Rapports du physique et du moral de l’homme/Cinquième Mémoire

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CINQUIÈME MÉMOIRE



De l’influence des sexes sur le caractère des idées et des affections morales.




INTRODUCTION

Dans le système de l’univers, ce qui se passe tous les jours est précisément ce qui mérite le plus d’attention. Rien n’appelle si fortement les regards des hommes véritablement réfléchis, que ce retour régulier des mêmes circonstances et des mêmes phénomènes ; rien sur-tout n’est si digne de leurs méditations, que ce renouvellement successif des mêmes formes vivantes, que cette reproduction continuelle des mêmes êtres, ou des mêmes races, qui portent en elles le principe d’une durée indéfinie.

À mesure qu’on fait de nouveaux pas dans la connoissance de la nature, on voit combien sont variées les méthodes qu’elle met en usage pour la perpétuation des races. C’est un des objets qu’elle semble avoir eus le plus à cœur ; c’est celui pour lequel elle a déployé toute la richesse de ses moyens. Vainement, par de savantes classifications, s’est-on efforcé de ramener des phénomènes si divers, à certaines lois communes et constantes : de nouveaux faits ont sans cesse renversé, ou modifié les résultats trop ambitieux des faits précédemment connus ; et l’imagination peut à peine concevoir des formes possibles de propagation, dont la nature ne fournisse bientôt les exemples aux observateurs.

Il n’entre point dans notre plan de parcourir ce tableau, qui s’étend et se diversifie tous les jours davantage ; ni sur-tout d’assigner les circonstances propres à chaque forme particulière. Mais les historiens du système animal, ceux spécialement qui s’attachent à peindre les mœurs des différentes espèces, doivent regarder maintenant comme indispensable, de fixer plus particulièrement leur attention sur l’ordre des phénomènes dont je parle ici. Peut-être n’auront-ils pas de peine à voir que les penchans et les habitudes propres à chacune, tiennent, en grande partie, à la manière dont elle se propage ; et que le caractère de ses besoins, de ses plaisirs et de ses travaux, sa sociabilité, sa perfectibilité, l’étendue ou l’importance de ses relations, soit avec les autres espèces, soit avec les divers agens, ou corps extérieurs, tirent particulièrement leur source des circonstances, ou des conditions auxquelles sa reproduction est attachée, et de la disposition des organes employés à cette fin.

Quant à nous, c’est l’homme seulement que nous avons en vue ; l’homme dont la sensibilité plus étendue et plus délicate, embrassant plus d’objets et s’appliquant à plus de nuances, peut être singulièrement modifiée par les moindres changemens survenus, ou dans la manière dont elle s’exerce, ou dans les dispositions des agens extérieurs. Nous ne sortirons donc point de ce sujet, déjà si vaste par lui-même, si difficile à saisir sous toutes ses faces : et même dans l’histoire des sexes, qui forme proprement l’objet de ce Mémoire, pour ne pas faire un gros livre, nous serons encore obligés de nous borner aux points sommaires et généraux ; ou si nous nous arrêtons quelquefois sur des faits particuliers, ce ne sera du moins qu’autant que leur connoissance paroîtra nécessaire à la sûreté de notre marche, et à l’évidence de nos résultats.

Notre intention n’est point de retracer des tableaux faits pour plaire à l’imagination ; rien assurément ne seroit ici plus facile. Dans les sujets de cette nature, le physiologiste est sans cesse entouré d’images qui peuvent le captiver et le troubler lui-même : et la peinture des sentimens les plus passionnés vient, presque malgré lui, se mêler sans cesse aux observations du moraliste philosophe. Nous voulons éloigner, au contraire, tout ce qui pourroit s’écarter de la plus froide observation : nous sommes, en effet, des observateurs, non des poètes ; et dans la crainte de détourner l’attention que cet examen demande, par des impressions entièrement étrangères à notre but, nous aimons mieux n’offrir que le plus simple énoncé des opérations de la nature, et nous renfermer dans les bornes de la plus aride et de la plus froide exposition.

§. i.

L’homme, ainsi que les autres animaux les plus parfaits, à la tête desquels le placent sa structure et son éminente sensibilité, se propage par les concours de deux êtres, dont l’organisation a beaucoup de choses communes, mais qui diffèrent cependant par plusieurs traits particuliers. Il sort du sein de la mère avec des organes capables de résister aux impressions de l’air atmosphérique, et d’assimiler la nourriture : il peut déjà vivre de sa vie propre. Il ne doit pas rester encore, durant des espaces de temps indéterminés, comme l’ovipare, recouvert d’une enveloppe étrangère, et plongé dans un sommeil qui ne paroît guère pouvoir être distingué de celui du néant : il n’attend pas qu’une chaleur créatrice vienne lui communiquer le mouvement et la vie, au milieu de fluides nourriciers préparés d’avance par la nature, comme une douce provision pour le premier âge, tels que ceux dans lesquels nage long-temps, comme un point invisible, l’embryon du serpent, de la tortue et de l’oiseau. Dans l’utérus, le fœtus humain a vécu d’humeurs animalisées par l’action des vaisseaux de la mère : immédiatement après sa naissance, il vit du lait que lui préparent chez elle des organes consacrés spécialement à cet objet.

Mais la durée de la gestation, celle de l’enfance, où les secours du père et de la mère sont indispensables, et l’époque de la puberté, c’est-à-dire, ce moment où la faculté d’engendrer se manifeste par des signes sensibles, ne sont pas, à beaucoup près, les mêmes dans les différentes espèces d’animaux ; ces circonstances ne sont point liées entre elles et par des rapports uniformes et constans. L’enfance de l’homme est la plus longue, et sa puberté la plus tardive, quoique le temps de la gestation soit plus court pour lui que pour quelques autres races. Ces circonstances, encore une fois, ont l’influence la plus marquée sur les besoins, sur les facultés sur les habitudes de l’homme. Mais, pour en apprécier avec justesse les effets, on sent bien qu’il faut prendre la mesure comparative, soit de l’enfance, soit des autres époques, d’après la durée totale de la vie.

Semblable encore, à cet égard, aux animaux les plus parfaits, l’homme ne naît donc pas avec la faculté de reproduire immédiatement son semblable : les organes qui doivent servir un jour à cette importante fonction, paraissent plongés dans un profond engourdissement ; et les appétits qui la sollicitent, n’existent pas encore.

Mais la nature n’a pas simplement distingué les sexes par les seuls organes, instrumens directs de la génération : entre l’homme et la femme, il existe d’autres différences de structure, qui se rapportent plutôt au rôle qui leur est assigné, qu’à je ne sais quelle nécessité mécanique qu’on a voulu chercher dans les relations de tout le corps avec quelques-unes de ses parties.

Chez la femme, l’écartement des os du bassin est plus considérable que chez l’homme ; les cuisses sont moins arquées ; les genoux se portent plus en dedans ; et, lorsqu’elle marche, le changement du point de gravité qui marque chaque pas, est beaucoup plus sensible.

D’un autre côté, les fibres de la femme sont plus molles, ses muscles moins vigoureux.

De cette double circonstance, il résulte, non-seulement que les diverses parties de la charpente osseuse n’ont pas entre elles, les mêmes rapports dans les deux sexes ; mais que les muscles plus forts de l’un produisent, par leur action répétée, certaines courbures, certaines éminences des os, beaucoup plus remarquables chez lui : de sorte que les rainures profondes qu’ils y tracent, par une compression continuelle, pourroient seules servir à faire distinguer le squelette de l’homme. De-là, il résulte également que la partie centrale, ou le ventre des muscles devient moins saillant et moins prononcé dans la femme ; qu’entourés de toutes parts d’un tissu cellulaire lâche, ces organes conservent aux membres les molles rondeurs et la souplesse de formes, que les grands artistes ont si bien reproduites dans les images de la beauté. Enfin, de-là, il résulte encoe que chez les femmes, certaines parties, naturellement plus lâches et plus abreuvées de sucs cellulaires, prennent un accroissement particulier, au moment où leur sympathie avec l’utérus les faisant entrer en action de concert avec lui, appelle dans tous leurs vaisseaux, une quantité plus considérable d’humeurs.

§. ii.

Mais ces différences ne se font remarquer bien distinctement, que vers le moment où les deux sexes se trouvent parvenus au terme de leur perfection spéciale et respective. Dans la première enfance, elles restent confondues sous des apparences extérieures, qui sont à-peu-près les mêmes pour l’un et pour l’autre. Les muscles n’ont encore produit aucun changement notable dans la direction des os ; les parties charnues et glandulaires ne paroissent différer encore, ni quant à leur forme, ni quant à leur volume relatif : et la distinction des squelettes se tire même difficilement alors, de l’écartement des hanches et de la largeur comparée du bassin.

La même confusion semble régner dans les dispositions morales des enfans de l’un et de l’autre sexe. Les petites filles participent à la pétulance des petits garçons ; les petits garçons, à la mobilité des petites filles. Les appétits, les idées, les passions de ces êtres naissans à la vie de l’âme, de ces êtres encore incertains, que la plupart des langues confondent sous le nom commun d’enfans, ont, dans les deux sexes, la plus grande analogie. Ce n’est pas cependant qu’un observateur attentif ne remarque entre eux déjà, de notables différences ; que déjà les traits distinctifs de la nature ne commencent à se montrer, et dans les formes générales de l’organisation, et dans les habitudes morales, ou dans les accens naïfs des affections de cet âge. Sans doute, les garçons ont quelque chose de plus emporté dans leurs mouvemens ; ils donnent moins d’attention aux petites choses : peut-être même, en y regardant de plus près, trouveroit-on que leurs attitudes ne sont pas seulement plus libres et plus prononcées, mais qu’elles diffèrent aussi par la disposition habituelle à tel mouvement plutôt qu’à tel autre.

Les petites filles sont déjà sensiblement occupées de l’impression qu’elles font sur les personnes qui les entourent ; sentiment presque inconnu dans ces premiers temps, aux petits garçons, du moins lorsque des excitations artificielles n’ont pas fait naître en eux une vanité précoce : et dans leurs jeux, comme J. J. Rousseau l’observe très-bien, les filles préfèrent toujours ceux qui sont le plus relatifs au rôle que la nature leur destine ; elles semblent vouloir s’y préparer en le répétant de toutes les manières. Enfin, déjà l’art de la conversation, par lequel elles doivent un jour assurer leur empire, commence à leur devenir familier : elles s’y exercent incessamment : et ce tact délicat des convenances, qui distingue particulièrement leur sexe, paroît se développer chez elles, comme une faculté d’instinct, bien longtemps avant que les jeunes garçons en aient la plus légère idée, long-temps même avant qu’ils aient reçu les impressions qui lui donnent naissance, et senti de quel usage il peut être dans la vie.

Mais, encore une fois, la différence physique et morale des sexes ne se prononce bien distinctement qu’à l’époque de la puberté.

Nous ne sommes point encore, et peut-être ne serons-nous jamais en état de déterminer par quelle action particulière les organes de la génération influent sur les autres organes ; comment ils dirigent, en quelque sorte, leurs opérations, et modifient le caractère et l’ordre des phénomènes qui s’y rapportent. Mais cette influence est évidente ; elle est incontestable. Les formes et les habitudes des hommes mutilés se rapprochent de celles de la femme. Les femmes chez qui l’utérus et les ovaires restent dans une inertie complète pendant toute la vie, soit que cela tienne à quelque vice de conformation, soit que la sensibilité du système nerveux, ou de quelques-unes de ses divisions ne s’exerce pas chez elles suivant l’ordre naturel ; ces femmes se rapprochent des formes et des habitudes de l’homme. Dans ces deux espèces d’êtres indécis, on ne retrouve ni la disposition des membres et des articulations, ni la démarche, ni les gestes, ni le son de voix, ni la physionomie, ni la tournure d’esprit et les goûts propres leur sexe respectif.

