue, vivent sous les mêmes lois, ont la même origine, et conservent les mêmes coutumes et usages, mais il y a une alternation positive, si je puis m’exprimer ainsi, des populations des deux pays. Tandis que de grandes étendues du territoire Britannique sont peuplées par des citoyens Américains, qui entretiennent des relations constantes avec leurs parents amis, les états voisins sont remplis d’émigrés de la Grande-Bretagne, dont quelques-uns ont laissé le Canada, après de vains efforts pour retirer de leurs capitaux et de leur travail un profit suffisant, et dont un grand nombre se sont établis aux États-Unis, tandis que d’autres membres de leurs familles, et les compagnons de leur jeunesse, se sont fixés de l’autre côté de la frontière. Je n’ai eu aucun moyen de m’assurer de l’exact degré de vérité de certains avancés que j’ai entendu faire sur le nombre d’Irlandais établis dans l’état de New-York ; mais on dit communément qu’il n’y a pas moins de 40 000 Irlandais dans la milice de l’état de New-York. Les relations entre ces deux divisions de ce qui est, de fait, une population identique, sont constantes et universelles. Les townships de la frontière du Bas-Canada ne sont séparés des État-Unis que par une ligne imaginaire ; une grande partie de la frontière du Haut-Canada par des rivières qu’on traverse en dix minutes ; et le reste par des lacs, qui mettent à peine six heures de passage entre les habitants de chaque côté. Les affaires journalières de chacun le mettent en contact avec ses voisins de l’autre côté de la ligne ; un pays supplée aux besoins quotidiens de l’autre avec ses produits ; et la population de chacun dépend jusqu’à un certain point de l’état du commerce et des demandes de l’autre. De tels besoins communs enfantent un intérêt dans la politique de chaque pays parmi les citoyens de l’autre. Les journaux circulent en quelques endroits presque également des deux côtés de la ligne, et les gens découvrent que leur bien-être est fréquemment aussi lié avec l’état politique de leurs voisins qu’avec celui de leurs propres compatriotes.
Le danger d’aucun mal sérieux à résulter de cette cause me paraît moindre maintenant que précédemment. Les événements de l’année dernière, et la circulation d’informations plus exactes sur les vraies causes de la contention ont opéré en apparence avec beaucoup de succès contre les progrès ou la continuation de cette espèce de sympathie ; et j’ai le plaisir de croire que la politique suivie pendant mon administration du gouvernement a beaucoup contribué à la faire disparaître. L’unanimité presque complète de la presse des États-Unis, aussi bien que les assurances des individus qui connaissent l’état de l’opinion publique dans ce pays, m’ont convaincu que les mesures que j’ai adoptées rencontrèrent une approbation qui fit complètement tourner le coins de l’opinion en faveur du gouvernement britannique. Je ne puis douter non plus, d’après les témoignages uniformes que j’ai reçus de tous ceux qui ont récemment voyagé dans les États limithropes de l’Union, qu’il y existe à peine dans le moment actuel le plus léger sentiment qu’on puisse proprement appeler sympathie. Quelque assistance que les Insurgés aient récemment reçue de citoyens des États-Unis, on peut l’attribuer à ces animosités nationales qui sont le trop sûr résultat des guerres passées, ou à ces projets non déguisées de conquète et de rapine qui, depuis l’invasion du Texas, ne trouvent que trop de faveur au milieu de la population hardie des frontières. À en juger d’après le caractère et la conduite des Américains les plus saillans, dans les aggressions récentes contre le Haut-Canada, elles paraissent avoir été principalement produites par la dernière cause ; et aucune cause ; ne paraît pas avoir assuré aux insurgés du Bas Canada aucune assistance très-étendue, si ce n’est celle de l’argent et des munitions de guerre, dont on ne peut bien clairement tracer la source. Il s’est trouvé à peine quelques Américains qui aient pris part dans les troubles récents du Bas-Canada. L’année dernière l’insurrection fut le signal de nombreuses assemblées publiques dans toutes les grandes cités des États limitrophes, depuis Buffalo jusqu’à New-York. À ces assemblées on avoua hautement la plus entière sympathie pour les insurgés ; de larges souscriptions furent levées, et on invita les volontaires à joindre. Depuis le dernier soulèvement aucunes manifestations semblables n’a eu lieu : les assemblées que les Nelson et autres ont essayé de faire à New-York, à Philadelphie, à Washington et ailleurs, ont complètement manqué dans leur effet ; et au moment présent il n’existe pas la plus légère indication de sympathie pour les objets des insurgés du Bas Canada, ou de désir de coopérer avec eux pour des fins politiques. Cependant, le danger, qui peut être appréhendé du simple désir de répéter les scènes du Texas dans les Canadas, est un danger à l’abri duquel nous ne pouvons être tant que la désaffection d’aucune portion considérable de la population continuera à donner une apparence de faiblesse à notre gouvernement. On ne peut s’attendre à ce que le gouvernement, fédéral puisse entièrement réprimer de telles tentatives, ou qu’elles puissent être efficacement contrecarrées par l’exercice le plus extrême de son autorité, si une nouvelle tournure des affaires faisait revivre une sympathie forte et générale pour l’invasion du Canada. Sans s’étendre sur la faiblesse nécessaire d’un gouvernement purement fédéral — sans parler de la difficulté que des autorités dont l’existence même dépend de la volonté populaire, trouvent à résister avec succès à une manifestation générale de sentiments publics, quiconque a réfléchi sur la difficulté de maintenir la police dans une société éparse, verra clairement l’impossibilité où serait tout gouvernement quelconque de réprimer une population comme celle qui habite le long des mille milles de cette frontière.
Ce danger lui-même ne laisse pas que de produire des sentiments propres à engendrer plus de mal. Les gens loyaux du Canada, indignés de la terreur et des dommages constants occasionnés, par les incursions du rivage opposé, ont naturellement tourné leur hostilité contre la nation et le gouvernement qui permet, et qu’il accusent même de conniver à la violation du droit et de la justice internationale. On se lance de part et d’autre des récriminations mutuelles ; et les facilités de communication qui entretiennent la sympathie entre des portions des deux populations présentent en même temps des occasions de collision entre les passions haineuses et les antipathies nationales. Les Journaux de parti violents des deux côtés, et les divers corps dont une guerre avancerait les intérêts, fomentent la querelle. Une grande portion de chaque population s’efforce d’exciter son propre gouvernement à la guerre, et travaille en même temps à produire le même résultat en irritant les sentiments nationaux de la société rivale. La presse Canadienne s’étudie à faire circuler des bruits, et chaque acte amical du peuple ou du gouvernement Américain paraît être systématiquement l’objet des interprétations les plus défavorables. Il n’est pas seulement à craindre que cet état de suspicion et de malveillance réciproques soit poussé à l’extrême par des actes de représailles réciproques, mais que les officiers des gouvernements respectifs, dans le désespoir de conserver la paix, ne prennent que peu de soin pour empêcher le commencement actuel de la guerre.
Quoique je ne croie pas qu’il y eût jamais un temps où les relations particulières des deux pays rendissent moins vraisemblable que les États-Unis s’imaginent qu’une guerre avec l’Angleterre pût avancer leurs propres intérêts, cependant on ne peut douter que l’état agité des Canadas nuit considérablement à la prospérité d’une grande partie de l’Union. Au lieu de présenter un nouveau champ à leur entreprise commerciale, ces provinces, dans leur état de troubles actuel, sont plutôt une barrière à leurs efforts industriels. L’état actuel des choses occasionne aussi de grandes dépenses au gouvernement fédéral qui s’est trouvé dans la nécessité d’augmenter considérablement sa petite armée, à raison principalement des troubles du Canada.
Nous ne devons pas oublier non plus, que quelques assurances et preuves de sentiments amicaux que nous recevions du gouvernement des États-Unis, quelque forts que soient les liens des intérêts pacifiques mutuels, qui unissent les deux nations, il y a des sujets de dispute qui peuvent changer ces sentiments. Il y a maintenant entre nous des questions d’intérêt national dont toutes les considérations politiques demandent l’arrangement immédiat. Ces intérêts ne peuvent être appuyés sans la vigueur nécessaire dans un temps où la désaffection dans une partie très importante de nos possessions de l’Amérique Septentrionale, parait donner à un ennemi certains moyens de faire subir du tort et de l’humiliation à l’empire.
Mais les chances de la rébellion ou de l’invasion étrangère ne Sont pas celles que je regarde soit comme les plus probables ou les plus dangereuses.
L’expérience des deux dernières années me présente un résultat beaucoup plus prompt et plus désastreux. Je crains, de fait, la complétion du triste œuvre de la dépopulation et de l’appauvrissement, qui marche rapidement maintenant. Le mal actuel n’est pas seulement, que les améliorations sont arrêtées, et que la richesse et la population de ces colonies n’augmentent pas sur l’échelle rapide du progrès des États-Unis. Aucune accession de population n’a eu lieu par l’émigration, et il n’est pas apporté de capitaux dans le pays. Au contraire, les capitaux semblent laisser ces provinces agitées. Il y a longtemps qu’il se fait une émigration considérable et annuelle de jeunes gens appartenant à la portion française du Bas-Canada ; ils vont dans les États du Nord de l’Union, où ils sont hautement prisés comme travailleurs, et gagnent de bons gages, et ils s’en reviennent généralement chez eux après quelques mois ou années, avec leurs épargnes. Je ne crois pas que la somme de cette émigration ait augmenté dans le cours de l’année dernière, si ce n’est par un petit nombre de personnes notablement compromises dans l’insurrection, qui ont vendu leurs biens et se sont décidées à un exil perpétuel ; mais je pense qu’il y a lieu de croire que parmi la classe d’émigrés habituels que je viens de mentionner, un grand nombre se fixent maintenant dans les États-Unis. Mais les habitudes sédentaires et les affections locales des Canadiens français rendent peu probable qu’ils quittent leur pays en grands nombres. Je ne sache pas que la même cause ait produit une diminution de la population Britannique. L’emploi des capitaux Britanniques dans la province n’est pas considérablement entravé dans les principales branches de commerce, et les maux principaux sont l’éloignement des capitalistes Anglais entreprenants de la partie Française du pays, une diminution dans l’emploi des capitaux maintenant dans la Province, et l’état stationnaire de la population du côté de l’immigration. Mais dans le Haut-Canada, il s’est fait une soustraction très considérable d’hommes et de capitaux. J’ai reçu, des sources les plus respectables, des rapports d’une émigration très nombreuse de tous les Western et London Districts. Il a été dit par des personnes qui en ont été témoins, que les gens avaient pendant longtemps journellement passé en grands nombres d’Amherstburg et de Sandwich au Détroit ; et je tiens d’une personne très respectable qu’elle avait vu dans un des districts que j’ai mentionnés pas moins de 15 ferries de suite vacantes sur le côté du chemin. Un corps de réformistes ont avoué de la manière la plus ouverte, leur intention d’émigrer par des motifs politiques, et ont invité publiquement tous ceux qui seraient mus par les mêmes sentiments de les joindre dans leur entreprise. Pour cela on a formé la Société d’Émigration du Mississippi dans la vue de faciliter l’émigration du Haut-Canada au nouveau territoire de l’Union, appelé Iowa, sur la rive Ouest du Haut Mississippi. Le prospectus de l’entreprise, et le rapport des députés qui furent envoyés pour examiner le pays en question, ont été publiés dans les Journaux publics, et les réformistes ont vanté les avantages de la nouvelle colonie, qui ont été dépréciés par les amis du Gouvernement. Le nombre de ceux qui ont ainsi émigré n’est pas cependant, j’ai lieu de le croire, aussi considérable qu’on l’a souvent représenté.
