Rapport de Lord Durham/04

La bibliothèque libre.

DISPOSITION DES TERRES PUBLIQUES–ÉMIGRATION.

J’ai mentionné l’importance particulière qu’on attache dans les sociétés nouvellement établies, aux travaux propres à créer et améliorer les moyens de communication. Mais dans ces sociétés, et surtout lorsqu’une petite proportion seulement de la terre est occupée par des habitants, il y a encore un sujet plus important d’intérêt public. Je veux parler d’une opération du gouvernement qui a une influence des plus puissantes sur le bonheur des individus, et les progrès de la société vers la richesse et la grandeur. Je parle de la disposition par le gouvernement des terres du nouveau pays. Dans les anciens pays une pareille chose n’occupe jamais l’attention publique ; dans de nouvelles colonies, établies sur un territoire fertile et étendu, c’est un objet du plus haut intérêt pour tous et la première affaire du gouvernement. On peut presque dire que tout dépend de la manière dont cette affaire est conduite. Si les terres ne sont pas accordées aux habitants et aux nouveaux venus d’une main libérale, la société endure les maux d’un vieil état trop peuplé avec en outre les inconvénients qui appartiennent à un pays non cultivé. Ils sont pressés faute de place même au milieu du désert, ils ne peuvent choisir les sols les plus fertiles et les situations les plus favorables, et on les empêche de cultiver de grandes étendues de terre, à proportion des mains qui sont à l’ouvrage, ce qui peut seul compenser en quantité de produits la culture grossière suivie dans le désert. Si d’un autre côté, on donne la terre sans soin, avec profusion, il en résulte de grands maux d’une autre sorte. De vastes étendues deviennent la propriété d’individus, qui laissent leurs terres sans culture et intactes.

Des déserts sont ainsi interposés entre les colons industrieux ; les difficultés naturelles des communications sont grandement augmentées ; les habitants ne sont pas seulement épars sur une vaste étendue de pays, mais sont séparés entre eux par des eaux inguéables ; le cultivateur se trouve sans accès ou très éloigné d’un marché où il puisse disposer du surplus de ses produits et se procurer d’autres commodités ; et les plus grands obstacles existent à la coopération dans les travaux, à l’échange, à la division des emplois, à la combinaison pour des fins municipales ou autres, à la formation de villes, au culte public, à l’éducation régulière, à la diffusion des nouvelles, à l’acquisition des connaissances ordinaires, et même aux influences civilisatrices des simples réunions de plaisir. Monotone et stagnant en vérité doit toujours être l’état d’un peuple qui est permanemment condamné à une pareille séparation les uns des autres. Si de plus les terres d’un nouveau pays sont si négligemment arpentées, que les limites des propriétés soient inexactement ou insuffisamment définies, le gouvernement fait un amas de procès pour le peuple. Tout délai qui survient dans la confection des titres des individus aux terres aliénées par le gouvernement occasionne une égale insécurité et incertitude dans les propriétés. Si l’acquisition des terres en quelque quantité que ce soit est rendue difficile ou cause du trouble, ou est sujette à quelque incertitude ou délai inutile, les requérants s’irritent, l’établissement du pays est retardé, et l’immigration dans la colonie découragée, en même temps qu’on y excite l’émigration. Si des méthodes bien différentes de procéder ont effet dans la même colonie, ou dans différentes parties du même groupe de colonies, l’opération de quelques-unes ne peut manquer d’intervenir dans les opérations des autres et de les entraver ; de sorte que l’objet du gouvernement doit manquer quelque part ou en quelque temps. Et des changements fréquents de système suivront certainement beaucoup, non seulement en mécontentant probablement ceux qui obtiennent des terres immédiatement auparavant, ou qui désirent en obtenir immédiatement après chaque changement, mais aussi, en donnant un caractère d’irrégularité, d’incertitude, et même de mystère, au procédé le plus important du gouvernement. De cette manière l’établissement du pays et l’immiration sont découragés en autant que le peuple de la colonie et celui de la mère-patrie, ont privée de toute confiance dans la permanence d’aucun système, et d’une connaissance familière d’aucune des méthodes temporaires. Il serait facile de citer beaucoup d’autres exemples de l’influence du gouvernement dans cette matière. Je n’en citerai qu’un de plus ici. Si la disposition des terres se fait avec partialité, avec faveur, à des personnes ou classes particulières, le résultat certain est l’aigreur de tous ceux qui ne profitent pas d’un tel favoritisme (le nombre le plus grand de beaucoup comme de raison) et par suite la dépopularisation générale du gouvernement.

Sous des suppositions contraires à celles qui précèdent, on aura les meilleurs effets au lieu des pires ; une quantité constante et régulière de terre à concéder en proportion convenable aux besoins d’une population croissante par les naissances et l’immigration ; tous les avantages auxquels les facilités de transport et de communication sont essentielles ; la certitude des limites et la sécurité des titres de propriété des terres : les plus grandes facilités à en acquérir une quantité convenable ; les plus grands encouragements à l’établissement et à l’immigration ; les progrès les plus rapides du peuple en aisance matérielle et en avancement social, et un sentiment général d’obligation envers le gouvernement. Quel contraste présente les deux tableaux ! Ni l’un ni l’autre n’est trop forcé en couleurs ; et un simple coup d’œil jeté sur l’un et l’autre suffit pour montrer que dans les colonies d’Angleterre dans l’Amérique Septentrionale, comme dans les États-Unis, la fonction de l’autorité la plus féconde, en conséquences bonnes ou mauvaises, a été la disposition des terres publiques.

Ayant avant mon départ d’Angleterre conçu le sentiment de la grande importance de ce sujet, et nourrissant l’espoir fondé sur le succès très remarquable d’une nouvelle méthode de disposer des terres publiques dans les colonies Australiennes de votre majesté, que je pourrais recommander des réformes avantageuses dans les provinces de l’Amérique Septentrionale, j’eus le soin d’instituer une enquête tout-à-fait complète, sur tout le sujet en général et dans ses détails. Et je fus d’autant plus disposé à le faire, que pendant qu’une enquête faite par un comité spécial de la Chambre des Communes en 1836 fournissait des renseignements abondants sur le sujet, quant à la plupart des parties de l’empire colonial de votre majesté, les provinces de l’Amérique Septentrionale avaient été spécialement exclues de cette enquête ; et je ne pouvais obtenir en Angleterre aucuns renseignements authentiques, ou au moins suffisants, sur la disposition des terres publiques dans aucune d’elles. — Peu de temps après mon arrivée au Canada, je vis plus clairement que jamais, l’expédience d’une enquête approfondie sur le sujet. Une croyance commune sur la grande étendue de mes pouvoirs fit revivre des plaintes innombrables contre les abus, et des demandes de justice ou de faveur, qui dormaient depuis plusieurs années. Pendant ma résidence dans les Canadas, il se passa un jour à peine sans que je reçusse quelque pétition ou représentation relative au département des terres de la couronne ; et les matières appartenant à cette branche du gouvernement, occupèrent nécessairement une bien plus grande portion qu’aucune autre de ma correspondance avec le Secrétaire d’État. Les informations que je possède maintenant, je les ai principalement obtenues par le moyen d’une commission d’enquête, laquelle se rapportant aux avantages probables d’un système uniforme pour toute l’Amérique Septentrionale Britannique, et à l’intérêt profond et universel que les colons prennent à ce sujet, je fis émaner au nom de votre majesté, et étendis à toutes les provinces. Les minutes des témoignages donnés devant les commissaires sont annexées au présent rapport, avec un rapport séparé, contenant l’esquisse d’un plan pour l’administration future de ce département le plus influent du Gouvernement. Si votre majesté et le Parlement Impérial adoptent ce plan, ou tout autre fondé sur des principes semblables, je crois fermement qu’il sera donné à la prospérité des possessions de votre majesté dans l’Amérique Septentrionale une impulsion, qui surpassera ce que leur meilleur ami, qui ne connaîtrait pas les faits, serait incapable d’imaginer ; et plus propre qu’aucune autre réforme à attacher le peuple de l’Amérique Septentrionale Britannique au trône de votre majesté, et à cimenter et perpétuer une connexion intime entre les colonies et la mère-patrie. Il me faudra revenir sur ce point ci-après. J’en ai fait mention ici pour inviter l’attention de votre majesté, et réveiller celle de vos ministres et de votre parlement sur un sujet qui, quelque peu d’intérêt que le Gouvernement Impérial y a donné jusqu’à présent, est un objet de discussions constantes et pressantes dans le colonies.

Aux États-Unis, depuis l’année 1796, la disposition des terres publiques non déjà appropriées à des états particuliers a été strictement réglée par une loi du Congrès — non par des lois différentes de diverses parties du pays, mais par une seule loi pour la totalité des terres publiques, et qui est une loi qui a été, comme on en peut juger, favorable à la prospérité du peuple, tant par ses bons effets qui sont évidents, que par sa continuation presque hors de doute pendant tant d’années. Dans les colonies de l’Amérique Septentrionale Britannique, à une exception partielle près, il n’y a jamais eu, jusqu’à tout récemment, aucune loi sur le sujet. Toutes les terres publiques ont été censées être la propriété de la couronne, et toute l’administration pour en disposer en faveur des individus, dans la vue de les faire établir, a été conduite par des officiers, de la couronne, sous l’autorité d’instructions de la trésorerie ou du département colonial en Angleterre. Les assemblées provinciales, si ce n’est tout récemment au Nouveau-Brunswick et au Haut-Canada, n’ont jamais eu de voix sur le sujet ; et dans ces deux cas, le contrôle populaire n’est guère que nominal. Le Parlement Impérial n’est jamais intervenu qu’une fois, alors que, laissant le reste de côté, il établit le malheureux système des « réserves du clergé. » À ces légères exceptions près, les Lords de la Trésorerie et le Secrétaire d’État pour les colonies pour le temps ont été les seuls législateurs ; et les Agents Provinciaux du Secrétaire Colonial, responsables à lui seulement, ont été les seuls exécuteurs.

Le système des États-Unis paraît combiner toutes les principales conditions de la plus grande efficacité. Il est uniforme dans toute la vaste confédération ; et est inaltérable, si ce n’est par le Congrès, et n’a jamais été considérablement changé ; il rend facile l’acquisition de nouvelles terres, et cependant, par le moyen d’un prix, il restreint les concessions aux besoins actuels du colon ; il est si simple qu’on le comprend facilement ; il pourvoit à l’arpentage soigné des terres et prévient les délais inutiles ; il donne sur le champ un titre sûr ; il n’admet aucun favoritisme, mais il distribue la propriété publique entre toutes les classes et personnes sur un pied de parfaite égalité. Ce système a produit une somme d’immigration et d’établissement dont l’histoire du monde n’offre aucun autre exemple ; et il procure aux États-Unis un revenu qui a été, terme moyen, d’environ un demi-million par an, et qui a monté une fois dans douze mois à quatre millions sterling, ou plus que toutes les dépenses du gouvernement fédéral.

Dans les colonies de l’Amérique Septentrionale, il n’y a jamais eu de système. Plusieurs méthodes ont été mises en usage, et cela non seulement dans les différentes colonies, mais dans chaque colonie en différents temps, et dans la même colonie dans le même temps. Il paraîtrait que les objets, qu’on a eus en vue étaient de produire la plus grande diversité et les changements les plus fréquents. Il n’y a eu de l’uniformité qu’à un égard. Partout a eu lieu la plus grande profusion, de sorte que dans toutes les colonies, et presque dans toutes les parties de chaque colonie, le gouvernement a aliéné plus et beaucoup plus de terres, que les concessionnaires n’avaient dans le temps et n’ont encore de moyens pour les défricher et mettre en culture ; et cependant dans toutes les colonies, jusqu’à dernièrement, et encore maintenant dans quelques-unes, il est ou très difficile ou presque impossible à une personne sans influence d’obtenir des terres publiques. Dans toutes les colonies, et dans quelques unes d’entre elles à un degré qu’on ne croirait pas, si le fait n’était établi par des témoignages irrécusables, les arpentages ont été plus ou moins inexacts, et les limites et même la situation des biens sont incertaines à proportion. Partout des délais inutiles ont harrassé et exaspéré les requérants ; et partout, je suis fâché, mais forcé de le dire, a plus ou moins prévalu un grossier favoritisme dans la disposition des terres publiques. Je n’ai mentionné qu’une partie des maux, griefs et abus, dont les sujets de votre Majesté dans les colonies se plaignent justement, comme découlant de la mal-administration de ce département. Ces maux restent encore tout-à-fait sans remède, la plupart des griefs sans redressement, et il y a beaucoup de ces abus qui sont encore à réformer. Des témoignages et preuves irrécusables m’ont imposé la conviction de leur existence actuelle. S’ils eussent été passés, j’en aurais à peine parlé. Si j’avais l’espoir de les voir disparaître autrement qu’en leur donnant une publicité authentique, j’aurais hésité à en parler de la manière que je l’ai fait. Comme il en est, je remplirais mal le devoir qu’il à plu à votre Majesté de me confier, si je ne les décrivais dans les termes les plus clairs.