Il n’y a rien de plus absurde que de chercher une cause mécanique de ces phénomènes accidentels, et même des phénomènes plus réguliers dont ils viennent contrarier la marche, mais dont cependant ils servent à faire mieux reconnoître les lois. Les uns et les autres ne peuvent assurément se déduire ni de la structure des organes auxquels ils appartiennent, ni de la nature connue des liqueurs qui s’y préparent. Mais la considération de quelques circonstances physiologiques assez simples en elles-mêmes, semble pouvoir nous faire sortir un peu de ce vague des causes occultes, auxquelles les anciens bornoient leur théorie, et dont les modernes n’ont guère fait jusqu’à présent, que changer la dénomination. Et même, on peut le dire, ces derniers, en substituant aux suppositions des anciens, d’autres explications plus dogmatiques, ont donné naissance à des erreurs bien plus graves et bien plus dangereuses : ils ont fait contracter aux esprits, la mauvaise habitude de chercher à déterminer la nature des causes, dans les cas où nous ne pouvons qu’observer les effets ; et en déterminant ces causes, ils ont souvent personnifié de pures abstractions.

C’est d’abord un fait certain, n’importe la manière dont il a lieu, que les fibres charnues sont plus foibles, et le tissu cellulaire plus abondant chez les femmes que chez les hommes. Secondement, on ne peut douter que ce ne soit la présence et l’influence de l’utérus et des ovaires qui produisent cette différence : elles la produisent infailliblement toutes les fois que ces organes sont originairement bien conformés, et que leur développement se fait suivant l’ordre naturel. Or, cette foiblesse des muscles inspire un dégoût d’instinct pour les violens exercices ; elle ramène à des amusemens, et, quand l’âge en rend l’individu susceptible, à des occupations sédentaires. Il est même constant que les personnes à fibres molles et chargées de tissu cellulaire, ont besoin de peu de mouvement pour conserver leur santé : lorsqu’elles en font davantage, leurs forces s’épuisent bien vite, et elles vieillissent avant le temps. On peut ajouter que l’écartement des hanches rend la marche plus pénible chez les femmes, à raison du mouvement plus considérable qui se fait à chaque pas, comme on l’a vu ci-dessus, pour changer le centre de gravité. Voilà donc leur genre de vie, pour ainsi dire, indiqué d’avance par une circonstance d’organisation qu’on pourroit considérer comme très-minutieuse, que même, dans le premier âge, on saisit encore à peine. D’autre part, ce sentiment habituel de foiblesse inspire moins de confiance. Ne se sentant pas les moyens d’agir sur les objets par une force directe, la femme en cherche d’autres plus détournés : et moins elle se trouve en état d’exister par elle-même, plus elle a besoin d’attirer l’attention des autres, de fortifier sa propre existence de celle des êtres environnans qu’elle juge les plus capables de la protéger.

Ces observations suffiroient presque pour expliquer les dispositions, les goûts et les habitudes générales des femmes. Les femmes doivent préférer les travaux qui demandent, non de la force musculaire, mais une adresse délicate : elles doivent s’exercer sur de petits objets : leur esprit acquerra par conséquent, plus de finesse et de pénétration, que d’étendue et de profondeur. Menant une vie sédentaire (car la nature des travaux qui leur conviennent, ne les y retient pas moins fortement, que les penchans immédiats dépendans de leur organisation), vous voyez, en quelque sorte, se développer en elles, un nouveau système physique et moral. Elles sentent leur foiblesse ; de-là, le besoin de plaire : elles ont besoin de plaire ; de-là, cette continuelle observation de tout ce qui se passe autour d’elles ; de-là, leur dissimulation, leurs petits manèges, leurs manières, leurs grâces, en un mot leur coquetterie, qui, dans l’état social actuel, doit être regardée comme la réunion, ou le résultat de leurs bonnes et de leurs mauvaises qualités.

Par les raisons contraires, les petits garçons trouvent dans leur instinct, une pente originelle et caractéristique : ils doivent, en conséquence, contracter des manières et des habitudes absolument opposées. Plein du sentiment de leur force naissante, et du besoin de l’exercer, le repos leur est désagréable et pénible : il leur faut des mouvemens vifs ; et ils s’y livrent avec impétuosité. Ainsi donc, sans entrer dans de grands détails, l’on voit que de leurs dispositions originelles et du genre d’amusemens, ou d’occupations qu’elles les déterminent à préférer, se forment directement la tournure de leurs idées et le caractère de leurs passions. Or, les passions et les idées de l’homme fait ne sont que celles de l’enfant, développées et complétées par la maturité des organes et par l’expérience de la vie.

§. iii.

Mais jusqu’ici, rien ne nous apprend comment ces modifications si générales, peuvent dépendre des conditions propres à certains organes particuliers. Il est donc nécessaire de remonter plus haut, pour voir si dans l’explication de cette grande influence qu’exercent ceux de la génération, on peut tirer quelque lumière de leur structure, de leurs fonctions, de leurs rapports physiologiques avec les autres branches du système.

Nous voyons d’abord que les parties qu’animent des nerfs venus de différens troncs, ou formés de différens nerfs réunis, sont, ou plus sensibles, ou plus irritables, et presque toujours l’un et l’autre à-la-fois. La nature semble avoir à dessein, placé les ganglions et les plexus dans le voisinage des viscères, où l’influence nerveuse doit être le plus considérable. L’épigastre et la région hypocondriaque en sont comme tapissés : aussi leur sensibilité est-elle extrêmement vive, leurs symphaties extrêmement étendues ; et les portions du canal intestinal qui s’y rapportent, jouissent d’une irritabilité que celle du cœur paroît égaler à peine, ou même n’égale pas. Voilà un premier fait qui ne peut échapper aux observateurs.

Mais les nerfs des parties de la génération, dans l’un et dans l’autre sexe, sans être en apparence fort importans par leur volume, ou par leur nombre, sont pourtant formés de beaucoup de nerfs différens : ils ont des relations avec ceux de tous les viscères du bas-ventre, et par eux, ou plutôt par le grand sympathique qui leur sert de lien commun, avec les divisions les plus essentielles et l’ensemble du système nerveux. Enfin, autour, ou dans le voisinage de ces parties, il en est plusieurs autres presque aussi sensibles qu’elles-mêmes, et qui concourent, par leur influence puissante et non interrompue, à les imprégner sans cesse d’une plus grande vitalité.

Les hommes instruits dans l’économie animale, savent combien ces diverses circonstances réunies peuvent donner d’étendue et de force aux sympathies d’un organe, quelles que soient d’ailleurs ses fonctions.

En second lieu, des observations certaines prouvent que le système nerveux (dont l’organisation primitive et la manière d’agir déterminent la sensibilité générale de tous les organes, pris dans leur ensemble, et la sensibilité particulière de chacun d’eux considéré séparément), ces observations prouvent que le système nerveux peut à son tour, être lui-même puissamment modifié par le caractère des fonctions de ceux dont le rôle est le plus important ; c’est-à-dire, en d’autres termes, par les impressions habituelles qui lui viennent de quelques-unes de ses extrémités les plus sensibles. La perte d’un sens ne produit pas seulement une augmentation d’énergie, ou d’attention dans ceux qui restent, et qui semblent, dans ce cas, redoubler d’efforts pour le remplacer ; mais il en résulte encore que la manière de sentir et de réagir du système nerveux n’est plus la même, et qu’il contracte de nouvelles habitudes, dont la liaison est évidente avec les impressions insolites que ces sens commencent alors à recevoir. La pratique de la médecine nous prouve par des exemples journaliers, que les affections des différentes parties influent de la manière la plus directe, sur les goûts, sur les idées, sur les passions. Dans les maladies de poitrine, les dispositions morales ne sont point du tout les mêmes que dans celles de la rate, ou du foie. On a plus, ou moins de pente vers un certain ordre d’idées, ou de sentimens (comme, par exemple, vers celui qui se rapporte aux croyances religieuses), dans certains états particuliers de langueur, que dans d’autres : et la plus grande aptitude aux travaux qui demandent, ou beaucoup de force et d’activité dans l’imagination, ou des méditations opiniâtres et profondes, dépend souvent d’un état maladif général, introduit dans le système, par le dérangement des fonctions de quelques viscères abdominaux.

Ainsi donc, que des organes douées d’une sensibilité singulière, exercent un empire très-étendu sur l’organe général de la vie, rien de plus conforme aux lois de l’économie animale ; et l’on n’a pas de peine à reconnoître que c’est ici seulement l’un des phénomènes les plus remarquables qui se rapportent à ces lois.

En troisième lieu, les parties des organes de la génération qui paroissent être le principal foyer de leur sensibilité propre[1], sont de nature glandulaire ; et, pour le dire en passant, ces glandes particulières diffèrent singulièrement par-là, de la plupart des autres, qui se montrent presque insensibles dans l’état naturel. Or, tous les faits pathologiques prouvent que le système glandulaire forme, en quelque sorte, un tout distinct, dont les différentes parties communiquent entre elles, et ressentent vivement et profondément les affections les unes des autres. Ainsi, l’engorgement des glandes de l’aîne produit bientôt celui des glandes de l’aisselle, ou du cou ; et celles des bronches partagent bientôt les maladies de celles du mésentère. Mais nous avons vu, dans le mémoire précédent[2], que l’état des glandes influe beaucoup sur celui du cerveau, dont l’énergie peut être considérablement augmentée ou diminuée par cette cause ; et cela doit être vrai sur-tout pour des glandes qui se distinguent particulièrement par leur éminente sensibilité.

Quatrièmement, nous savons que les organes de la génération, chez les mâles, préparent une liqueur particulière, dont les émanations refluant dans le sang, lui communiquent un caractère plu stimulant et plus actif. C’est à l’époque de la formation, ou de la maturité de cette liqueur, que la voix devient plus forte, les mouvemens musculaires plus brusques, la physionomie plus hardie et plus prononcée. C’est alors que paroissent les poils de la face et de quelques autres parties, signes non équivoques d’une vigueur nouvelle. Dans quelques animaux, la liqueur séminale imprime à toutes les autres humeurs une odeur forte, qui fait distinguer facilement et l’espèce, et le sexe de l’individu : souvent aussi la production des cornes et de certaines protubérances calleuses tient évidemment à sa présence et à son action.

D’autre part, tout annonce que, dans les ovaires des femmes, il se forme également une humeur particulière, qui contient les matériaux de l’embryon, qui du moins concourt à les fournir, et dont la résorption dans le sang, y porte des principes analogues aux excitations nouvelles qui doivent être ressenties par tout le système. Les vésicules lymphatiques, que plusieurs physiologistes ont considérées comme de véritables œufs, et les corps jaunes (corpora lutea)[3], nous présentent cette humeur sous deux formes différentes, qu’elle est susceptible de prendre dans certaines circonstances déterminées : et l’apparition des règles ; la turgescence des glandes mammaires et du tissu cellulaire qui les environne ; quelques sympathies remarquables, qui n’existoient pas avant que les ovaires entrassent en action ; l’éclat plus vif des yeux, et le caractère plus expressif, mais plus timide et plus réservé, des regards et de tout le visage, ne nous laissent aucun doute sur l’impulsion générale que la présence de cette humeur donne à tous les organes ; impulsion correspondante à celle que nous venons de remarquer dans les adolescens, et parfaitement conforme à la destination propre de la femme.

Une preuve que tout cela se passe par l’influence directe des ovaires, et vraisemblablement aussi par celle du fluide éminemment vitalisé qui se prépare et circule dans leurs vaisseaux, c’est que tout le temps que ces corps glanduleux, et par sympathie l’utérus, restent dans l’engourdissement de l’enfance, il ne survient aucun des phénomènes dont nous venons de parler. Si cet état se prolonge encore après l’époque ordinaire de la puberté, la femme paroît bientôt se rapprocher de l’homme par quelques-uns de ses caractères extérieurs, par quelques-uns même de ses goûts : et si la langueur des organes de la génération tient à quelque vice accidentel, indépendamment de la suspension des phénomènes propres à la puberté chez les filles, il survient une espèce de maladie dont le principal symptôme est l’inertie de la sanguification. Or, non-seulement cette maladie ne se guérit que lorsque la matrice et les ovaires rentrent dans l’orde régulier de leurs fonctions ; mais sa cure peut s’opérer assez souvent par leur excitation directe.

