Rapports du physique et du moral de l’homme/Neuvième Mémoire

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NEUVIÈME MÉMOIRE.

De l’influence des climats sur les habitudes morales.


INTRODUCTION.


Plus nous avançons dans les recherches dont j’ai osé, citoyens, tracer le plan sous vos auspices, plus nous voyons avec évidence, que les questions qu’elles ont pour but d’éclaircir, étroitement liées entr’elles, rentrent les unes dans les autres ; qu’il n’en est aucune qu’on puisse traiter complètement, sans toucher plus ou moins à toutes ; et que toutes empruntent de chacune des lumières, des matériaux et même des solutions.

La question de l’influence morale des climats paraît être celle qui prouve le mieux ces rapports intimes : c’est ce que je me propose de faire voir dans ce Mémoire ; ou plutôt tel est le résultat de l’examen dont je vous demande de vouloir bien parcourir avec moi les principaux objets.

Mais il faut commencer par se faire une idée juste de cette question elle-même, et tâcher de la poser avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour.

Après avoir suivi pas à pas, les voyageurs et les naturalistes, dans les descriptions qu’ils nous ont données des différentes régions de la terre, si l’on veut embrasser ce vaste tableau, comme d’un coup-d’œil, pour en rapprocher et comparer les parties les plus remarquables, on ne peut s’empêcher d’être également frappé, et des dissemblances, et des analogies qui s’y rencontrent. Chaque latitude a son empreinte, chaque climat a sa couleur. Mais les différens êtres que la nature y a placés, ou qu’elle y reproduit chaque jour, ne sont pas seulement appropriés aux circonstances physiques de chaque latitude et de chaque climat ; ils ont encore une empreinte, et pour ainsi dire une couleur commune. La nature des eaux se rapporte à celle de la terre ; celle de l’air dépend de l’exposition du sol, de la manière dont il est arrosé, de la direction des fleuves et des montagnes, de la combinaison des gaz et des autres exhalaisons qui s’élèvent dans l’atmosphère. Dans les productions végétales, on retrouve les qualités de la terre et des eaux ; elles se plient aux différens états de l’air. Enfin, les animaux, dont la nature est encore plus souple, modifiés et façonnés sans relâche, par le genre des impressions qu’ils reçoivent de la part des objets extérieurs, et par le caractère des substances que le local fournit à leurs besoins, sont, en quelque sorte, l’image vivante du local, de ses productions végétales, des aspects qu’il présente, du ciel sous lequel il se trouve placé. Et l’homme, le plus souple de tous les animaux, le plus spécialement doué de toute espèce de faculté d’imitation, le plus susceptible de recevoir toutes les empreintes imaginables, diffère si sensiblement de lui-même dans les divers climats, que plusieurs naturalistes croient pouvoir regarder la race humaine comme subdivisée en plusieurs espèces distinctes. D’autre part, l’analogie physique de l’homme avec les objets qui l’entourent, et qu’il se trouve forcé d’approprier à ses besoins, est en même temps si frappante, qu’à la simple inspection, l’on peut presque toujours assigner la nature et la zone du climat auquel appartient chaque individu. « Il est en effet parmi les hommes, dit Hippocrate, des races, ou des individus qui ressemblent aux terrains montueux et couverts de forêts : il en est qui rappellent ces sols légers qu’arrosent des sources abondantes : on peut en comparer quelques-uns aux prairies et aux marécages ; d’autres à des plaines sèches et dépouillées. »[1]

Ce grand homme ajoute : « Les saisons déterminent les formes : or, les saisons diffèrent entr’elles ; la même saison diffère d’elle-même dans les divers pays ; et les formes des êtres vivans retracent toutes ces diversités. »

En parlant de certains peuples situés aux confins de l’Asie et de l’Europe, vers les Palus Méotides, et comparant leurs habitudes extérieures avec celles des Asiatiques et des Égyptiens, il dit encore : « La nature sauvage du pays qu’ils occupent, et les brusques mutations des saisons auxquelles ils sont exposés, établissent entre les individus qui composent ces peuplades, des différences qui n'existent pas chez les nations dont nous venons de parler. »