Un bon nombre de ceux qui seraient disposés à prendre ce parti ne peuvent vendre leurs terres avec avantage ; et quelques-uns, se reposant sur la facilité avec laquelle on obtient des terres aux États-Unis, se soient contentés de partir seulement avec leurs bestiaux et leurs meubles, il y en a d’autres qui ne peuvent pas à la fin faire le sacrifice qu’entraînerait une vente forcée, et qui continuent, même dans leur état actuel d’alarme, à conserver l’espérance de meilleurs temps. Dans les districts qui bordent le St. Laurent, il est résulté peu de chose de la détermination d’émigrer dont on a parlé si hautement pendant un temps. Et l’on dit même que quelques-uns de ceux qui avaient laissé le pays sont revenus. Mais les instances qui sont venues à ma connaissance me portent à attacher même plus d’importance à la classe qu’au nombre allégué des émigrés ; et je ne suis pas du tout de l’avis de quelques-uns du parti dominant, qui pensent que ceux qui laissant ainsi le pays sont des sujets désaffectionnés, dont l’éloignement est d’un grand avantage pour les gens loyaux et paisibles. Dans un pays comme le Haut-Canada, où le premier besoin pour sa prospérité et presque pour son existence, est l’introduction de la population et des capitaux, il serait plus prudent, plus juste en même temps, plus de l’intérêt comme du devoir du gouvernement, d’écarter les causes de désaffection, que de chasser les désaffectionnés. Mais il n’y a aucune raison de dire que tous les réformistes qui ont ainsi quitté le pays sont des hommes déloyaux et turbulents, et il n’est pas non plus bien clair qu’ils soient tous des réformistes, et que l’insécurité croissante pour les personnes et pour les biens n’ait pas induit à faire éloigner, sans distinction de politique, quelques-uns des plus grands propriétaires de la province. Le départ du monsieur qui y était venu de Trinidad, il n’y a que quelques années, a créé dernièrement une vive impression ; lequel, n’avait pris aucune part saillante, et certainement nullement violente, dans la politique ; et qui s’est transporté avec toutes ses richesses aux États-Unis, simplement parce que dans le Haut-Canada il ne peut placer sûrement des capitaux, et qu’il ne peut tranquillement jouir de la vie. J’ai entendu parler d’un autre monsieur Anglais, qui ayant résidé dans le pays six ou sept ans, et dépensé de fortes sommes d’argent à lever une race supérieure de bestiaux et de moutons, vendrait ses animaux et ses ustensiles d’agriculture, pendant que j’étais dans le pays, dans la vue d’aller s’établir dans l’Illinois. On m’a parlé d’un individu qui, il y a 30 ans, s’était enfoncé dans la forêt avec la hache sur le dos, et qui, sans aucun capital pour commencer, avait, par son travail constant, acquis une ferme et des bestiaux qu’il avait vendus pour £2000, avec laquelle somme il était passé aux États-Unis. On m’a assuré que cet homme n’était qu’un échantillon d’une classe nombreuse, à l’industrie infatigable desquels la province doit presque tout son avancement et sa prospérité. Ils en sont maintenant chassé à cause de l’insécurité actuelle de tous ceux qui, aux époques antérieures, s’étant identifiés en politique avec quelques-uns de ceux qui parurent subséquemment comme acteurs principaux dans la révolte, sont maintenant regardés et traités comme des rebelles, quoiqu’ils se soient abstenus complètement de participer en aucune façon aux plans ou actes de rébellion. Il règne aussi beaucoup d’alarme quant à la disposition générale de laisser le pays, qu’on disait avoir été produite par quelques mesures récentes des autorités, parmi cette race douce et industrieuse, mais particulière de descendants des Hollandais, qui habite les profondeurs du district de Niagara.
Tels sont les résultats lamentables des maux politiques et sociaux qui ont si long-temps agité les Canadas ; et telle est leur condition, qu’au moment actuel nous sommes appelés à prendre des précautions immédiates contre des dangers aussi alarmants que ceux de la rébellion, de l’invasion étrangère, et de l’entier épuisement et dépopulation. Lorsque je considère les causes diverses et profondes des maux dont l’enquête qui vient d’être faite m’a révélé l’existence dans chaque institution, dans la constitution et dans la composition de la société dans une grande partie de ces provinces, je recule presque devant la tentative en apparence présomptueuse d’attaquer des difficultés aussi gigantesques. Et je n’essaierai pas à le faire en détail. Je compte sur l’efficacité de la réforme dans le système constitutionnel qui régit ces colonies, pour le redressement de tous les abus que des institutions défectueuses ont engendrés dans leur administration. Si l’on peut trouver un système qui posera dans ces colonies les fondements d’un gouvernement efficace et populaire, assurer l’harmonie, au lieu de la collision, entre les divers pouvoirs de l’état, et faire influer une opinion publique vigoureuse sur chaque délai des affaires publiques, nous pouvons attendre qu’on trouvera des remèdes efficaces aux vices actuels du système administratif.
Les pages précédentes ont suffisamment indiqué la nature de ces maux, a l’opération étendue desquels j’attribue les divers griefs pratiques et l’état insuffisant où se trouvent actuellement les colonies de l’Amérique Septentrionale. Ce n’est pas en affaiblissant, mais en renforçant l’influence du peuple sur son gouvernement, en renfermant ce dernier dans des bornes beaucoup plus étroites que celles qu’on lui a jusqu’à présent laissées, et non en étendant l’intervention des autorités impériales aux détails des affaires coloniales, que je crois qu’on peut rétablir l’harmonie, là où la discorde a si longtemps réglé, et introduire une régularité et une vigueur jusqu’à présent inconnues dans l’administration de ces provinces. Il n’est pas besoin de changement dans les principes du gouvernement, ni d’inventer une nouvelle théorie constitutionnelle, pour trouver le remède qui, à mon avis, guérirait tous les maux politiques existants. Il suffit de suivre constamment les principes de la constitution Britannique, et d’introduire dans le gouvernement de ces grandes colonies les sages dispositions, qui seules peuvent faire opérer avec harmonie et efficacité le système représentatif dans aucun pays. Nous n’en sommes pas maintenant à considérer la politique d’établir le gouvernement représentatif dans les colonies de l’Amérique Septentrionale. Cela a été fait d’une manière irrévocable ; et il ne faut pas penser à l’expérience de priver le peuple de son pouvoir constitutionnel actuel. L’affaire de leurs gouvernants maintenant est de conduire leur gouvernement avec harmonie, en accord avec ses principes établis ; et je ne sais pas comment il est possible d’assurer cette harmonie d’aucune autre manière qu’en administrant le gouvernement sur les principes dont l’efficacité a été prouvée par l’expérience de la Grande-Bretagne. Je ne voudrais pas toucher à une seule prérogative de la couronne : au contraire, je croîs que l’intérêt du peuple de ces colonies demande la protection des prérogatives, qui n’ont pas été jusqu’à présent exercées. Mais la couronne d’un autre côté doit se soumettre aux conséquences nécessaires des institutions représentatives ; et si elle doit faire marcher le gouvernement d’accord avec le corps représentatif, il faut qu’elle consente à le faire par le moyen de ceux en qui ce corps représentatif a confiance.
En Angleterre ce principe est depuis si longtemps regardé comme une partie indubitable et essentielle de notre constitution, qu’il est à pétrie jamais devenu nécessaire de s’enquérir des moyens de le faire observer. Lorsqu’un Ministère cesse de commander une majorité dans le Parlement sur les grandes questions politiques, son sort est immédiatement scellé ; et il nous paraîtrait aussi étrange de faire marcher, pendant un temps, un gouvernement par le moyen de Ministres perpétuellement en minorité, qu’il le serait de passer des fois avec une majorité de votes contre elles. Les anciens remèdes constitutionnels, par accusation parlementaire et le refus des subsides, n’ont jamais été employés, depuis le règne de Guillaume III, pour éloigner un Ministère. Ils n’ont jamais été nécessaires, parce que, de fait, les Ministres ont eu plutôt pour habitude de prévenir un vote d’hostilité absolue, et de se retirer, lorsqu’ils ne se trouvaient appuyés que par une majorité très faible ou incertaine. Si les Législatures coloniales ont souvent arrêté les subsides, si elles ont harassé les serviteurs publics par des accusations injustes et vexatoires, c’était parce que dans les colonies on ne pouvait déplacer une administration impopulaire par les indications plus douées d’un manque de confiance, qui ont toujours suffi pour obtenir cette fin dans la mère-patrie.
Les moyens qui ont été occasionnellement proposés dans les colonies, elles-mêmes, ne me paraissent aucunement calculées pour atteindre cette fin de la meilleure manière. Ces propositions indiquent un tel manque de confiance dans la disposition du gouvernement Impérial à acquiescer à l’adoption d’un meilleur système, que s’il était introduit, il ôterait presque tout espoir d’un arrangement satisfaisant des différents pouvoirs de l’État. Un Conseil Exécutif serait non seulement tout-à-fait incompatible avec le gouvernement monarchique, sous l’autorité nominale de la Couronne, et priverait réellement la société d’un des plus grands avantages d’une aristocratie héréditaire. Toutes les fins du contrôle populaire peuvent se combiner avec tous les avantages qu’il y a à laisser à la Couronne le choix immédiat de ses aviseurs, si le gouvernement recevait instruction de s’assurer la coopération de l’Assemblée dans sa politique, en confiant l’administration à des hommes qui commanderaient une majorité, et si on lui donnait à entendre qu’il ne peut compter sur aucun appui en Angleterre dans toutes les difficultés avec l’Assemblée, qui n’embrasseraient pas directement les relations entre la mère-patrie et la colonie. Ce changement pourrait s’effectuer par une simple dépêche contenant de telles instructions ; ou s’il fallait quelques dispositions législatives, ce ne pourrait être que pour exiger que les notes officiels du gouvernement fussent contresignés par quelque fonctionnaire public. Cela assujettirait chaque acte du gouvernement à quelque responsabilité, et comme conséquence naturelle, il en résulterait la nécessité d’établir un système d’administration, par le moyen de chefs de départements compétents, au lieu du présent mécanisme grossier d’un Conseil Exécutif. Le gouverneur, s’il désirait retenir des aviseurs qui ne posséderaient pas la confiance de l’Assemblée existante, pourrait en appeler au peuple, et s’il ne réussirait pas, il pourrait être forcé par le refus des subsides, ou ses aviseurs pourraient être effrayés par la perspective d’une accusation parlementaire. Mais il n’y a aucune raison de craindre que l’une ni l’autre partie n’entrassent en contestation, lorsque chacune trouverait son intérêt dans le maintien de l’harmonie ; et l’abus des pouvoirs que chacune posséderait constitutionnellement cesserait dès lors que la lutte pour obtenir de plus grands pouvoirs ne serait plus nécessaire. Je ne puis non plus concevoir qu’il serait impossible ou difficile de conduire un gouvernement colonial avec la limitation précise des pouvoirs respectifs qui c’est si longtemps et si aisément maintenue dans la Grande-Bretagne.
Je sais qu’on a prétendu que les principes qui produisent l’harmonie et le bon gouvernement dans la mère-partie ne sont nullement applicables à une dépendance coloniale. On dit qu’il est nécessaire que l’administration d’une colonie soit conduite par des personnes nommées sans aucun égard aux désirs du peuple ; qu’elles ont à mettre à effet la politique, non du peuple colonial, mais des autorités impériales ; et qu’une colonie qui nommerait tous ses propres fonctionnaires administratifs, cesserait de fait d’être dépendante. J’admets que le système que je propose placerait de fait le gouvernement intérieur de la colonie entre les mains des colons eux-mêmes, et que nous leur laisserions l’exécution des lois, dont nous leur avons depuis long-temps laissé la passation seulement. Connaissant parfaitement la valeur de nos possessions coloniales, et sentant fortement la nécessité de maintenir notre connexion avec elles, je ne sais pas sous quel rapport il peut être désirable pour nous d’intervenir dans leur législation intérieure dans des matières qui n’affectent pus leurs relations avec la mère-patrie. Les matières qui nous concernent sont en petit nombre. La constitution de la forme du gouvernement, le réglement des relations étrangères, et du commerce avec la mère-patrie, les autres colonies Britanniques, et les nations étrangères, et la disposition des terres publiques, sont les seuls points sur lesquels la mère-patrie a besoin de contrôle. Ce contrôle est maintenant suffisamment assuré par l’autorité de la législature impériale, par la protection que la colonie retire de nous contre les ennemis du dehors, pour les avantages que nos lois assurent à son commerce, et par sa participation dans les avantage réciproques que conférerait un sage système de colonisation. Une subordination parfaite de la part de la colonie sur ces points est assurée par les avantages qu’elle trouve dans la continuation de sa connexion avec l’empire. Elle n’est assurément pas renforcée, mais bien plutôt grandement affaiblie, par une intervention vexatoire de la part du gouvernement impérial dans la passation de lois pour régler les affaires intérieures de la colonie, ou dans le choix des personnes chargées de leur exécution. Il se peut que les colons ne sachent pas toujours que les lois sont les meilleures pour eux, ou quels sont ceux de leurs compatriotes qui sont les plus propres à conduire leurs affaires ; mais au moins ils ont plus d’intérêt à bien juger sur ces points, et prendront plus de peine à le faire, que ceux dont le bien-être n’est affecté que d’une manière bien éloignée et légère par la bonne ou mauvais législation de ces portions de l’empire. Si les colons font de mauvaises lois, et font choix de personnes impropres pour conduire leurs affaires, ils en auront généralement seuls à souffrir, et toujours ils en souffriront le plus ; et comme les peuples des autres pays, il faudra qu’ils endurent les maux qu’ils se seront attirés, jusqu’à ce qu’ils veuillent y apporter remède. — Mais il ne peut assurément être du devoir ni de l’intérêt de la Grande-Bretagne de tenir une possession militaire très couteuse de ces colonies, afin qu’un Gouverneur ou un Secrétaire d’État puisse conférer les nominations coloniales à une classe de personnes dans les colonies plutôt qu’à une autre, car c’est vraiment là à quoi se réduit la question. La plus légère connaissance de ce qui se passe dans ces colonies prouve la fausseté de l’idée commune, que le patronage y exerce à un degré considérable en faveur des étrangers venus de la mère-patrie. Les inconvénients de changements fréquents parmi les fonctionnaires publics, quels qu’ils soient, sont un désavantage nécessaire dans tout gouvernement libre lequel sera amplement compensé par l’harmonie perpétuelle que le système devra produite entre le peuple et ses gouvernants. Je ne crains pas non plus que le caractère des serviteurs publics souffre, sous aucun rapport, de ce que la possession des emplois dépendra davantage de la faveur populaire ; car je ne connais aucun système plus propre que le présent à remplir les places importantes de personnes incapables, système sous lequel on consulte trop peu l’opinion publique dans les nominations dans l’origine, et sous lequel il est presqu’impossible de déplacer ceux qui trompent l’idée qu’on s’était faite de leurs qualifications, sans imprimer une espèce de tache sur leur capacité ou leur intégrité.