Cinquièmement enfin, pour bien entendre l’influence différente de ces organes dans les deux sexes (car ce que nous avons dit jusqu’ici s’applique également à l’un et à l’autre), il faut concevoir des dispositions particulières dans la formation primitive du système nerveux, ainsi que dans celle du tissu cellulaire, des muscles et des os. Ces dispositions dépendent sans doute des circonstances inconnues, en vertu desquelles l’embryon lui-même se forme, vit et se développe : leur raison se rapporte donc à celle de la différence des sexes ; ce sont de simples faits qu’il faut admettre comme tels, sans prétendre remonter plus haut. Mais une fois admis, et laissant ainsi leurs causes de côté, l’on peut se faire une idée assez juste de ce qu’ils sont en eux-mêmes, et sur-tout du vrai caractère des phénomènes subséquens qui s’y lient. Quelques considérations physiologiques, immédiatement enchaînées à des vérités déjà reconnues, suffisent, je crois, pour éclaircir en particulier, la question qui nous occupe maintenant.

§. iv.

Dans la femme, la pulpe cérébrale participe de la mollesse des autres parties. Le tissu cellulaire qui revêt cette pulpe, ou qui s’insinue dans ses divisions, est plus abondant ; les enveloppes qu’il forme sont plus muqueuses et plus lâches. Tous les mouvemens s’y font d’une manière plus facile, et par conséquent plus prompte ; ils s’en font aussi d’une manière plus vive, tant à cause de la docilité correspondante des fibres musculaires et des vaisseaux, que de la briéveté relative de toute la stature. Or, la promptitude et la vivacité d’action dans le système nerveux, sont la mesure de la sensibilité générale du sujet. Mais, d’un côté, nous avons vu que, même dans les cas où la foiblesse des fibres charnues n’est pas originelle, l’effet de cette sensibilité si grande et si rapide est bientôt de produire directement cette foiblesse ; comme, au contraire, la force radicale des muscles se lie à des impressions fortes, profondes, et par conséquent moins précipitées. D’un autre côté, dans l’économie animale il n’y a point d’impulsion énergique, toutes les fois que cette impulsion n’éprouve point de résistance : sa facilité même l’énerve et l’anéantit. Si l’énergie de réaction dépend de celle d’action, à son tour l’action s’entretient par la réaction qui lui succède, et qui devient pour elle un stimulant indispensable. Ainsi, tandis que chez l’homme, la vigueur du système nerveux et celle du système musculaire s’accroissent l’un par l’autre, la femme sera plus sensible et plus mobile, parce que la contexture de tous ses organes est plus molle et plus foible, et que ces dispositions organiques primitives sont reproduites à chaque instant, par la manière dont s’exerce chez elle, la sensibilité.

Maintenant, il ne faut pas oublier que, si les nerfs vont porter la vie à tous les organes, chaque organe en particulier, à raison des impressions qu’il reçoit et des fonctions qu’il remplit, influe de son côté plus, ou moins, sur l’état de tout le système nerveux. Les effets d’une affection locale deviennent souvent généraux ; souvent une seule partie semble tenir le tout sous son empire : et plus la sensibilité sera grande, et les communications libres et rapides : plus aussi cette influence devra produire de phénomènes, non pas durables et profonds, mais subits, variés, extraordinaires.

L’on voit donc que les organes de la génération, par leur éminente sensibilité, par les fonctions que la nature leur confie, par le caractère des liqueurs qui s’y préparent, doivent réagir fortement sur l’organe sensitif général, et sur d’autres parties très-sensibles comme eux, avec lesquelles ils sont dans des rapports directs de sympathie. Cette réaction doit se faire remarquer particulièrement à l’époque où leurs fonctions commencent. En effet, c’est alors seulement (car tout ce qui se passe d’analogue dans l’enfance paroît dépendre principalement des dispositions organiques primitives, dont nous avos déjà parlé) ; c’est alors qu’une suite de déterminations particulières imprime à l’un et l’autre sexe, les penchans et les habitudes propres à leur rôle respectif. On voit aussi que ce qu’il y a de commun à tous les deux, sous ce point de vue, s’explique par la vivacité des sensations et la puissance sympathique des organes génitaux ; ce qu’il y a de différent, par la contexture originelle des diverses parties, qui certainement n’est pas la même dans les deux sexes : on voit, en un mot, que toutes les lois de l’économie animale, ou tous les faits physiologiques généraux se rapportent ici, d’une manière tantôt directe, tantôt médiate, à celui qui nous occupe, et qu’ils se réunissent pour l’éclaircir.

Telle est l’idée qu’on peut se faire des circonstances principales qui déterminent cet ébranlement général du système, qu’on observe au moment de la puberté ; circonstances qui servent également à expliquer les différences singulières de ses effets dans l’homme et dans la femme : telle est du moins la manière dont je les conçois : et quand il resteroit encore ici quelque chose d’obscur et d’indéterminé, les phénomènes n’en seroient pas moins constans, ni l’application de leurs résultats à nos recherches idéologiques et morales moins sûre et moins utile.

Mais il ne suffit pas d’établir ces points sommaires de doctrine : des conséquences si générales ont besoin d’être rattachées à quelques détails plus sensibles et plus positifs.

Suivons encore la nature dans les principales modifications qu’elle imprime aux sexes différens, et dont elle se sert pour les mieux approprier l’un et l’autre à leur but respectif.

§. v.

L’époque de la puberté est, comme nous venons de le voir, celle d’un changement général dans toute l’existence humaine. De nouveaux organes entrent en action ; de nouveaux besoins se font sentir ; un nouvel état moral se développe. C’est alors que l’enfant cesse d’être enfant, et que sa destination, relativement à l’espèce, se marque par des traits qu’il n’est plu possible de méconnoître.

Nous avons dit que ce changement étoit annoncé par quelques circonstances physiques, qui tendent à distinguer les deux sexes de plus en plus. L’objet même qu’ils ont à remplir, exige que la douce confusion qui a régné entre eux jusqu’à ce moment, ne se prolonge pas davantage. Nous avons dit que les formes extérieures propres à l’un, ou à l’autre, prenoient alors un caractère plus prononcé ; que ce n’étoit pas seulement dans les organes qui la caractérisent spécialement, que cette distinction se trouvoit tracée ; mais que l’empreinte en devenoit sensible dans la structure de presque toutes les parties, et sur-tout dans la manière dont s’exécutent leurs fonctions.

Parmi ces circonstances, il en est deux qui paroissent, en quelque sorte, communes aux deux sexes, et qui méritent une attention particulière, parce qu’elles peuvent jeter encore quelque jour sur les procédés de la nature. On va voir qu’elles se rapportent directement aux considérations exposées ci-dessus.

Nous n’avons pas négligé d’établir les rapports sympathiques qui existent entre toutes les branches du système glandulaire ; et nous savons que les parties des organes de la génération, qu’on peut regarder comme le foyer principal de leur sensibilité particulière, ou qui paroissent imprimer aux autres la vie et le mouvement, sont, à proprement parler, des glandes[4]. Aussi, du moment que l’évolution de ces organes commence, il se fait un mouvement général dans tout l’appareil lymphatique : les glandes des aînes, celles des mamelles, des aisselles, du cou, se gonflent ; souvent elles deviennent douloureuses. Ce n’est pas seulement chez les filles que les glandes mammaires acquièrent alors un volume plus considérable ; je les ai vues, nombre de fois, former, chez les jeunes garçons, des tumeurs qui paroissoient inflammatoires : assez souvent aussi je les ai vu prendre pour telles par des médicastres ignorans. Pour l’ordinaire, cet accident cause de l’inquiétude à ceux qui l’éprouvent : mais leur inquiétude est moins causée par la douleur (qui ne laisse pourtant pas quelquefois de gêner beaucoup les mouvemens du corps), que par l’influence de cette activité nouvelle, que l’ébranlement général du système imprime alors à l’imagination.

Le premier essai des plaisirs de l’amour est souvent nécessaire pour compléter le développement des organes qui en sont le siège ; et la sensibilité de ces organes n’existe toute entière qu’après s’être exercée. Aussi, le gonflement général de toutes les parties où se trouvent situées les glandes, notamment celui du sein et de la face antérieure du cou, est-il souvent la suite de cette vive commotion. Les caractères qui manifestent ce gonflement sont beaucoup plus remarquables chez les femmes ; cela doit être encore. La contexture molle de tous les organes les rend, chez elles, plus susceptibles de ces turgescences spontanées : ils sont entourés et pénétrés par un tissu cellulaire plus abondant ; et ce tissu prend toujours lui-même une part active à l’état des parties auxquelles il se trouve uni. Ce n’est donc pas sans quelque raison, peut-être, que les anciens médecins, et même quelques modernes, ont donné le gonflement subit du cou dans les jeunes filles, pour un signe de défloraison. Mais ils ont eu tort d’en faire un signe général et certain : il n’est assurément ni l’un ni l’autre.

La tuméfaction du système glandulaire et lymphatique se lie, à son tour, à des dispositions intérieures particulières, et à certaines directions nouvelles que le sang commence à prendre en même temps : ces relations sympathiques forment la seconde circonstance dont nous avons voulu parler.

§. vi.

Il est certain que la résorption des humeurs spéciales que préparent les organes de la génération, et l’influence directe qu’ils exercent par leur vive sensibilité, sur tout le système sanguin, donnent alors au sang, plus d’énergie et de vitalité. Ce fluide devient plus stimulant pour les vaisseaux qui le contiennent. Leur ton, et particulièrement celui des artères, augmente considérablement. Enfin, la circulation prend une activité qu’elle n’avoit pas encore. Tout cela se manifeste avec évidence, par l’accroissement des forces et de la chaleur animale, par l’impétuosité des mouvemens vitaux, par la flamme nouvelle dont brillent les regards et la physionomie, par les hémorragies, tantôt anomales et tantôt régulières, mais toujours actives et spontanées, qui s’établissent simultanément. Des changemens si notables dans l’état et dans le cours du fluide dont toutes les autres humeurs sont formées, produisent nécessairement une révolution générale : chacune de ces humeurs acquiert des qualités, et sur-tout reçoit des impulsions analogues : leurs organes sécrétoires et leurs vaisseaux redoublent d’action. Or, la lymphe, les glandes et les vaisseaux blancs qui leur appartiennent, doivent sans doute, par leur importance et par l’étendue de leurs fonctions, être des premiers à s’en ressentir : et cette révolution entre d’ailleurs si bien dans le système des opérations successives de la vie, elle est si nécessaire à leur enchaînement, que, lorsqu’elle vien à manquer, soit par l’état général de débilité des nerfs et du cerveau, soit par les affections particulières des organes dont elle dépend, il en résulte, comme nous l’avons déjà fait observer, une maladie exclusivement propre à cet âge et à ces circonstances.

Tout le monde sait que les jeunes filles chez qui le caractère distinctif de la nubilité ne se montre pas à l’époque ordinaire, tombent souvent dans une langueur cachectique, connue sous le nom de chloroses, ou pâles couleurs. On attribue communément les pâles couleurs, à la suspension du flux menstruel ; et pour les guérir, on cherche à le provoquer, ou à le rappeler. Mais c’est ici prendre l’effet pour la cause. Ce flux ne sauroit avoir lieu lorsque les organes de la génération, et particulièrement les ovaires, négligent d’entrer en action ; car alors les artères ne reçoivent point ce surcroît de ton, et le sang, cette impulsion forte qui leur viennent de ces organes : double condition dont dépendent les nouveaux mouvemens hémorragiques. D’un autre côté, l’utérus restant dans l’inertie, par l’effet sympathique de celle des ovaires, n’appelle point une quantité plus considérable de sang dans ses vaisseaux artériels ; et les matériaux de l’hémorragie locale manquent eux-mêmes. Que faut-il faire dans ce cas ? Employer les moyens qui peuvent tout ensemble imprimer plus d’énergie à la sanguification, et stimuler directement les organes dont l’influence, nécessaire à son perfectionnement, peut seul déterminer les directions nouvelles de la circulation. Heureusement, c’est ce que font très-bien les remèdes dits emménagogues, sur-tout le fer, qu’on peut regarder ici comme un véritable spécifique : et ce n’est pas, au reste, le seul exemple d’une pratique utile, fondée sur des principes théoriques incomplets, ou même erronnés.