Ailleurs, après avoir décrit un canton particulier de la Scythie, il termine en ces mots : « Vous voyez que les saisons n’y subissent aucun grand et soudain changement ; qu’elles y gardent, au contraire, une marche uniforme, et se rapprochent beaucoup les unes des autres : voilà pourquoi les formes des habitans y sont peu variées. C’est des mêmes alimens qu’ils se nourrissent ; c’est des mêmes vêtemens qu’ils se couvrent l’hiver et l’été : ils respirent, dans tous les temps, le même air humide et aqueux ; ils boivent les mêmes eaux, qui ne sont que de la neige, ou de la glace fondue. . . . En conséquence, ils sont gras et charnus ; ils ont les articulations grosses, mais foibles, et toutes les cavités humides, sur-tout le bas-ventre. . . . L’embonpoint et le poli des chairs font que les divers individus s’y ressemblent beaucoup ; les hommes aux hommes, et les femmes aux femmes ».

Voulant comparer le sol de l’Asie et celui de l’Europe, il s’exprime ainsi dans un premier passage : « Si les Asiatiques, énervés de mollesse, sans activité, sans courage, sont moins belliqueux que les Européens, et s’ils ont des mœurs plus douces, c’est encore dans l’influence du climat, et dans la marche des saisons, qu’il faut en chercher la cause. En Asie, les mutations alternatives du froid et du chaud ne sont jamais grandes, ni brusques : par-là, jamais les forces vitales ne sont comme frappées de stupeur ; jamais le corps n’y sort tout-à-coup de son assiette naturelle. Or, ces puissantes commotions augmentent la chaleur animale, fomentent les dispositions colériques, aiguisent la prudence ; toutes qualités qu’un état monotone et permanent ne développe pas au même point. Car ce sont les changemens qui excitent l’esprit de l’homme, et qui ne lui laissent aucun repos. »

Dans un autre endroit, il reprend la comparaison de ces deux parties du monde. « En Europe, les hommes diffèrent beaucoup, et pour la taille et pour les formes, à cause des grandes et fréquentes mutations de temps qui ont lieu dans le courant de l’année. De fortes chaleurs, des hivers rigoureux, d’abondantes pluies, des sécheresses opiniâtres, des vents impétueux ; en un mot, toutes les températures y règnent tour-à-tour, et s’y remplacent sans cesse…. Voilà pourquoi toute l’apparence extérieure des Européens diffère d’une ville à l’autre…. Les effets du climat en font observer également dans leurs mœurs. Ces circonstances produisent des caractères plus énergiques, plus indisciplinés. Les perpétuelles commotions amènent une rudesse moins sociable ; elles permettent difficilement à la douceur et à l’urbanité de passer dans les habitudes. Par la même raison, les Européens doivent être plus courageux que les Asiatiques. Je le répète, un état de choses toujours le même engendre l’inertie : la variété, au contraire, excite le corps et l’esprit au travail ».

C’est d’après ces observations et d’autres analogues, dans le détail desquelles je crois inutile d’entrer, qu’Hippocrate avoit déjà, de son temps, établi la doctrine de l’influence des climats sur les habitudes morales des peuples.

Quelques philosophes modernes, en empruntant ses opinions, leur ont donné de nouveaux développemens : peut-être aussi leur ont-ils donné trop d’extension ; du moins, il est certain qu’ils ont franchi les limites dans lesquelles ce grand observateur avoit cru devoir se renfermer.

D’autres philosophes, également recommandables par les vérités utiles qu’ils ont répandues, ont pris occasion de-là, d’attaquer le fond même de la doctrine : ils ont traité cette influence de chimère, et rejeté, sans modifications, les conséquences qu’Hippocrate, et sur-tout ses derniers partisans, en avoient tirées.

Ces deux opinions contraires, plus particulièrement débattues depuis le milieu du dix-huitième siècle, ont eu leurs apôtres et leurs adversaires : l’une et l’autre sont encore un objet de litige entre des hommes d’ailleurs très-éclairés.

Il semble donc qu’on peut regarder la question comme indécise. Elle ne le seroit point sans doute, si l’on recueilloit les voix : le plus grand nombre des observateurs partage l’opinion d’Hippocrate et de Montesquieu. Mais celle d’Helvétius a pour elle encore, des penseurs distingués. Ainsi, quand cette question n’entreroit pas nécessairement dans le plan de mon travail, elle mériteroit d’être discutée de nouveau : et parmi celles qui intéressent immédiatement l’état social lui-même, et que la plus haute philosophie a pu seule élever, peut-être n’en est-il aucune qui soit plus digne de votre attention et de votre examen.