Je n’ignore pas qu’un bon nombre de gens, dans les colonies et chez nous, voient avec beaucoup d’alarme le système que je propose, parce qu’ils se défient des vues ultérieures de ceux qui le proposèrent d’abord, et qu’ils soupçonnent d’en presser l’adoption dans la seule intention de pouvoir plus facilement renverser les institutions monarchiques, ou amener l’indépendance de la colonie. Je crois cependant qu’on a beaucoup exagéré l’étendue de ces vues ultérieures. Nous ne devons pas prendre toute folle expression de désappointement comme l’indication d’une aversion décidée pour la constitution existante ; et mes propres observations me convainquent que le sentiment prédominant de toute la population Anglaise des colonnies de l’Amérique Septentrionale est celui d’un attachement dévoué envers la mère-patrie. Je pense que ni les intérêts. ni les sentiments du peuple ne sont en opposition à un gouvernement colonial sagement et populairement administré. On ne peut nier ni négliger de considérer les preuves qu’ont données de leur loyauté un grand nombre de ceux qui sont mécontents de la présente administration du gouvernement. L’attachement que le peuple de ces provinces a constamment montré envers la couronne et l’empire britannique porte tous les traits caractéristiques d’un fort sentiment national. Ils aiment les institutions de leur pays, non seulement par le sentiment des avantages pratiques qu’elles procurent, mais aussi par un sentiment d’orgueil national ; et ils y tiennent d’autant plus qu’ils sont accoutumés à les regarder comme des marques de nationalité, qui les distinguent de leurs voisins républicains. Je ne veux pas affirmer que c’est un sentiment que ne pourra affaiblir aucune mauvaise politique de la part de la mère-patrie ; mais je le regarde avec confiance comme un sentiment qui bien apprécié, peut former le lien d’une connexion durable et avantageuse. Le peuple Britannique des colonies de l’Amérique Septentrionale est un peuple sur lequel nous pouvons compter avec assurance, et auquel nous ne devons pas accorder le pouvoir avec mesquinerie. Car ce n’est pas à ceux qui ont crié le plus fort pour le changement que je propose de concéder la responsabilité de l’administration coloniale, mais au peuple lui-même. Et je ne puis concevoir qu’aucun peuple ou aucune portion considérable d’un peuple, voie avec mécontentement un changement qui consistera simplement ainsi, savoir que la Couronne à l’avenir consultera les désirs du peuple dans le choix de ses serviteurs.
Le changement important dans la politique du gouvernement colonial que je recommande pourrait s’effectuer en tout ou en partie pour le moment par l’autorité seule de la Couronne ; et je crois que la grande masse des mécontentements dans le Haut-Canada, qui ne sont pas mêlés avec l’irritation personnelle, provenant des incidents des derniers troubles, disparaîtrait devant l’assurance que le gouvernement de la colonie serait conduit à l’avenir conformément aux vues de la majorité de la Chambre d’Assemblée. Mais je pense que pour le bien-être des colonies, et la sécurité de la mère-patrie, il est nécessaire que ce changement soit rendu plus permanent que ne peut l’assurer le sentiment momentané des difficultés existantes. Je ne puis croire que les gens en pouvoir en ce pays s’abstiendront de l’intervention injudicieuse dans les affaires de ces colonies, que je déplore, tant qu’elles resteront dans leur état actuel de sociétés faibles et diverses. L’attention publique en Angleterre est divisée par les plaintes divisées et couvent contraires de ces différentes provinces contiguës. Chacune présente maintenant ses demandes en différents temps, et dans des formes un peu différentes, et les intérêts que chaque partie plaignante représente comme étant en danger sont trop peu de chose pour attirer une attention convenable au siège de l’empire. Mais si ces importantes et vastes colonies parlaient d’une seule voix, si l’on sentait que chaque erreur de notre politique coloniale doit causer une souffrance commune et un mécontentement commun dans toute l’étendue de l’Amérique Britannique, on ne provoquerait jamais de telles plaintes ; parce qu’aucune autorité n’oserait résister aux désire d’une telle société excepté sur des points qui embrasseraient absolument les quelques intérêts impérieux, qu’il est nécessaire de soustraire à la juridiction de la législation coloniale.
Il faut aussi que je recommande ce qui me parait une limitation essentielle des pouvoirs actuels des corps représentatifs dans ces colonies. Je considère que le bon gouvernement est impossible tant que le pouvoir actuel de voter l’argent public et de régir les dépenses locales de la société, restera sans restriction entre les mains d’une assemblée. Tant qu’il sera levé un revenu qui laissera un surplus considérable après le paiement des dépenses nécessaires du gouvernement civil, et tant qu’aucun membre de l’Assemblée pourra, sans restriction, proposer un vote d’argent public, aussi longtemps que l’Assemblée retiendra entre ses mains le pouvoir dont elle a abusé partout de mésappliquer l’argent public. La prérogative de la Couronne qui est constamment exercée dans la Grande-Bretagne pour la vraie protection du peuple n’aurait jamais dû être abandonnée dans les colonies ; et si l’on introduisait dans ces colonies la règle du Parlement Impérial, selon laquelle aucun vote d’argent ne peut être proposé sans le consentement préalable de la Couronne, elle pourrait être sagement employée à protéger les intérêts publics, qui sont maintenant souvent sacrifiés dans les intrigues pour des appropriations locales, qui servent principalement à donner une influence indue à certains individus ou partis.
L’établissement d’un bon système d’institutions municipales dans toutes ces provinces est un sujet d’importance vitale. Une législature générale, qui régit les affaires privées de chaque paroisse, en addition aux affaires ordinaires du pays tient en main un pouvoir qu’aucun corps, tant populaire soit-il dans sa constitution, ne devrait avoir ; un pouvoir qui doit être destructif de toute balance constitutionnelle. Le vrai principe de limiter le pouvoir populaire est de le répartir dans les mains de plusieurs dépositaires différents, comme on l’a fait dans les états les plus libres et les plus stables de l’Union. Au lieu de confier toute la perception et distribution de tous les revenus levés dans aucun pays pour toutes les fins générales et locales, au seul corps représentatif, il faudra confier à une administration locale le pouvoir d’imposer des taxes locales, et d’appliquer les fonds qui en proviennent. On espérerait en vain qu’aucun corps représentatif fit le sacrifice volontaire d’un tel pouvoir. L’établissement d’institutions municipales dans tout le pays devrait faire partie de chaque constitution coloniale, et la couronne devrait constamment interposer sa prérogative pour arrêter tout empiétement sur les fonctions des corps locaux, jusqu’à ce que le peuple eût senti la nécessité de protéger ses privilèges locaux, comme il ne manquerait guère de le faire presque immédiatement.
L’établissement d’un système solide et général pour la régie des terres et l’établissement des colonies, est une partie nécessaire de tout système de gouvernement bon et durable. Dans un rapport contenu dans l’appendice annexé au présent, le plan que je recommande se trouve pleinement développé.
Ces principes généraux, cependant, ne s’appliquent qu’aux changements dans le système du gouvernement qui sont nécessaires pour remédier aux maux communs à toutes les colonies de l’Amérique Septentrionale ; mais ils ne vont aucunement jusqu’à éloigner les maux de l’état actuel du Bas-Canada, qui requiert le remède le plus immédiat. Les funestes dissentions d’origine, qui sont la cause des maux les plus étendus, seraient aggravées dans le moment actuel par aucun changement qui donnerait à la majorité plus de pouvoir qu’elle n’en a jusqu’à présent possédé. Le plan par lequel on se proposerait d’assurer un gouvernement tranquille au Bas Canada, doit renfermer les moyens de mettre fin à l’agitation des disputes nationales dans la Législature ; en établissant une bonne fois, et pour toujours le caractère national de la province. Je n’entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada ; ce doit être celui de l’Empire Britannique ; celui de la grande race qui doit à une époque non reculée, prédominer sur tout le continent de l’Amérique Septentrionale. Sans effectuer le changement assez rapidement ou assez rudement pour froisser les sentiments et sacrifier le bien-être de la génération existante, la première et ferme fin du gouvernement Britannique à l’avenir doit être d’établir dans cette Province une population Anglaise, avec les lois et la langue Anglaises, et de n’en confier le gouvernement qu’à une législature décidément Anglaise.
On pourra dire que c’est une mesure dure pour un peuple conquis ; que les Français formaient dans l’origine la population entière du Bas-Canada, et qu’ils en composent encore la masse ; que les Anglais sont des nouveaux venus, qui n’ont aucun droit de demander l’extinction de la nationalité d’un peuple au milieu duquel les a attirés leur esprit d’entreprise commerciale. On peut dire que si les Français ne sont pas une race aussi civilisée, aussi énergique, aussi spéculatrice (money making) que celle qui les environne, ils sont un peuple aimable, vertueux et content, possédant tout l’essentiel du bien-être matériel, et qui ne doit pas être méprisé ou maltraité, parce qu’ils cherchent à jouir de ce qu’ils ont, sans partager l’esprit d’accumulation qui anime leurs voisins. Leur nationalité est, après tout, un héritage, et il ne faut pas les punir trop sévèrement parcequ’ils ont rêvé le maintien sur les bords lointains du St. Laurent, et la transmission à leur postérité, de la langue, des usages et ses institutions de cette grande nation, qui pendant deux siècles donna le ton de la pensée au continent Européen. Si les disputes des deux races sont irréconciliables, en pourra dire que la justice demande que la minorité soit forcée d’acquiescer à la suprématie des anciens et plus nombreux occupants de la province, et non qu’elle prétende forcer la majorité à adopter ses propres institutions et coutumes.
Mais avant de décider à laquelle des deux races il faut maintenant donner l’ascendance, il n’est que prudent de chercher laquelle des deux doit prévaloir à la fin ; car il n’est pas sage d’établir aujourd’hui ce qui, après une dure lutte, doit être renversé demain. Les prétentions des Canadiens Français à la possession exclusive du Bas-Canada fermeraient à la population Anglaise déjà plus forte du Haut-Canada et des Townships l’accès au grand canal naturel du commerce que ces derniers seuls ont crée et qu’ils font. La possession de l’embouchure du St. Laurent concerne non-seulement ceux qui se trouvent avoir formé leurs établissements le long de l’étroite ligne qui le borde, mais tous ceux qui habitent, et qui habiteront ci-après dans le grand bassin de cette rivière. Car il ne faut pas regarder qu’au présent. La question est, quelle race doit vraisemblablement par la suite convertir en un pays habité et florissant le désert qui couvre maintenant les riches et vastes régions qui environnent les districts comparativement petits et resserrés où les Canadiens Français sont établis ? Si cela doit être fait dans les domaines Britanniques, connue dans le reste de l’Amérique Septentrionale, par un procédé plus prompt que l’accroissement ordinaire de la population, ce doit être par l’immigration des Îles Britanniques ou des États-Unis, — les seuls pays qui fournissent tous les colons qui sont entrés ou entreront en grands nombres dans les Canadas. On ne peut ni empêcher cette immigration de passer par le Bas-Canada, ni même de s’y fixer. Tout l’intérieur des possessions Britanniques devra être, avant longtemps rempli d’une population Anglaise, augmentant annuellement avec rapidité sa supériorité numérique sur les Français. Est-il juste que la prospérité de cette grande majorité et de cette vaste étendue de pays, soit pour toujours, ou même pour un temps arrêtée par l’obstacle artificiel que les lois et la civilisation arriérées d’une partie, et d’une partie seulement du Bas Canada, élèveraient entre eux et l’Océan ? Est-il à supposer qu’une telle population Anglaise se soumettre jamais à un pareil sacrifice de ces intérêts ?
Il ne faut pas, cependant, que je suppose la possibilité que le gouvernement Anglais adopte la marche de mettre ou de permettre aucun obstacle au cours de l’immigration Anglaise dans le Bas-Canada, ou à l’emploi profitable des capitaux Anglais qui y sont déjà employés. Les Anglais ont déjà entre leurs mains la majorité des grandes masses des propriétés du pays ; ils ont de leur côté une supériorité d’intelligence décidée ; ils ont la certitude que la colonisation doit porter leur nombre jusqu’à une majorité ; et ils appartiennent à la race qui tient le gouvernement impérial, et qui prédomine sur le continent Américain. Si nous les laissons maintenant dans une minorité, ils n’abandonneront jamais l’assurance de devenir une majorité ci-après et ne cesseront jamais de continuer la présente contestation avec toute la fureur qui la caractérise aujourd’hui. Dans une pareille contestation ils comptèrent sur la sympathie de leurs compatriotes en Angleterre ; et si elle leur est refusée, ils sont assurés du pouvoir réveiller celle de leurs voisins de même origine qu’eux. Ils sentent que si le gouvernement britannique entend maintenir son autorité dans les Canadas, il ne peut compter que sur la population Anglaise ; que, s’il abandonne ses possessions coloniales, ils devront devenir une partie de cette grande union qui enverra bientôt ses essaims de colon, et qui, par la force du nombre et de l’activité, l’emportera bientôt sur toute autre race. Les Canadiens Français d’un autre côté ne sont que les restes d’une ancienne colonisation, et sont et devront toujours être isolés au milieu d’un monde Anglo-Saxon. Quoiqu’il arrive, quelque gouvernement qui règne sur eux, Britannique ou Américain, ils ne peuvent avoir aucune espérance pour leur nationalité. Ils ne peuvent jamais se séparer de l’empire britannique qu’en attendant que quelque grande cause de désaffection les sépare eux et les autre colonies environnantes, et les laisse partie d’une confédération Anglaise ou, s’ils en sont capables, en effectuant une séparation seuls, et ainsi se réunir à l’Union Américaine, ou maintenir pendant quelques années un misérable semblant de faible indépendance, qui les exposerait plus que jamais à l’intrusion de la population environnante. Je suis loin de désirer d’encourager indistinctement ces prétentions à la supériorité de la part d’aucune race particulière ; mais tant que la plus grande partie de chaque portion du continent Américain sera indéfrichée et inoccupée, et tant que les Anglais montreront une activité si constante et si marquée pour la colonisation, il ne faut pas penser qu’il y ait aucune partie de ce continent où cette race ne pénétrera pas, et où elle ne prédominera pas, lorsqu’elle y aura pénétré. Ce n’est qu’une question de temps et de mode — il ne s’agit que de décider si le petit nombre de Français qui habitent maintenant le Bas-Canada seront anglifiés sous un gouvernement qui peut les protéger, ou si cette opération sera retardée jusqu’à ce qu’un beaucoup plus grand nombre auront à subir des mains rudes de rivaux sans contrôle l’extinction d’une nationalité renforcée et aigrie par une existence prolongée.