Nous avons déjà fait remarquer les rapports établis par la nature, entre la poitrine et les organes de la génération ; rapports qui rendent raison de plusieurs phénomènes singuliers de physiologie et de pathologie, et qui paroissent tenir évidemment à ce que la sanguification, sur laquelle ces derniers organes exercent l’influence dont nous venons d’essayer de rendre compte, se fait particulièrement dans les poumons. Mais, pour mieux faire sentir l’uniformité des procédés de la nature, même au milieu des différences qu’elle semble avoir voulu marquer le plus fortement, il est nécessaire d’observer que la chlorose ne se montre pas seulement chez les jeunes filles : je l’ai rencontrée plusieurs fois, chez les jeunes garçons, avec presque tous ses symptômes ; et je l’ai vu guérir par les mêmes moyens qu’on emploie dans l’intention de rétablir le flux menstruel. On remarque aussi chez les adolescens, certaines affections nerveuses analogues à celles que produit si fréquemment, dans les sujets de l’autre sexe, le travail préparatoire de la nubilité. C’est encore par les mêmes remèdes qu’ils se guérissent chez les filles et chez les garçons : le meilleur de tous ces remèdes est fourni par la nature. On sait de quelle manière Rousseau, dans sa première jeunesse, allant consulter les médecins de Montpellier, se délivra, pendant la route, de ses palpitations ; et comment, à son arrivée dans cette ville médicale, il reprit bientôt ses langueurs et ses anxiétés.

Voilà pour l’état physique particulier à cette époque : nous n’ajouterons rien de plus. Les autres phénomènes accessoires, ceux particulièrement qui sont relatifs à la distinction des sexes, s’expliquent suffisamment par ce qui a été dit ci-dessus.

§. vii.

Maintenant, si nous voulons porter nos regards sur l’état moral, le tableau qui se présente est infiniment plus vaste ; les objets et les points de vue en sont infiniment plus nombreux et plus variés. Pour procéder avec ordre, et pour pouvoir se reconnoître au milieu de tant de phénomènes confus, il est indispensable de remonter jusqu’à leur source, et de les classer, en les rapportant à certaines considérations principales.

Les partisans des causes finales[5] ne trouvent nulle part, d’aussi forts argumens en faveur de leur manière de considérer la nature, que dans les lois qui président, et dans les circonstances de tout genre qui concourent à la reproduction des races vivantes. Nulle part, les moyens employés ne paroissent si clairement relatifs à la fin. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que si les moyens n’avoient ici résulté nécessairement des lois générales, les races n’auroient fait que passer ; dès long-temps, elles n’existeroient plus.

Dans l’état d’isolement, l’homme est l’être le plus foible, le plus incapable de se défendre contre les intempéries des saisons, contre les attaques des autres animaux, contre la faim et la soif ; en un mot, le plus incapable de pourvoir complètement à ses premiers besoins. Il ne peut guère se conserver, et sur-tout se reproduire, que dans la vie sociale. La longueur de son enfance exige une continuité de soins assidus, qui supposent au moins la société du père et de la mère : ces soins eux seuls la nécessiteroient sans doute, si, par une impulsion antérieure, par des besoins plus personnels et plus directs, cette société ne se trouvoit déjà formée. Mais ici, tout tient à des directions primitives, indépendantes de la raison et de la volonté des individus : tout se lie, se coordonne, et ne tend pas moins à leur plus grand bien-être, qu’à la perpétuation paisible et sûre de l’espèce.

Pour l’accomplissement de ce dernier but, comme l’a très-bien fait voir Rousseau, l’homme doit attaquer ; la femme doit se défendre. L’homme doit choisir les momens où le besoin de l’attaque se fait sentir, où ce besoin même en assure le succès : la femme doit choisir ceux où il lui est le plus avantageux de se rendre ; elle doit savoir céder à propos à la violence de l’aggresseur, après l’avoir adoucie par le caractère même de la résistance ; donner le plus de prix possible à sa défaite ; se faire un mérite de ce qu’elle-même n’a pas désiré moins vivement peut-être d’accorder, que lui d’obtenir ; elle doit enfin savoir trouver, dans la sage et douce direction de leurs plaisirs mutuels, le moyen de s’assurer un appui, un défenseur.

Il faut que l’homme soit fort, audacieux, entreprenant ; que la femme soit faible, timide, dissimulée.

Telle est la loi de la nature.

De cette première différence, relative au but particulier de chacun des deux sexes, et qui se trouve déterminée directement par l’organisation, naît celle de leurs penchans et de leurs habitudes.

Par sa force même, l’homme est moins sensible, ou moins attentif aux petites impressions : son attention n’est fixée que par des objets frappans : ses sensations, moins vives et moins rapides, sont plus profondes et plus durbles.

Si le premier besoin de tout animal est celui d’exercer ses facultés, de les développer, de les étendre, de s’en assurer, en quelque sorte, la conscience ; il est évident que les phénomènes, ou les produits de leur énergie, qui résultent de cette serie de déterminations et de fonctions, ne peuvent être les mêmes pour l’homme et pour la femme, dont les facultés sont si différentes.

L’homme a le besoin d’employer sa force, de s’en confirmer à lui-même, tous les jours, le sentiment par des actes qui la déploient. La vie sédentaire l’importune : il s’élance au dehors ; il brave les injures de l’air. Les travaux pénibles sont ceux qu’il préfère : son courage affronte les périls : il n’aime à considérer la nature en général, et les êtres qui l’entourent en particulier, que sous les rapports de la puissance qu’il peut exercer sur eux.

La foiblesse de la femme n’entre pas seulement dans le système de son existence, comme élément essentiel de ses relations avec l’homme ; mais elle est sur-tout nécessaire, ou du moins très-utile, pour la conception, pour la grossesse, pour l’accouchement, pour la lactation de l’enfant nouveau né, pour les soins qu’exige son éducation pendant les premières années de la vie[6]. On a déjà vu que la faiblesse musculaire est liée dans l’ordre naturel, avec une plus grande sensibilité nerveuse, avec des impressions plus vives et plus mobiles ; et c’est particulièrement sous ce point de vue, ou plutôt dans ce rapport avec d’autres qualités coexistantes avec elle, qu’il faut la considérer en ce moment.

Par une nécessité sévère, attachée au rôle que la nature lui assigne, la femme se trouve assujettie à beaucoup d’accidens et d’incommodités : sa vie est presque toujours une suite d’alternatives de bien-être et de souffrance ; et trop souvent la souffrance domine. Il falloit donc que ses fibres fussent assez souples, pour se prêter à ces tiraillemens continuels ; que leur contractilité moins forte, fût cependant vive et prompte, afin de pouvoir les ramener sur-le-champ à leur état moyen : il falloit également, et même à plus forte raison, que la sensibilité générale eût ce même caractère de promptitude et de vivacité, qui la rend susceptible de revenir facilement à son ton naturel, après avoir cédé sans résistance à toutes les impressions, après s’être laissé pousser, en quelque sorte, à tous les extrêmes, soit en plus, soit en moins. Pour ajouter à la douce séduction du sexe et de la beauté, la nature ne semble-t-elle pas avoir même pressenti qu’il convenoit de mettre la femme dans un état habituel de foiblesse relative ? La principale grâce de l’homme est dans sa vigueur : l’empire de la femme est caché dans des ressorts plus délicats ; on n’aime point qu’elle soit si forte. Aussi, toutes celles qu’un instinct sûr dirige, évitent-elles de le paroître, même dans les objets qui, n’étant que du ressort de l’esprit, écartent toute idée d’un effort corporel et mécanique : elles sentent bien que ces objets ne sont plus faits pour elles, du moment qu’ils exigent de grandes méditations.

À raison de sa foiblesse, la femme, par-tout où la tyrannie et les préjugés des hommes ne l’ont pas forcée à sortir de sa nature, a dû rester dans l’intérieur de la maison ou de la hutte. Des incommodités particulières et le soin des enfans l’y retenoient, ou l’y ramenoient sans cesse : elle a dû se faire une habitude de ce séjour. Incapable de supporter les fatigues, d’affronter les hasards, de résister au choc tumultueux des grandes assemblées d’hommes, elle leur a laissé ces forts travaux, ces dangers qu’ils avoient choisis de préférence : elle ne s’est point mêlée aux discussions d’affaires publiques, auxquelles non seulement doit toujours présider une raison sévère et forte, mais où l’accent du caractère et de l’énergie ajoute singulièrement à la puissance de la raison. En un mot, la femme a dû laisser aux hommes les soins extérieurs et les emplois politiques, ou civils : elle s’est réservé les soins intérieurs de la famille, et ce doux empire domestique, par lequel seul elle devient tout-à-la-fois respectable et touchante.

§. viii.

Mais si la foiblesse de la femme fait, pour ainsi dire, partie de ses facultés et de ses moyens, sa sensibilité vive et changeante étoit encore plus nécessaire à la perfection de l’objet qu’elle doit remplir. Tandis que l’homme agit sur la nature et sur les autres êtres animés, par la force de ses organes, ou par l’ascendant de son intelligence, la femme doit agir sur l’homme, par la séduction de ses manières et par l’observation continuelle de tout ce qui peut flatter son cœur, ou captiver son imagination. Il faut pour cela, qu’elle sache se plier à ses goûts, céder sans contrainte, même aux caprices du moment, et saisir les intervalles où quelques observations jetées, comme au hasard, peuvent se faire jour.

Une sensibilité qui retient profondément les impressions des objets, et d’où résultent des déterminations durables, convient donc au rôle de l’homme. Mais une sensibilité plus légère, qui permet aux impressions de se succéder rapidement, qui laisse presque toujours prédominer la dernière, est la seule qui convienne au rôle de la femme. Changez cet ordre, et le monde moral n’est plus le même. En effet, le système des affections dépend presque tout entier des rapports sociaux ; et toute société civile quelconque a toujours pour base, et nécessairement aussi pour régulateur, la société primitive de la famille.

Il ne faut pas croire que la vie du fœtus soit uniquement l’ouvrage de cet instant indivisible, où la nature combine les matériaux qui doivent le former, où elle leur imprime un mouvement régulier d’évolution. L’utérus est, sans doute, de tous les organes celui qui jouit constamment de la plus éminente sensibilité. Depuis le moment de la conception, jusqu’à celui de l’accouchement, il devient en outre, le but, ou le centre de toutes les sympathies. C’est le point de réunion des impressions diverses les plus vives ; c’est le terme commun vers lequel, sur-tout alors, se dirige l’action de la sensibilité générale : c’est là que vont aboutir les efforts et l’influence des organes particuliers. Pendant tout ce temps, l’utérus se trouve monté au plus haut ton de la sensibilité physique. Le but de tous les mouvemens qu’il exécute alors, est, si je puis me servir de ce mot, de fomenter la vie naissante de l’embryon : il faut que, par une véritable incubation intérieure, il l’en imprègne chaque jour de plus en plus. Or, cette action vivifiante, comme la plupart des autres fonctions animales, s’exerce en vertu des impressions que l’organe a reçus lui-même préalablement. Ces impressions, il les doit à l’être nouveau, dont la présence le sollicite et le fait entrer incessamment en action. Il faut qu’il en suive et qu’il en partage toutes les affections, tous les mouvemens. Sa manière d’agir se règle donc sur des sensations extrêmement fugitives et changeantes.

Cela posé, l’on voit que, d’une part, comme réservoir et source de sensibilité, ou de vie, son influence sur le fœtus est continuelle ; de l’autre, qu’elle résulte d’une suite de déterminations variées à l’infini. Mais ces deux circonstances ne peuvent avoir lieu, qu’au moyen d’un système vital, sensible et mobile, pour ainsi dire, à l’excès.

De très-long-temps, l’enfant qui vient de naître n’est en état d’exécuter les mouvemens les plus nécessaires à sa conservation. Bien différent en cela, des petits de plusieurs autres espèces d’animaux, ses sens ne lui fournissent aucun jugement précis sur les corps extérieurs ; ses muscles débiles ne peuvent l’aider à se garantir des chocs dangereux, ni même à chercher la mamelle qui doit l’allaiter.