Les résultats d’une longue mal-administration dans ce département sont tels que toute personne qui entendrait le sujet les aurait prévus. L’administration des terres publiques, au lieu de produire toujours un revenu, coûta pendant longtemps plus qu’elle ne rapporta. Mais c’est là, j’ose penser, une légère considération comparée aux autres. Il y en a une en particulier, qui a frappé tout observateur qui a voyagé dans ces régions, et qui est un sujet dont on se vante constamment dans les états limitrophes à nos colonies, je veux dire le contraste frappant que présentent le côté Américain et le côté Britannique sur la ligne frontière, à l’égard de tous les signes de l’industrie productive, de la richesse croissante et de la civilisation progressive.

En décrivant un côté, et en renversant le tableau, l’autre se trouverait aussi décrit. Du côté Américain tout est activité et animation. La forêt a été défrichée au loin ; chaque année il se forme de nombreux établissements, et des milliers de fermes sont créées à même le désert ; le pays est traversé par des chemins publics : les canaux et les chemins de fer sont achevés, ou en train de l’être, les voies de communication et de transport sont couvertes de monde, et animées par de nombreux charriots et de grands bateaux à vapeur. L’observateur est surpris du nombre des havres sur les lacs, et du nombre de vaisseaux qu’ils contiennent, tandis que des ponts, des embarcadères artificiels et des quais commodes se construisent dans toutes les directions aussitôt que le besoin s’en fait sentir. On voit presque sortir de la forêt de bonnes maisons, des magasins, des moulins, des auberges, des villages, des villes et même de grandes cités. Chaque village a sa maison d’école et sa chapelle, chaque ville en a plusieurs avec ses édifices de township, ses librairies, et probablement une ou deux banques et journaux ; et les cités avec leurs belles églises, leurs grandes hôtelleries, leurs bourses, leurs cours de justice, et leurs hôtels municipaux, de pierre ou de marbre si nouveaux et si frais, qu’ils marquent l’existence récente de la forêt sur leurs sites, seraient admirés dans toutes les parties du monde. Du côté Britannique de la ligne à l’exception de quelques lieux favorisés, où l’on voit quelque chose d’approchant de la prospérité Américaine, tout parait désert et désolé. Il n’y a qu’un chemin de fer dans l’Amérique Septentrionale Britannique, et ce chemin courant entre le St. Laurent et le Lac Champlain, n’a que 15 milles de long. L’ancienne cité de Montréal, qui est par la nature la capitale commerciale des Canadas, ne peut supporter, la moindre comparaison avec Buffalo qui ne date que d’hier. Mais ce n’est pas dans la différence entre les grandes villes des deux côtés que l’on trouvera la meilleure preuve de notre propre infériorité. Cette triste et incontrovertible vérité est plus manifeste dans les campagnes à travers lesquelles la ligne de séparation nationale passe l’espace de 1000 milles. Là, du côté des deux Canadas, et aussi du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, une population éparse de loin en loin, pauvre et en apparence non entreprenante, quoique vigoureuse et industrieuse, séparé les uns des autres par des étendues de forêts, sans villes, ni marchés, presque sans chemins, vivant dans de misérables maisons, n’arrachant guère plus qu’une subsistance grossière d’une terre mal cultivée, et paraissant incapable d’améliorer sa condition, présente le contraste le plus instructif avec ses voisins entreprenants et prospères du côté Américain. J’ai été assuré que dans les townships de l’Est du Bas-Canada situés sur la ligne, c’est une pratique commune parmi les colons, lorsqu’ils veulent s’assembler, d’entrer dans l’état de Vermont, et de se servir des chemins qui y sont ouverts pour arriver à leur destination dans la Province Britannique. Le Major Head, Assistant Commissaire, dans l’enquête sur les terres de la Couronne, que j’envoyai au Nouveau-Brunswick, dit qu’en voyageant près de la ligne frontière entre cette province et l’état du Maine, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, il pouvait toujours dire de quel côté il était par la supériorité frappante des établissements Américains à tous égards. Où les deux pays sont séparés par le St. Laurent et les lacs, cette différence est moins perceptible, mais pas moins de fait, je puis m’en rapporter aux rapports unanimes de nombreux témoins oculaires, qui n’avaient aucun motif pour me tromper. Pour corroboration ultérieure je pourrais en effet renvoyer à des publications nombreuses laissées sans contradiction ; et il y a de ceci une preuve de cette sorte si remarquable, que je suis induit à la signaler spécialement. Un ouvrage très populaire, qu’on sait être sorti de la plume d’un des principaux fonctionnaires de votre Majesté dans la Nouvelle-Écosse, abonde en assertions et en exemples de la condition arriérée et stationnaire de cette province et de la grande supériorité des établissements Américains. Quoique l’auteur qui n’était pas naturellement enclin à mettre en question l’excellence du gouvernement, attribue cette circonstance mortifiante entièrement à la folie du peuple, qui néglige ses fermes pour s’occuper à se plaindre de griefs et d’abus, il ne laisse aucun doute sur le fait.

Cette observation se trouve confirmée par un autre fait également incontrovertible. Sur toute la frontière, depuis Amherstburg jusqu’à l’Océan, la valeur courante des terres est beaucoup plus élevée du côté Américain que du côté Britannique. Dans plusieurs parties de la frontière, cette différence monte jusqu’à £1000 pour cent, et même davantage dans quelques cas. La différence commune entre le Haut-Canada et les États de New-York, et de Michigan, est notoirement de plusieurs cent pour cent. M. Hasting Kerr, de Québec, qu’on suppose généralement avoir sur la valeur des terres dans le Bas Canada des connaissances plus étendues et plus exactes que qui que ce soit, déclare que le prix des terres incultes dans Vermont et New-Hampshire, auprès de la Ligne, est de cinq piastres l’acre, et d’une piastre seulement dans les townships Britanniques avoisinants. De ce côté-ci de la ligne une très-grande étendue de terre ne trouve aucun acheteur, même à ces bas prix ; tandis que de l’autre côté les terres changent continuellement de mains. Le prix de 2s. ou 3s. l’acre achèterait d’immenses étendues de terre dans le Bas-Canada et au Nouveau-Brunswick. Dans les États voisins on aurait de la peine à s’en procurer un seul lot pour moins d’autant de piastres. À Stanstead et auprès, township situé sur la frontière du Bas-Canada, l’un des plus avancés en améliorations, 48,000 acres de belle terre dont le gouverneur R. S. Eaine obtint la concession en sa faveur en 1800, furent récemment vendus au prix de 2s. l’acre. M. Stayner, le Député Maître Général de la Poste, et l’un des plus grands propriétaires de terres incultes du Bas-Canada, dit : « il y a vingt ans ou environ, j’achetai des terres incultes à un prix qu’on considérait bas alors, dans l’espérance naturelle qu’elles augmenteraient graduellement en valeur, et que, lorsque je voudrais les vendre, ce serait à un profit raisonnable pour l’argent ainsi employé. Cependant, loin de voir cette espérance se réaliser, je trouve maintenant, après le lapse de tant d’années, que l’intérêt accumulé sur l’argent versé a augmenté le prix coûtant de 150 pour cent — je trouve, dis-je, que si j’étais forcé de vendre ces terres, je ne trouverais pas plus qu’elles m’ont coûté dans l’origine. » J’ai appris d’autres que de M. Kerr, mais je cite ses paroles, que « le système suivi dans la concession des terres de la Couronne dans le Bas-Canada, a empêché qu’on ne pût obtenir de l’argent en hypothéquant ces terres, parce qu’il n’y a aucune certitude sur leur valeur ; lorsqu’une vente forcée a lieu, le marché peut se trouver tout-à-fait encombré et sans acheteurs. Je pourrais citer une foule de semblables témoignages. On pourrait supposer, sans connaître le pays sur la frontière, que le sol est d’une qualité bien supérieure du côté Américain. J’ai reçu l’assurance positive que ce n’est nullement le cas ; mais que sur l’ensemble le territoire Britannique est doué d’une fertilité naturelle supérieure. Dans le Haut-Canada, toute la grande péninsule entre les lacs Érié et Huron, comprenant près de la moitié de la terre exploitable de la province, consistant en un sol alluvial légèrement ondulé, et, avec une moindre proportion de terre inférieure, peut-être, qu’aucune semblable étendue de terre dans aucune partie de l’Amérique Septentrionale, passe généralement pour le meilleur pays à grain de tout le continent. Le sol des townships sur la frontière du Bas-Canada est admis de toute part être supérieur à celui des Townships limitrophes de New-York, Vermont et New-Hampshire ; tandis que les terres du Nouveau-Brunswick, égales en fertilité naturelle à celles du Maine, jouissent de moyens naturels de communication bien supérieurs. Je ne crois pas que la différence universelle dans la valeur de la terre puisse être en aucune façon attribuée à des causes naturelles.

On ne peut pas non plus attribuer à de telles causes une autre circonstance, qui explique jusqu’à un certain point la différence dans la valeur des propriétés, et qui a un rapport intime avec le sujet des terres publiques — je veux parler de l’émigration considérable qui se fait des colonies Britanniques aux états limitrophes. C’est un fait notoire ; personne ne le nie ; presque chaque colon en parle avec regret. Il serait difficile de s’assurer avec précision quelle est la proportion de ces émigrés venant du Royaume-Uni, qui aussitôt après leur arrivée passent du côté des États-Unis. M. Bell Forsyth de Québec, qui a donné beaucoup d’attention au sujet, et qui a eu les meilleures occasions de faire des observations exactes dans les deux Canadas, estime cette proportion à 60 pour cent sur la totalité. M. Hawke, principal Agent pour l’émigration dans le Haut-Canada, calcule que sur les deux tiers des émigrés qui arrivent dans cette province par le St. Laurent, un tiers ré-émigrent aux États-Unis principalement pour s’y établir. Il paraîtrait cependant que le chiffre de l’émigration du Haut-Canada, nouveaux venus et autres, doit se rapprocher davantage de l’estimation de M. Forsyth. La population fut supputée à 200,000 âmes en janvier 1830. L’accroissement par les naissances depuis ce temps aurait dû être d’au moins trois pour cent par an, ou 54,000. M. Hawke dit que le nombre des émigrés du Bas-Canala depuis 1829 a été de 166,000 ; supposant que ceux-ci aient aussi augmenté de trois pour cent, l’accroissement total par l’immigration et les naissances aurait dû être de près de 200,000. Mais l’estimation de M. Hawke de l’immigration ne tient pas compte du nombre considérable qui entre dans la province par la voie de New-York et du canal de l’Érié. Ne portant ces derniers qu’à 50,000, ce qui est probablement au-dessous de la vérité, et en ne faisant aucune addition pour leur accroissement par les naissances, la population entière du Haut-Canada devrait être maintenant de 500,000, tandis que d’après les estimations les plus dignes de confiance elle ne dépasse pas 400,000. Il paraîtrait donc qu’en faisant toutes les allouances pour erreur dans ce calcul, le nombre des personnes qui ont émigré du Haut-Canada aux États-Unis depuis 1829 doit être égal à plus de la moitié du nombre qui sont entrés, dans la province pendant les huit années. M. Hawke, le commissaire actuel des terres de la couronne au Nouveau-Brunswick, dit — « une grande quantité d’émigrés arrivent dans cette province, mais ils passent généralement aux États-Unis, faute d’encouragement suffisant pour eux dans cette province. » M. Morris, le présent commissaire des terres de la couronne, et arpenteur-général de la Nouvelle-Écosse, parle presque dans les mêmes termes des émigrés qui arrivent dans cette province par la voie d’Halifax.

Je suis loin d’avancer que la valeur très inférieure de la terre dans les colonies Britanniques, et la ré-émigration des émigrés qui y arrivent, sont entièrement dus à la mal-administration dans la concession des terres publiques. D’autres vices et erreurs du gouvernement doivent avoir eu leur part dans la production de ces déplorables résultats ; mais je ne fais que rapporter l’opinion des plus intelligents, et je puis ajouter, de quelques-uns des plus loyaux sujets de votre Majesté dans l’Amérique Septentrionale, lorsque je dis que cela a été la principale cause de ces grands maux. Cette opinion repose sur la connaissance personnelle qu’ils ont de faits nombreux. Je vais maintenant citer quelques-uns de ces faits. Ils ont été choisis parmi une foule d’autres, comme étant particulièrement propres à faire ressortir les défauts du système, son influence sur la condition du peuple, et la nécessité d’une réforme complète. Je puis ajouter que plusieurs d’entre eux forment le sujet de dépêches que j’ai adressées au secrétaire d’état de votre Majesté.

J’ai déjà remarqué que presque toutes les différentes méthodes suivies par le gouvernement ont eu une mauvaise tendance en particulier — elles ont eu l’effet de placer une vaste étendue de terre hors du contrôle du gouvernement, et cependant de les laisser dans un état inculte. C’est un mal qui a été produit dans toutes les colonies également, et les exposés suivants feront voir jusqu’à quelle étendue le mal a été poussé, et quelles en ont été les conséquences préjudiciables.