§. ii.

Quand on manque des faits nécessaires pour résoudre une question, rien n’est plus naturel que de la voir rester indécise : il faut même réprimer obstinément cette impatience et cette précipitation, que l’homme n’éprouve que trop souvent au milieu des plus importantes recherches, et qui le poussent à conclure, avant d’avoir rassemblé tous les motifs de la conclusion : il le faut absolument, supposé toutefois qu’on mette quelque importance à la vérité. Mais, quand les faits relatifs à une question ont été rassemblés ; quand ils ont été déjà considérés sous différens points de vue, par des hommes capables de les bien circonscrire et d’en tirer toutes les conséquences : si cette question n’est pas éclaircie, c’est qu’on ne l’a pas bien saisie elle-même ; elle seroit résolue, si elle étoit bien posée. Or, personne n’a prétendu nier que les faits qui se rapportent à la question de l’influence morale des climats, n’aient été recueillis, et même soigneusement discutés. Les penseurs qui, dans ce débat, se décident pour la négative, comme ceux qui soutiennent l’affirmative, établissent également qu’on a tous les moyens de conclure, et qu’on le peut en toute sûreté. Il faut donc que les termes de la question présentent encore du vague ; qu’elle ne soit pas énoncée avec la précision convenable ; il faut, en un mot, qu’elle soit mal posée ; et certes, rien n’est plus nécessaire, dans toute discussion, que d’écarter ce nuage des termes, et d’éclaircir cette confusion de langage, dans laquelle se perd toujours le fil du raisonnement.

Si, par exemple, certains écrivains n’ont entendu par le mot climat que le degré de latitude, ou celui de froid et de chaud, propre à chaque pays, il est évident qu’ils ne pouvoient jamais tomber d’accord dans leurs conclusions, avec ceux qui donnent à ce mot, un sens plus étendu : et peut-être, en effet, quelques philosophes ont-ils attaché une trop grande importance à la simple action du froid et du chaud. Mais ce n’est plus maintenant de cela qu’il s’agit : en les combattant, on ne s’est point borné à montrer qu’ils avoient poussé jusqu’à l’extrême, des vues justes au fond ; on a prétendu renverser tout le système qui résulte de ces vues ; et l’on a cru pouvoir nier formellement que les différences de l’homme moral dans les divers pays, pussent dépendre en rien de l’influence des causes physiques propres au local.

Revenons donc à la définition d’Hippocrate ; ou plutôt, car il ne s’amuse point à faire des définitions scholastiques, cherchons dans la manière dont il a considéré ce sujet, quel sens il attache au mot climat.

Le titre même de son ouvrage pourroit, en quelque sorte, lui seul, nous faire connoître l’esprit dans lequel il se propose d’écrire : son ouvrage est intitulé : Des Airs, des Eaux et des Lieux. Hippocrate entend donc attribuer les effets dont il va rendre compte, non-seulement à la température de l’air, mais à toutes ses autres qualités réunies ; non-seulement au degré de latitude du sol, mais à sa nature, à celle de ses productions, à celle des eaux dont il est arrosé. Dans le corps de l’ouvrage, l’auteur s’attache à décrire exactement toutes les particularités qui peuvent frapper l’observateur, dans la distinction des différens pays, et qui tiennent essentiellement à chacun d’eux. Il considère comme élémens nécessaires de la question, tous les objets importans, propres à chaque sol, à chaque situation, toutes les qualités constantes et majeures, par lesquelles ces objets peuvent affecter les sens et modifier la nature humaine : et l’on n’aura pas de peine à sentir que cette signification du mot climat, est la seule complète. Le climat n’est donc point resserré dans les circonstances particulières des latitudes, ou du froid et du chaud : il embrasse, d’une manière absolument générale, l’ensemble des circonstances physiques, attachées à chaque local ; il est cet ensemble lui-même : et tous les traits caractéristiques, par lesquels la nature a distingué les différens pays, entrent dans l’idée que nous devons nous former du climat.

Maintenant, que faut-il entendre par habitudes morales ? Et comment ces habitudes peuvent-elles naître et se développer ? Car, pour bien démêler les circonstances susceptibles d’influer sur leur production, il faut connoître les lois, ou l’ordre suivant lequel elle peut et doit avoir lieu.