Dans les premiers temps, il diffère peu du fœtus : et sa longue enfance, si favorable d’ailleurs à la culture de toutes ses facultés, exige des soins si continuels et si délicats, qu’ils rendent presque merveilleuse l’existence de l’espèce humaine. Sera-ce le père qui voudra s’assujettir à cette vigilance de tous les momens ; qui saura deviner un langage, ou des signes dont le sens n’est pas encore déterminé pour celui même qui les emploie ? Sera-ce lui qui pourra devancer, par la prévision d’un instinct fin et sûr, non-seulement les nécessités premières, sans cesse renaissantes, mais encore tous ces petits besoins de détail dont la vie de l’enfant se compose ? Non, sans doute. Chez l’homme, les impressions ne sont pas, en général, assez vives ; les déterminations ont trop de lenteur. Le nourrisson auroit long-temps à souffrir, avant que la main paternelle vînt le soulager ; les secours arriveroient presque toujours trop tard. Observez en outre, la mal-adresse et la lourdeur avec lesquelles un homme remue les êtres foibles et souffrans. Ils courent toujours avec lui quelque risque ; il les blesse par la rudesse de ses mouvemens, ou les salit par la manière négligée dont il leur distribue la nourriture et la boisson. Et quand il les soulève et les porte, on peut presque toujours craindre qu’occupé de quelque autre objet, il ne les laisse échapper de ses bras, ou ne les heurte par mégarde, dans sa marche brusque, contre les corps environnans. Ajoutez encore que l’homme n’eut jamais, et que jamais il ne sauroit avoir, ni l’attention minutieuse nécessaire pour pouvoir songer à tout, comme une nourrice et une garde, ni la patience qui triomphe des dégoûts, inséparables de ces deux emplois.

Qu’on mette, au contraire, une femme à sa place, elle paroît sentir avec l’enfant, ou le malade ; elle entend le moindre cri, le moindre geste, le moindre mouvement du visage, ou des yeux ; elle accourt, elle vole ; elle est par-tout, elle pense à tout ; elle prévient jusqu’à la fantaisie la plus fugitive : et rien ne la rebute, ni le caractère dégoûtant des soins, ni leur multiplicité, ni leur durée.

Or, ces qualités touchantes de la femme, dépendent nécessairement du genre de sensibilité que nous avons dit lui être propre : c’est également à cette cause, qu’il faut rapporter, en grande partie, le développement spontané, ou plutôt l’explosion de l’amour maternel, le plus fort de tous les sentimens de la nature, la plus admirable de toutes les inspirations de l’instinct.

Les observateurs de la nature, qui n’ont pas toujours été des raisonneurs bien sévères, et dont il est d’ailleurs si simple que l’imagination soit frappée et subjuguée par la grandeur du spectacle qu’ils ont sous les yeux ; les observateurs n’ont pas eu de peine à remarquer cette correspondance parfaite des facultés et des fonctions, ou, selon leur langage, des moyens et du but, coordonnés avec intention dans un sage dessein : ils se sont attachés à la montrer dans des tableaux, auxquels l’éloquence et la poésie venoient si naturellement prêter tout leur charme. Mais une seule réflexion suffit pour rendre encore ici, la cause finale beaucoup moins frappante : c’est que les fonctions et les facultés dépendent également de l’organisation ; et, découlant de la même source, il faut bien absolument qu’elles soient liées par d’étroits rapports. Les finalistes seront donc obligés de remonter plus haut ; ils s’en prendront aux merveilles de l’organisation elle-même. Mais, sur ce dernier point, une logique sévère ne peut pas davantage s’accommoder de leurs suppositions. Les merveilles de la nature en général, et celles en particulier, qui sont relatives à la structure et aux fonctions des animaux, méritent bien, sans doute, l’admiration des esprits réfléchis : mais elles sont toutes dans les faits ; on peut les y reconnoître, on peut même les célébrer avec toute la magnificence du langage, sans être forcé d’admettre dans les causes, rien d’étranger aux conditions nécessaires de chaque existance. Du moins est-on fondé, d’après l’analogie des faits qui s’expliquent maintenant, à penser que tous ceux dont les causes peuvent être constatées, s’expliqueront par la suite de la même manière, et que l’empire des causes finales, déjà si resserré par les précédentes découvertes, se resserrera chaque jour davantage, à mesure que les propriétés de la matière et l’enchaînement des phénomènes seront mieux connus.

Nous sommes, au reste, très-éloignés de vouloir réveiller ici des discussions oiseuses ; nous n’avons pas, sur-tout, la prétention de résoudre des problèmes insolubles : mais nous pensons qu’il seroit bien temps de sentir enfin le vide d’une philosophie qui ne rend véritablement raison de rien, précisément parce que, d’un seul mot, elle s’imagine rendre raison de tout.

Revenons à notre sujet.

§. ix.

Les différences qu’on observe dans la tournure des idées, ou dans les passions de l’homme et de la femme, correspondent à celles que nous avons fait remarquer dans l’organisation des deux sexes, et dans leur manière de sentir. Il y a sans doute dans leur manière de sentir, un grand nombre de choses communes ; celles-là se rapportent à la nature humaine générale : mais il y en a plusieurs essentiellement différentes ; et ce sont ces dernières qui tiennent à la nature particulière des sexes. Le point de vue sous lequel les objets se présentent à nous, ne peut manquer d’influer beaucoup sur le jugement que nous en portons : or, indépendamment de ce que la femme ne sent pas comme l’homme, elle se trouve dans d’autres rapports avec toute la nature ; et sa manière d’en juger est relative à d’autres buts et à d’autres plans, aussi bien qu’elle se fonde sur d’autres considérations.

Jugeant différemment des objets qui n’ont pas le même genre d’intérêt pour elle, son attention ne fait pas entre eux, le même choix ; elle ne s’attache qu’à ceux qui ont de l’analogie avec ses besoins, avec ses facultés. Ainsi, tandis que d’une part, elle évite les travaux pénibles et dangereux ; tandis qu’elle se borne à ceux qui, plus conformes à sa foiblesse, cultivent en même temps l’adresse délicate de ses doigts, la finesse de son coup d’œil, la grâce de tous ses mouvemens : d’autre part, elle est justement effrayée de ces travaux de l’esprit, qui ne peuvent s’exécuter sans des méditations longues et profondes : elle choisit ceux qui demandent plus de tact que de science, plus de vivacité de conception que de force, plus d’imagination que de raisonnement ; ceux dans lesquels il suffit qu’un talent facile enlève, pour ainsi dire, légèrement la superficie des objets.

Elle doit se réserver aussi cette partie de la philosophie morale, qui porte directement sur l’observation du cœur humain et de la société. Car vainement l’art du monde couvre-t-il, et les individus, et leurs passions, de son voile uniforme : la sagacité de la femme y démêle facilement chaque trait et chaque nuance. L’intérêt continuel d’observer les hommes et ses rivales, donne à cette espèce d’instinct, une promptitude et une sûreté que le jugement du plus sage philosophe ne sauroit jamais acquérir. S’il est permis de parler ainsi, son œil entend toutes les paroles, son oreille voit tous les mouvemens ; et, par le comble de l’art, elle sait presque toujours faire disparoître cette continuelle observation sous l’apparence de l’étourderie ou d’un timide embarras.

Que si le mauvais destin des femmes, ou l’admiration funeste de quelques amis sans discernement, les pousse dans une route contraire ; si, non contentes de plaire par les grâces d’un esprit naturel, par des talens agréables, par cet art de la société qu’elles possèdent, sans doute, à un bien plus haut degré que les hommes, elles veulent encore étonner par des tours de force, et joindre le triomphe de la science à des victoires plus douces et plus sûres : alors, presque tout leur charme s’évanouit ; elles cessent d’être ce qu’elles sont, en faisant de très-vains efforts pour devenir ce qu’elles veulent paroître ; et perdant les agrémens sans lesquels l’empire de la beauté lui-même est peu certain, ou peu durable, elles n’acquièrent le plus souvent de la science, que la pédanterie et les ridicules. En général, les femmes savantes ne savent rien au fond : elles brouillent et confondent tous les objets, toutes les idées. Leur conception vive a saisi quelques parties ; elles s’imaginent tout entendre. Les difficultés les rebutent ; leur impatience les franchit. Incapables de fixer assez long-temps leur attention sur une seule chose, elles ne peuvent éprouver les vives et profondes jouissances d’une méditation forte ; elles en sont même incapables. Elles passent rapidement d’un sujet à l’autre ; et il ne leur en reste que quelques notions partielles, incomplètes, qui forment presque toujours dans leur tête, les plus bizarres combinaisons.

Et pour le petit nombre de celles qui peuvent obtenir quelques succès véritables, dans ces genres tout-à-fait étrangers aux facultés de leur esprit, c’est peut-être pis encore. Dans la jeunesse, dans l’âge mûr, dans la vieillesse, quelle sera la place de ces êtres incertains, qui ne sont, à proprement parler, d’aucun sexe ? Par quel attrait peuvent-elles fixer le jeune homme qui cherche une compagne ? Quels secours peuvent en attendre des parens infirmes, ou vieux ? Quelles douceurs répandront-elles sur la vie d’un mari ? Les verra-t-on descendre du haut de leur génie, pour veiller à leurs enfans, à leur ménage ? Tous ces rapports si délicats, qui font le charme et qui assurent le bonheur de la femme, n’existent plus alors : en voulant étendre son empire, elle le détruit. En un mot, la nature des choses et l’expérience prouvent également que, si la foiblesse des muscles de la femme lui défend de descendre dans le gymnase et dans l’hippodrome, les qualités de son esprit et le rôle qu’elle doit jouer dans la vie, lui défendent plus impérieusement encore, peut-être, de se donner en spectacle dans le lycée, ou dans le portique.

On a vu cependant quelques philosophes qui, ne tenant aucun compte de l’organisation primitive des femmes, ont regardé leur faiblesse physique elle-même comme le produit du genre de vie que la société leur impose, et leur infériorité dans les sciences, ou dans la philosophie abstraite, comme dépendante uniquement de leur mauvaise éducation. Ces philosophes se sont appuyés sur quelques faits rares, qui prouvent seulement qu’à cet égard, comme à plusieurs autres, la nature peut franchir quelquefois, par hasard, ses propres limites. D’ailleurs, la femme appartenant à celle des espèces vivantes dont les fibres sont, tout ensemble, les plus souples et les plus fortes, elle est assurément très-susceptible d’être puissamment modifiée par des habitudes contraires à ses dispositions originelles. Mais il s’agit de savoir si d’autres habitudes ne lui conviennent pas mieux ; si elle ne les prend pas plus naturellement, si, lorsque rien d’accidentel et de prédominant ne violente son instinct, elle ne devient pas telle que nous disons qu’elle doit être. Ce qu’il y a de sûr, du moins, c’est que ces femmes extraordinaires qu’on nous oppose, furent, ou sont presque toutes peu propres au but principal que leur assigne la nature, et aux fonctions dans lesquelles il faut absolument qu’elles se renferment pour le bien remplir : il est sûr que l’homme n’entrevoit guère, au milieu de tout ce grand fracas, ce qui seul peut l’attirer et le fixer. Or, le bonheur des femmes dépendra toujours de l’impression qu’elles font sur les hommes : et je ne pense pas que ceux qui les aiment véritablement, pussent avoir grand plaisir à les voir portant le mousquet et marchant au pas de charge, ou régentant du haut d’une chaire, encore moins de la tribune où se discutent les intérêts d’une nation.

De tous les écrivains qui ont parlé des femmes, Jean-Jacques Rousseau me paroît avoir le mieux démêlé leurs penchans naturels et connu leur véritable destination. Le livre tout entier de Sophie, dans Émile, est un chef-d’œuvre de philosophie et de raison, autant que de talent et d’éloquence. Immédiatement après Jean-Jacques, je nommerai l’auteur du Système physique et morale de la femme, M. Roussel, membre de l’institut national[7]. On ne peut, je pense, rien ajouter de bien important aux observations qu’ils ont rassemblées l’un et l’autre, pour déterminer la véritable place que la femme doit occuper dans le monde, et l’emploi de ses facultés le plus propre à faire son bonheur et celui de l’homme. Je ne m’arrêterai donc pas davantage sur cet objet ; et je renvoie à leurs écrits.