Par les retours officiels qui accompagnent ce rapport, il appert que sur environ 17,000,000 d’acres compris dans les divers districts du Haut-Canada, il n’en reste pas maintenant 1,600,000 acres à concéder, et ce chiffre comprend 450,000 acres de réserve pour les chemins, laissant moins de 1,203,000 acres à concéder ; et sur ce résidu, il faudra prendre 500,000 pour satisfaire aux réclamations pour concessions de terres fondées sur des promesses du gouvernement. À l’avis de M. Rudenhurst, qui remplit réellement les fonctions d’arpenteur-général, les 700,000 acres qui restent, consistent en plus grande partie de terre inférieure en qualité ou en position. On peut donc presque dire, que le gouvernement a aliéné toutes les terres du Haut-Canada. Dans le Bas-Canada, sur 6,169,693 acres dans les Townships arpentés, près de 4,000,000 d’acres ont été concédés ou vendus ; et il existe des réclamations indisputables auxquelles il reste à satisfaire pour environ 500,000 acres. Dans la Nouvelle-Écosse il a été concédé près de 6,000,000 d’acres, et l’arpenteur-général est d’avis qu’il n’y a que le huitième environ des terres qui restent à la couronne, ou 300,000 acres, qui est propre à la culture. L’Isle entière du Prince-Édouard, environ 1,400,000 acres fut aliénée en un seul jour. Dans le Nouveau Brunswick il a été concédé ou vendu 4,400,000 acres, laissant à la couronne environ 11,000,000, dont 5,500,000 sont considérés propres à être établis immédiatement.

Des terres octroyées dans le Haut et le Bas-Canada, plus de 3,000,000, d’acres consistant en « réserves du clergé, » étant pour la plupart des lots de 200 acres chacun, répartis à des intervalles réguliers sur toute l’étendue des Townships, et restant à peu d’exceptions près, encore entièrement incultes. Les maux résultant du système de réserver des terres pour le clergé sont devenus notoires même en ce pays, et il règne, je crois, une opinion générale ici, que non seulement on a renoncé à ce système, mais qu’il a été adopté des mesures curatives. Cette opinion est incorrecte sur les deux points. Dans tous les nouveaux Townships dans les deux provinces, on fait encore, comme auparavant, les réserves pour le clergé ; et l’acte du Parlement Impérial qui permet la vente des réserves du clergé, ne s’applique qu’à un quart du total. Le comité spécial de la chambre des communes sur le gouvernement civil du Canada, fit rapport en 1828, que « ces terres réservées comme elles sont maintenant distribuées par tout le pays, retardent plus qu’aucune autre circonstance l’avancement de la colonie, éparses qu’elles sont dans des parties séparées de chaque Townships, et séparant les terres occupées par des colons résidents, qui n’ont aucun moyen de percer des chemins à travers les bois et les marécages qui les séparent ainsi de leurs voisins. » Cette description est parfaitement applicable à l’état présent des choses. Il n’a été en aucune manière perceptiblement remédié à ce mal.

Le système des réserves du clergé fut établi par l’acte de 1791, communément appelé l’Acte Constitutionnel, qui ordonna que, dans tous les octrois faits par la couronne, il fut ainsi réservé pour le clergé une quantité égale à un septième des terres ainsi octroyées. Une quantité égale à un septième de tous les octrois serait un huitième de chaque township ou de toutes les terres publiques. Au lieu de cette proportion, la pratique a été depuis la passation de l’acte, et en violation palpable de ses dispositions, de mettre de côté pour le clergé dans le Haut Canada un septième de toutes les terres, ce qui est une quantité égale à un sixième des terres concédées. Il a été approprié à cette fin 300,000 acres, qui légalement appartiennent manifestement au public. Et du prix de la vente de ces terres dans cette province — savoir £317,000 (dont environ £100,000 ont déjà été reçus et versés dans les fonds Anglais), la somme d’environ £45,000 devrait appartenir au public.

Dans le Bas-Canada la même violation de loi a eu lieu, avec cette différence, qu’à chaque vente des réserves de la couronne et du clergé, il a été fait pour le clergé une nouvelle réserve égale à un cinquième de telles réserves. Le résultat a été l’appropriation pour le clergé de 673,567 acres, au lieu de 446,000, étant un excédant de 327,559 acres, ou moitié plus encore qu’il n’aurait dû recevoir. Le fond du Bas-Canada déjà produit par les ventes monte à £50,000, dont par conséquent un tiers, ou £16,000 environ, appartient au public. Si cet abus n’est pas réformé, et que toutes les réserves du clergé non vendues dans les deux provinces atteignent le prix commun auquel ces terres ont été vendues jusqu’à présent, le public souffrira une perte d’environ £280,000 ; et la réforme de cet abus assurera au public un gain certain et presque immédiat de £60,000. En renvoyant pour plus amples explications sur ce sujet à un papier dans l’appendice, écrit par M. Hanson, membre de la commission d’enquête, que je nommai pour toutes les colonies, je désire déclarer ma propre conviction que le clergé n’a eu aucune part dans cette grande mésappropriation de la propriété publique, mais qu’elle est provenue entièrement d’une fausse conception due à la négligence, ou de quelque autre erreur du gouvernement civil des deux provinces.

La grande objection aux réserves pour le clergé est que ceux pour qui les terres sont réservées n’ont jamais essayé, et n’ont jamais pu essayer avec succès à les cultiver ou établir, et que, par cette appropriation spéciale, on enlève autant de terre aux défricheurs, laquelle est tenue dans un état inculte au grand détriment des colons des environs. Mais on se tromperait grandement si l’on supposait que c’est la seule pratique qui a causé et cause encore tant de dommages aux défricheurs. Dans les deux Canadas, surtout, la pratique de récompenser, ou d’essayer de récompenser des services publics par des octrois de terres publiques, a produit et produit encore aux colons un tort de l’étendue duquel on se ferait difficilement une idée sans l’avoir vu. Le principe même de ces octrois est mauvais, en autant que, sous toutes circonstances, ils doivent entraîner une somme d’appropriation bien au-delà des besoins de la société, et beaucoup au-dessus des moyens de culture et d’établissement du propriétaire. Ce principe n’a pas seulement été poursuivi avec une profusion effrénée dans le Bas-Canada : mais les gouvernements exécutifs locaux ont agi de manière, en violant ou éludant les instructions qu’ils recevaient du Secrétaire d’État, à ajouter incalculablement aux maux qui seraient résultés dans tous les cas.

Dans le Haut-Canada, 3,200,000 acres ont été octroyés aux « U. E. Loyalistes, » réfugiés des États-Unis qui s’étaient établis dans la province avant 1787, et à leurs enfants ; 730,000 acres aux miliciens, 450 acres à des soldats et matelots déchargés, 255,000 acres à des magistrats et avocats, 136,000 acres à des conseillers exécutifs et à leurs familles, 50,000 acres à cinq conseillers législatifs et à leurs familles, 36,900 acres à des ecclésiastiques comme propriété privée, 264,000 acres à des personnes qui contractaient pour faire des arpentages, 92,526 acres à des officiers de l’armée et de la marine, 500,000 pour doter des écoles, 48,520 acres au colonel Talbot, 12,000 acres aux héritiers du général Brock, et 12,000 acres au Dr. Mountain, précédemment Évêque de Québec ; faisant en tout avec les réserves du clergé, près de la moitié de toutes les terres arpentées de la province. Dans le Bas-Canada, outre les octrois faits à des réfugiés loyalistes, sur la quantité desquels le département des terres de la couronne ne put me donner des informations, 450,000 acres ont été octroyés aux miliciens, 72,000 aux conseillers exécutifs, environ 48,000 acres au gouverneur Milne, plus de 100,000 acres à M. Cushing et un autre (comme récompense pour informations données dans un cas de haute trahison,) 200,000 à des officiers et soldats, et 1,457,209 acres à des « leaders of townships » faisant ensemble, avec les réserves du clergé, un peu plus que la moitié des terres arpentées, originairement à la disposition de la couronne.

Dans le Haut-Canada, une très petite proportion (peut-être moins d’un dixième) de la terre ainsi octroyée a été même occupée par des colons, encore moins défrichée et cultivée. Dans le Bas-Canada, à l’exception des quelques township, situés sur la frontière Américaine que des Squatters Américains ont établis, et jusqu’à un certain point malgré les propriétaires, on peut dire que les dix-neuf-vingtièmes de ces concessions sont encore incultes, dans l’état de nature.

On ne pouvait rien attendre autre chose de la part des classes de concessionnaires dont la position sociale les empêchait de s’établir au milieu de la forêt, et dont les moyens les mettaient en état de négliger les efforts nécessaires pour donner immédiatement de la valeur à leurs terres, et, malheureusement, les terres qui étaient destinées aux classes plus pauvres, qui auraient pu les améliorer par leur travail, sont pour la plus grande partie tombées entre les mains de spéculateurs sur les terres de l’espèce mentionnée ci-dessus, qui n’ont jamais pensé à s’y établir en personne, et qui retiennent les terres dans leur état inculte actuel, dans l’espérance qu’elles acquerront de la valeur par la suite, lorsque l’accroissement de la population aura fait augmenter la demande pour les terres.

Dans le Haut-Canada, dit M. Boulton, qui est lui-même un grand spéculateur et propriétaire de terres incultes, le plan de concéder de grandes étendues de terres à des messieurs qui n’ont ni la force musculaire nécessaire pour aller vivre dans les bois, ni peut-être les moyens pécuniaires pour améliorer leurs terres, a été la cause qu’une grande partie du pays est restée inculte. Le système d’accorder des terres aux enfants de U. E. Loyalists n’a pas produit les avantages, qu’on en attendait. Il n’a été occupé ou amélioré qu’une très petite partie des terres qui leur ont été octroyées. Une bonne portion de ces octrois furent faits à des femmes non mariées, qui s’en défirent volontiers pour peu de chose, dans nombre de cas moyennant de £2 à £5 par lot de 200 acres. Les octrois faits à de jeunes gens furent aussi souvent vendus pour très peu de chose. Ils avaient généralement des parents avec lesquels ils vivaient, et n’étaient pas disposés par conséquent à se transporter sur leurs terres, mais préféraient rester dans leurs familles. Je ne pense pas qu’un dixième des terres accordées aux U. E. Loyalists ait été occupé par ceux à qui elles avaient été octroyées, et dans le plus grand nombre du cas elles n’ont pas été occupées du tout. M. Radenhurst dit : « Le prix général de ces terres était depuis un galon de rum jusqu’à peut-être £6, de sorte que pendant que des millions d’acres étaient ainsi octroyés, l’établissement du pays n’en était pas du tout avancé, sans que le concessionnaire en retirât les avantages que, comme nous le supposons, le gouvernement avait en vue. » Il mentionne aussi, parmi les grands acquéreurs de ces terres, M. Hamilton, membre du conseil législatif, qui acheta environ 100,000 acres de terres, les juges en chef Elmsley et Powell, et le solliciteur-général Grey, qui achetèrent depuis 20,000 jusqu’à 50,000 acres ; et il dit que plusieurs membres des conseils exécutif et législatif, aussi bien que de la chambre d’assemblée, en achetèrent de grandes quantités. »

Dans le Bas-Canada, les octrois aux leaders et associés furent faits en éludant des instructions. Ce point mérite une description particulière.

Les instructions données à l’exécutif local immédiatement après la passation de l’acte constitutionnel, portaient ce qui suit — « de grands inconvénients étant résultés ci-devant dans plusieurs colonies d’Amérique de l’octroi de quantités excessives de terres à des particuliers qui ne les ont jamais cultivées ou établies et en ont par là empêché d’autres plus industrieux d’améliorer telles terres ; en conséquence, pour prévenir de pareils inconvénients à l’avenir, aucun lot de plus de 200 acres de ferme, ne devrait être octroyé à aucune personne étant maître ou maîtresse d’une famille, dans aucun township qui sera délimité. » Les instructions alors investissaient le gouverneur du pouvoir discrétionnaire d’acccoder des quantités additionnelles dans certains cas, n’excédant pas 1,000 acres. Selon ces instructions 200 acres auraient dû être la quantité générale, 1,200 le maximum dans les cas spéciaux, à être accordés à aucun individu. La plus grande partie des terres, cependant (1,457,209 acres) fut accordée de fait à des individus sur le pied de 10,000 à 50,000 acres à chaque personne. On s’y prenait comme suit pour éluder les réglemens. Il était présenté au conseil exécutif une pétition signée par 10, 40 ou 50 personnes, demandant un octroi de 1,200 acres pour chaque personne, et promettant que les terres ainsi octroyées seraient établies. De telles pétitions, comme on m’en informe, étaient toujours accordées, le conseil sachant parfaitement que, d’après un arrangement préalable entre les requérants (dont la forme avait été préparée par le Procureur-Général, et se vendait publiquement chez les libraires des lois à Québec,) les cinq-sixième de terres devaient être transportées à l’un d’eux, appelé le leader par le moyen duquel les terres étaient obtenues. Dans la plupart des cas le leader obtenait toutes les terres qui avaient été nominalement demandées par 50 personnes. Un rapport d’un comité de la Chambre d’Assemblée qu’on sait avoir été dressé par le Solliciteur Général actuel, parle de cette pratique dans les termes suivants : — « Votre Comité, n’étant pas disposé à croire que les violations indirectes (evasions) ci-dessus des instructions gracieuses de Sa Majesté avaient eu lieu à la connaissance, avec la participation, ou du consentement des serviteurs de Sa Majesté, a institué une longue et patiente investigation sur l’origine de ces abus. Il en a été conduit à la pénible, mais irrésistible conclusion, qu’ils étaient à la pleine connaissance d’individus dans cette colonie, qui jouissaient et abusaient de la confiance de Sa Majesté. » Les instrumens par lesquels ces violations devaient être effectuées furent dressés par le Procureur-Général de Sa Majesté pour le temps d’alors, imprimés et publiquement vendus dans la capitale de cette province ; et le principal agent intermédiaire fut le ci-devant Assistant Arpenteur Général.