Et cette nationalité Canadienne Française, devrions-nous pour le simple avantage de ce peuple, chercher à la perpétuer, même si nous pouvions le faire ? Je ne connais pas de distinctions nationales marquant et continuant une infériorité plus désespérée. La langue, les lois, et le caractère du continent de l’Amérique Septentrionale sont Anglais ; et toute autre race que l’Anglaise (j’applique ce mot à tous ceux qui parlent l’Anglais) parait y être dans un état d’infériorité. C’est pour les faire sortir de cette infériorité que je désire donner aux Canadiens notre caractère Anglais. Je le désire pour l’avantage des classes instruites, que la distinction du langage et des usages tient séparés du grand empire auquel ils appartiennent. Le meilleur sort du colon instruit et qui désire s’avancer, présente maintenant peu d’espoir et d’activité, mais le Canadien Français se trouve jeté encore plus loin dans l’ombre par une langue et des habitudes étrangères à celles du gouvernement impérial. Un esprit d’exclusion a fermé les professions les plus élevées aux classes instruites parmi les Canadiens Français, plus peut-être qu’il n’était nécessaire ; mais il est impossible qu’avec la plus grande libéralité le Gouvernement Britannique donne à ceux qui parlent une langue étrangère une position égale dans la concurrence générale de sa vaste population. Je désire l’amalgamation encore plus pour l’avantage des basses classes. Leur état actuel commune et égale aisance se détériore rapidement par le trop-plein de la population dans les étroites limites dans lesquelles ils sont renfermés. S’ils essaient d’améliorer leur condition, en s’étendant sur le pays environnant, ils se trouveront nécessairement de plus en plus mêlés à une population Anglaise ; s’ils préfèrent rester stationnaires, la plus grande partie devront devenir hommes de peine dans l’emploi des capitalistes Anglais. Dans l’un et l’autre cas, il paraîtrait que les Canadiens Français sont destinés, en quelque sorte, à occuper une position inférieure, et à dépendre des Anglais pour se procurer de l’emploi. Les maux de la pauvreté et de la dépendance ne pourraient qu’être décuplés par un esprit de nationalité jalouse et rancuneuse, qui séparerait la classe ouvrière de la société des possesseurs de la richesse et de ceux qui fournissent de l’emploi.
Je n’entrerai pas ici dans la question de l’effet de la manière de vivre et de la division des biens parmi les Canadiens Français sur le bonheur du peuple. J’admettrai pour le moment, qu’elles sont aussi productives de bien-être que le prétendent leurs admirateurs. Mais, bonnes ou mauvaises, le temps n’est plus où elles pouvaient subsister ; car il ne reste pas assez de terre inoccupée dans la partie du pays où les Anglais ne sont pas déjà établis, pour que la présente population Canadienne Française possède assez de fermes pour lui fournir, avec son présent système de culture, les moyens de subsistance qu’elle a aujourd’hui. Aucune population ne s’est plus accrue par les simples naissances que l’ont fait les Canadiens Français depuis la conquête. À cette époque on portait leur nombre à 60,000 ; on suppose que ce chiffre est maintenant, de sept fois autant. Il n’y a pas eu d’augmentation proportionelle en culture ; et l’augmentation de la population s’est soutenue en grande partie par la subdivision continuée des propriétés. Dans un rapport d’un comité de l’Assemblée en 1826, dont M. Andrew Stuart était président, il est dit, que depuis 1784, la population des seigneuries, a quadruplé, tandis que le nombre des bestiaux n’avait que doublé, et que la quantité des terres en culture n’avait augmenté que d’un tiers. Les plaintes sur la détresse sont constantes et l’on admet de toutes parts que l’état d’une grande partie de la population se détériore. Un peuple ainsi situé doit changer son mode de vie. S’ils désirent maintenir leur présente existence agricole grossière mais bien pourvue, ce n’est qu’en se jetant dans les parties du pays où les Anglais sont établis ; ou s’ils tiennent à leur résidence actuelle, ils ne pourront gagner leur subsistance qu’en abandonnant leurs occupations actuelles, et en travaillant à la journée sur les terres, ou dans les entreprises commerciales sous les capitalistes Anglais. Mais aucun arrangement politique ne saurait perpétuer leur état actuel de propriétaires inactifs. Si les Canadiens Français étaient à l’abri de l’immigration d’une autre population, ils présenteraient en peu d’années l’état des paysans les plus pauvres de l’Irlande.
On ne peut guère concevoir de nationalité plus dénuée de tout ce qui peut donner de la vigueur et de l’élévation à un peuple que celle que présentent les descendants des Français dans le Bas-Canada, par suite de ce qu’ils ont retenu leur langue et leurs usages particuliers. Ils sont un peuple sans histoire ni littérature. La littérature d’Angleterre est écrite dans une langue qui n’est pas la leur, et la seule littérature que leur langue leur rende familière est celle d’une nation dont ils ont été séparés par 80 années de domination étrangère, et encore plus par les changements que la révolution et ses conséquences ont opérés dans tout l’état politique, moral et social de la France. Cependant c’est d’un peuple que l’histoire récente, et de nouvelles mœurs et manières de penser, séparent d’eux si entièrement que les Canadiens Français reçoivent presque toute l’instruction et l’amusement que l’on retire des livres. C’est sur cette littérature entièrement étrangère, qui traite d’événemens, d’idées, et de mœurs, qui leur sont tout-à-fait étrangers et inintelligibles, qu’ils sont obligés de dépendre. Leurs Journaux sont pour la plupart écrits par des natifs de France, qui sont venus chercher fortune dans le pays, ou que les chefs de parti y ont amenés pour suppléer au manque de talents littéraires disponibles pour la presse politique. De la même manière leur nationalité a l’effet de les priver des jouissances et des influences civilisatrices des arts. Quoique descendue du peuple du monde qui aime le plus généralement l’art dramatique, et qui l’a cultivé avec le plus de succès ; quoiqu’elle vive sur un continent où presque chaque ville, grande ou petite, a un théâtre Anglais, la population Française du Bas-Canada, isolée de tout peuple parlant sa langue, ne peut supporter un théâtre national.
Dans ces circonstances, je serais en vérité surpris si les plus réfléchis d’entre les Canadiens Français entretenaient à présent aucun espoir de continuer à conserver leur nationalité. Quelques efforts qu’ils fassent il est évident que l’opération de l’assimilation aux usages Anglais a déjà commencé. La langue Anglaise gagne du terrain comme la langue des riches et de ceux qui procurent de l’emploi le fera naturellement. Il paraît par quelques-uns du petit nombre de retours que reçut le Commissaire de l’Enquête sur l’état de l’éducation, qu’il y a dans Québec dix fois autant d’enfants Français qui apprennent l’Anglais, qu’il y en a d’Anglais qui apprennent le Français. Il s’écoulera comme de raison beaucoup de temps, avant que le changement de langue s’étende à tout un peuple, et la justice et la saine politique demandent également que tant que le peuple continuera à faire usage de la langue Française, le gouvernement ne prenne pas, pour les forcer à se servir de la langue Anglaise, des moyens qui, de fait, priveraient la grande masse de la population de la protection des lois. Mais je répète qu’on devrait commencer immédiatement à changer le caractère de la province, et poursuivre cet œuvre avec fermeté, quoique avec prudence ; que le premier objet d’aucun plan qui sera adopté pour le gouvernement futur du Bas-Canada, devrait être d’en faire une province Anglaise ; et que, avec cette fin en vue, l’ascendance ne fût plus de nouveau placée qu’entre les mains d’une population Anglaise. En vérité, c’est une nécessité évidente dans le moment actuel ; dans l’état où j’ai présenté qu’étaient les esprits parmi la population Canadienne Française, non pas seulement pour le présent, mais pour longtemps à venir, ce ne serait, de fait, que faciliter la rébellion, que de leur confier l’entier contrôle sur cette province. Le Bas-Canada doit être maintenant, comme dans l’avenir, gouverné par une population Anglaise ; et ainsi la politique que les exigences du moment nous forcent à adopter est d’accord avec celle que suggère une vue large de l’avancement futur et permanent de la province.
La plupart des plans qui ont été proposés pour le gouvernement futur du Bas-Canada suggèrent, soit comme mesure permanente, soit comme mesure temporaire et transitoire, que le gouvernement de cette province soit constitué sur un pied tout à fait despotique, ou sur des bases qui le mettraient entièrement entre les mains de la minorité britannique. On propose ou de placer l’autorité législative dans un gouverneur, avec un conseil composé des chefs du parti britannique, on d’imaginer quelque plan de représentation par lequel une minorité, avec les formes représentatives, puisse priver la majorité de toute voix dans la régie de ses propres affaires.
Le maintien d’une forme de gouvernement absolue dans une partie du continent de l’Amérique Septentrionale, ne pourra jamais durer longtemps sans exciter dans les É.-U. un sentiment général contre un pouvoir dont l’existence serait assurée par des moyens si odieux au peuple ; et comme je regarde comme un point très important de préserver la présente sympathie générale des États-Unis envers la politique de notre gouvernement dans le Bas-Canada, je serais fâché que ce sentiment fut remplacé par un autre qui, s’il prédominait parmi le peuple, devrait s’étendre aux provinces environnantes. L’influence d’une telle opinion opérerait non seulement avec beaucoup de force sur la population Française entière, et maintiendrait parmi elle la conscience d’un tort et une détermination de résister au gouvernement, mais produirait un mécontentement tout ainsi grand parmi les Anglais. Dans l’état actuel de l’irritation des esprits, ceux-ci pourraient tolérer, pour un temps, aucun arrangement qui les ferait triompher sur les Français ; mais je me suis fort mépris sur leur caractère, s’ils enduraient longtemps un gouvernement dans lequel ils n’auraient aucune voix directe. On ne parviendrait pas non plus à étouffer leur jalousie en choisissant un conseil d’entre ceux qu’on supposerait avoir leur confiance. Il n’est pas aisé de savoir qui sont ceux qui possèdent réellement cette confiance ; et je pense que le plus sûr moyen de priver un homme d’influence serait de le traiter comme leur représentant, sans leur consentement.
L’expérience que nous avons eue d’un gouvernement irresponsable au peuple dans ces colonies ne nous donne pas droit de croire qu’un tel gouvernement y serait bien administré ; et les grandes réformes qui doivent être faites dans les institutions de la province, avant que le Bas-Canada puisse jamais être un pays bien réglé et florissant, ne peuvent s’opérer par aucune Législature, qui ne représenterait pas une grande masse d’opinion publique.
Mais la principale objection à aucun gouvernement absolu est qu’il doit être palpablement d’une nature temporaire ; qu’il n’y a aucune raison de croire que son influence, pendant le peu d’années qu’on en permettrait l’existence, laisserait le peuple du tout plus en état de se gouverner ; qu’au contraire, étant une institution temporaire, il manquerait de la stabilité qui est si nécessaire à un gouvernement dans des temps de troubles. Il y a tout lieu de croire qu’un gouvernement avouément irresponsable serait le plus faible qu’il serait possible d’imaginer. Chacun de ses actes serait discuté, non dans la colonie, mais en Angleterre sur des informations tout-à-fait incomplètes et inexactes, et courrait le risque d’être désavoué sans discussion. Les criailleries les plus violentes que pourraient élever des gens qui considéreraient ces actes d’après les idées Anglaises et constitutionnelles ou ceux qui voudraient par là promouvoir les fins sinistres de faction en Angleterre, seraient constamment dirigées contre eux. Ces conséquences seraient inévitables. Le peuple d’Angleterre n’est pas accoutumé à compter sur l’exercice honnête et discret du pouvoir absolu ; et s’il permet l’établissement du despotisme dans ses colonies, il se croit obligé, lorsqu’il est appelé à y porter son attention, de veiller ses actes avec vigilance. Le gouverneur et son conseil sentiraient cette responsabilité dans tous leurs actes ; à moins d’être des hommes d’une fermeté et d’une vigueur plus qu’ordinaires, ils modèleraient leur politique de manière seulement à éviter de donner des armes pour les combattre ; et leurs mesures montreraient l’incertitude et la faiblesse que produirait certainement un tel motif.