§. x.

Mais il est nécessaire de revenir un instant, sur l’époque de la puberté dans les deux sexes, et de jeter encore un regard sur les changemens qu’elle y détermine : car c’est de-là, que tirent leur source, et c’est là, que se rattachent tous les phénomènes sexuels qui se manifestent aux époques subséquentes de la vie.

S’il n’y avoit pas une différence originelle dans l’organisation générale de l’homme et de la femme, les impressions que communiquent au système nerveux les parties génitales, se ressembleroient au fond parfaitement dans l’un et dans l’autre. Dans l’un et dans l’autre, en effet, la puberté stimule également les glandes et le cerveau ; elle imprime au sang des mouvemens et des qualités qui paroissent relativement les mêmes ; elle agit d’une manière, au moins analogue, sur les instrumens particuliers de la voix. Mais, d’un sexe à l’autre, la contexture générale des organes, et les nouvelles liqueurs stimulantes qui se préparent alors, diffèrent essentiellement. Dans le jeune homme, il faut que la roideur des fibres augmente, que toutes les impressions deviennent plus brusques. Dans la jeune fille, l’extrême facilité des mouvemens les retient à un degré bien plu bas de force ; ils prennent seulement un caractère plus vif.

Le nouveau besoin qui se fait sentir à lui, produit dans le jeune homme un mélange d’audace et de timidité : d’audace, parce qu’il sent tous ses organes animés d’une vigueur inconnue ; de timidité, parce que la nature des désirs qu’il ose former l’étonne lui-même, que la défiance de leur succès le déconcerte. Dans la jeune fille, ce même besoin fait naître un sentiment ignoré jusqu’alors ; la pudeur, qu’on peut regarder comme l’expression détournée des désirs, ou le signe involontaire de leurs secrètes impressions : il développe un ressort qui ne s’est fait encore sentir qu’imparfaitement ; la coquetterie, dont les effets sembleroient d’abord destinés à compenser ceux de la pudeur, mais qui véritablement sait tout ensemble, leur prêter et en tirer à son tour une puissance nouvelle. Qui ne connoît enfin l’état de rêverie mélancolique, où la puberté plonge également les deux sexes, et le système d’affections, ou d’idées qu’elle développe presque subitement ? Ces phénomènes suffiroient déjà pour montrer l’influence des organes de la génération sur le moral : d’autres phénomènes la prouvent d’une manière peut-être plus évidente encore.

Indépendamment des affections, ou des idées qui se rapportent aux fonctions particulières de ces organes, l’époque qui nous occupe produit souvent une révolution complète dans les habitudes de l’intelligence. Ce n’est pas sans fondement, qu’on a dit que l’esprit venoit alors aux filles ; et les plaisanteries relatives au moyen par lequel ce prétendu miracle s’opère, portent sur un fond réel et physique. Les premières années qui succèdent à la nubilité, sont quelquefois accompagnées d’une espèce d’explosion de talens de plusieurs genres. J’ai vu nombre de fois, la plus grande fécondité d’idées, la plus brillante imagination, une aptitude singulière à tous les arts, se développer tout-à-coup chez des filles de cet âge, mais s’éteindre bientôt par degrés, et faire place, au bout de quelque temps, à la médiocrité d’esprit la plus absolue. La même cause, ou la même circonstance n’a souvent pas moins de puissance, chez les jeunes garçons : souvent aussi les heureux effets n’en sont pas plus durables. Il paroît cependant qu’on observe plus ordinairement chez les femmes, cette exaltation et cette chute climatérique de la sensibilité.

C’est une remarque singulière et qui revient parfaitement à notre sujet, que la folie ne se montre presque jamais dans la première époque de la vie. On rencontre, avant l’âge de puberté, des imbécilles, des épileptiques ; j’ai même observé dès-lors, quelques vaporeux : mais on ne rencontre point encore avant cette époque, du moins que je sache, de fous proprement dits. Pour rendre le cerveau capable des excitations internes vicieuses, qui caractérisent la manie, il semble que les nerfs aient besoin d’avoir reçu l’influence des liqueurs séminales, ou les impressions particulières dont la présence de ces liqueurs est accompagnée. Aussi, quelques médecins ont-ils conseillé la castration, comme un remède extrême, dans le traitement de cette maladie cruelle, où les remèdes ordinaires échouent si fréquemment : et si l’on peut s’en rapporter aux observations dont ils appuient ce conseil, il n’a pas été quelquefois sans efficacité. Quoi qu’il en soit, au reste, de leur exactitude, nous sommes bien sûrs que ce moyen n’auroit pas toujours un effet utile ; car dans les grandes maisons publiques de fous, on voit assez souvent ces malheureux s’arracher les testicules au milieu de leurs accès de fureur, sans qu’il résulte de-là, le moindre changement dans l’état du cerveau : et de plus, l’expérience journalière prouve que la folie peut se prolonger jusques dans la décrépitude[8] ; c’est-à-dire, bien long-temps après que les organes de la génération ont perdu leur activité. Il est vrai que la nature prépare encore, même dans ces derniers temps, quelques faibles quantités de liqueurs séminales : mais leur action sur le système peut être regardée comme réduite à celle des plus foibles stimulans généraux, puisque les désirs et les déterminations organiques auxquelles ils sont liés, se trouvent alors pour l’ordinaire entièrement abolis.

L’orgasme nerveux dont la première éruption des règles est accompagnée, se renouvelle en partie aux périodes mensuelles suivantes, qui ramènent cette commotion. À chacune de ces époques, la sensibilité devient plus délicate et plus vive. Pendant tout le temps que dure la crise, les observateurs attentifs ont souvent remarqué dans la physionomie des femmes, quelque chose de plus animé ; dans leur langage, quelque chose de plus brillant ; dans leurs penchans quelque chose de bizarre et de capricieux.

On peut étendre cette observation au temps de la grossesse, quoique les dispositions qui se montrent durant cette dernière époque, diffèrent à plusieurs égards, de celles qui paroissent inséparables de la menstruation. Durant la grossesse, une sorte d’instinct animal régit la femme, avec une puissance d’autant plus irrésistible, que les ressorts secrets en sont plus étrangers à la réflexion : et pour peu qu’on sache entendre le langage de la nature, on ne sauroit méconnoître, pendant tout ce temps, les signes d’une sensibilité qui s’exerce par redoublemens périodiques d’énergie, et qui, susceptible d’être excitée dans les intervalles, par les causes les plus légères, peut se laisser entraîner facilement à tous les écarts.

§. xi.

Lorsque la crise de la puberté se fait d’une manière régulière et conforme au plan général de la vie, elle occasionne un grand nombre de changemens utiles dans le système animal. C’est le moment où se terminent plusieurs maladies propres à l’enfance. L’on peut même espérer alors, avec beaucoup de fondement, la guérison de plusieus affections chroniques, communes à tous les âges. Mais pour peuque les opérations de la nature soient contrariées, comme elles mettent ici en action des organes d’une sensibilité singulière, l’impuissance, ou la mauvaise direction des efforts produit une foule de désordres nerveux généraux. De là résultent des dispositions extraordinaires de l’esprit, des affections, ou des penchans singuliers. On connoît toutes les bizarreries dont les pâles couleurs sont accompagnées chez les jeunes filles ; et j’ai déjà remarqué que cette maladie n’étoit pas tout-à-fait étrangère aux jeunes garçons mobiles et délicats. Dans l’un et dans l’autre sexe, presque indifféremment, il se présente, à cette même époque, beaucoup d’autres maladies nerveuses, qui peuvent changer directement tout l’ensemble des habitudes. Or, on ne peut mettre en doute que ces maladies dépendent de l’état des organes de la génération, puisqu’elles s’affoiblissent à mesure que l’activité de ceux-ci diminue, et qu’on peut même ordinairement les guérir tout-à-coup, en exerçant les facultés nouvelles qui viennent de se développer, ou laissant du moins un libre cours à des appétits dont la satisfaction entre dans l’ordre des mouvemens naturels.

Les livres de médecine et l’observation journalière fournissent beaucoup d’exemples de ces maladies, regardées souvent par l’ignorance, comme l’ouvrage de quelque puissance surnaturelle. Rien n’est moins rare que de voir des femmes (car, par plusieurs raisons faciles à trouver, elles sont les plus sujettes à ces désordres nerveux) ; rien n’est moins rare que de les voir acquérir, dans leurs accès des vapeurs, une pénétration, un esprit, une élévation d’idées, une éloquence qu’elles n’avaient pas naturellement : et ces avantages, qui ne sont alors que maladifs, disparaissent quand la santé revient. Robert Whytt, Lorry, Sauvages, Pomme, Tissot, Zimmermann, en un mot tous les médecins qui traitent des maladies des nerfs, citent beaucoup de faits de ce genre. J’ai souvent eu l’occasion d’en observer de très-singuliers ; j’en ai même rencontré des exemples, quoique plus rarement sans doute, chez certains hommes sensibles et forts, mais trop continens. Dans un de ses derniers volumes, Buffon a rappelé l’histoire célèbre d’un curé de l’ancienne Guienne, qui, par l’effet d’une chasteté rigoureuse, dont son tempérament ne s’accommodoit pas, étoit tombé dans un délire vaporeux voisin de la manie. Pendant tout le temps que dura ce délire, le malade déploya divers talens qui n’avoient pas été cultivés en lui : il faisoit des vers et de la musique ; et, ce qui est encore bien plus remarquable, sans avoir jamais touché de crayon, il dessinoit avec beaucoup de correction et de vérité, les objets qui se présentoient à ses yeux. La nature le guérit par des moyens très-simples. Il paroît même qu’il sut parfaitement bien, dans la suite, se garantir de toute rechute. Mais, quoiqu’il restât toujours homme d’esprit, il avoit vu s’évanouir, avec sa maladie, une grande partie des facultés merveilleuses qu’elle avoit fait éclore.

Je crois devoir observer à ce sujet, que la continence absolue a des effets très-différens, suivant le sexe, le tempérament et les dispositions particulières de l’individu. Chez les femmes, ces effets ne sont pas les mêmes que chez les hommes. En général, elles supportent dans ce genre, plus facilement les excès, et plus difficilement les privations : du moins ces privations, lorsqu’elles ne sont pas absolument volontaires, ont-elles ordinairement pour les femmes, sur-tout dans l’état de solitude et d’oisiveté, des inconvéniens qu’elles n’ont que plus rarement pour les hommes.

Les sujets bilieux et mélancoliques, à fibres tout-à-la-fois sensibles et fortes, éprouvent généralement, par suite d’une continence hors de saison, des inquiétudes qui dénaturent quelquefois entièrement leur humeur, et changent toutes leurs dispositions habituelles. Ce régime les expose à des maladies inflammatoires, ou convulsives ; il imprime à leur imagination une activité funeste ; et leur caractère en devient âpre, incommode et malheureux.

Au contraire, pour les sujets à fibres molles, qui sont en même temps foibles et peu sensibles[9], une continence presque absolue paroît quelquefois nécessaire. Dans les tempéramens moyens, lorsqu’elle n’est pas poussée à l’excès, elle augmente l’activité des mouvemens vitaux, élève le degré de la chaleur animale, donne à l’esprit plus de pénétration, de force, de hardiesse ; elle nourrit particulièrement dans l’âme, toutes les dispositions tendres, bienveillantes et généreuses : comme au contraire, rien n’affaiblit plus l’intelligence, ne dégrade plus le cœur, que l’abus des plaisirs de l’amour, sur-tout lorsqu’après qu’ils ont cessé d’être un besoin, l’on a recours à des excitations factices pour en rappeler les désirs.

§. xii.