Pour récompenser les miliciens du Bas-Canada, qui avaient servi sur la frontière pendant la dernière guerre, le Duc de Richmond, agissant, à ce qu’il paraîtrait, d’après des instructions du gouvernement Impérial, (mais il ne s’en trouve pas de copie dans les bureaux publics,) promit des concessions de terre à plusieurs milliers de personnes habitants dans toutes les parties de la province. Les intentions du gouvernement impérial paraissent avoir été des plus louables. Combien ces intentions ont été effectivement frustrées par l’inconduite de l’Exécutif local, c’est ce que feront voir un rapport sur le sujet dans l’appendice (A) et la copie suivante des instructions données aux commissaires que je nommai pour hâter l’arrangement des réclamations de la milice. Je référerai aussi aux témoignages de M. Kerr, M. Morin, M. Davidson et M. Langevin.

Aux Commissaires des Réclamations de la Milice.

Château St. Louis, Québec, 12 Sept. 1838.

Messieurs, — J’ai ordre de Son Excellence le gouverneur général, en vous fournissant quelques instructions pour vous servir de guide en disposant des réclamations des miliciens sur lesquelles il n’a pas encore été fait droit, de vous faire connaître de quelle manière il envisage ce sujet et l’a représenté au gouvernement de Sa Majesté.

Son Excellence est d’opinion que si l’on doit s’en rapporter au témoignage unanime de ceux qu’il a consultés à ce sujet, le Rapport du commissaire des terres de la couronne et de l’émigration, sur lequel est fondée sa proclamation récente, ne contient qu’une faible description du mal causé à cette province et de la cruelle injustice faite aux miliciens, par la manière dont les intentions du gouvernement de la métropole à l’égard de ces réclamants ont été frustrées par l’exécutif local.

Il paraît à Son Excellence que les intentions du Prince Régent, en ordonnant qu’il fut distribué des terres aux officiers et soldats de milice qui avaient servi avec autant de loyauté que de bravoure pendant la dernière guerre américaine, étaient, en partie, d’avancer le défrichement des terres et conséquemment la prospérité de la province, mais, principalement, il ne peut y avoir aucun doute, de conférer à ces hommes aussi braves que loyaux quelque récompense extraordinaire pour les privations et les dangers auxquels ils n’avaient pas hésité à s’exposer pour la défense du pays. Son Excellence est convaincue que ni l’un ni l’autre résultat, n’a été obtenu, si ce n’est à un degré si faible qu’il ne vaut presque pas la peine qu’on en parle. Mais le gouverneur-général aperçoit, d’un autre côté, qu’il a été obtenu, dans la grande majorité des cas, des résultats directement opposés à ceux que le gouvernement de la métropole avaient en vue. Les délais et les obstacles officiels, interposés entre les miliciens réclamans et les octrois auxquels ils avaient droit ; l’impossibilité, dans bien des cas, de jamais obtenir un octroi, après les difficultés et les délais les plus vexatoires ; le mode d’assigner les lots de manière que l’octroi, lorsqu’il était obtenu, ne valait souvent rien du tout, et valait rarement les frais et la peine de l’obtenir ; la nécessité d’employer et de payer des agens familiarisés avec les labyrinthes des départements des terres de la couronne et de l’arpenteur-général ; les frais, l’incertitude et le trouble harrassant qui accompagnaient la poursuite d’une telle réclamation ; toutes ces circonstances, dont Son Excellence est forcée de croire que les bureaux publics étaient seuls à blâmer, ont eu l’effet, elle en est convaincue, dans la majorité des cas, de convertir ce qui dans l’intention du Prince Régent était un bienfait, en un tort positif pour les miliciens. On assure que les miliciens, comme on aurait pu le prévoir, ont vendu leurs droits, souvent pour une bagatelle, à des spéculateurs sur les terres qui n’ont jamais eu l’intention de s’établir sur les octrois, et qui ont, pour la plupart, tenu les terres en non-valeur, frustrant ainsi la seule autre intention dans laquelle le gouvernement de la métropole a pu se déterminer à faire ces octrois. D’après des examens soigneux des témoignages obtenus à ce sujet, d’hommes en place aussi bien que d’autres, Son Excellence est conduite à donner son entière adhésion à cette partie du rapport du commissaire où il est dit ; « qu’il y a eu le maximum de préjudice à la province avec le minimum de bénéfice aux miliciens. »

Cet abus criant, Son Excellence le voit, a été représenté au Gouvernement à plusieurs reprises et sous diverses formes, mais sans qu’il ait fait aucune tentative, qu’elle ait pu découvrir, pour y porter un remède efficace. Son Excellence est encouragée dans l’espoir, que la mesure qu’elle a résolue, sera, quant aux réclamations auxquelles il n’a pas encore été fait droit, le moyen de donner effet, quoique tardivement, aux vues du Prince Régent, en conférant un bienfait considérable et mérité à ces réclamants, trop long-temps frustrés dans leur attente, et en contribuant à l’établissement des terres qui pourront ainsi être aliénées par la Couronne.

Le gouverneur Général m’ordonne aussi de vous informer, qu’il s’attend avec confiance, que vous procéderez avec la plus grande diligence, compatible avec l’exactitude, à vérifier les réclamations sur lesquelles ils n’a pas encore été fait droit ; qu’en adjugeant des ordres aux personnes dont les réclamations n’auraient pu être admises d’après la proclamation primitive, mais dont les titres seront maintenant considérés comme valides, vous aurez soin de n’admettre que les réclamations des six bataillons, et d’autres qui ont actuellement servi pendant la même période, et précisément de la même manière que les bataillons. Son Excellence compte aussi que vous n’épargnerez aucun effort pour assurer à la classe des miliciens l’avantage qui était destiné à eux seuls, et qu’ils auraient dû recevoir depuis long-temps. Comme un moyen, entre autres, de parvenir à ce but si désirable, Son Excellence est d’opinion, que vous devriez expliquer à tous réclamants, que les ordres pour une somme d’argent nominale que vous pouvez adjuger, vaudront autant que de l’argent aux ventes futures de terres de la Couronne, et devraient par conséquent être convertibles en argent, sinon pour toute la somme y nommée, au moins pour une à peu-prés égale.

Je suis, &c.
CHARLES BULLER, Secrétaire en chef.


Les fins qu’avait en vue le gouvernement impérial en en jugeant par les instructions générales qu’il donne à l’exécutif local, paraîtraient, avoir été dictées par un désir sincère et éclairé de promouvoir l’établissement et l’avancement du pays. Quant au Haut-Canada, des instructions en date de Juillet 1837, établirent en règle générale pour la disposition des terres publiques à l’avenir que les octrois gratuits fussent discontinués, et qu’on exigeât un prix pour les terres aliénées par la couronne. La quantité des terres dont on a disposé par vente depuis ces instructions monte à 100,317 acres ; la quantité dont on a disposé pendant la même période à titre gratuit, dans le règlement de réclamations antérieures, est d’environ 2,000,000 d’acres, ce qui fait environ 19 fois autant qu’on en a disposé d’après la nouvelle règle.

Les instructions avaient été évidemment préparées avec soin pour établir un nouveau système, et placer, toute la disposition des terres de la couronne entre les mains d’un commissaire, alors nommé pour la première fois. Le commissaire n’a jamais assuré le contrôle sur aucune autre position de ces terres que celles qui étaient incluses dans les retours qu’il faisait à l’Arpenteur-Général, lesquelles ne montent pas à plus d’environ 300,000 acres. Tout le restant des terres en disponibilité demeure, comme auparavant, sous le contrôle de l’Arpenteur-Général, comme agent du gouvernement pour faire les concessions gratuites. Le salaire du commissaire était de £500 par an, outre les honoraires ; le service pendant dix années se borna à la surintendance de la vente de 100,000 acres de terres incultes. La même personne était aussi Inspecteur-Général des bois et forêts, avec un salaire de £500 par an, et agent pour la vente des réserves du clergé avec £500 par an.

Dans le Bas-Canada, sous des instructions de la Trésorerie, en date de Novembre 1806, qui furent confirmées et remises en vigueur par Lord Goderich en 1831, qui avait manifestement l’intention de substituer au vieux système des octrois gratuits un système uniforme de vente, il fut vendu 450,499 acres, et on a disposé de 641,039 acres, à titre gratuit, par suite de réclamations antécédentes ; et l’objet de la nouvelle règle de vendre fut frustré par la grande quantité des octrois gratuits. En ce moment même, dans les deux provinces où l’on m’assura, avant que je quittai l’Angleterre, que le système de vente avait été uniformément établi par les règlements de Lord Goderich en 1831, il existe des réclamations non réglées, nais probablement indisputables, pour octrois gratuits au montant de 1,000,000, à 1,300,000 acres. Le principal changement que les règlements de Lord Goderich avaient faits dans le système qu’on voulait établir par les instructions de la trésorerie de 1820, était de rendre le prix plus restrictif d’appropriation, en exigeant le paiement en moins de temps, et le paiement de l’intérêt dans l’intervalle. On paraît avoir tout-à-fait négligé cette direction dans les deux provinces. Quant au Bas-Canada, le Commissaire du Département des terres de la Couronne donne le témoignage suivant sur le sujet : —

« Comment est-il arrivé qu’on n’a pas agi d’après cette instruction ? En conséquence de représentations de M. Felton, Commissaire des terres de la couronne, à Lord Aylmer Gouverneur de la Province, disant que les termes imposés étaient trop durs, et équivalaient, de fait, à exiger tout le prix d’achat comptant. Lord Aylmer là-dessus autorisa M. Felton à continuer la pratique antérieure, et on a compris qu’il fit rapport de la circonstance au gouvernement impérial. Cela se passa en 1832, et le système à long crédit sans intérêt continua à être suivi jusqu’à la réception de la dépêche de Lord Glenelg de 1837, qui requit que le paiement fût fait argent comptant lors de la vente. »

J’ai déjà fait remarquer l’importance de l’arpentage exact des terres publiques. Sans cela il ne saurait y avoir de sécurité dans la propriété des terres, ni de certitude même quant à la situation ou aux bornes des héritages marqués sur les cartes ou nommés dans les titres. « Dans la Nouvelle-Écosse, » dit l’Arpenteur-Général actuel, « il y a eu un grand nombre de procès par suite de l’inexactitude des bornes. » M. McKenzie, dessinateur dans le bureau de l’arpenteur-général à Halifax, qui est aussi employé à conduire les arpentages sur le champ, dit « qu’il lui a été impossible de faire des arpentages exacts à cause de l’inexactitude de la délimitation des premiers lots de terre, d’après lesquels il est obligé de mesurer, et aussi par suite de ce que les arpentages sont inexactement faits par des personnes incapables. Il arrive aussi souvent que des terres concédées n’ont jamais été arpentées ni bornées du tout. L’état actuel des mesurages est insuffisant et nuisible à l’établissement des bornes. » « Au Nouveau-Brunswick, » dit l’arpenteur général, « il n’a pas été fait d’arpentage de la province, et les mesurages des anciennes terres sont très inexacts, et montrent des erreurs et des collisions dont on n’aurait pu supposer l’existence. Il est arrivé fréquemment que les mêmes lots ont été concédés plusieurs fois. Je pense que ce système est pernicieux, et qu’il entraînera par la suite des torts considérables. La pratique ordinaire ne peut assurer aux colons sur la paisible possession des terres, à moins de soins et de frais au dessus des moyens d’un pauvre colon. » Dans le Haut-Canada, M. Radenhurst avance que « les arpentages dans toute la province sont généralement très inexacts. Cette inexactitude est venue d’abord du manque de personnes capables, et de la négligence avec laquelle les arpentages ont été faits. Dernièrement la pratique introduite par Sir Peregrine Maitland, malgré les représentations de l’arpenteur-général sur les résultats qui proviendraient de donner les arpentages à toute personne disposée à les entreprendre moyennant une certaine quantité de terre, a produit une négligence et une inexactitude extrême. Les arpenteurs ne firent que passer à la hâte dans les townships, et firent comme de raison des mesurages qui se trouvent très inexacts sur le terrain. Il y a des cas où il se trouve à peine un lot avec la contenance et dans la position qui lui sont assignées dans le diagramme. Les conséquences en ont été la confusion et l’incertitude dans les possessions de presque chaque personne, et un bon nombre de procès. » Quant au Bas-Canada, les témoignages sont encore plus complets et moins satisfaisants.