Quant à chacun de ces plans qui proposent de faire d’une minorité Anglaise une majorité électorale par le moyen de modes nouveaux et étranges de votes ou de divisions injustes du pays, je me bornerai à dire que, s’il faut que les Canadiens soient privés d’un gouvernement représentatif, il serait beaucoup mieux de le faire d’une manière franche et directe, que d’essayer d’établir un système permanent de gouvernement sur une base que le monde entier regarderait comme de vraies fraudes électorales. Ce n’est pas dans l’Amérique Septentrionale qu’on peut duper les gens par un faux-semblant de gouvernement représentatif, ou qu’on peut leur faire croire qu’on l’emporte sur eux par le nombre, tandis que, de fait, ils sont défranchisés.
Le seul pouvoir qui puisse maintenant contenir tout d’abord la présente désaffection, et effacer ci-après la nationalité des Canadiens Français, est celui d’une majorité numérique d’une population loyal et Anglaise ; et le seul gouvernement stable sera un gouvernement plus populaire qu’aucun de ceux qui ont existé jusqu’à présent dans les colonies de l’Amérique Septentrionale. On trouve dans l’histoire de l’état de la Louisiane, dont les lois et la population étaient Françaises lors de sa cession à l’union Américaine, un exemple mémorable de l’influence d’institutions parfaitement égales et populaires à effacer les distinctions de race sans troubles ni oppression, et sans presque rien de plus que les animosités ordinaires de parti dans un pays libre. Et le succès éminent de la politique adoptée à l’égard de cet état nous montre les moyens d’effectuer un semblable résultat dans le Bas-Canada.
Les Anglais du Bas-Canada, qui paraissent juger des moyens par le résultat, entretiennent et répandent les notions les plus extraordinaires sur la marche qui a été vraiment suivie en cette instance. Du simple fait que dans la constitution de la Louisiane il est écrit que les actes publics de l’état seront « dans la langue dans laquelle la constitution des États-Unis est écrite, » on conclut que le gouvernement général a, de la manière la plus violente, aboli l’usage de la langue et des lois Françaises, et assujetti la population Française à quelques incapacités particulières qui la prive, de fait, d’une voix égale dans le gouvernement de leur état. Rien ne peut être plus contraire à la vérité. La Louisiane, aussitôt après sa cession, fut gouvernée comme « district, » ses officiers publics furent nommés par le gouvernement fédéral, et, comme il était naturel sous de pareilles circonstances, ils étaient des natifs des anciens états de l’union.
En 1812 le district ayant la population voulue, fut admis dans l’union comme état, et le fut précisément aux mêmes conditions qu’aucune autre population l’aurait ou l’a été. Sa constitution fut dressée de manière à donner précisément le même pouvoir à la majorité que celui dont celle-ci jouit dans les autres états de l’Union. Il ne fut fait alors aucun changement dans les lois. La preuve de ceci se trouve dans le fait familier à quiconque connaît tant soit peu la jurisprudence du siècle. Le code, qui est la gloire de la Louisiane et de M. Livingston, fut subséquemment entrepris sous les auspices de la Législature, en conséquence de la confusion qui s’élevait journellement dans l’administration du système de lois Anglaises et Françaises dans les mêmes cours. Ce changement de lois, effectué de la manière la plus conforme aux vues législatives les plus larges, ne fut pas imposé à la législature et au peuple de l’état par une autorité extérieure, mais fut le fruit de leur propre sagesse politique. La Louisiane n’est pas le seul état de l’union qui a été troublé par l’existence de systèmes de lois opposés. L’état de New-York, jusqu’à tout récemment, souffrit sous ce rapport, mal auquel il remédia de la même manière, en employant une commission de ses plus habiles hommes de loi pour digérer les deux systèmes, de lois en un code commun. Les populations contendantes du Bas-Canada peuvent bien imiter ces exemples ; et si, au lieu de s’efforcer, de s’imposer l’une à l’autre leurs lois respectives, elles tentaient d’amalgamer les deux systèmes en un seul, en adoptant ce qui est réellement bon dans les deux, ce serait un œuvre qui ferait honneur à la province.
Il fut avec soin pourvu à la Louisiane pour assurer aux deux races une participation parfaitement égale à tous les avantages du gouvernement. Il est vrai que le gouvernement fédéral montra son intention d’encourager l’usage de la langue Anglaise par la disposition contenue dans la constitution à l’égard de la langue des actes publics (records) ; mais ceux qui réfléchiront combien peu de gens lisent jamais ces documents, et combien est récente l’époque où la langue Anglaise est devenue la langue de la loi en ce pays, verront qu’une telle disposition pouvait avoir peu d’effet en pratique. Dans tous les cas où la convenance le requiert, les différentes parties se servent de leurs langues respectives dans les cours de justice et dans les deux chambres de la législature. Dans chaque procédé judiciaire, toutes les pièces, qui se passent entre les parties doivent être dans les deux langues et les lois sont publiées dans les deux langues. En vérité, on a recourt à un singulier expédient pour conserver l’égalité des deux langues dans la législature ; les membres Français et Anglais parlent leurs langues respectives, et un interprète, comme on m’en a informé, après chaque discours, en explique la teneur dans l’autre langue.
Pendant longtemps la distinction entre les deux races fut une cause de grande jalousie. Les Américains se portèrent en foule dans l’état pour profiter de ses grandes ressources naturelles, et de ses avantages commerciaux uniques ; là, comme partout ailleurs sur ce continent, leur énergie et leurs habitudes des affaires attirèrent graduellement entre leurs mains la plus grande partie des affaires commerciales, du pays et quoique, comme je le qrois, quelques-uns des plus riches marchands, et la plupart des propriétaires de plantations, soient Français, les Anglais forment la masse des classes les plus opulentes. D’année en année leur nombre s’augmente, et l’on suppose maintenant, généralement qu’ils constituent la majorité numérique. On peut bien penser que les Français ont vu cela avec beaucoup de mécontentement ; mais comme les avantages gagnés par les Anglais était entièrement le résultat, non de la faveur, mais de leur supériorité dans une concurrence parfaitement libre, cette jalousie ne pouvait exciter de murmures contre le gouvernement. La concurrence rendit d’abord les deux races ennemies, mais elle a fini par stimuler l’émulation de la race moins active, et en a fait des rivaux. Les jalousies à la Nouvelle-Orléans furent portées si loin une fois, que la législature de l’état, au désir des Anglais, qui se plaignaient de l’inertie des Français, forma des municipalités séparées pour les parties Française et Anglaise de la cité. Ces deux municipalités sont maintenant animées d’un esprit de rivalité, et chacune entreprend de grands travaux publics pour l’ornement et la commodité, de son quartier.
Cette distinction dure encore, et cause encore beaucoup de division ; on dit que la société de chaque race est distincte jusqu’à un certain point, mais n’est nullement hostile ; et quelques rapports présentent le mélange social comme étant très grand. Tous les rapports s’accordent à représenter la division des races comme s’effaçant graduellement de plus en plus ; leurs journaux sont écrits dans les deux langues sur des pages opposées ; leur politique locale se confond entièrement avec celle de l’Union ; et au lieu de découvrir dans leurs journaux aucuns vestiges de querelle de races, ils ne se trouvent contenir qu’une répétition des mêmes récriminations et arguments de parti qui abondent dans toutes les autres parties de l’union.
L’explication de cette amalgation est facile à trouver. Les Français de la Louisiane lorsqu’ils furent formés en un état dans lequel ils formaient une majorité, furent incorporés à une grande nation, dont ils ne formaient qu’une très petite partie. Les yeux de tous ceux qui avaient de l’ambition se tournèrent naturellement vers le grand centre des affaires fédérales, et vers les hautes récompenses qu’offrait l’ambition fédérale. On prit le ton de la politique de ceux qui tenaient les plus hauts pouvoirs ; la législation et le gouvernement de la Louisiane furent dès l’origine insignifiants, comparés aux intérêts qui se discutaient à Washington. Ce devint l’objet de tout homme désireux de s’avancer de noyer sa nationalité Française et d’en adopter une complètement Américaine, Ce qui était l’intérêt de l’individu était aussi l’intérêt de l’état. Il était de bonne politique pour lui d’être représenté par ceux qui acquerraient du poids dans les conseils de la fédération. Par conséquent ne parler qu’une langue étrangère à celle des États-Unis fut une disqualification chez un candidat aux postes de sénateur ou de représentant ; les Français se qualifièrent en apprenant l’Anglais, ou se soumirent aux avantages supérieurs de leurs concurrents Anglais. La représentation de la Louisiane au Congrès est maintenant tout anglaise, tandis que chacun des partis fédéralistes dans l’état se concile les Français en soutenant un candidat de cette race. Mais le résultat en est, que l’union n’est jamais troublée par les querelles de ces races ; et la langue et les mœurs Françaises courent le risque, avant peu de temps, de suivre les lois Françaises, et de passer comme les marques distinctives des Hollandais de New-York.
Ce n’est que par les mêmes moyens — par un gouvernement populaire, dans lequel une majorité anglaise prédominera constamment, que le Bas-Canada pourra être gouverné tranquillement, si l’on ne retarde pas trop longtemps d’appliquer un remède à ses maux.
Pour ces motifs, je crois qu’on ne peut trouver de remède permanent ou efficace aux maux du Bas-Canada, autre qu’une fusion du gouvernement dans celui d’une ou de plusieurs des colonies environnantes ; et comme je suis d’avis qu’on ne peut assurer permanemment le plein établissement d’un gouvernement responsable qu’en donnant à ces colonies plus d’importance qu’elles n’en ont dans la politique de l’empire, je ne trouve que dans l’union le moyen de remédier tout d’un coup et complètement aux deux causes principales de leur présent état malheureux.
Il a été proposé deux sortes d’union — la fédérale et la législative. Avec la première, la législature séparée de chaque province serait conservée dans sa forme actuelle, et retiendrait presque toutes ses attributions actuelles de législation intérieure, la législature fédérale n’exerçant de pouvoir que sur les matières d’intérêt général qui lui auraient été expressément laissées par les provinces constituantes. L’union législative entraînerait une incorporation complète des provinces qu’elle comprendrait sous une seule législature, exerçant l’autorité législative universelle et unique sur elles toutes de la même manière exactement que le Parlement législate seul pour toutes les isles Britanniques.
Dans les premiers temps après mon arrivée au Canada, je penchais fortement en faveur du projet d’une union fédérale, et ce fut avec un tel plan en vue que je discutai une mesure générale pour le gouvernement des colonies avec les députations des provinces inférieures, et avec les divers individus marquants et les corps publics dans les Canadas. Je savais fort bien qu’on pourrait objecter qu’une union fédérale produirait dans beaucoup de cas un gouvernement faible et un peu embarrassé ; qu’une fédération coloniale ne pourrait avoir, de fait, et légitimement que peu d’autorité ou d’affaires, attendu que la plus grande partie des fonctions ordinaires d’une fédération tombaient dans le domaine de la Législature et de l’Exécutif Impériaux ; et que le principal motif d’une fédération, qui est la nécessité de concilier les prétentions d’états indépendants au maintien de leur propre souveraineté, ne pouvait exister dans le cas de dépendances coloniales, sujettes à être réglées au gré de l’autorité suprême métropolitaine. Dans le cours des discussions dont j’ai parlé, je fus mis au fait de grandes difficultés pratiques dans aucun plan de gouvernement fédéral, particulièrement celles qui doivent provenir de la régie des revenus généraux, qui avec ce plan auraient encore eu à être distribués entre les provinces. Mais je restai encore avec une forte impression des avantages d’un gouvernement uni ; et je fus flatté de trouver les hommes marquants des diverses colonies fortement et généralement disposés en faveur d’un plan qui élèverait leurs pays à quelque chose de ressemblant à une existence nationale. Je pensai qu’une fédération sanctionnée et consolidée par un gouvernement monarchique, tendrait graduellement à devenir une union législative complète ; et qu’ainsi, tout en conciliant les Français du Bas-Canada en leur laissant le gouvernement de leur propre province et leur propre législation intérieure, je pourvoirais à la protection des intérêts Britanniques par le gouvernement général, et à la transition graduelle des provinces en une société unie et homogène.
Mais la période de la transition graduelle est passée dans le Bas-Canada. Dans l’état actuel des esprits parmi la population Française, je ne puis douter que tout pouvoir qu’elle pourrait posséder serait employé contre la politique et l’existence même d’aucune forme de gouvernement Britannique. Je ne puis douter que toute assemblée Française qui se réunira de nouveau dans le Bas-Canada usera de tout le pouvoir qu’elle possédera, qu’il soit plus ou moins limité, pour arrêter le gouvernement, et détruire tout ce qu’il aurait fait. Il faudrait pour aider l’action d’une constitution fédérale, du temps et une honnête coopération de la part de tous les partis ; et l’état actuel du Bas-Canada ne laisse pas ce temps, et on ne peut attendre de coopération d’une législature dont la majorité représenterait la population Française de ce pays. Je crois qu’on ne peut rétablir la tranquillité qu’en soumettant la province au régime vigoureux d’une majorité Anglaise ; et qu’on ne trouvera de. gouvernement efficace que dans une union législative.
Si l’on estime exactement la population du Haut-Canada en la portant à 400 000, les habitants Anglais du Bas-Canada à 150 000, et les Français à 450 000, l’union des provinces ne donnerait pas seulement une majorité Anglaise évidente, mais une majorité qui augmenterait annuellement par l’influence de l’émigration Anglaise, et je ne doute guère que les Français, une fois placés en minorité par le cours légitime des événements et l’opération de causes naturelles, renonçeraient à leurs vaines espérances de nationalité. Je ne veux pas dire qu’ils dépouilleraient immédiatement leurs animosités actuelles, ou qu’ils renonçeraient à l’espoir d’attendre leur fin par des moyens violents. Mais l’expérience des deux unions dans les Isles Britanniques, peut nous apprendre avec quelle efficacité le bras puissant d’une législature populaire peut forcer une population réfractaire à l’obéissance ; et le désespoir du succès ferait graduellement disparaître les animosités existantes, et porterait les Canadiens Français à acquiescer à leur nouvel état d’existence politique.