En parlant de cet intervalle qui sépare, chez la femme, la première éruption des règles et leur cessation définitive, intervalle qui forme le temps le plus précieux de son existence, on pourroit juger nécessaire d’entrer dans quelques détails, touchant les effets moraux de la grossesse et de la lactation. Entre la mère et le fœtus renfermé dans son sein, entre la nourrice et l’enfant qu’elle alaite, il s’établit des rapports qui méritent particulièrement d’être observés. Dans l’une et dans l’autre circonstance, la nature des deux êtres associés paroît, en quelque sorte, identifiée et confondue : elle l’est cependant beaucoup moins dans la seconde circonstance que dans la première. Mais de ces deux genres, ou plutôt de ces deux degrés de sympathie, car ils appartiennent à la même source[10], l’on voit également naître des séries de sentimens et d’habitudes, qui ne peuvent être imputés qu’à l’influence des organes de la génération. Au reste, cette question de physiologie morale, pour être traitée complètement, exigeroit beaucoup plus d’étendue qu’il ne nous est permis de lui en donner ici. Mais nous voyons les effets ; nous en assignons les causes avec certitude : cela nous suffit ; et nous pouvons négliger, dans ce moment, la recherche des moyens par lesquels ces causes exercent leurs actions.

Le temps de la cessation des règles est, sans doute, une époque importante dans la vie des femmes. Quand un être vivant perd la faculté d’engendrer, il entre dans une existence tout individuelle, bornée à la durée probable de sa propre vie. Auparavant, il coexistoit, pour ainsi dire, avec toute la suite des générations ; il appartenoit à tous les temps futurs, comme à tous les temps passés. Un changement si important ne se fait pas, sans qu’il en survienne en même temps, beaucoup d’autres dans les dispositions générales et dans les affections intérieures du sujet. Or, il n’est pas douteux que nous ne devions les rapporter tous également, à l’état des parties de l’économie animale, dans lesquelles a lieu le changement primitif, dont les autres ne sont que des conséquences.

On peut comparer la révolution qui se fait alors dans le cours du sang chez la femme, à celle que nous avons fait observer chez l’homme (Mémoire sur les âges), vers l’époque où le flux hémorroïdal se tranforme en gravelle, en goutte, en dispositions apoplectiques, &c. Plusieurs médecins ont regardé le flux hémorroïdal comme une espèce de menstruation : l’observation confirme en effet quelques-uns des rapports qu’ils ont indiqués. On peut même noter un nouveau point de ressemblance entre les deux sexes, relativement à ces évacuations critiques ; je veux parler de l’espèce de seconde jeunesse, ou turgescence de tempérament, dont nous avons fait mention dans le même mémoire, et qui correspond à l’époque où les viscères hypocondriaques se dégorgent, du moins momentanément, par l’effet de certaines circonstances climatériques. Ce phénomène se marque chez la femme, par des symptômes encore plus frappans, au moment de la suppression des règles. Mais il ne faut pas ici, sans doute, le rapporter aux mêmes causes. L’utérus, ses dépendances, et d’autres organes adjacens sont alors dans un travail particulier : leur sensibilité, portée au dernier terme d’excitation, réagit avec une force proportionnelle sur tout le système, et notamment sur le cerveau. De-là, des idées que les empreintes de l’âge, presque toujours trop évidentes, rendent si souvent hors de saison ; de-là, des sentimens plus passionnés, qu’une beauté qui s’efface transforme trop de fois, en véritables malheurs. Sur ce point, comme sur quelques autres, les femmes ont été traitées sévèrement par la nature. L’homme n’a pas, à beaucoup près, autant qu’elles, à se plaindre des désirs, ou des affections qu’une période un peu tardive de l’âge renouvelle en lui, puisqu’il lui reste encore ordinairement quelques moyens de les faire partager.

§. xiii.

Après la cessation des règles, les organes de la génération ne perdent pas tout à coup leur activité particulière : quelquefois même le travail périodique, par lequel cette évacuation se reproduit, continue pendant fort long-temps. J’ai vu des femmes qui, dix ou douze ans après, ressentoient encore chaque mois, une pléthore locale et des pressions à l’utérus, avec divers autres symptômes dont la menstruation véritable est accompagnée. Dans ce cas, les changemens généraux qui doivent s’ensuivre de la cessation définitive de ce flux, m’ont paru beaucoup moins évidens : et alors la femme reste malheureusement femme, à trop d’égards encore, jusque bien avant dans la vieillesse[11].

Mais lorsque le système des organes de la génération, suivant une marche plus conforme à la nature, perd vers ce temps, la partie de sensibilité qui se rapporte plus directement à la reproduction de l’espèce ; lorsque ses fonctions s’engourdissent par degrés, et cessent entièrement enfin à l’époque convenable : toutes les habitudes de l’économie animale éprouvent certaines modifications qu’il est facile de saisir. La voix devient plus forte ; le léger duvet de la jeunesse acquiert sur le visage une épaisseur, une longueur, une consistance qu’on ne voudroit lui trouver que dans l’homme : les goûts n’ont plus cette tournure vive et délicate ; les idées prennent une autre direction.

Je ne citerai, relativement à l’état moral, qu’un seul exemple, mais qui me paroît tenir à tout, et, pour ainsi dire, tout expliquer.

Les jeunes filles, même avant que la nubilité se déclare, éprouvent un attrait singulier pour les enfans : elles ne sont jamais plus heureuses, que lorsqu’on les charge de veiller sur eux, de les soigner, de leur donner des instructions. Lorsqu’elles n’ont pas d’enfant sous la main, des poupées leur en tiennent lieu. La journée entière se passe à lever ces poupées, à les coucher, à leur distribuer une feinte nourriture, à leur apprendre à parler ; en un mot, à les gouverner sur tous les points. Cet attrait, qui se fortifie ensuite considérablement à l’époque de la nubilité, reste toujours le même jusqu’à celle de la cessation des règles. La destination de la femme paroît ici bien marquée dans ces inclinations. Mais au moment où la nature lui enlève la faculté de concevoir, elle laisse en même temps s’éteindre en elle, le penchant sans lequel les soins de mère fussent devenus impossibles. Ce phénomène est sur-tout remarquable dans les vieilles filles, chez qui l’habitude, ou des sentimens plus réfléchis, fondés sur les rapports de la parenté, ou de l’amitié, ne remplacent pas l’impulsion de l’instinct. Mais, quoique moins remarquable dans les vieilles femmes qui ont eu des enfans, il l’est encore pour des yeux attentifs : elles deviennent, à-peu-près, ce que sont en général tous les hommes, que la paternité, ou certaines habitudes de cœur, peuvent seules modifier à cet éard. Il faut pourtant excepter les grand’mères, aussi bien que les grand’pères, dont la tendresse aveugle pour leurs petits-enfans, est un sentiment très-composé, qu’on doit analyser avec beaucoup de soin dans toutes ses nuances, et même, il faut le dire, dans tous ses caprices, si l’on veut en bien connoître les véritables sources. Mais, au reste, ce sentiment ne ressemble en rien à l’espèce d’instinct machinal dont nous parlons.

La femme devient donc ordinairement, à la cessation des règles, ce qu’on a vu qu’étaient, après l’âge de puberté, les filles chez lesquelles cet âge ne fait point entrer en action les ovaires et l’utérus. C’est encore un de ces cas où les moyens paroissent se rapporter à la fin, d’une manière extrêmement raisonnée : mais c’est toujours, comme nous l’avons fait remarquer ailleurs, parce que la fin et les moyens tiennent également à la même cause, aux lois de l’organisation.

§. xiv.

On peut vouloir rechercher s’il se passe quelque chose d’analogue chez les hommes. Ceux à qui la nature a refusé la force virile, et ceux qui la perdent avec l’âge, n’éprouvent-ils point des modifications dépendantes de l’absence de ces facultés, qu’ils n’ont pas reçues, ou qui leur ont été ravies ? Cette question nous force à dire un mot des effets de la mutilation.

Les observateurs de tous les siècles ont remarqué dans les animaux mutilés, un ensemble d’habitudes particulières, qui n’ont pas toutes des rapports bien directs avec les fonctions des organes de la génération. Non-seulement les désirs de l’amour, ou disparoissent entièrement et sans retour pour ces individus dégradés, ou changent bizarrement de nature, et produisent en eux de nouvelles déterminations ; mais, de plus, le fond même de l’organisation générale se trouve alors singulièrement affecté. Le tissu cellulaire devient plus abondant et plus lâche ; les muscles s’affoiblissent ; les courbures de certains os changent de direction ; les articulations se gonflent ; la voix devient plus aiguë : enfin, les causes de quelques maladies paroissent détruites ; d’autres maladies les remplacent ; et leurs mouvemens critiques suivent un ordre différent.

Le changement qui se fait dans les dispositions morales, est peut-être plus remarquable encore. Les anciens croyoient que la mutilation dégrade l’homme, et perfectionne, au contraire, l’animal. Le fait est qu’elle les dégrade également l’un et l’autre, puisqu’elle altère leur nature. Mais en rendant l’animal plus foible, elle le rend plus docile et plus propre aux vues de l’homme : en brisant le lien qui l’unit le plus fortement à son espèce, elle développe en lui des sentimens plus vifs d’attention et de reconnoissance pour la main qui le nourrit.

L’effet est le même dans l’homme. La mutilation le sépare, pour ainsi dire, de son espèce : et la flamme divine de l’humanité s’éteint presque entièrement dans son cœur, à la suite de l’évènement fatal qui le prive des plus doux rapports établis par la nature, entre les êtres semblables.

On sait que les eunuques sont, en général la classe la plus vile de l’espèèe humaine : lâches et fourbes, parce qu’ils sont foibles ; envieux et méchans, parce qu’ils sont malheureux. Leur intelligence ne se ressent pas moins de l’absence de ces impressions qui donnent au cerveau tant d’activité, qui l’animent d’une vie extraordinaire, qui, nourrissant dans l’âme tous les sentimens expansifs et généreux, élèvent et dirigent toutes les pensées. Narsès est, peut-être, la seule exception très-imposante qu’on puisse opposer à cette règle, d’ailleurs véritablement générale : c’est du moins le seul grand homme parmi les eunuques, dont le nom vive encore dans l’histoire[12]. Combien n’est-il donc pas immoral, combien n’est-il pas cruel et funeste à la société, cet usage qui fait ainsi, comme à plaisir, des hommes dégradés et corrompus ?… Mais enfin les réclamations des sages seront écoutées : secondées par l’opinion publique, elles n’auront point été élevées sans fruit, dans un siècle de lumières et d’humanité.

Les différences relatives au mode et à l’époque de cette opération, en mettent beaucoup dans ses effets. L’amputation complète de tous les organes externes de la génération détruit d’une manière bien plus entière et plus générale, les penchans qui leur appartiennent, que l’amputation partielle, ou le froissement de quelques-uns de ces organes, ou la ligature comprimante des cordons spermatiques. Quand on mutile l’homme, ou les animaux, dans leur première enfance, on les dénature bien plus que lorsque l’opération se fait après la puberté. J’ai vu même assez souvent chez des adultes, dont certaines maladies avoient obligé d’extirper ceux de ces organes qu’on ampute, ou froisse dans la seconde méthode de castration, les désirs vénériens subsister avec une grande force, et les signes extérieurs de la puissance virile se reproduire encore long-temps après, par les excitations ordinaires. Mais on voit quelquefois aussi, ces sujets tomber dans l’apathie la plus profonde, ou dans une mélancolie sombre et funeste, dont rien ne peut plus les tirer. Ce dernier état du système cérébral a été observé même chez des hommes que l’âge, ou leurs opinions avoient fait déjà renoncer entièrement aux plaisirs de l’amour.

Chez les jeunes gens à qui la nature a refusé, soit en tout, soit en partie, les facultés viriles, la puberté ne produit point ses effets accoutumés ; et cela doit être. Mais en outre, à cette époque, toutes les parties osseuses et musculaires vont se rapprochant tous les jours davantage, des formes extérieures et des dispositions propres à la femme. J’ai rencontré de ces personnages équivoques, chez qui, non-seulement la voix étoit plus grêle, les muscles plus débiles, et la contexture générale du corps plus molle et plus lâche, mais qui présentoient encore cette plus grande largeur proportionnelle du bassin, que nous avons dit caractériser la charpente osseuse du corps des femmes : et par conséquent ils marchoient comme elles, en décrivant un plus grand arc autour du centre de gravité. Dans ces cas, l’état physique m’a toujours paru accompagné d’un état moral parfaitement correspondant.