Le commissaire des terres de la couronne dit en réponse à des questions : « Je puis citer deux townships, Shefford et Oxford (combien d’autres se trouveront inexacts, à mesure qu’il s’élèvera es questions de bornage, c’est ce qu’il est impossible de dire) qui sont très inexacts dans leur division. D’après un arpentage actuel récent, il s’est trouvé que pas un seul lot ne s’accorde avec le diagramme de record. Les lignes qui divisent les lots, au lieu de courir perpendiculairement selon le diagramme, courent réellement en ligne diagonale, ce qui a nécessairement l’effet de déplacer les lots, qui sont au-dessus de 300, de leur vraie position. Les lignes qui séparent les rangs sont si irrégulières qu’elles donnent à quelques lots deux fois et demie autant de contenance qu’a d’autres, quoiqu’ils soient tous de la même étendue sur le diagramme ; il y a aussi des lacs qui occupent en entier quelques lots et qu’on a omis entièrement ; j’ai entendu faire les mêmes plaintes à l’égard du township de Grenville. Je n’ai aucun lieu de croire que les mesurages des autres townships sont plus exacts que ceux de Shefford et d’Oxford, si ce n’est que dans quelques parties du pays les mêmes causes d’erreur n’aient pas existé, soit par des causes physiques, comme celle de l’attraction magnétique, où il y a vraiment eu un arpentage, ou dans ceux où il n’y a pas eu d’arpentage actuel, la négligence de l’arpenteur. L’inexactitude dont j’ai parlé se borne à la partie de la province qui est divisée en townships. Il y a 109 townships d’environ cent milles carrés chacun, comprenant toutes les terres dont le gouvernement britannique a disposé, excepté les seigneuries qui furent établies par le gouvernement peu de temps après la conquête. Les mêmes difficultés qui pourraient s’élever dans l’arrangement d’une question de titre entre la couronne et un squatter prétendu, provenant de l’inexactitude des arpentages des townships, s’étendraient à toutes les concessions et ventes de la couronne, comme aussi à toutes les questions de titre entre des personnes prétendant avoir une concession, ou avoir acheté de la couronne, et les squatter prétendus sur les terres qu’ils prétendraient leur appartenir, et plus ou moins dans tous les cas où des personnes différentes prétendraient avoir reçu ou acheté quelque pièce de terre de la couronne. C’est une observation générale que cet état des arpentages de la couronne doit être par la suite une source de procès interminables ; il est impossible de dire combien il se présentera de cas de doubles octrois de la même terre sous différentes dominations, provenant de l’état défectueux des mesurages. Il ne s’est présenté devant moi aucun de ces cas sous une forme officielle, mais je crains qu’il n’y ait un grand nombre de ces questions qui attendent pour s’élever, que les terres soient devenues d’une plus grande valeur, alors que la couronne sera appelée en toute occasion à défendre ses propres octrois, laquelle, considérant l’état des mesurages, sera sans moyens de défense, à moins qu’il ne soit pris de mesures pour prévenir le mal avant qu’il n’arrive. De concert avec tous ceux qui ont jamais réfléchi sur le sujet, je considère ce sujet comme étant d’une très haute importance, et demandant l’attention immédiate du gouvernement. » M. Daly, Secrétaire Provincial, dit : — « Je pense qu’un arpentage soigné de toutes les terres non concédées de la province est très désirable et nécessaire pour dissiper les doutes qui se sont élevés dans l’esprit de plusieurs colons sur l’exactitude de leurs limites. » M. Patrick Daly, arpenteur commissionné de la province, donne le témoignage suivant ; —

Vous venez d’arriver à Québec pour faire une représentation sur l’état du Township de Durham ? Oui.

« Quel est le point dont vous voulez vous assurer ? — Si je suis autorisé à établir une nouvelle ligne entre le 6e et le 7e rang du Township de Durham.

« Quelle serait la conséquence d’un tel changement ? — Une partie de l’ancienne ligne de rang se trouve inexacte jusqu’à l’étendue de 60 perches, ce qui ferait perdre au 7e rang environ un cinquième de sa contenance et ajouterait inconvenablement la même étendue au 6e ; le changement que je veux faire rectifierait cela.

« Comment avez-vous découvert que la ligne était inexacte ? — Ayant été employé par le Capitaine Ployart, de Durham, pour tirer les lignes de côté du lot No. 15, dans le 6e rang pour déterminer l’étendue de sa propriété, ce Monsieur étant propriétaire de ce lot, je découvris que la ligne était incorrecte, comme je l’ai déjà dit ; et je ne puis procéder à rectifier cette erreur sans l’autorité du Gouverneur, ou quelque personne nommée par le gouverneur, attendu qu’il n’existe pas de loi en cette province pour m’autoriser à tirer une nouvelle ligne du rang, vu qu’on ne trouve pas l’ancienne ligne, si ce n’est dans une petite partie, où elle est mal placée, comme je l’ai dit.

« La nouvelle ligne aurait-elle l’effet d’ôter de la terre de la possession de quelqu’un pour la donner à un autre ? — Oui

« Supposez-vous que les autres lignes de rang dans ce township sont exactes ou inexactes ? — Quelques-unes sont exactes, mais la plupart sont inexactes ; je n’y ai pas cependant particulièrement porté mon attention.

« Les propriétaires des autres lots dont les lignes sont mal tirées désirent-ils voir leurs limites exactement tracées ? — Oui, ils le désirent beaucoup, surtout ceux du troisième rang, dont les gens du second rang emportent un quart de leurs terres environ par le moyen d’une ancienne ligne de rang, comme l’ont prouvé plusieurs arpentages jurés faits depuis. Tous les habitants du troisième rang m’ont prié de prendre des mesures pour obtenir une nouvelle ligne de rang.

« Ont-ils jamais fait application avant cette rectification d’arpentage ? — Oui ; ils se sont adressé au département de l’arpenteur-général, par un exposé dressé par moi, et maintenant dans le bureau de l’arpenteur-général ; mais la réponse fut qu’il n’y avait pas de loi dans la province pour autoriser le changement d’une ligne de rang quelque inexacte qu’elle fût, sans le consentement de toutes les parties concernées.

« Ainsi toutes les parties ne concourent pas dans cette demande ? — Non.

« Pourquoi pas ? — Parce que plusieurs de ceux qui ont gagné inconvenablement par l’erreur du mesurage, désirent retenir ce qui de droit appartient à leurs voisins.

« La première application ayant été vaine, sur quel fondement procédez-vous maintenant ? — Dans la confiance que Lord Durham étant revêtu de plus grands pouvoirs que ses prédécesseurs, il lui plaira de considérer cette grande perte de terrains pour les gens, et donner des ordres pour corriger le mal.

« Connaissez-vous d’autres townships ? — Oui.

« En avez-vous trouvé les arpentages généralement exacts ou inexacts ? — J’ai trouvé les arpentages du township de Windsor aussi inexacts, sinon plus, que celui du township de Durham, ce qui peut-être prouvé par les témoignages les plus dignes de foi. Généralement, à l’exception du township de Wickam, je les ai trouvés tout-à-fait inexacts. Je ne parle que de ma propre expérience personnelle, et non sur ouï-dire.

M. Sewell, récemment juge en chef de la province, dit — « J’ai connu beaucoup de défauts dans les arpentages, qui se sont montrés dans beaucoup de causes qui ont paru devant moi, et je suppose qu’ils sont très nombreux. Je ne puis, d’après ma propre expérience, citer que deux remèdes pour remédier jusqu’à un certain point à ces défauts ; l’un est de tirer de nouveau les lignes des divers townships ; l’autre un acte pour assurer la paisible possession comme on a fait ci-devant dans d’autres provinces. Je crains que le tirage des lignes des townships ne produisit guère d’autre bien que celui d’exposer les erreurs. » M. Kerr dit — « On comprend généralement que les arpentages dans beaucoup de townships sont très inexacts ; et beaucoup d’arpentages se sont trouvés tels. J’avais entre les mains ces jours-ci une patente pour quatre lots dans le township d’Inverness, trois desquels n’existaient pas, des lots avaient été concédés au capitaine Skinoer. Il fut décidé que trois des lots n’existaient pas ; et j’en reçus compensation dans un autre township. On a découvert une grande erreur dans l’arpentage primitif du townships de Leeds. L’inexactitude des arpentages est tout-à-fait une matière de certitude. Je pourrais citer un nombre de townships, Milton, Upton, Oxford, Shefford, etc. où l’inexactitude a été découverte. On a éprouvé de l’inconvénient de l’inexactitude des arpentages ; mais le mal ne fait que commencer à se faire sérieusement sentir. À mesure que l’établissement du pays avancera, et que la terre acquerra plus de valeur, il devra en résulter de grands inconvénients sous la forme de questions devenues interminables, et c’est ce que savent tant de gens, qu’ils refusent de vendre avec garantie de titre ? »

Je puis ajouter généralement que j’ai trouvé le département de l’arpentage dans le Bas-Canada si entièrement ineffectif dans sa constitution, qu’il n’est susceptible d’aucune amélioration avantageuse ; et qu’en conséquence je me suis abstenu de m’en occuper, espérant que toute la régie future des terres publiques sera placée sur un nouveau pied, propre à remédier à ce mal, comme à tous les autres du présent système.

Il est un autre de ces maux qui demande à être mentionné ici. Dans les États-Unis, le titre d’une terre achetée du gouvernement s’obtient immédiatement et sûrement en payant le prix d’achat. Dans toutes les colonies britanniques, il y a plus ou moins de formalités inutiles à remplir et, en conséquence, de délais à souffrir avant de se procurer un titre complet à une terre qui a été payée. Le Docteur Baldwin, parlant du Haut-Canada, dit : — « Je ne sache pas qu’il y ait eu un sujet de plaintes plus constant de la part des individus contre le gouvernement que les délais de bureau, surtout en ce qui concerne la concession des terres. Il m’est arrivé fréquemment, et à d’autres aussi, je le crois, que dans le temps qu’on faisait aux défricheurs actuels des octrois gratuits de terres, en petites quantités, des gens qui avaient dépensé tout leur argent à attendre la confection de leurs titres m’ont demandé de l’ouvrage pendant que la patente se préparait, et je leur en ai donné pour un court espace de temps. L’exemple le plus frappant qui soit venu à ma connaissance, dans lequel un individu souffrit beaucoup par le délai auquel il fut exposé sous ce rapport, fut celui d’un homme du nom de Burnes, qui, du temps de sir Peregrine Maitland, s’étant endetté envers des gens qu’il avait employés, fut pressé par eux pour leur argent. Pendant ce temps là une patente se préparait pour lui dans les bureaux. Il demanda à ses créanciers d’attendre jusqu’à ce que sa patente fut achevée, ce qui le mettrait en état de se procurer de l’argent et de les payer. Les créanciers consentirent à attendre quelque temps, mais ils s’impatientèrent à la fin, et l’arrêtèrent, et il fut forcé d’aller en prison. La patente avait passé par les bureaux, mais il fut forcé de rester en prison quinze jours, pendant que la patente fut envoyée au gouverneur à sa résidence près de la chute de Niagara, pour être signée par lui. » Un acte récent de la Législature a grandement mitigé ce mal, qui cependant, reste dans toute sa force dans le Bas-Canada. M. Kerr dit : « Aussitôt que l’acheteur a payé le dernier terme il est renvoyé à l’Officier des terres de la Couronne, à qui le paiement se fait, pour payer à l’Arpenteur-Général la désignation nécessaire. Alors la désignation, avec référence, est renvoyée au Commissaire des terres de la Couronne. Ces pièces sont ensuite envoyées au Secrétaire du Gouverneur ou Secrétaire Civil, qui signifie au Secrétaire Provincial l’ordre de grossoyer la patente. Les honoraires sont alors levés, et sur le paiement des honoraires, le Secrétaire Provincial grossoie. Le grossoiement fait, le Gouverneur signe la patente, et le grand Sceau de la Province y est apposé. C’est le Secrétaire Provincial qui procure cette signature. La patente est alors envoyée au Commissaire des terres de la Couronne pour être passée à l’audition. Maintenant un des commissaires fait cette besogne : cela avait coutume d’être fait par l’auditeur, mais cet office a été aboli. Lorsque l’audition est faite, on dit que le titre est parfait. L’effet d’avoir à s’adresser à tant de personnes a été la perte totale de beaucoup de références et de papiers qui les concernaient, dans un des bureaux ou dans un autre. Il y a eu des cas où j’ai été référé trois fois pour la même patente tous les papiers s’étant perdus deux fois de suite. Dans quelques cas les papiers se retrouvent, mais trop tard pour être de service. La plus courte période dans laquelle un titre a été parachevé est, à ma connaissance, d’environ six semaines, et la plus longue de huit ans environ. Dans le cas de six semaines on usa d’une diligence plus qu’ordinaire. J’obtins du gouverneur un ordre pour une référence spéciale pour ma patente de préférence à toutes les autres qui se trouvaient alors dans les bureaux. La période moyenne pour compléter un titre, après que l’achat a été complété par le paiement de tout le prix d’achat, est 15 grands mois. Je suis convaincu que le système actuel est un empêchement sérieux à l’établissement du pays ; et qu’aucune mesure étendue à cette fin ne pourra bien opérer à moins qu’on ne simplifie le mode d’obtenir les titres après l’achat. L’expédition immédiate du titre est ce qu’il faut pour encourager les acquéreurs et prévenir l’incertitude et le mécontentement. Des acheteurs m’ont chargé de demander le remboursement par la Couronne de leur prix d’achat, à cause du délai qui arrivait. Le présent système est si profitable aux agents, que, parlant comme agent, je serais fâché de le voir abolir. Un des inconvénients pour le public est la nécessité d’employer des agents qui connaissent les labyrinthes par lesquels il faut que chaque référence passe. »

Le principal agent pour les émigrés dans le Haut-Canada, expose comme suit les résultats de cette mal-administration générale : —