Si l’on considère les habitudes morales, dans un peuple tout entier, comme l’ont fait Hippocrate et Montesquieu, l’on trouvera sans peine, qu’elles ne sont autre chose que la série ordinaire de ses affections, ou de ses penchans ; de ses idées, ou de ses opinions ; de ses déterminations, ou des actes qui résultent, et de ses opinions et de ses penchans. L’on voit encore avec la même évidence, que ces habitudes ne peuvent se former autrement que celles des individus ; c’est-à-dire, qu’elles sont le produit nécessaire des impressions que ce peuple reçoit chaque jour ; des idées, ou des jugemens que ces impressions font naître ; des volontés instinctives, ou raisonnées, que ces mêmes impressions et ces jugemens développent de concert.

C’est donc en résultat, dans le genre et le caractère des impressions, qu’il faut chercher la véritable cause déterminante du genre et du caractère des habitudes. Mais les impressions se rapportant aux objets qui les produisent, et aux dispositions des organes sensibles sur lesquels s’exerce l’action de ces objets, l’on voit évidemment qu’elles doivent différer, et suivant la nature de ces derniers, et suivant l’état des parties sensibles qui en reçoivent les impressions.

Ainsi, l’on peut poser la question d’une seconde manière : 1°. la nature des objets est-elle la même dans les différens climats ? 2°. S’il est constant que les objets n’y sont pas les mêmes, la sensibilité ne doit-elle point subir des modifications, en présence et par l’action continuelle de ces objets différens ?

Nous voilà, ce me semble, plus avant dans le sujet.

Il s’agit donc de déterminer d’abord, si le caractère des objets et les objets eux-mêmes, sont véritablement identiques dans les différens climats.

Mais cela pourroit-il faire une question ? Tous les faits n’ont-ils pas prononcé dès long-temps, et ne prononcent-ils pas encore chaque jour, sur ce point ? Et personne s’est-il jamais avisé de soutenir que les objets fussent les mêmes, aux bords du Sénégal, ou de l’Amazone, que dans le Groënland, ou sur les bords désolés du Spitzberg ?

Il s’agit de déterminer, en second lieu, si l’influence des objets extérieurs et des substances qui s’appliquent journellement au corps de l’homme, peuvent, ou ne peuvent point en modifier la sensibilité ; si, dans le fait, la sensibilité reste toujours et par-tout la même ; si toujours et par-tout, non seulement elle est susceptible des mêmes impressions, mais s’il est de sa nature de ramener les impressions diverses, à un certain caractère commun, que les adversaires d’Hippocrate, pour être entièrement conséquens, doivent regarder comme inséparable de la nature humaine, ou comme essentiel à son développement, nonobstant la variété des circonstances extérieures[2].

D’après cette énonciation, plus détaillée et plus exacte, le second membre de la question paroît aussi peu susceptible de débat que le premier. Car s’il étoit vrai que les choses se passassent comme nous venons de l’établir par supposition, les hommes seroient absolument incapables de recevoir aucune éducation quelconque. Mais il faut cependant convenir qu’ici, la discussion, pour être complète, exige l’examen de plusieurs questions subsidiaires, et que l’on n’y peut obtenir une solution, qui ôte toute prise aux subtilités, qu’en considérant l’homme vivant et sensible, sous tous ses points de vue principaux, et en pénétrant dans les causes intimes dont les lois même de l’existence demandent qu’il éprouve l’action.

Mais il suffit de jetter un coup-d’œil sur les différens objets que cette discussion doit embrasser, pour se convaincre qu’elle nous feroit revenir sur plusieurs points éclaircis dans les précédens Mémoires. Il faudroit nous arrêter encore sur les mêmes faits, et reprendre les mêmes chaînes de raisonnemens.

§. iii.

Nous avons prouvé (du moins telle est ma conviction) que les tempéramens, le régime, la nature des travaux, celle des instrumens qui leur sont propres, le genre et le caractère des différentes maladies influent puissamment sur les opérations de la pensée, de la volonté, de l’instinct ; puisqu’ils sont capables de changer l’état de la sensibilité des différens organes, état dont ces opérations dépendent toutes également. Si maintenant, nous pouvons démontrer de plus, que la détermination des tempéramens, celle du régime, la nature des travaux, et par conséquent, celle des instrumens qu’ils exigent ; enfin, que le genre, le caractère et la marche des maladies sont soumis à l’action des diverses circonstances physiques, propres à chaque local : il s’ensuivra clairement que le climat, d’après l’exacte définition du mot, influe en effet sur la formation des habitudes morales. Car celles-ci ne sont à leur tour, comme on vient de le voir tout-à-l’heure, que l’ensemble des idées et des opinions, des volontés instinctives, ou raisonnées, et des actes qui résultent des unes et des autres, dans la vie de chaque individu.