Je n’aimerais certainement pas à assujétir les Canadiens à la domination de la même minorité Anglaise avec laquelle ils luttent depuis si longtemps ; mais je ne pense pas qu’ils eussent à craindre de l’oppression ou de l’injustice d’une majorité qui émanerait d’une source aussi étendue ; et dans ce cas la très grande partie de la majorité n’ayant jamais été amenée en collision avec eux, ne les regarderait avec aucune animosité qui pourrait affecter leur sentiment naturel d’équité. Les dotations de l’église Catholique dans le Bas-Canada, et l’existence, de toutes ses lois actuelles, pourraient être, jusqu’à ce que la Législature unie les eût changées, garanties par des stipulations semblables à celles adoptées dans l’union entre l’Angleterre et l’Écosse. Je ne pense pas que l’histoire subséquente de la législation Britannique doive nous faire croire que la nation qui a une majorité dans une législature populaire, puisse vraisemblablement user de son pouvoir pour changer avec précipitation les lois d’un peuple qui lui est uni.
L’union des deux Provinces assurerait au Haut-Canada le grand objet actuel de ses désirs. Toutes les disputes quant à la division ou au moment des revenus, cesseraient. Le surplus des revenus du Bas-Canada suppléerait à ce qui manque au Haut, et la Province inférieure ainsi placée dans l’impossibilité d’agioter pour le surplus de son revenu, qu’elle ne pourrait pas réduire, gagnerait autant, je crois, par cet arrangement, que la province supérieure qui trouverait ainsi un moyen de payer l’intérêt de sa dette. Il ne serait pas injuste en vérité de charger le Bas-Canada de cette dette, en autant que les travaux publics pour la confection desquels cette dette a été contractée, intéressent autant l’une que l’autre Province. On ne doit pas non plus supposer, que quelle que puisse avoir été la mauvaise administration qui en grande partie a occasionné cette dette, les canaux du Haut-Canada seront toujours une source de perte plutôt que de gain. L’achèvement des travaux publics projetés et nécessaires, aura lieu par l’union. L’accès à la mer serait assuré au Haut-Canada. L’épargne des deniers publics qu’assurerait l’union des différents départements dans les deux Canadas, fournirait les moyens d’administrer le gouvernement général sur une échelle plus efficace, qu’il ne l’a été jusqu’à présent, et la responsabilité de l’Exécutif serait garantie par le poids que le corps représentatif des Provinces-Unies aurait sur le gouvernement et la législature Impériale.
Mais convaincu que je suis qu’un résultat aussi désirable serait assuré par l’union législative des deux Provinces, je suis porté à aller plus loin, et à demander si on n’atteindrait pas plus facilement tous ces résultats en étendant cette union législative à toutes les Provinces Britanniques de l’Amérique du Nord ; et si les avantages que j’anticipe par l’union de deux de ces Provinces, ne pourraient pas, ou ne devraient pas en justice, être accordés à toutes. Une telle union mettrait décidément fin à toutes les querelles de races ; elle mettrait toutes les provinces en état de coopérer pour tous les objets d’un intérêt commun et, par dessus tout, elle formerait un peuple grand et puissant, qui posséderait les moyens de s’assurer un bon gouvernement responsable pour lui-même, et qui sous la protection de l’empire Britannique, pourrait sous un certain rapport contrebalancer l’influence croissante, et prépondérante des États-Unis sur le continent de l’Amérique. Je ne crains pas qu’une législature coloniale aussi puissante et aussi indépendante désirât abandonner sa liaison avec la Grande-Bretagne. Au contraire, je croie que l’exemption indue pratique d’une intervention qui serait le résultat d’un tel changement, renforcerait les liens actuels de sentimens et d’intérêts, et que la liaison deviendrait de plus en plus permanente et avantageuse, vû qu’il y aurait plus d’égalité, de liberté et d’indépendance locale.
Mais à tout événement, notre premier devoir est d’assurer le bien-être de nos compatriotes dans les Colonies ; et si dans les décrets cachés de cette sagesse qui gouverne le monde, il est écrit, que ces Colonies ne doivent pas toujours faire partie de l’empire, nous devons à notre honneur de veiller à ce que, lorsqu’elles se sépareront de nous, elles ne soient pas le seul pays sur le continent de l’Amérique, dans lequel la race anglo-saxonne sera incapable de se gouverner elle-même.
Je suis en vérité, si éloigné de croire que l’accroissement de pouvoir et le poids qui serait donné à ces Colonies par une union mettrait en danger leur connexion avec l’empire, que je considère cette mesure comme le seul moyen d’entretenir un sentiment national qui contrebalancerait efficacement toutes tendances qui peuvent maintenant exister pour une séparation. Aucune société composée d’hommes libres et intelligents, ne se contentera d’un système politique, qui la mettrait, parce que cela mettrait son pays, dans une position inférieure à ses voisins. Le Colon de la Grande-Bretagne est, il est vrai, lié à un grand empire ; et la gloire de son histoire, les signes visibles de son pouvoir actuel, et la civilisation de son peuple, sont calculés et propres à élever et à gratifier son orgueil national. Mais il sent aussi que les liens qui l’attachent à l’empire sont ceux d’une dépendance prolongée ; il ne sent qu’en passant, ce pouvoir et cette prospérité, et il sait que dans ce gouvernement ni lui ni ses compatriotes n’ont de voix. Tandis que son voisin de l’autre côté de la frontière, se donne de l’importance, sachant que son vote exerce de l’influence dans les conseils, et que lui-même participe dans les progrès d’une nation puissante, le Colon sent la nullité de l’influence du gouvernement restreint et subordonné auquel il appartient. Dans sa propre colonie, et les voisines, il ne trouve que de petits objets occupant une société petite, stationnaire et divisée ; et c’est lorsque les chances d’une communication incertaine et tardive lui apportent les nouvelles de ce qui s’est passé un mois auparavant, de l’autre côté de l’Atlantique, qu’il se ressouvient de l’empire auquel il est lié ; mais l’influence des États-Unis l’entoure de tous les côtés et lui est toujours présente. Elle se répand autant que la population augmente et que les communications s’étendent ; elle pénètre dans toutes les parties du continent où paraît l’esprit entreprenant et commercial de l’Américain. Elle est sentie dans toutes les transactions de commerce, à partir de l’opération importante du système monétaire, jusqu’aux plus petits détails de trafic ordinaire. Elle empreint dans toutes les habitudes et les opinions des pays voisins, les sentiments, les pensées et les usages du peuple Américain. Telle est l’influence qu’une grande nation exerce sur un petit pays qui l’avoisine. Ses idées et ses mœurs le subjugent, même lorsqu’il est nominalement indépendant de son autorité. Si nous désirons prévenir l’extension de cette influence, on ne peut le faire qu’en donnant aux Colons de l’Amérique du Nord une nationalité qui leur soit propre, en élevant ces petites sociétés peu importantes, à un état qui aura quelque objet d’importance nationale, en donnant ainsi à leurs habitants un pays qu’ils ne désireront pas voir absorbé par un autre même plus puissant.
Tout en voyant que la formation d’un système étendu de gouvernement et d’une union puissante des différentes Provinces produiraient ce résultat important sur les sentimens de leurs habitans en général, je suis enclin à attacher une bien grande importance à l’influence que cela aurait, en donnant une plus grande carrière et plus de contentement à la forte ambition des personnelles plus actives et les plus éminentes dans les colonies. Tant que l’ambition personnelle fera partie de la nature humaine, et tant que la morale de tout pays libre et civilisé encouragera les aspirants, il doit être de tout gouvernement sage, d’en favoriser le développement légitime. Si, comme on le dit généralement, les maux de ces colonies ont, en grande partie, été fomentés par l’influence de personnes rusées et ambitieuses, on remédiera plus facilement à ce mal en ouvrant aux désirs de ces personnes, un but qui dirigera leur ambition dans la voix légitime d’avancer leur gouvernement plutôt que de l’embarrasser. En créant de hautes situations dans un gouvernement général et responsable, nous aurons immédiatement les moyens de pacifier l’ambition turbulente et d’occuper dignement et noblement des talents qui ne s’exercent maintenant qu’à fomenter le désordre. Nous devons faire disparaître de ces colonies les raisons auxquelles la sagacité d’Adam Smith sut attribuer la séparation des provinces qui composent maintenant les États-Unis. Nous devons trouver les moyens de placer ce qu’il appelle : « l’importance des hommes marquant dans la colonie, » au-dessus de ce qu’il appelle fort bien, « les petits lois de la mince loterie d’une faction coloniale. » Une union législative générale élèverait les espérances d’hommes capables. Ils ne jetteraient plus avec jalousie leurs regards chez leurs voisins, mais ils verraient qu’ils ont les moyens de satisfaire leur juste ambition dans les hauts emplois de leur judiciaire et de leur propre gouvernement exécutif.
L’Union des différentes Provinces ne serait pas moins avantageuse pour faciliter leur coopération dans tous les objets d’un intérêt commun, dont le besoin est maintenant bien sérieusement senti. Il se trouve à peine un département du gouvernement qui ne demande pas à être mieux régi, ou qui ne le ferait pas mieux, s’il était sous la surveillance d’un Gouvernement Général ; et lorsque nous considérons les intérêts politiques et commerciaux qui sont communs à toutes les provinces, il parait difficile de s’expliquer pourquoi on ne les a jamais divisées en gouvernements séparés, puisqu’elles étaient toutes partie du même empire, qu’elles sont sujettes à la même Couronne, gouvernées presque par les mêmes lois et usages constitutionnels ; habitées, à l’exception d’une, par la même race ; contiguës et immédiatement voisines les unes des autres et bornées sur toute la frontière par le territoire d’un état puissant et rival. Il paraîtrait que tous les motifs qui ont amené l’union de diverses provinces dans un seul état, existent en faveur de la réunion de ces colonies sous une même Législature et un même Exécutif. Elles ont les mêmes relations avec la Mère-Patrie et avec les nations étrangères. Lorsque l’une d’elles est en guerre, les autres le sont pareillement, et les hostilités faites par une attaque sur l’une, doivent nécessairement compromettre le bonheur des autres. Ainsi, la dispute entre la Grande-Bretagne et l’état du Maine, ne parait concerner que les intérêts du Nouveau-Brunswick et du Bas-Canada, à l’un desquels le territoire réclamé doit appartenir ; mais si une guerre se déclarait à ce sujet, il est très probable que le gouvernement Américain, choisirait le Haut-Canada comme le plus faible et le plus facile à attaquer. Une querelle à l’égard des pêches de la Nouvelle-Écosse amènerait les mêmes conséquences. Une union pour la défense commune contre des ennemis étrangers est le lien naturel qui relient ensemble les grandes sociétés du monde, et la nécessité d’une telle union n’est nulle part plus nécessaire qu’entre toutes les Colonies.
Leurs relations intérieures fournissent d’aussi grands motifs en faveur de l’union. Les postes sont en ce moment sous la direction du même établissement impérial. Si, en cédant aux demandes raisonnables des Colonies, on plaçait sous le contrôle des Législatures provinciales, la régie d’une matière aussi purement d’intérêt local, et le revenu qui en proviendrait, il serait encore à propos que la direction des postes dans toute l’Amérique britannique du Nord fût placée dans un seul établissement général. De la même manière, telle est la grande influence sur les autres provinces des arrangements adoptés pour la disposition des terres publiques et pour la colonisation d’aucune des colonies, qu’il est absolument essentiel que ce département du gouvernement soit conduit sur le même système et par une seule autorité. Toutes les colonies sentent fortement la nécessité de réglements communs pour le fisc ; et un établissement commun de douane les délivrerait des entraves à leur commerce qui sont causées par la levée des droits sur toutes les transactions commerciales qui se font entr’eux. Le système monétaire et des banques est sujet aux mêmes influences dans toutes les colonies, et devrait être régi par les mêmes lois. On désire généralement l’établissement d’une monnaie commune à toutes les colonies. En effet, je ne connais aucun département du gouvernement qui n’y gagnerait pas beaucoup, en économie et en efficacité, s’il était placé sous une commune direction. Je ne proposerais point d’abord, de faire d’altération aux établissements publics actuels des diverses provinces, parce qu’il serait mieux de laisser les changements nécessaires à faire au gouvernement uni ; et les établissements judiciaires ne devraient certainement pas être dérangés jusqu’à ce qu’une Législature future put pourvoir à leur rétablissement d’après un plan uniforme et permanent. Mais même, pour l’administration de la justice, l’union remédierait immédiatement aux besoins qui existent dans toutes les Provinces, en facilitant l’organisation d’un tribunal d’appel pour toutes les Colonies de l’Amérique du Nord.