« Les principaux inconvénients auxquels sont sujets les colons dans un nouveau township résultent de la paucité de la population. Un township consiste en 80,000 acres de terre ; un septième est réservé pour le clergé et un septième pour la Couronne ; conséquemment il reste cinq septièmes à la disposition de la Couronne, dont une grande partie est prise par les octrois faits au U. E. Loyalists, aux miliciens, officiers et autres ; la très grande partie de ces octrois restent incultes. Ces étendues de terres incultes placent le défricheur dans un état presque décourageant ; il peut à peine espérer de voir, de son vivant, son voisinage contenir une population suffisamment dense pour supporter des moulins, des écoles, des bureaux de poste, des églises, des marchés ou des boutiques, et sans ces choses la civilisation rétrograde. Dans de pareilles circonstances les colons ne peuvent ni ouvrir les chemins, ni les entretenir quand même le gouvernement en ferait ouvrir. Les inconvénients résultant du manque de chemins sont très grands, et se comprendront mieux par un exemple qui vint à ma connaissance en 1834. Je rencontrai un colon du township de Warwick sur les Plaines de Caradoc, revenant du moulin à farine de Westminster, avec la farine et le son de 13 minots de blé ; il avait une paire de bœufs et un cheval attelés à sa voiture et avait été absent neuf jours, et il ne s’attendait pas à arriver chez lui avant le lendemain au soir. Toute légère que fût sa charge, il m’assura qu’il avait eu à décharger plusieurs fois en tout ou en partie, et, après avoir fait passer son waggon à travers les marécages, à chercher un chemin dans le bois où les marécages, ou les coulées étaient praticables, et à porter les sacs sur son dos et à les replacer dans son waggon. Supposant que les services de cet homme et de sa voiture valussent deux piastres par jour, les frais de transport seraient de 20 piastres. Comme le frêt du blé de Toronto à Liverpool (Angleterre) est un peu moins de 2s. 6d. le minot, il s’en suit qu’une personne vivant dans cette cité pourrait avoir le même blé moulu sur les bords du Mersey, et la farine et le son à elle remis, à beaucoup moins de frais qu’il n’en faudrait pour le transporter des profondeurs de Warwick à Westminster et le retour — distance de moins de 90 milles. Depuis 1834, il a été bâti un moulin à farine dans Adélaïde, le township voisin, lequel est d’un grand avantage pour les colons de Warwick ; mais les gens dans plusieurs parties de la province souffrent beaucoup par la même cause. »

M. Rankin, député arpenteur, dit : « Le système de concéder de grandes étendues de terres à des individus qui n’avaient pas l’intention de s’y établir a tendu à retarder la prospérité du pays en séparant les concessionnaires résidants, et en rendant plus difficile, et assez souvent impossible l’ouverture des chemins nécessaires. Cela a eu de plus l’effet de tenir les marchés plus éloignés et plus précaires. Ces inconvénients se font si gravement sentir, qu’ils ont fait abandonner des établissements déjà formé. Je puis citer comme exemple, le township de Rama où les colons après un essai de trois années, furent forcés d’abandonner leurs améliorations. Dans le township de St. Vincent presque tous les meilleurs habitants ont abandonné leurs fermes par la même cause. Il y a eu des exemples nombreux où quoique les établissements n’aient pas été tout-à-fait abandonnés, les meilleurs habitants ont laissé leurs fermes, après plusieurs années de vains efforts contre les difficultés que j’ai décrites. » Ce témoin fut pendant 10 ans employé par le gouvernement en qualité de député-arpenteur dans le Western District, que j’ai déjà décrit comme étant le meilleur pays à grain de l’Amérique Septentrionale, dit que « les neuf dixièmes des terres concédés par le gouvernement dans ce district sont encore dans un état inculte. »

Pour démontrer la même chose quant à ce qui regarde le Bas-Canada, je renverrai au témoignage du Commissaire des terres de la Couronne, de M. Kerr, du Député-Maître Général de la Poste de Mr. Russell, du Major Head, de Mr. Keough, du ci-devant Juge en chef, et de M. Lemesurier.

Mr. Kerr dit — « Ce qui empêche le plus le prompt établissement et la culture de toutes les terres les plus fertiles de la Province, c’est que les terres des particuliers ne sont pas ouvertes ; en autant que l’on achète facilement des terres de la Couronne, ce que n’est généralement pas le cas avec les terres des particuliers à moins de les payer un prix exorbitant. L’existence de cette étendue de terres incultes est si injurieuse, au milieu ou dans le voisinage d’un établissement, qu’il est très souvent arrivé qu’un colon après plusieurs années de résidence sur sa propriété, et après une dépense de £20 à £50 pour défricher une partie de sa terre et bâtir une maison, s’est trouvé forcé d’abandonner sa ferme et de la vendre pour un quart ou même un tiers moins que ses déboursés. J’ai moi-même acheté des terres ainsi abandonnées pour une bagatelle. Je me rappelle maintenant qu’une terre de 100 acres dans le township de Kingsey, dans une belle partie du district des Trois-Rivières, dont un peu plus de 20 acres étaient défrichés, avec une bonne maison et les dépendances, me fut vendue pour moins de £30. Je pourrais citer plusieurs exemples de cette nature, où j’ai moi-même acheté ou eu connaissance des faits. »

Un des exemples les plus remarquables du mal résultant de la profusion dans la concession des terres, peut être cité dans l’Isle du Prince Édouard. Presque toute l’Isle, environ, 1 400 000 acres, furent octroyés dans un seul jour, par portions considérables, principalement à des absents, et sous des conditions qui n’ont pas été exécutées. L’extrême imprévoyance qui a dicté ces octrois est évidente, ainsi que la négligence du gouvernement à faire exécuter les conditions de l’octroi en dépit des efforts constants du peuple et de la législature pour attirer l’attention du gouvernement sur le mal qui devait résulter de ce système. La plus grande partie de l’Isle est encore actuellement la propriété d’absents qui la possèdent comme une sorte d’héritage qui ne requiert pas une attention immédiate, mais qui peut devenir d’une grande valeur à l’avenir par les besoins croissants des habitants. Mais, en même temps, leu habitants sont assujettis aux plus grands inconvénients, même à des torts sérieux, par l’état des biens fonds. Le propriétaire absent, non seulement n’améliore pas sa terre, mais ne veut même pas permettre à d’autres de le faire. Il garde la terre dans un état inculte. J’ai, dans une autre occasion, parlé des remèdes convenables et des causes qui ont pendant ai long-temps retardé leur adoption. Les sentiments des colons sur ce sujet sont pleinement exprimés dans les témoignages de Mr. Lelacheur, de Mr. le Solliciteur-Général Hodgson, et du Gouverneur Sir Charles Fitzroy. Je puis ajouter que leur témoignage a été confirmé par ceux des délégués de l’Isle, qui me rendirent visite durant mon séjour à Québec.

Dans l’énumération des faits ci-dessus, je n’ai pas voulu épuiser le long catalogue des maux et des abus qui sont parvenus à ma connaissance. Mais j’en ai assez dit, je crois, pour établir que l’octroi des terres dans un nouveau pays influe plus sur la prospérité du peuple qu’aucune autre branche du gouvernement ; et de plus, pour prouver que les maux actuels qui ont été occasionnés par la mauvaise administration de ce département, sont si généraux, qu’ils exigent qu’un remède étendu et effectif, soit administré dans toutes les Colonies, avant qu’on puisse espérer un bon résultat d’aucune réforme purement politique.

Je procède maintenant à un autre sujet, qui quoiqu’il ne soit pas immédiatement lié avec la colonisation ou l’amélioration des provinces, doit néanmoins être séparément pris en considération ; car c’est un sujet sur lequel non seulement la population coloniale, mais encore le peuple du Royaume-Uni a un profond intérêt. Je fais allusion à la manière dont s’est ci-devant faite l’émigration de la classe la plus pauvre, de la Grande-Bretagne et d’Irlande, aux Colonies de l’Amérique du Nord.

Il y a environ neuf années que l’on prit pour la première fois des moyens de s’assurer du nombre des émigrés qui arrivaient à Québec par la mer. Pendant ces 9 années le nombre a été de 263 089, et dans une seule année (1832) le nombre a été de 51 746 ; l’année précédente le nombre fut de 50 254 ; en 1833, 21 752 ; en 1834, 30 935 ; en 1835, 12 527 ; en 1836, 27 728 ; en 1837, 22 500 ; en 1838, seulement 4992. Cette grande diminution en 1838 est entièrement due aux craintes vagues entretenues sur les dangers que présentait l’état du Canada. Je suis cependant vraiment surpris, que l’émigration en Canada, de la classe la plus pauvre, n’ait pas entièrement cessé depuis quelques années, ce qui serait certainement arrivé, si les faits que je vais rapporter avaient généralement été connus dans le Royaume-Uni.

Le Dr. Morrin, un monsieur d’un haut caractère, personnel et professionnel, Médecin-Inspecteur du port de Québec, et commissaire de l’hôpital de Marine et des Émigrés, dit : — « Je manque presque d’expressions pour décrire l’état dans lequel les émigrés arrivent fréquemment à peu d’exceptions près ; l’état des vaisseaux est abominable ; et c’est si bien le cas, que les chaloupiers du maître du hâvre, distinguent sans difficulté, à la distance de la portée d’un fusil, par la seule odeur, un vaisseau chargé d’émigrés, soit que le vent soit favorable, soit qu’il fasse un grand calme. J’ai connaissance qu’il est arrivé 30 à 40 cas de mort causés par la fièvre typhoïde, dans le cours d’un voyage, à bord d’un vaisseau qui contenait 500 à 600 passagers ; et durant les six semaines après l’arrivée de certains vaisseaux, et le débarquement des passagers à Québec, l’hôpital a reçu plus de 100 malades d’entre eux, en différentes fois. Dans une occasion j’ai vu près de 400 malades en même temps dans l’hôpital des émigrés à Québec, pour lesquels il ne se trouvait pas de logement suffisant, et, afin de leur donner quelque abri, le Dr. Painchaud, alors médecin-visiteur, avec l’aide d’autres médecins, contracta personnellement à la Banque de Quebec une dette d’un montant considérable, qui fut, toutefois, payée ensuite par la législature provinciale…

« Dans ce temps la mortalité fut considérable parmi les émigrés et fut accompagnée des conséquences les plus désastreuses ; les enfants étaient laissés sans protection, et à la merci de la charité des habitants de la cité. Quant à ceux qui n’étaient pas malades à leur arrivée, j’ai à dire qu’ils étaient généralement débarqués de force par les maîtres des vaisseaux, sans un chelin dans leurs poches pour se procurer le logement pour la nuit, et un petit nombre d’entre eux avaient à peine les moyens de se nourrir pendant quelques jours et mangeaient près des quais, aux différentes places de débarquement, et s’entassaient sous les abris qu’ils pouvaient trouver, où ils subsistaient généralement par la charité des habitants. Pendant six semaines, à compter du commencement de l’arrivée des premiers vaisseaux avec des émigrés, j’ai vu les rivages près de Québec, à une distance d’environ un mille et demi, couverts de ces malheureux ; les places de ceux qui partaient étaient immédiatement reprises par les nouveaux arrivés, et de 10 à 30 étaient journellement envoyés à l’hôpital, affectés de maladies contagieuses. La conséquence fut que ces maladies se répandirent parmi les citoyens des villes, particulièrement dans les quartiers où ces malheureux s’étaient établis. Ceux qui n’étaient entièrement dépourvus d’argent se logeaient dans des tavernes et de mauvaises maisons de pension et dans des caves, où ils se réunissaient en grand nombre, et où ils n’étaient pas mieux que dans le vaisseau. Cet état de choses exista à ma connaissance depuis 1826 jusqu’à 1832, et probablement pendant plusieurs années avant cette époque. »

Le témoignage du Dr. Morrin est corroboré par celui du Dr. Skey, député-inspecteur-général des hôpitaux et président de la société des émigrés à Québec. Ce Monsieur dit — « À l’arrivée des émigrés dans le fleuve un grand nombre débarquent malades. Une importation régulière de maladies contagieuses se fait annuellement dans ce pays. Je prétends que les maladies prennent naissance à bord des vaisseaux, et sont causées par le manque de soins, les vaisseaux étant en mauvais ordre, surchargés et manquant de provisions et d’air. J’ajouterai que la mortalité dans le cours du voyage était épouvantable, à un tel point qu’en 1834, les habitants de Québec, alarmés du nombre des naufrages, de la mortalité des passagers et des maladies pestilentielles qui existaient à l’établissement de la Quarantaine à la Grosse-Isle, et dans l’hôpital des émigrés en cette cité, enveloppant les citoyens de Québec dans cette calamité, s’adressèrent à la société des émigrés, afin qu’elle prit ce sujet en sa considération et qu’elle fit à ce sujet des représentations au gouvernement. »