Personne ne peut ignorer que la nature animale est singulièrement disposée à l’imitation. Tous les êtres sensibles imitent les mouvemens sur lesquels leur observation a pu se fixer : ils s’imitent sur-tout eux-mêmes ; c’est-à-dire, qu’ils ont un penchant remarquable à répéter les actes qu’ils ont exécutés une fois : ils les répètent d’autant plus facilement et d’autant mieux, qu’ils les ont exécutés plus souvent : enfin, ils les répètent aux mêmes heures, et dans le même ordre de succession, par rapport à d’autres mouvemens, que certaines analogies, ou la simple habitude a coordonnés avec ces actes, dans leur souvenir. Cette tendance se montre plus évidemment encore, dans les déterminations automatiques des animaux, que dans celles où le raisonnement a quelque part. Les fonctions purement physiques, et dont la conservation de la vie dépend plus spécialement, commencent et finissent toutes à des époques et dans des intervalles de temps déterminés : et si les périodes ne sont pas les mêmes pour tous les individus, l’exactitude des retours, toujours conforme dans chaque cas particulier, aux rapports établis entre le premier et le second acte qui constituent la fonction, entre le second et chacun des suivans, n’en démontre qu’avec plus d’évidence la généralité de la loi. Ainsi, quoique la faim, le besoin du sommeil, celui des différentes évacuations, &c., ne reviennent pas pour tous les individus aux mêmes heures, il est constant que, dans un genre de vie fixe et régulier, chacun d’eux les éprouve périodiquement. Cela se voit encore avec la même évidence, dans le rythme des fièvres d’accès, et dans la marche des maladies aiguës, où les forces qui restent à la nature, sont suffisantes pour en assujetir le cours à de constantes lois. Et c’est, comme nous l’avons dit si souvent, sur ce penchant physique à l’imitation, sur cette puissance de l’habitude, qu’est fondée toute celle de l’éducation, par conséquent, la perfectibilité, commune à toute nature sensible, et dont l’homme sur-tout, placé sur le globe, à la tête de la classe entière des animaux, paroît éminemment doué.

Mais l’empire des habitudes ne se borne pas à ces profondes et ineffaçables empreintes, qu’elles laissent chez chaque individu : elles sont encore, du moins en partie, susceptibles d’être transmises par la voie de la génération. Une plus grande aptitude à mettre en jeu certains organes, à leur faire produire certains mouvemens, à exécuter certaines fonctions ; en un mot, des facultés particulières, développées à un plus haut degré, peuvent se propager de race en race[3] : et si les causes déterminantes de l’habitude première ne discontinuent point d’agir, pendant la durée de plusieurs générations successives, il se forme une nouvelle nature acquise, laquelle ne peut, à son tour, être changée, qu’autant que ces mêmes causes cessent d’agir pendant long-temps, et sur-tout que des causes différentes viennent imprimer à l’économie animale, une autre suite de déterminations.

Des impressions particulières, mais constantes et toujours les mêmes, sont donc capables de modifier les dispositions organiques, et de rendre leurs modifications fixes dans les races. Or, les impressions les plus constantes et les plus invariables, sont incontestablement, celles qui tiennent à la nature même des lieux, que toute l’industrie de l’homme ne peut changer, que ses caprices ne peuvent altérer : et nous avons vu dans un autre Mémoire, que c’est incontestablement encore, dans certaines dispositions organiques, qu’il faut chercher la cause des divers tempéramens. Si donc, les impressions sont assez différentes dans les différens climats, pour agir sur l’état même des organes, les tempéramens présenteront nécessairement de notables variétés.