Mais les intérêts communs qui existent déjà entre toutes ces provinces sont petits en comparaison de ceux qui existeraient certainement en conséquence d’une union, et la grande découverte de l’art moderne, qui par tout le monde, et encore plus dans les États-Unis qu’ailleurs, a entièrement changé les moyens de communication entre les pays éloignés, mettra toutes les colonies de l’Amérique dans des relations promptes et permanentes les unes avec les autres. Le succès de la grande expérience de la navigation par la vapeur pour traverser l’Atlantique, montre la perspective d’une prompte communication avec l’Europe, qui influera considérablement sur l’état futur de ces provinces. Dans une dépêche qui ne parvint en Canada qu’après mon départ, le secrétaire d’état m’informait de la détermination du gouvernement de votre majesté d’établir une communication par la vapeur entre la Grande-Bretagne et Halifax, et me requit de donner mon attention à l’ouverture d’un chemin entre ce port et Québec. J’aurais été très-heureux, si je fus demeuré dans la province, de promouvoir par tous les moyens en mon pouvoir, un objet si désirable : et l’absence de toutes les restrictions ordinaires sur mon autorité comme gouverneur-général, m’ayant donné les moyens d’agir avec efficacité et de concert avec les divers gouvernemens provinciaux, j’aurais pu me mettre en état de faire quelque chose à ce sujet. Maie je ne puis point démontrer plus fortement les maux qui résultent du manque actuel d’un gouvernement général pour ces provinces, qu’en faisant allusion aux difficultés qui arriveraient certainement, sous l’organisation passée et actuelle des autorités législatives et exécutives dans les différentes provinces, pour mettre ce plan à exécution. Car les différentes colonies n’ont pas plus de moyens de se concerter les unes avec les autres pour les travaux publics communs qu’avec les États-Unis de l’union. Elles sont les unes vis-à-vis des autres dans la position d’états étrangers, et d’états étrangers n’ayant ensemble aucune relation diplomatique. Les gouverneurs peuvent correspondre les uns avec les autres ; les législatures peuvent passer des lois pour un intérêt général dans les différentes localités, mais il n’existe aucun moyen de régler promptement et satisfactoirement les détails de ces mesures, concurremment avec les différentes parties. Et, dans cette occasion, on doit se rappeler que la communication et le règlement final devrait être fait, non pu entre deux, mais entre plusieurs des provinces. Le chemin passerait dans trois de ces provinces ; et le Haut-Canada où le chemin ne passerait pas, serait en réalité plus intéressé dans sa confection qu’aucune autre des provinces où il passerait. Les colonies n’ont aucun centre commun, où des arrangemens pourraient être faits, excepté dans le bureau colonial à Londres ; et les détails d’un plan semblable auraient été discutés dans l’endroit même où les intérêts des parties pourraient le moins être justement et pleinement représentés, et où on trouve le moins les connaissances locales nécessaires pour un semblable objet. L’accomplissement d’une voie de communication convenable entre Halifax et Québec, produirait de telles relations entre ces deux provinces, que cela rendrait une union générale d’une nécessité absolue. — Plusieurs explorations qui ont été faites prouvent qu’un chemin de fer serait parfaitement praticable dans toute la longueur du chemin. Les dépenses et les difficultés de faire des chemins de fer, dans l’Amérique du nord, n’entrainent nullement les dépenses excessives des chemins ordinaires que l’on fait en Europe. L’opinion générale dans les États-Unis paraît être que les fortes neiges et les froids sévères de ce continent ne retardent que bien peu, et n’arrêtent pas les voyages sur ces chemins ; et si je suis bien informé, le chemin de fer d’Utica, dans la partie nord de l’état de New-York, est en opération pendant tout l’hiver. Si cette opinion est correcte, un chemin de fer entre Halifax et Québec, changerait entièrement quelques-uns des traits les plus caractéristiques des Canadas. Au lieu d’être renfermés faute d’une communication directe avec l’Angleterre pendant la moitié de l’année ; ils jouiraient d’une communication beaucoup plus certaine et plus prompte en hiver qu’en été. Le passage d’Irlande à Québec ne serait que de dix à douze jours, et Halifax serait le grand port par lequel se ferait une grande partie du commerce et par où passeraient les passagers pour toutes les parties de l’Amérique britannique du nord. Mais en supposant même que cette perspective brillante soit telle que nous ne puissions pas compter sur sa réalisation, je puis dire, que l’on ne propose pas d’ouvrir ce chemin sans des espérances bien fondées qu’il deviendra un moyen de communication importante entre le Haut-Canada, et les provinces inférieures. Dans tous les cas, l’entretien de ce chemin, et la manière dont le gouvernement est administré dans les différentes provinces ne sont-ils pas des sujets d’intérêt commun à toutes les provinces ! Si le grand canal naturel du St. Laurent, donne aux populations qui habitent dans aucune partie de son bassin un intérêt dans le gouvernement général, tel qu’il rend sage d’incorporer les deux Canadas, l’œuvre artificiel, qui dans le fait rendrait la partie inférieure du St Laurent le débouché d’une grande portion du commerce Canadien, et ferait d’Halifax en grande mesure un port de sortie pour Québec, Rendrait certainement de la même manière désirable que l’on étendit l’incorporation aux provinces qui seraient traversées par un tel chemin.
À l’égard des deux colonies moins considérables, l’Ile du Prince-Edouard et Terreneuve, je suis d’opinion, que non seulement presque toutes les raisons que j’ai données pour l’union des autres, s’appliquent à celles-ci, mais que leur petite étendue la rend absolument nécessaire, comme le seul moyen d’assurer une attention convenable à leurs intérêts, et de les investir de cette considération dont ils ont tant de raison de regretter l’absence dans les querelles qui arrivent tous les ans entre eux et les citoyens des États-Unis, par rapport aux empiétements que font ces derniers sur leurs côtes et leurs pêcheries.
Les vues sur lesquelles je fonde mon support d’une union étendue, sont depuis longtemps entretenues par des personnes dans ces colonies, à l’opinion desquelles s’attache la plus haute considération. Je ne puis, toutefois, m’empêcher de mentionner la sanction de pareilles vues par quelqu’un dont votre majesté, j’ose dire, recevra l’autorité avec le plus grand respect. Mr. Sewell, ci-devant juge en chef de Québec, a mis devant moi une lettre autographe à lui adressée par l’illustre et regretté père de votre majesté, dans laquelle il plût à son altesse royale d’exprimer son approbation d’un plan semblable, alors proposé par ce Monsieur. Personne ne comprenait, mieux les Intérêts et le caractère de ces colonies que son altesse royale, et c’est avec une satisfaction particulière que je soumets à l’attention de votre majesté le document important qui contient l’opinion de son altesse royale en faveur d’un tel plan : —
« Mon cher Sewell, — J’ai eu ce jour le plaisir de recevoir votre billet d’hier, avec son intéressant contenu ; rien ne peut être mieux arrangé que tout cela, et je ne puis rien observer plus parfait ; et lorsque j’en trouverai le moment propre, c’est pleinement mon intention de parler de cette affaire à lord Bathurst, et de mettre le papier entre ses mains, sans, toutefois, lui dire de qui il vient, quoique je le presserai de converser avec vous sur ce sujet. Permettez-moi cependant de vous demander, si ce n’a pas été par méprise que vous avez dit qu’il y a cinq chambres d’assemblée dans les colonies britanniques de l’Amérique du Nord ? Car si je ne suis pas dans l’erreur, il y en a six, savoir : le Haut et le Bas-Canada, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, l’Isle du Prince-Édouard et le Cap-Breton. Permettez-moi aussi de vous prier de me donner la proportion dans laquelle vous pensez que les trente membres de l’assemblée représentative devraient être élus par chaque province ; et enfin, si vous ne penseriez pas que deux lieutenants-gouverneurs, avec deux conseils exécutifs, seraient suffisants pour le gouvernement exécutif du tout, savoir : un pour les deux Canadas, et l’autre pour la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, en y comprenant les petites dépendances du Cap Breton et de l’Isle du Prince-Édouard : le premier résiderait à Montréal, et le dernier dans tel endroit qui serait considéré comme le plus central pour les deux provinces, soit à Annapolis ou à Windsor. Mais dans tous les cas, si vous pensiez que quatre gouvernemens exécutifs et quatre conseils exécutifs fussent nécessaires, je présume qu’il ne peut exister d’objection à ce que les deux petites isles du golfe St. Laurent soient réunies à la Nouvelle-Écosse. Croyez que je suis toujours, avec des sentimens de la plus grande amitié, mon cher Sewell, votre etc. etc.
Je ne connais qu’une seule difficulté dans ce projet d’une union ; et elle résulte de l’aversion que quelques-unes des provinces inférieures pourraient avoir à transférer les pouvoirs de leurs législatures actuelles à celle d’une union. Cette objection viendrait, je suppose, de ce qu’elles n’aimeraient pas à abandonner le contrôle immédiat qu’elles ont maintenant sur les revenus par lesquels sont défrayées leurs dépenses locales. J’ai donné un tel aperçu des maux qui résultent de ce système, qu’on ne doit pas s’attendre à ce que j’admette, que ce qui pourrait intervenir dans ce système puisse être une objection à mon plan. Je pense, cependant, que les provinces auraient raison de se plaindre, si ces pouvoirs locaux, de dépenser les revenus pour des objets locaux étaient ôtés aux assemblées provinciales, pour les mettre à la disposition d’une législation générale. Toutes les mesures devraient, dans mon opinion, être prises pour prévenir qu’un tel pouvoir tombât dans les mains de la législature de l’union. Pour prévenir cela, je préférerais que les assemblées provinciales fussent retenues avec les pouvoirs municipaux seulement. Mais il serait mieux sous le rapport de l’efficacité et de l’économie, que ce pouvoir fût placé dans des corps municipaux de districts plus petits, et la formation de tels corps serait, dans mon opinion, une partie essentielle d’une union durable et complète.
Dans ces vues, je recommanderais, sans hésiter, l’adoption immédiate d’une union législative générale de toutes les provinces britanniques de l’Amérique du Nord, si le cours régulier du gouvernement était suspendu ou mis en danger dans les provinces inférieures, et si la nécessité de l’adoption prompte d’un plan pour leur gouvernement, sans égard à elles, était une matière d’urgence, ou s’il était possible de remettre d’adoption d’une telle mesure à l’égard des Canadas jusqu’à ce que le projet d’une union pût être référé aux législatures des provinces inférieures. Mais l’état de la province du Bas-Canada, quoiqu’il justifie la proposition d’une union, ne rendrait pas la mesure agréable ou même juste, de la part du parlement, si elle était mise à exécution sans la leur référer, pour obtenir le consentement du peuple de ces colonies. Bien plus, l’état des deux Canadas est tel, que ni les sentiments des parties intéressées, ni l’intérêt de la couronne, ni celui des colonies elles-mêmes, ne permettront pas qu’une seule session, ou même une grande partie d’uns session du parlement se passe, sans que la législature impériale n’en vienne à une décision finale quant aux baes sur lesquelles elle se propose de fonder le gouvernement futur de ces colonies.
Dans les circonstances actuelles, les conclusions auxquelles les considérations ci-dessus me font venir, sont qu’il ne doit pas être perdu de temps de proposer au parlement un bill pour rappeler l’acte de la 31. Geo. III, pour rétablir l’union des Canadas sous une même législature, et les constituer en une seule et même province.
Le bill devrait pourvoir au cas où quelques unes des autres colonies de l’Amérique du Nord désireraient, sur la demande de la législation, et avec le consentement de la Législature Unie des deux Canadas, être admises dans l’Union d’après les conditions qui pourraient être réglées entre elles.
Comme la simple amalgamation des Chambres d’Assemblée des deux provinces ne serait pas prudente, si on ne donnait pas à chacune la partie de la représentation qui lui est due, on devrait nommer une commission parlementaire pour faire les divisions électorales, et déterminer le nombre des membres à élire sur le principe de donner la représentation, autant que possible, en proportion de la population. Je suis opposé à tous les plans qui ont été proposés pour donner un nombre égal de membres aux deux provinces, afin d’atteindre le but temporaire de surpasser en nombre les Français, parce que je pense que l’on peut obtenir le même objet sans aucune violation des principes de la reprétentation et sans aucune apparence d’injustice dans le plan, telle qu’elle soulèverait contre lui l’opinion publique eh Angleterre et en Amérique ; et parce que, lorsque l’émigration aura augmenté la population Anglaise du Haut-Canada, l’adoption d’un tel principe tendrait à nullifier le véritable dessein auquel on veut la faire servir. Il me parait qu’un semblable arrangement électoral basé sur les divisions provinciales actuelles, tendrait à faire manquer le but de l’union, et à perpétuer l’idée de la désunion.
En même temps, pour prévenir la confusion et le danger qui s’en suivraient probablement, si l’on essayait d’avoir des élections populaires dans les districts qui ont été récemment le siège d’une rébellion ouverte, il serait convenable de donner au Gouverneur un pouvoir temporaire de suspendre par proclamation, en faisant connaître spécialement les raisons de sa détermination, les writs des districts électoraux, où il serait d’opinion que les élections ne pourraient se faire avec sûreté.
La même commission formerait un plan de gouvernement local avec des corps électifs subordonnés à la législature générale, et exerçant un entier contrôle sur les affaires locales qui ne tombent point dans le ressort d’une législation générale. Le plan ainsi conçu devrait être établi par un acte du parlement impérial de manière à empêcher la législature générale d’empiéter sur les pouvoirs des assemblées locales.
On devrait aussi établir pour toutes les colonies de l’Amérique du Nord une autorité exécutive constituée d’après un système amélioré avec une cour suprême d’appel. Les autres institutions et les lois des deux colonies devraient rester sans changement, jusqu’à ce que la législature de l’Union trouvât à propos de les modifier ; et le même acte devrait assurer intact les privilèges et immunités de l’église Catholique dans le Bas-Canada.