Ceci eut lieu sous l’opération de l’acte de la 9e. Geo. IV. communément connu sous le nom de l’acte des passagers (Passangers act), qui fut passé en 1825, rappelé en 1827 et passé de nouveau en 1828. En 1836 un acte amendé des passagers fut passé, dont la seule différence d’avec le premier acte, fut des changements qui furent suggérés par a société des émigrés à Québec. M. Jessupp, collecteur des Douanes à Québec, parlant de l’émigration sous le dernier acte, dit : « Il arrive souvent que les émigrés les plus pauvres n’ont pas de provisions en quantité suffisante pour faire le voyage ; la condition qu’ils devraient avoir une quantité suffisante de provisions pourrait être mise en force en vertu de l’acte, qui autorise l’inspection des provisions par l’agent des émigrés au port de départ. Il est venu à ma connaissance plusieurs exemples, dans lesquels, par l’insuffisance des provisions, les émigrés se sont trouvés livrés à l’humanité du capitaine, et à la charité des autres passagers. Il paraît aussi d’après le fait que plusieurs vaisseaux ont un plus grand nombre de passagers que le nombre permis par la loi, qu’une attention suffisante n’est pas donnée dans le port de sortie à mettre en force les clauses de cet acte qui règlent la proportion entre le nombre des passagers et le tonnage. Il n’est pas arrivé de pareils exemples cette saison (1838), l’émigration ayant presque cessé, en conséquence, je présume, de l’état politique de la province ; mais l’année dernière, en plusieurs occasions des poursuites eurent lieu. Des vaisseaux sont frétés pour l’émigration par des personnes dont le seul objet est de faire de l’argent, et qui spéculent sur les moyens de frustrer les prévisions de l’acte. Ceci s’applique particulièrement aux vaisseaux venant d’Irlande. Nous nous sommes très souvent aperçus, que dans des vaisseaux ainsi frétés le nombre des passagers était plus considérable que celui permis par la loi, et les commandants ont avoué, que le nombre extra s’étaient embarqués en cachette ou avaient ainsi été embarqués à leur insu et n’avaient été découverts que plusieurs jours après le départ du vaisseau. On pourrait prévenir ceci en examinant le vaisseau avec plus d’attention. L’acte impérial veut que les noms, l’âge, le sexe et l’occupation de chaque passager soient entrés dans une liste certifiée par les officiers de douane au port de départ, et délivrée par le capitaine aux officier de douane d’ici avec les papiers du vaisseau. On délivre toujours des listes prétendues correctes, à l’officier de douane (tide-surveyor) dont le devoir est de passer en revue les passagers, et de les comparer avec la liste ; et cette liste bien souvent est tout-à-fait incorrecte pour les noms et les âges… L’objet de la falsification des âges est de frauder le revenu en éludant la taxe sur les émigrés… La falsification des noms ne produit aucun inconvénient ; et j’en ai seulement fait mention dans le dessein de montrer la manière négligente avec laquelle les agents dirigent le système dans le Royaume-Uni. » Mais le Dr. Poole, médecin inspecteur de la station de quarantaine à la Grosse-Isle, explique davantage cette fraude, en disant : « Ces falsifications sont faites, premièrement, dans le dessein d’éluder la taxe sur les émigrés, qui est prélevée en proportion de l’âge ; et secondement, dans le dessein de transporter plus de passagers que la loi ne permet, en comptant des adultes au nombre des enfants, que la loi permet d’embarquer en plus grande proportion au tonnage que les hommes faits. Cette fraude est très commune, et se présente-très souvent, et elle doit être évidemment attribuée au manque d’inspection dans la métropole. »

D’après ces témoignages, et ceux de quelques autres, il paraîtrait, que l’acte seul des passagers tel qu’amendé, comme il a été mis à exécution jusqu’ici, n’aurait apporté aucun remède efficace aux terribles maux qu’ont décrits le Dr. Morrin et le Dr. Skey. Ces maux ont été, néanmoins, beaucoup adoucis par deux mesures du gouvernement provincial ; premièrement l’application d’une taxe sur les émigrés venant du Royaume-Uni, afin de leur procurer l’abri, les soins médicaux, et les moyens d’un transport ultérieur pour les indigents ; secondement, l’établissement d’une station de quarantaine à la Grosse-Isle, isle déserte à quelques milles au dessous de Québec, où sont détenus tous les vaisseaux qui arrivent avec des cas de maladies contagieuses à bord ; les personnes malades sont transportées, à l’hôpital, et les émigrés en santé sont débarqués et soumis à une espèce de discipline pour les nettoyer, et pendant le temps que ceux-ci sont à terre le vaisseau est quasi nettoyé. Ces arrangements préviennent l’accumulation des pauvres dans le dernier degré d’indigence à Québec, et la communication de maladies contagieuses. Un arrangement, seulement fait en 1837, par lequel le médecin de la quarantaine à la Grosse-Isle, décide si un vaisseau chargé d’émigrés sera détenu ou continuera son voyage, a, pour se servir des paroles du Dr. Poole, « opéré comme un prémium pour le soin et l’attention de la part du Capitaine, et a eu un effet, salutaire pour le soulagement des émigrés. »

Je me réjouis cordialement de ces améliorations, mais j’observerai que les moyens que l’on a employés pour faire le bien démontrent la grandeur du mal qui existe encore. La nécessité d’un établissement de quarantaine pour prévenir l’importation des maladies contagieuses de la Grande-Bretagne dans les colonies, comme si les émigrés venaient d’un des ports d’Orient qui sont le berceau de la peste, montre évidemment que notre système d’émigration est des plus défectueux, ou qu’il est conduit avec une grande négligence.

Je sais que l’on soutient dans ce pays, que quoique ci-devant il existait beaucoup d’imperfections, les précautions que l’on prend maintenant obvient à toutes les difficultés. Par exemple, dans le rapport de l’agent général des émigrants du Royaume-Uni, dont la chambre des Communes ordonna l’impression le 14 mai 1838, il est dit que quant à l’émigration aux Canadas, avant 1832, dont les misères et les souffrances ont été exposées par les Drs. Morrin et Skey, qui en ont été les témoins oculaires, « que ce grand nombre d’émigrés étaient partis avec leurs propres moyens, et avaient disposé d’eux par leurs propres efforts, et étaient arrivés à leur destination sans aucuns inconvénients sérieux ou durables… pratique, ajouta le rapport, qui paraît avoir spontanément réussi. »

Le même rapport dit, quant à l’opération actuelle de l’acte des passagers, et aux officiers employés par le département Colonial pour en surveiller l’exécution, que leur devoir est de procurer de l’aisance et « de la sûreté pour parvenir aux Colonies, et de faire exécuter les clauses salutaires de l’acte des passagers. Dans tout ce qui concerne l’émigration ils sont les amis du pauvre. Ils s’assurent si le vaisseau qui doit les transporter est sûr, et s’il est convenable à cet objet : ils voient à ce qu’il y ait une quantité suffisante de provisions à bord du vaisseau ; ils empêchent qu’il ne soit surchargé, et ils font tous leurs efforts pour prévenir les nombreuses et cruelles fraudes qui ne se commettent que trop constamment sur la classe la plus pauvre, au moment du départ. Tous les moyens sont pris, » ajoute le rapport en parlant des émigrants pour l’Amérique du nord, « pour assurer leur aise et leur sûreté dans le voyage. »

À Québec, au moins, débarquent la plus grande partie des émigrés pour les Colonies de l’Amérique du Nord, il existe une opinion, qui est loin de s’accorder avec le susdit rapport. Personne dans la Colonie, ne prétend que l’acte des Passagers et la nomination d’Agents pour en surveiller l’exécution, ne soient pas une amélioration considérable des pratiques injustes et non exécutées des temps passés : et je ne crois pas non plus, que personne dans ce pays objectât à une tentative quelque éloignée qu’elle fût de régir l’émigration sur un plan systématique et responsable, tel qu’on l’a proposé a plusieurs reprises au gouvernement depuis quelques années ; mais il reste encore un vaste champ ouvert aux progrès ultérieurs quant à l’émigration dans les Colonies du Nord de l’Amérique, et c’est ce qui est établi, je pense, par M. Jessupp, et par le témoignage suivant du Dr. Poole.

Le Dr. Poole occupe un office important, et il est en mon pour voir de dire qu’il en a rempli les devoirs avec une grande habileté et une diligence exemplaire. Il n’a pas offert de lui-même les informations qu’il a données. Il fut requis de donner son témoignage devant les Commissaires d’Enquête sur les terres de la Couronne et l’émigration ; et ce fut en réponse à des questions à lui soumises qu’il dit : « j’ai été attaché à la station de la Grosse-Isle pendant ces six dernières années. Ma description s’applique jusqu’à la présente année. Nous avons eu l’armée dernière au-dessus de 32 000 émigrés. La classe la plus pauvre des Irlandais, et les paupers Anglais expédiés par les paroisses, étaient à l’arrivée des vaisseaux en plusieurs occasions, entièrement sans provisions, si bien qu’il était nécessaire de leur envoyer immédiatement des aliments de dessus l’Isle ; et quelques-uns de ces vaisseaux avaient déjà reçu de la nourriture et de l’eau d’autres vaisseaux qu’ils avaient rencontrés en route. D’autres bâtiments, chargés d’émigrés de la même classe, n’étaient pas tout-à-fait dénués de tout, mais avaient souffert beaucoup de privations, ayant été retranchés à une mince ration. Ce manque, ou cette insuffisance de provisions, combiné avec la malpropreté et une mauvaise ventilation, produisait invariablement des fièvres d’une nature contagieuse, et occasionnait plusieurs cas de mort, durant le passage ; et l’on admettait à l’hôpital immédiatement après leur arrivée d’à bord de ces vaisseaux un nombre variant de 20 à 90 malades attaqués de fièvres contagieuses par chaque vaisseau. J’attribue tout ce mal à la défectuosité des arrangements ; par exemple, les émigrés des paroisses d’Angleterre reçoivent des rations de biscuit et de bœuf, ou de porc, souvent de mauvaise qualité (je connais ceci par ma propre inspection) ; ils sont incapables à cause du mal de mer de se servir de ces aliments solides au commencement du passage, tandis que le manque de fournitures légères, tels que le thé, le sucre, le café, le gruau et la fleur, les jette dans un état de débilité et de découragement, qui les rend incapables des efforts nécessaires à la propreté et à l’exercice et les indispose aussi contre une nourriture solide, particulièrement les femmes et les enfants ; et à leur arrivée ici, je trouve plusieurs cas de fièvre typhoïde parmi eux…

… « Je désire aussi mentionner, un système d’extortion, qui demande hautement remède, système mis en pratique par les maîtres de vaisseaux, principalement d’Irlande, d’où vient la plus grande partie de nos émigrés. Le Capitaine dit aux émigrants que le passage se fait en trois semaines ou un mois, et qu’ils n’ont pas besoin d’emporter des provisions pour plus long-temps, quoiqu’il cache bien que le passage ordinaire est de six semaines, et souvent se trouve de huit ou neuf semaines. Lorsque les provisions de l’émigré sont épuisées, le capitaine qui a embarqué quantité de fournitures à dessein, les oblige de lui payer souvent pour leurs moyens de subsistance jusqu’à 400 pour cent sur le prix contant des effets, et il vole ainsi au pauvre son dernier chelin. Des exemples de cette nature se sont présentés fréquemment, et même jusqu’à cette année. »…

… « Les émigrés des paroisses sont généralement à la merci du capitaine ou du contre-maître, qui leur distribuent les provisions et qui souvent réduisent les émigrés à une petite ration aussitôt après le départ. Il se fait fréquemment des plaintes sur les faux poids et la mauvaise qualité des provisions… Des capitaines m’ont dit souvent, que les agents ne faisaient que passer en revue les passagers sur le pont, et s’informer de la quantité de provisions, et dans certains cas les faisaient produire devant eux, et alors il arrivait quelques fois que l’on montrait le même sac de gruau ou d’autres provisions comme appartenant à plusieurs personnes de suite. Le capitaine ne découvrait cela qu’après avoir mis à la voile. La simple revue des passagers sur le pont, sans aller où les provisions sont gardées, n’est point du tout une inspection ; et il arrive fréquemment que les passagers sont passés à bord par contrebande… Bien peu de vaisseaux sont suffisamment pourvus d’eau, ils ont peu de quarts, et ceux qu’ils ont étant de vieux quarts de chêne avec des fonds de pin, coulent beaucoup ; il arrive même souvent qu’ils tombent en botte. Ceci est arrivé dans plusieurs vaisseaux venant de Liverpool… Cette partie de la loi qui fixe l’espace qu’il doit y avoir entre les ponts des vaisseaux qui transportent les émigrés est souvent éludée, au moyen d’un faux pont un peu au-dessous des baux, ce qui fait que les passagers sont obligés de se tenir dans le voisinage du lest humide, pressés dans la partie la plus étroite du vaisseau où les baux prennent une bonne partie de l’espace qui leur est destiné par la loi. Il est tout-à-fait impossible que de tels arrangements puissent échapper à l’œil dans les ports de départ, si cette partie du vaisseau est visitée… Il existe un autre mal que l’on pourrait prévenir, en faisant un choix convenable de vaisseaux, savoir, le choix de vaisseaux qui sont à peine capables de porter la voile, ce qui expose les passagers à de très longs voyages. Comme le tonnage de la première classe des vaisseaux qui vont au Canada est plus que suffisant pour transporter tous les émigrés qui partent dans une année pour le Canada, on ne devrai certainement pas employer les vaisseaux inférieurs… Les rapports que me font la classe des capitaines qui amènent des passagers, et des chirurgiens qui sont à bord, sont tels qu’on ne peut pas s’y fier. Je prie qu’il me soit permis de citer un cas qui est arrivé l’an dernier.