Sans sortir d’un climat donné, l’on observe que les saisons ont une grande influence sur l’état de l’économie animale. Douée de son caractère propre, chaque saison détermine dans les corps, un ordre de mouvemens particuliers ; elle y laisse, en fuyant, des empreintes d’autant plus marquées et plus durables, que son action s’est exercée sans mélange, plus fortement, ou plus long-temps : et, si la saison qui la remplace ne venoit à son tour, imprimer d’autres mouvemens, ces empreintes deviendroient de plus en plus ineffaçables ; les déterminations qui s’y rapportent, se transformeroient en habitudes ; une nature nouvelle prendroit la place de la nature primitive ; ou, pour parler plus exactement, les dispositions organiques seroient modifiées proportionnellement à la cause agissante, et dans les limites entre lesquelles il leur est permis de flotter en différens sens.

Les anciens médecins, qui vouloient trouver par-tout des analogies, s’étoient efforcés de rattacher leur système des humeurs, à celui des élémens, et celui des tempéramens à l’un et à l’autre. Les faits semblent prouver qu’ils avoient été plus heureux, en établissant certains rapports entre les saisons, les climats, les âges et les tempéramens, ou dispositions organiques, propres à ces diverses circonstances générales, et à chacune de leurs nuances particulières. Ils avoient observé que les humeurs, ou les fluides qui, suivant leur opinion, s’agitent dans le corps, d’après les lois d’une espèce de flux et de reflux, étoient susceptibles de divers mouvemens extraordinaires. Elles se gonflent, disoient-ils, et se soulèvent ; elles se portent avec une sorte de fureur, d’un lieu vers un autre. Dans certains climats, dans certaines saisons, à certaines époques de la vie, ces mouvemens naissent, en quelque sorte, d’eux-mêmes ; ils s’exécutent avec plus de force. Il existe entre les humeurs et ces circonstances, des rapports sensibles, dont la connoissance est indispensable à l’étude de l’homme et à la pratique de la médecine. Le sang et les maladies inflammatoires sont propres à l’adolescence, au printemps, aux pays où cette saison prédomine. La jeunesse, l’été, les pays chauds et secs, engendrent la bile et les maladies bilieuses. Dans l’âge mûr et pendant l’époque qui va se confondre avec la vieillesse, dans l’automne, dans les lieux dont l’air est humide et grossier, dont la température est variable, règnent l’atrabile et les affections qui en dépendent. Enfin, la pituite froide et les maladies catharrales sont propres à la vieillesse, aux pays humides et froids, à l’hiver.

§. iv.

Quoique les anciens, en rapportant les tempéramens aux humeurs, ne fussent point remontés jusqu’aux dispositions organiques, dont l’état des humeurs tire lui-même sa source, ils ne pouvoient errer, en tirant des conclusions qui n’étaient que le résumé le plus exact des faits. Aussi, ces fidèles observateurs ne faisoient-ils point difficulté d’établir des analogies directes entre les tempéramens, les climats et les âges, mais sur-tout entre les saisons et les tempéramens.

Au printemps, disoient-ils encore, on se trouve, en quelque sorte, plus jeune et plus près du tempérament sanguin. Dans l’été, l’on est plus bilieux, l’on a plus de dispositions aux maladies où la bile joue le principal rôle. En automne, la mélancolie prédomine ; les maladies atrabilaires, et les affections qui les accompagnent, se développent alors particulièrement. En hiver enfin, les hommes foibles et les vieillards se trouvent encore plus vieux : c’est le temps des maladies rhumatiques, pituiteuses, catharrales ; jusqu’à ce que l’action du froid, s’associant aux impressions qu’amène le retour du soleil vers notre tropique, ait fait reparoître les dispositions inflammatoires, compliquées avec les dégénérations muqueuses qu’elles traînent quelque temps à leur suite.

Je ne me sers ici, des mots propres d’aucun des médecins anciens ; mais, c’est bien leur véritable doctrine, particulièrement celle d’Hippocrate, que je résume, sous le point de vue qui convient à notre sujet.

Mais l’influence des saisons n’est pas la même dans tous les climats : les saisons ne sont pas par-tout également distinctes les unes des autres. Dans quelques pays, on ne connoît que l’hiver et l’été : dans d’autres, les temps variables de l’automne règnent depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin. La zone équatoriale éprouve à peine quelque diminution passagère dans les chaleurs : les zones polaires sont à peu près éternellement engourdies par le froid : enfin, quelques heureux coins du globe jouissent d’un printemps presque continuel.