Mais, quand la destruction des facultés génératrices est le produit tardif des maladies, ou de l’âge, elle n’a pas, à beaucoup près, la même influence. La disposition des fibres et la sensibilité de l’individu sont déjà profondément modifiées par les habitudes naturelles de son sexe particulier. Et dans l’extinction qu’amène la vieillesse, les choses se passant d’une manière lente, graduelle, et suivant les lois ordinaires de la nature, rien ne devient remarquable à cet égard, parce que tout est comme il doit être ; parce que la nécessité de l’affoiblissement progressif de la vie dans tous les organes, se lie à celle de son irrévocable abolition.

Dans les cas d’impuissance précoce, ainsi que dans certaines maladies qui, sans produire directement cet état, dégradent d’une manière spéciale les organes de la génératon, on remarque cependant encore que toute l’existence en est singulièrement affectée. J’ai connu trois hommes qui, dans la force de l’âge, étoient devenus tout-à-coup impuissans. Quoiqu’ils se portassent bien d’ailleurs, qu’ils fussent très-occupés, et que l’habitude de la continence, ou du moins d’une grande modération, ne leur rendît pas les désirs qu’ils avoient perdus très-regrettables, leur humeur devint sombre et chagrine, et leur esprit parut bientôt s’affoiblir de jour en jour. D’un autre côté, le célèbre Ribeiro Sanchès, élève de Boerhaave, observe, dans son traité des maladies vénériennes chroniques, que ces maladies disposent particulièrement aux terreurs superstitieuses. J’ai recueilli moi-même un assez grand nombre de faits qui confirment son assertion. Cet effet singulier m’a toujours paru dépendre d’une dégradation très-marquée des organes génitaux[13].

conclusion.

Telles sont, citoyens, les considérations générales qui me semblent démontrer invinciblement la grande influence des sexes sur la formation des affections morales et des idées. Vous sentez qu’il seroit facile de pousser beaucoup plus loin, leurs applications aux phénomènes que présente journellement l’homme physique et moral : mais il suffit, pour notre objet, de bien noter les points principaux, auxquels tous les détails peuvent être rapportés facilement.

Je ne parlerai même pas des effets prodigieux de l’amour sur les habitudes de l’esprit, et sur les penchans, ou les affections de l’âme : premièrement, parce que l’histoire de cette passion est trop généralement connue pour qu’il puisse être utile ici de la tracer de nouveau ; secondement, parce que, tel qu’on l’a dépeint, et que la société le présente en effet quelquefois, l’amour est sans doute fort étranger au plan primitif de la nature.

Deux circonstances ont principalement contribué, dans les sociétés modernes, à le dénaturer par une exaltation factice : je veux dire, d’abord, ces barrières mal-adroites que les parens, ou les institutions civiles prétendent lui opposer, et tous les autres obstacles qu’il rencontre dans les préjugés relatifs à la naissance, aux rangs, à la fortune ; car, sans barrières et sans obstacles, il peut y avoir beaucoup de bonheur dans l’amour, mais non du délire et de la fureur : je veux dire en second lieu, le défaut d’objets d’un intérêt véritablement grand, et le désœuvrement général des classes aisées, dans les gouvernemens monarchiques ; à quoi l’on peut ajouter encore les restes de l’esprit de chevalerie, fruit ridicule de l’odieuse féodalité, et cette espèce de conspiration de la plupart des gens à talens pour diriger toute l’énergie humaine, vers des dissipations qui tendoient de plus en plus à river pour toujours les fers des nations.

Non, l’amour, tel que le développe la nature, n’est pas ce torrent effréné qui renverse tout : ce n’est point ce fantôme théâtral qui se nourrit de ses propres éclats, se complaît dans une vaine représentation, et s’enivre lui-même des effets qu’il produit sur les spectateurs. C’est encore moins cette froide galanterie qui se joue d’elle-même et de son objet, dénature, par une expression recherchée, les sentimens tendres et délicats, et n’a pas même la prétention de tromper la personne à laquelle ils s’adressent ; ou cette métaphysique subtile qui, née de l’impuissance du cœur et de l’imagination, a trouvé le moyen de rendre fastidieux les intérêts les plus chers aux âmes véritablement sensibles. Non, ce n’est rien de tout cela. Les anciens, sortis à peine de l’enfance sociale, avoient, ce semble, bien mieux senti ce que doit être, ce qu’est véritablement cette passion, ou ce penchant impérieux, dans un état de choses naturel : ils l’avoient peint dans des tableaux, à la vérité défigurés encore par les travers et les désordres que toléroient les mœurs du temps, mais cependant plus simples et plus vrais.

Sous le régime bienfaisant de l’égalité, sous l’influence toute-puissante de la raison publique, libre enfin de toutes les chaînes dont l’avoient chargé les absurdités politiques, civiles ou superstitieuses, étranger à toute exagération, à tout enthousiasme ridicule, l’amour sera le consolateur, mais non l’arbitre de la vie ; il l’embellira, mais il ne la remplira point. Lorsqu’il la remplit, il la dégrade ; et bientôt il s’éteint lui-même dans les dégoûts. Bacon disoit de son temps que cette passion est plus dramatique qu’usuelle : plus scenœ quàm vitæ prodest. Il faut espérer que dans la suite, on dira le contraire. Quand on en jouira moins rarement et mieux dans la vie commune, on l’admirera bien peu telle que la représentent, en général, nos pièces de théâtre et nos romans. Bacon prétend aussi, dans le même endroit, qu’aucun des grands hommes de l’antiquité ne fut amoureux. Amoureux, dans le sens qu’on attache ordinairement à ce mot ? Non assurément. Mais il en est peu qui n’aient cherché dans le sentiment le plus doux de la nature, dans un sentiment qui devient la base de tout ce que l’état social offre de plus excellent, les véritables biens qu’elle-même nous y a préparés.

Le cœur humain est un champ vaste, inépuisable dans sa fécondité, mais que de fausses cultures semblent avoir rendu stérile ; ou plutôt ce champ est, en quelque sorte, encore tout neuf. On ignore encore quelle foule de fruits heureux on le verroit bientôt produire, si l’on revenoit tout de bon à la raison, c’est-à-dire, à la nature. En interrogeant avec réflexion et docilité, cet oracle, le seul véridique, en réformant, d’après ses leçons fidelles, les institutions politiques et morales, on verroit bientôt éclore un nouvel univers. Et qu’on se garde bien de craindre avec quelques esprits bornés, qu’ennemie des illusions et de leurs vaines jouissances, la saine morale puisse jamais, en les dissipant, nuire au véritable bonheur. Non, non : c’est, au contraire, à la raison seule qu’il appartient non-seulement de le fixer, mais encore d’en multiplier pour nous les moyens ; de l’étendre, aussi bien que de l’épurer et de le perfectionner chaque jour davantage. Sans doute, à mesure que l’art d’exister avec soi-même et avec les autres, cet art si nécessaire à la vie, mais cependant presque entièrement étranger parmi nous, du moins presque entièrement inconnu dans notre système d’éducation[14], à mesure que cet art fera des progrès, on verra s’évanouir tous ces fantômes imposans, soit des fausses vertus, soit des faux biens, qui, trop long-temps, ont composé presque toute l’existence morale de l’homme en société. En fouillant dans les trésors cachés de l’âme humaine, on verra s’ouvrir de nouvelles sources de bonheur ; on verra s’agrandir journellement le cercle de ses destinées : et la raison n’a pas moins de découvertes utiles à faire dans le monde moral, que n’en font dans le monde physique, ses plus heureux scrutateurs.

C’est encore ainsi, qu’en même temps que l’art social marchera de plus en plus vers la perfection, presque toutes ces grandes merveilles politiques, l’objet de l’admiration de l’histoire, dépouillées l’une après l’autre du vain éclat dont on les a revêtues, ne paroîtront plus que des jeux frivoles, et trop souvent funestes, de l’enfance du genre humain. Les événemens, les institutions, les opinions que l’ignorant enthousiasme a le plus déifiés, exciteront bientôt à peine quelque sourire d’étonnement. Les forces de l’homme, presque toujours employées à lui créer des malheurs, dans la poursuite de pitoyables chimères, seront enfin tournées vers des objets plus utiles et plus réels ; des ressorts extrêmement simples en dirigeront l’emploi : et le génie ne s’occupera plus que des moyens d’accroître les jouissances solides et le bonheur véritable ; je veux dire, les jouissances et le bonheur qui découlent directement et sans mélange, de notre nature. Tel est, en effet, le seul but auquel le génie puisse aspirer ; telles sont les recherches qui méritent seules d’exercer et de déployer toute sa puissance ; tels sont enfin les succès qu’il doit considérer comme réellement dignes de couronner et de consacrer ses efforts.


  1. Les testicules et les ovaires sont, en effet, de véritables glandes.
  2. Qui traite de l’influence des âges sur les idées et les affections morales.
  3. Les corpora lutea s’observent particulièrement dans les vaches ; on les retrouve même dans les femelles de quelques autres animaux ruminans. Chez les femmes, qui viennent de concevoir, on apperçoit des vésicules gonflées, parfaitement analogues, répandues sur la surface de l’ovaire, principalement du côté par où les franges de la trompe de Fallope l’entourent en se redressant : et les petites cicatrices, dont le nombre est regardé par quelques anatomistes, comme propre à déterminer celui des conceptions, sont elles-mêmes les débris de ces vésicules, qui se détachent pour enfiler le tuyau de la trompe, ou du moins pour y verser la liqueur qu’elles renferment dans leur cavité.
  4. Les anatomistes ont cherché vainement des canaux secrétoires dans les ovaires : mais ce sont des vues grossières et mécaniques qui les ont portés à conclure de-là, qu’il ne s’y fait aucune sécrétion, ou préparation d’humeurs spéciales.
  5. Je regarde, avec le grand Bacon, la philosophie des causes finales comme stérile : mais j’ai reconnu ailleurs, qu’il étoit bien difficile à l’homme le plus réservé, de n’y avoir jamais recours dans ses explications.
  6. Il paroît que la conception se fait plus facilement et plus sûrement, dans un certain état de foiblesse de la femme : beaucoup d’observations portent à croire que cette loi est commune à la plupart des animaux.
  7. M. Roussel a été enlevé, depuis l’époque où je parlois ainsi de lui, par une mort inopinée. C’est une grande perte pour la philosophie, pour les lettres et sur-tout pour ses amis.
  8. En 1791, la commission des hôpitaux de Paris, dont j’avois l’honneur d’être membre, trouva à la Salpêtrière, une folle furieuse, âgée de quatre-vingt-deux ans. On étoit obligé de la tenir enchaînée, l’usage des corselets n’étant pas encore alors établi dans nos hôpitaux des fous : et l’on nous raconta qu’elle avoit passé l’hiver rigoureux de 1788 à 1789 sous un hangar, sans se ressentir en aucune manière du froid, quoiqu’elle n’eût qu’une simple couverture, et que même elle la rejetât souvent pour se mettre absolument nue.
  9. Les sujets foibles et très-sensibles ont aussi besoin d’une grande réserve dans l’usage des plaisirs de l’amour ; et malheureusement, elle leur est bien plus difficile.
  10. Plusieurs nourrices m’ont avoué que l’enfant, en les têtant, leur faisoit éprouver une vive impression de plaisir, partagée à un certain degré, par les organes de la génération. D’autres femmes m’ont dit aussi que souvent les joies, ou les peines maternelles étoient chez elles, accompagnées d’un état d’orgasme de la matrice.
  11. Les mauvaises habitudes de l’imagination prolongent et aggravent sans doute beaucoup ces dispositions, si funestes alors au bonheur.
  12. On pourroit citer encore Salomon, l’un des lieutenans de Bélisaire : cet enunuque déploya, en effet, dans la guerre contre les Vandales d’Afrique, un grand courage et de rares talens.
  13. Cette dégradation rend en général, timide et pusillanime.
  14. Il ne paroît avoir été cultivé systématiquement, que dans la courte époque de la philosophie grecque.