Un vaisseau venant d’un port d’Irlande avec 150 passagers, le capitaine m’assura qu’il n’y avait eu aucune maladie dans le voyage ; et le Chirurgien me montra une liste, par lui signée, de certains petits dérangements, tels que dérangements de boyaux et fluxions qui avaient eu lieu dans le cours du voyage, et qui paraissaient sur la liste, avec la remarque, « guéri, » au bas de chaque nom. En faisant la visite ordinaire, je trouvai et j’envoyai à l’hôpital plus de 40 cas de fièvre typhoïde, qui n’avaient pas été capables de monter sur le pont et dont neuf étaient au lit dans la cale. Plusieurs avaient été amenés sur le pont, avec des morceaux de pain et des patates chaudes dans leurs mains, pour faire croire qu’ils étaient en bonne santé. Comme il existe un grand nombre de capitaines des plus respectables, un choix convenable par les agents des émigrés en Europe, préviendrait ces abus. Cette partie de l’acte qui pourvoit à ce qu’il y ait des médecins à bord, est aussi éludée. La majorité de ceux qui se donnent comme médecins, sont des étudiants ou des apprentis apothicaires dépourvus des connaissances médicales suffisantes pour être utiles aux émigrés, soit pour prévenir, soit pour guérir les maladies. La connaissance des moyens de prévenir la maladie abord d’un vaisseau est ce qui est principalement requis d’un médecin, connaissances qui manquent généralement à ceux que l’on trouve dans les vaisseaux. Ils ne sont non plus pas plus capables de guérir les maladies. Je fus à bord d’un vaisseau l’an dernier, dont le capitaine et trois passagers avaient les membres en bandage, pour une prétendue fracture, qu’âpres avoir examiné je trouvai être de simples meurtrissures. En examinant le bras du capitaine, j’observai qu’il n’y avait eu aucune fracture ; celui qui à bord se donnait comme le chirurgien répliqua : — « Je vous assure que le tibia et le fistula sont l’un et l’autre cassés. » Tout le monde sait que le tibia et fistula sont des os de la jambe. Ceci est un cas extrême, en apparence ; mais ce n’est pas un exemple forcé de l’ignorance et de la présomption de cette classe d’hommes que l’on emploie pour rencontrer les vues de la loi, qui a pour objet de pourvoir aux soins médicaux des passagers dans leur voyage. »

Le rapport de l’agent-général qui a été mis devant le Parlement l’an dernier, ne mentionne pas même un autre trait de notre système d’émigration, sur lequel j’ai encore des remarques à faire. Quelque défectueux que soient les arrangements actuels pour les passagers, ils ne sont pas pires que les moyens que l’on emploie pour l’aise et le confort des émigrés à leur arrivée dans les colonies. On pourrait dire en vérité qu’il n’a réellement rien été pourvu à cet effet. L’on verra par le maigre témoignage de l’agent des émigrés à Québec, que la situation qu’il tient est presque inutile. Je ne blâme nullement cet officier, mais je dirai seulement qu’il n’a aucun pouvoir ni aucun devoir à remplir. Presque tout ce qui est fait dans l’intérêt des émigrés, après qu’ils ont passés le lazaret, se fait par les sociétés des émigrés de Québec et de Montréal : Associations bienveillantes dont je dois parler dans les termes les plus avantageux. Nous devons en réalité à ces Sociétés toutes les améliorations qui ont été faites pour les passagers mais comme elles ont été formées dans le but seulement de soulager les citoyens des deux villes, et pour prévenir le spectacle d’une foule d’émigrés sans emploi et manquant de pain, leurs efforts n’ont pu avoir pour résultat que de faciliter le voyage des émigrés aux États-Unis, où les gens industrieux de toutes les classes, sont toujours certains de trouver de l’emploi et de bons gages. Dans le rapport sur l’émigration auquel j’ai déjà fait allusion, je trouve que l’on recommande de donner de préférence à des sociétés charitables une partie de ce qui concerne la conduite de l’émigration plutôt que d’employer les officiers des départements ordinaires du gouvernement. Je me crois obligé d’exprimer ma désapprobation entière de ce plan. Je puis à peine concevoir, qu’aucun devoir soit plus obligatoire pour le gouvernement que celui de prévenir un choix peu convenable d’émigrants, et d’assurer aux pauvres disposés a émigrer, toutes les facilités et l’assistance possible, à compter du moment où ils se décident à abandonner leur pays jusqu’à celui de leur établissement dans les colonies. Ce devoir est d’autant plus d’obligation pour le gouvernement, qu’il invite maintenant chaque année par centaines et par milliers les pauvres à émigrer. Il serait en vérité bien malheureux que le gouvernement allât ôter aux émigrés l’idée de ne point compter sur eux-mêmes, en faisant tout pour eux ; mais lorsque l’état conduit de grands nombres de gens dans une situation où il leur est impossible de réussir sans assistance, alors commence l’obligation de les assister ; et elle ne s’éteint point dans mon humble opinion, jusqu’à ce que ceux qui ont compté sur la foi et le soin paternel du gouvernement soient placés dans une position à se pourvoir par eux-mêmes. On peut voir par le témoignage suivant le peu d’égards qu’on a eu pour cette obligation, quant à ce qui se rapporte à l’émigration dans les colonies de l’Amérique Septentrionale de Votre Majesté : —

M. Buchanan, l’agent en chef des émigrés à Québec, dit : « Je n’ai reçu aucune communication de l’agent-général de l’émigration et, « les instructions que j’ai mentionnées réglant les procédés de mon office, ne contiennent, je conçois, aucunes directions spéciales quant aux devoirs que j’ai à remplir. En effet elles n’ont pas été du tout adressées à mon bureau. Je suppose qu’elles furent transmises, à mon prédécesseur, afin qu’il prit connaissance des vues du gouvernement métropolitain sur ce sujet. » Il peut y avoir eu des instructions spéciales pour guider l’agent des émigrés, mais je n’ai connais aucunes. J’ai toujours moi-même suivi la routine que j’ai trouvée établie. »

Le Dr. Skey dit : « Un émigré pauvre en arrivant dans cette province n’a généralement rien du tout, ou une très petite somme dans sa poche ; il entretient les idées les plus erronées sur sa perspective dans ce pays-ci ; il s’attend à avoir de l’emploi immédiatement et constamment avec de forts gages ; il ignore entièrement la nature du pays, et les lieux où il y a le plus d’ouvrage, et les meilleurs moyens d’obtenir de l’emploi. Il est débarqué du vaisseau, et avec son apathie et son manque d’énergie, il languit aux environs des quais, attendant qu’on lui offre de l’ouvrage, ou s’il obtient de l’emploi, il calcule sur sa permanence et se trouve désœuvré au commencement de l’hiver, lorsqu’il y a peu ou point de travail dans cette partie du pays, et sans aucunes provisions pour les besoins d’un hiver Canadien. De cette manière les émigrés s’accumulent souvent à Québec vers la fin des étés, encombrent la ville de pauvres, et deviennent la charge la plus onéreuse aux fonds charitables du public.

M. Forsyth dit : « L’émigration a fait des progrès depuis quelques années quant à ce qui regarde les malades pauvres et ceux qui ne sont nullement secourus par la société des émigrés et par les fonds prélevés en vertu de la taxe des émigrés ; mais à l’égard de la grande masse des émigrés, les malheureux résultats d’un manque total de système sont aussi sensibles que jamais. Les grands maux qui ont existé jusqu’ici doivent leur naissance au manque de système et particulièrement au manque de moyens convenables d’informations, de conseils et de protection. Ce manque d’informations donne nécessairement un caractère indécis à leurs mouvements. Incapables d’obtenir aucune information sur les meilleurs moyens de s’avancer dans cette province, ils se dirigent sur Toronto et trouvent là le même besoin ; ils deviennent découragés, et laissent la province en grand nombre pour aller se faire citoyens de l’Union Américaine. Mon observation sur ce sujet me donne lieu d’estimer la proportion des émigrés de la Grande-Bretagne qui se rendent aux États-Unis, à soixante sur cent pendant ces dernières années. »

M. Stayner dit : « Un grand nombre de ces pauvres ont peu ou point de connaissance sur l’agriculture, même d’une manière générale ; et ils sont tous ignorants sur la culture suivie en ce pays. Il s’en suit qu’après avoir pénétré dans la forêt, ils se trouvent eux-mêmes accablés de privations et de difficultés auxquelles ils ne sont pas capables de résister, et cédant à la misère qui le écrase, ils abandonnent leurs petites améliorations pour aller chercher ailleurs leur subsistance. Plusieurs gagnent les grandes villes dans les provinces, avec leurs familles en détresse, pour arracher par un travail journalier et par la mendicité une misérable existence ; tandis que d’autres plus entreprenante, tentés par l’espoir de forts gages et par le climat plus doux des États-Unis, vont chercher fortune dans ce pays. De temps en temps l’on voit quelques individus, doués de plus de capacités et possédant plus d’énergie dans le caractère que la masse des aventuriers qui arrivent, surmonter avec succès toutes ces difficultés et gagner l’aisance pour eux-mêmes et pour leurs familles ; mais la proportion de ceux-ci est petite. »

M. Jessupp dit : « Les émigrés envoyés par les paroisses sont très généralement inférieurs, au moral comme au physique, à ceux qui viennent par eux-mêmes. Les paroisses ont envoyé des gens beaucoup trop vieux pour gagner leur vie par le travail, et souvent des ivrognes et des gens d’habitudes dangereuses. Ces émigrés n’ont pas été un bien pour le pays, et n’y ont pas eux-mêmes trouvé de bénéfice ; et ceci est très naturel, car à en juger par la classe de gens qui était envoyée, l’objet a dû être de s’en débarrasser, et non de procurer leur avantage et celui de la colonie. Il est arrivé dernièrement un fait qui explique bien ce sujet. Un habitant respectable des townships de l’est, revenait dernièrement de l’Angleterre à bord d’un vaisseau sur lequel il se trouvait 136 passagers pauvres envoyée aux dépens des paroisses ; et sur ce nombre entier, il n’en trouva que deux qu’il voulût engager à aller s’établir dans les townships de l’Est. La conduite des autres, mâles et femelles, était si mauvaise, qu’il exprima son désir qu’ils pussent tous se rendre dans la province supérieure au lieu de s’établir dans ce district. Il faisait allusion principalement à l’ivrognerie et à une impudicité grossière… Les habitants de Québec et ceux de Montréal sont sujets à des appels constants de la part des gens qui arrivent ici, et qui errent de côté et d’autre dans un état de dénuement complet. »

Néanmoins l’exemple le plus frappent du manque de système et de précaution de la part du gouvernement est celui des vieux soldats appelés pensionnaires commués (commuted pensioners) dont près de 3000 se rendirent dans la colonie en 1832 et 1833. On trouvera dans les témoignages de M. Davidson et autres une description complète du sort de ses infortunés. Plusieurs d’entre eux débarquèrent à Québec avant que l’on eût reçu dans la colonie les instructions de leur payer les sommes qu’ils avaient droit d’avoir à leur arrivée, et même avant que le gouvernement provincial eût appris leur départ d’Angleterre. Plusieurs dépensèrent en débauches le montant de leur commutation, ou se le firent dérober pendant leur ivresse. Plusieurs n’essayèrent jamais de s’établir sur les terres qui leur étaient accordées ; et parmi ceux qui en firent l’essai, un grand nombre ne purent découvrir dans quel endroit des forêts leurs concessions étaient situées. Plusieurs vendirent leurs titres sur les terres pour une bagatelle, et se trouvèrent, quelques semaines après leur arrivée, dans un état de complète indigence. Sur le nombre entier qui s’est rendu dans la colonie, il n’y en a probablement pas un sur trois qui ait essayé de s’établir lui-même sur ses terres, et pas un sur six n’y reste actuellement établi. Le reste en général erra dans le voisinage des principales villes, où ils s’efforçaient d’arracher leur subsistance par la mendicité et un travail temporaire. Un grand nombre d’eux périt misérablement dans les deux années du choléra, ou succombèrent aux maladies engendrées par leurs habitudes dissolues. Le plus grand nombre d’entre eux sont peu-à-peu disparus. La situation de ceux qui survivent exige hautement quelque mesure de soulagement immédiat : ils sont dans un dénuement et une souffrance extrêmes. Leurs terres leur sont presque entièrement inutiles, et ils ne peuvent obtenir aucun emploi convenable soit comme fermiers, soit comme domestiques. Au commencement de chaque hiver, ils se trouvent conséquemment à la merci de la charité publique. Dans la province supérieure leur situation est également déplorable, un grand nombre d’entre eux seraient péris dans une détresse absolue s’ils n’eussent pas été secourus par le gouvernement provincial. J’ai lieu d’espérer que leurs pensions leur seront rendues, et qu’à l’avenir si jamais le gouvernement intervient directement ou indirectement pour promouvoir l’émigration de gens pauvres dans ces colonies, ce sera sous quelque arrangement systématique calculé pour prévenir le choix de classes incapables de profiter par leur déplacement, et pour protéger les autres classes contre les infortunes, dans lesquelles ils peuvent maintenant tomber par leur ignorance sur la nature du nouveau pays et le manque de tous préparatifs à leur arrivée.

En soumettant ces faits à Votre Majesté, ce n’est point du tout mon objet de décourager l’émigration dans vos colonies de l’Amérique du Nord. Au contraire, j’ai la satisfaction de croire que la principale valeur de ces colonies pour la mère patrie consiste en ce qu’elles offrent un vaste champ, où des millions de ceux mêmes qui sont dans la métropole peuvent être établis dans l’abondance et le bonheur. Tous les messieurs dont je viens de citer les témoignages sont de chauds avocats d’une émigration systématique. Je m’oppose, d’accord avec eux, seulement à l’émigration telle qu’elle a maintenant lieu — sans prévoyance, sans préparation, et sans méthode ou système quelconque.