Mais, en sortant de ces généralités, relatives aux causes locales qui peuvent influer sur l’économie vivante, ou sur certaines dispositions organiques, on trouve que les détails, c’est-à-dire les faits particuliers eux-mêmes, offrent un ensemble bien plus concluant, ainsi que plus positif.

Il suffit de jetter un coup-d’œil sur le tableau des différens climats, pour voir sous combien de formes variées, dépendantes des circonstances qui leur sont propres, la puissance de la vie semble prendre plaisir à s’y développer. Dans chaque importante division de notre globe, dans chaque grande variété d’une de ses divisions, prise au hasard, combien d’animaux qui ne se rencontrent pas ailleurs ! Quelles diversités de structure, d’instinct, d’habitudes ! Que de traits nouveaux ils offrent à l’observation, soit dans la manière de pourvoir à leurs besoins ; soit dans le genre et dans le caractère de leurs facultés primitives ; soit enfin, dans la tournure et dans la direction que prennent, et ces facultés, et ces besoins ! Or, ces habitudes particulières, ces familles nouvelles, ces formes mêmes, variables dans les familles, dépendent souvent de la nature du sol, de celle de ses productions : et s’il est des végétaux qu’on ne peut enlever à leur terre natale, sans les faire périr ; il est aussi quelques races vivantes, qui ne peuvent supporter aucune transplantation, qu’il est impossible de dépayser, sans tarir la source qui les renouvelle, et même quelquefois sans frapper directement de mort les individus.

Ces faits, trop généralement connus pour être contestés, montrent déjà sans équivoque, quel est l’empire du climat sur les êtres animés et sensibles. Mais cet empire se marque plus fortement, et sur-tout d’une manière plus relative à la question qui nous occupe, dans les changemens que le climat fait subir aux mêmes races ; puisque non seulement il modifie à l’infini leurs qualités, ou leurs dispositions intimes, mais qu’il peut encore quelquefois, effacer de leur structure extérieure et de leurs inclinations, ou de leur naturel, les traits qu’on avoit cru les plus distinctifs. Le cheval, le chien, le bœuf, sont, en quelque sorte, d’autres espèces dans les différentes régions du globe : dans l’une, audacieux, sauvages, farouches ; dans l’autre, doux, timides, sociables : ici, l’on admire leur adresse, leur intelligence, la facilité avec laquelle ils se prêtent à l’éducation que l’homme veut leur donner ; là, malgré les soins les plus assidus, ils restent stupides, lourds, grossiers, comme le pays lui-même, insensibles aux caresses, et rebelles à toutes les leçons.

La taille de ces animaux, la forme de leurs membres, leur physionomie ; en un mot, toute leur apparence extérieure dépend bien évidemment du sol qui les a produits, des impressions journalières qu’ils y reçoivent, du genre de vie qu’ils y mènent, et sur-tout des alimens que la nature leur y fournit.

Dans certains pays, le bœuf naît sans cornes ; dans d’autres endroits, il les a monstrueuses. Sa taille et le volume total de son corps, prennent un accroissement considérable, dans les terrains humides et médiocrement froids : il se rapetisse sous les zones glaciales et dans les lieux très-secs. Sous certaines latitudes, son poil se transforme en une laine longue et fine, ou son dos est chargé d’une, et même quelquefois de deux bosses charnues. Enfin, pour ne pas multiplier les exemples, on peut distinguer les races de chevaux par une grande diversité de caractère, propres aux différens pays qui leur ont donné naissance : et depuis le chien d’Islande, ou de Sibérie, jusqu’à celui des régions équatoriales, on peut observer une suite de formes et de naturels différens, dont les nuances les plus voisines semblent s’effacer l’une l’autre, en se confondant par des gradations insensibles.

Je n’ajouterai plus ici, qu’une seule remarque : c’est que dans certains pays, les chiens n’aboyent point du tout ; dans quelques autres, ils sont exempts de la rage. Ceux qu’on y transporte des pays étrangers, dans le premier cas, perdent la voix au bout de quelque temps ; ils deviennent, dans le second, du moins autant qu’on peut en juger d’après une assez longue expérience, incapables de contracter l’hydrophobie. Nous sommes donc en droit de conclure de-là, que ces changemens dans la nature du chien, dépendent uniquement du climat, ou des circonstances physiques, propres aux différens pays qui ont fourni ces observations.