Là constitution d’un second corps législatif faisant partie de cette législature, renferme des questions d’une très grande difficulté. La constitution actuelle du conseil législatif de ces provinces m’a toujours semblé répugner à de sains principes et être mal calculée pour répondre aux fins de contrebalancer efficacement (ce que je considère essentiel,) la branche populaire de la législature. La Comparaison que quelques personnes ont essayé de faire entre la chambre des Lords et le conseil législatif me semble erronée. La constitution de la chambre des lords répond à la composition de la société anglaise, et comme la création d’un corps parfaitement semblable est impossible dans l’état de société des colonies, il m’a toujours semblé peu sage d’essayer de le remplacer par un autre qui n’a aucune ressemblance quelconque avec lui, si ce n’est d’être un échec non électif à la branche élective de la législature. La tentative de confier un tel pouvoir à un petit nombre de personnes qui ne sont distinguées de leurs compatriotes colons ni par leur naissance ni par leurs propriétés héréditaires, et n’ayant souvent que des rapports passagers avec le pays, ne semble que devoir éterniser la jalousie et les passions haineuses en premier lieu, et bientôt enfin amener une collision. Je pense que quant la nécessité de compter sur le caractère britannique du conseil législatif pour réprimer dans le Bas-Canada les préjugés nationaux d’une assemblée composée de l’origine française, auront disparu par les effets de l’union, peu de personnes dans la colonie seront disposées à approuver la constitution actuelle des conseils. En vérité l’union même ne ferait que compliquer les difficultés existantes déjà sur ce point, parce qu’il deviendra nécessaire de faire un choix satisfaisant de conseillers d’après les intérêts variés d’une société plsB nombreuse et plus étendue.
Il sera donc nécessaire pour la complétion d’aucun plan stable de gouvernement que le Parlement revise la constitution du Conseil Législatif, et le retour des collisions qui ont déjà causé une irritation si dangereuse, en adoptant tous les moyens praticables qui existent pour donner à cette institution un caractère qui le mettra en état, par son opération tranquille et sûre, mais effective, d’agir comme contrepoids utile à la branche populaire de la législature.
Le plan que j’ai dressé pour la régie des terres publiques étant destiné à promouvoir l’avantage commun des colonies et de la mère-patrie, je propose donc que l’administration entière en soit confiée à l’autorité impériale. Les raisons concluantes qui m’ont induit à recommander cette marche se trouveront au long dans le rapport séparé sur le sujet des terres publiques et de l’émigration. Tous les revenus de la Couronne, excepté ceux provenant de cette source, devraient être tout d’abord abandonnés à la Législature Unie, moyennant une liste civile suffisante.
La responsabilité à la Législature Unie de tous les officiers du gouvernement à l’exception du gouverneur et de son secrétaire, devrait être assurée par tous les moyens connus à la constitution Britannique, Le gouverneur, comme représentant de la Couronne, devrait recevoir instruction qu’il doit conduire son gouvernement par le moyen de chefs de départements, qui devront posséder la confiance de la Législature Unie ; et qu’il ne doit attendre des autorités impériales aucun appui dans ses contestations avec la Législature, si ce n’est sur les points qui embrasseront strictement des intérêts impériaux.
L’indépendance des Juges devrait Être assurée, en leur faisant tenir leur office et en leur assurant leurs traitements de la même manière qu’en Angleterre.
La proposition d’aucun vote d’argent ne devrait être permise sans le consentement préalable de la Couronne.
Dans le même acte devrait être comprise la révocation des dispositions législatives payées à l’égard des réserves du clergé, et l’application des fonds qui en proviennent.
Pour favoriser l’émigration sur l’échelle la plus étendue possible, et au plus grand avantage pour tous les intéressés, j’ai ailleurs recommandé un système de mesures, qui a été expressément dressé dans cette vue, après beaucoup de recherches et mûre délibération. Les mesures n’entraîneraient aucunes dépenses ni pour les colonies ni pour la mère-patrie. Jointes aux mesures suggérées pour la disposition des terres publiques, et pour remédier aux maux occasionnés par la mauvaise régie passée de ce département, elles forment un plan de colonisation auquel j’attache la plus grande importance. Les objets, au moins, pour lesquels le plan a été formé, sont de fournir des fonds abondants pour l’émigration, et de créer et améliorer les moyens de communication par toutes les provinces ; de protéger les émigrants des classes ouvrières contre les risques actuels du passage ; de leur assurer à tous un refuge confortable, et de l’emploi avec de bons gages aussitôt après leur arrivée ; d’encourager le versement du surplus des capitaux Britanniques dans ces colonies, en le rendant aussi sûr et aussi profitable qu’aux États-Unis ; d’avancer l’établissement des terres incultes et l’amélioration générale des colonies ; d’augmenter la valeur des propriétés de chacun ; d’étendre la demande des produits des manufactures Britanniques, et les moyens de les payer, à proportion de la somme de l’émigration et l’accroissement général du peuple colonial ; et d’augmenter les revenus coloniaux au même degré.
Lorsqu’on aura examiné les détails de la mesure, avec les motifs particuliers de chacun d’eux, je me flatte que les moyens proposés paraîtront aussi simples que les fins sont grandes ; et qu’ils ne sont pas le fruit d’une considération fantastique ou simplement spéculative du sujet. Ils sont basés sur les faits contenus dans les témoignages d’hommes pratiques, sur des renseignemens authentiques sur les besoins et les ressources des colonies ; sur un examen des circonstances qui ont occasionné un si haut degré de prospérité chez les États voisins ; sur l’opération efficace et les résultats remarquables de méthodes améliorées de colonisation dans d’autres parties de l’empire Britannique ; en partie sur les propositions délibérées d’un Comité de la Chambre des Communes ; et enfin sur l’opinion favorable de tout homme intelligent dans les colonies dont j’ai pris l’avis. Ces moyens, il est vrai, entraînent un changement de système considérable, ou plutôt l’adoption d’un système là où il n’y en avait aucun ; mais cela, si l’on considère le nombre et la grandeur des erreurs passées et le présent état économique misérable des colonies, semble être plutôt une recommandation qu’une objection. Je ne me flatte pas qu’on puisse faire tant de bien sans efforts ; mais en faisant cette suggestion comme en faisant les autres, j’ai présumé que le gouvernement et la Législature Impériale apprécieraient la crise actuelle dans les affaires de ces colonies, et qu’ils ne reculeraient devant aucun effort nécessaire pour les conserver à l’empire.
J’ose espérer qu’en adoptant les diverses mesures que je recommande, on peut arrêter les maux de ces colonies, et assurer leur bien-être futur et leur connexion avec l’empire Britannique. Je ne puis, comme de raison, parler avec une entière confiance du résultat certain de mes suggestions, car il semble que c’est presque pousser l’espérance trop loin que d’espérer que l’application tardive du remède même le plus hardi guérisse des maux si anciens et si étendus ; et je sais aussi qu’autant dépendra de la vigueur et de la prudence consistantes de ceux qui auront à la mettre à effet, que de l’excellence de la politique suggérée. Les maux profondément enracinés du Bas-Canada demanderont une grande fermeté pour être guéris. Ceux du Haut-Canada qui me paraissent provenir entièrement de simples vices dans son système constitutionnel, disparaîtront, je pense, par l’adoption d’un mode plus sain et plus consistant dans l’administration. Une source de confiance pour nous, c’est la réflexion que nous n’avons encore à recourir qu’à des remèdes très simples, pour la première fois ; et nous pouvons ne pas désespérer de gouverner un peuple qui véritablement jusqu’ici n’a connu que très imparfaitement ce que c’était que d’avoir un gouvernement.
Je n’ai pas fait mention de l’émigration sur une grande échelle, comme d’un remède aux maux politiques, car je suis d’avis, que jusqu’à ce que la tranquillité soit rétablie, et, qu’on ait la perspective d’un gouvernement stable et libre, les émigrés ne seront pas enclins à aller au Canada, et peu en tous cas s’y fixeront. Mais, par les moyens que j’ai suggérés, ou par d’autres, on peut rétablir la paix, créer la confiance, et établir un gouvernement populaire et vigoureux. Je compte sur l’adoption d’un système judicieux de colonisation comme une barrière efficace contre le retour d’un grand nombre des maux existants. Si je m’était mépris dans mon calcul des proportions auxquelles les amis et les ennemis de la connexion britannique se rencontreraient dans la Législature, l’émigration d’une seule année pourrait rétablir la balance. C’est par un bon système de colonisation que nous pouvons rendre ces vastes régions profitables au peuple britannique. La mal-administration qui a jusqu’ici gaspillé les ressources de nos colonies, a produit, je le sais, dans l’esprit public, une trop forte disposition à les regarder comme une source de corruption et de perte, et à entretenir, avec trop de complaisance, l’idée de les abandonner comme inutiles. Je ne puis partager l’idée qu’il est, soit de la prudence, soit de l’honneur, d’abandonner nos compatriotes, lorsque notre manière de les gouverner les a jetés dans le trouble, ou notre territoire, lorsque nous découvrons que nous n’en avons pas retiré de profit. On devrait au moins tenter l’expérience de garder nos colonies et de les bien gouverner, avant d’abandonner pour toujours les vastes domaines qui pourraient subvenir aux besoins du surplus de notre population, et procurer des millions de nouveaux consommateurs aux produits de nos manufactures, et de producteurs des approvisionnements propres à nos besoins.
Les plus chauds admirateurs, et les adversaires les plus déterminés des institutions républicaines, admettent ou avancent que la prospérité merveilleuse des États-Unis, est moins due à la forme de leur gouvernement qu’à l’abondance illimitée de terres fertiles, qui maintiennent les générations successives dans une affluence toujours égale de sol fertile. Une région aussi étendue et aussi fertile est ouverte aux sujets de votre Majesté dans les possessions Américaines de votre Majesté. Les améliorations récentes dans les moyens de communication rendront sous peu de temps, les terres inoccupées du Canada et du Nouveau-Brunswick d’un accès aussi facile aux Isles Britanniques, que le sont les territoires d’Iowa et le Wisconsin à cette émigration incessante qui laisse annuellement la Nouvelle-Angleterre pour le Far West.
Je ne vois donc aucune raison pour douter qu’avec un bon gouvernement, et l’adoption d’un bon système de colonisation, les possessions Britanniques de l’Amérique Septentrionale ne puissent servir ainsi à procurer aux classes souffrantes de la mère-patrie plusieurs des avantages qu’on a supposés être, jusqu’à présent, particulière à l’état social du nouveau monde.
En conclusion, je dois insister auprès des aviseurs de votre Majesté, et du Parlement Impérial, sur la nécessité d’un arrangement prompt et décisif de cette importante question, non seulement à raison de l’étendue et de la variété d’intérêts, embrassant le bien-être et la sécurité de l’empire Britannique, que chaque heure de délai met en danger, mais aussi à cause de l’état de l’esprit public dans toutes les possessions de votre Majesté dans l’Amérique Septentrionale, et surtout dans les deux Canadas.
Dans les diverses dépêches adressées au Secrétaire d’état de votre Majesté, j’ai donné une simple description de cet état des esprits, selon les manifestation que je trouvai qu’en donnaient toutes les classes et tous les partis, en conséquence des événements qui se passèrent dans la dernière session du Parlement Britannique. Je ne fais pas maintenant allusion aux Canadiens Français, mais à la population Anglaise des deux provinces. On trouve une ample preuve de ces sentiments dans les adresses qui me furent présentées de toutes les parties des colonies de l’Amérique Septentrionale, et que j’ai insérées dans l’appendice à ce rapport. Mais, toutes fortes qu’étaient les expressions de regret et de désappointement à l’égard de la destruction soudaine des espérances que les Anglais avaient entretenues de voir se terminer promptement et d’une manière satisfaisante l’état de confusion et d’anarchie dont ils souffraient depuis si longtemps, elles deviennent insignifiantes, comparées au danger provenant des menaces de séparation et d’indépendance, qu’on me rapporta de tous les quartiers se proférer ouvertement et généralement. Je réussis heureusement à calmer cette irritation pour le temps, en dirigeant l’esprit public vers la perspective des remèdes que la sagesse et la bienveillance de votre Majesté porteront naturellement votre Majesté à sanctionner, lorsqu’ils seront présentés à la considération de votre Majesté. Mais les bons effets produits par la responsabilité que j’assumai seront détruits, tous ces sentiments se réveilleront avec une violence redoublée, et le danger deviendra incommensurablement plus grand, si ces espérances sont une fois frustrées, et si la Législature Impériale manque d’appliquer un remède immédiat et final à tous les maux dont les sujets de votre Majesté en Amérique se plaignent, et dont j’ai donné tant de preuves.
Pour ces raisons je sollicite instamment l’attention de votre Majesté à ce rapport. C’est le dernier acte de l’accomplissement loyal et conscientieux des hauts devoirs qui me furent imposés par la commission qu’il plût gracieusement à votre Majesté de me confier. J’espère humblement que votre Majesté le recevra favorablement, et croira qu’il a été dicté par le sentiment le plus dévoué de loyauté et d’attachement envers la personne et le trône de votre Majesté, par le sentiment le plus fort du devoir public, et par le désir le plus vif de perpétuer et raffermir la connexion entre cet empire et les colonies de l’Amérique Septentrionale, qui formeraient alors un des plus brillants ornements de la Couronne Impériale de votre Majesté.
Londres, 31 Janvier, 1839.