Ainsi l’on voit évidemment pourquoi les différentes races d’animaux dégénèrent pour l’ordinaire, mais quelquefois aussi se perfectionnent, quand elles sont transplantées d’un pays dans un autre ; et comment leur nouvelle patrie finit, à la longue, par les assimiler aux espèces analogues, qui naissent et s’élèvent dans son sein, à moins que l’homme ne puisse les tenir constamment rapprochées de leur nature primitive, par des soins particuliers de régime et d’éducation[4].

§. v.

Nous l’avons déjà dit bien des fois, la sensibilité de l’homme est, par rapport à celle de toutes les espèces animales connues, la plus souple et la plus mobile ; en sorte que tout ce qui peut agir sur les autres créatures vivantes, agit, en général, d’une manière encore plus forte sur lui. Mais, une grande multitude de faits relatifs à différens ordres de phénomènes, nous ont prouvé de plus, que si la nature humaine est susceptible de se plier à toutes les circonstances, c’est que toutes la modifient rapidement, et l’approprient aux nouvelles impressions qu’elle reçoit. Il est donc peut-être inutile de vouloir faire sentir que, puisque le climat exerce un empire étendu sur les animaux, l’homme ne peut en aucune manière, être le seul qui résiste à toute influence de sa part : car c’est évidemment aux qualités même qui caractérisent et constituent la supériorité de son organisation, que tient cette dépendance de tant de causes diverses, dont il semble être quelquefois le jouet.

Mais, à quelque sévérité de déduction qu’on se soit efforcé d’assujétir l’analogie, ses conclusions peuvent laisser encore de l’incertitude, ou des nuages dans les esprits. Revenons donc aux preuves plus directes ; c’est-à-dire, revenons aux faits : et quoiqu’il fût assurément aussi fastidieux que superflu de les tous recueillir, jetons au moins un coup-d’œil rapide sur ceux qui sont, à l’égard du reste, des espèces de résultats généraux.

On sait que les formes extérieures de l’homme ne sont pas les mêmes dans les différentes régions de la terre. La couleur de la peau, celle des poils qui végètent dans son tissu, leur nature, ou leur intime disposition, les rapports des solides et des fluides, le volume des muscles, la structure même et la direction de certains os, ou de quelques-unes de leurs faces ; toutes ces circonstances présentent des variétés chez les habitans des divers climats : elles peuvent servir à faire reconnoître la latitude, ou la nature du sol auquel ils appartiennent. Chaque nation a ses caractères extérieurs, qui ne la distinguent pas moins peut-être, que son langage. Un Anglais, un Hollandais, un Italien, n’ont point la même physionomie qu’un Français ; ils n’ont point les mêmes habitudes de corps. Sur le territoire habité par chaque nation, s’il se rencontre de grandes variétés de sol, on en retrouve toujours la copie, si je puis m’exprimer ainsi, dans certaines variétés analogues, ou dans certaines nuances de structure, de couleur, de physionomie, propres aux habitans respectifs des divers cantons. Les hommes de la montagne ne ressemblent pas à ceux de la plaine : il y a même des différences notables entre ceux de telle et de telle plaine, de telle et de telle montagne. Les habitans des Pyrénées ont une autre apparence que ceux des Alpes. Les rians et fertiles rivages de la Garonne ne produisent point la même nature de peuple, que les plaines, non moins fertiles et non moins riantes, de la Loire et de la Seine : et souvent dans le même canton, l’on remarque d’un village à l’autre des variétés qu’une langue, des lois, et des habitudes d’ailleurs communes, ne permettent d’attribuer qu’à des causes inhérentes au local.

En considérant les grandes différences que présentent les formes du corps humain, et même la structure, ou la direction des os qui leur servent de base, quelques écrivains ont pensé que des êtres si divers, quoique appartenans au même genre, ne pouvoient appartenir à la même espèce : et pour expliquer le phénomène, ils ont cru nécessaire d’admettre plusieurs espèces primitives, distinctes les unes des autres, et dont les traits caractéristiques restent toujours fixes et indélébiles, comme ceux de la nature ellemême. J’avoue que je ne partage point leur opinion. Celle de Buffon, qui regardoit les variétés que l’homme présente dans les différens climats, comme accidentelles, et comme l’ouvrage de ces climats eux-mêmes, me paroît beaucoup plus vraisemblable. 1°. Parce que d’un climat à l’autre, on voit les races qui leur sont propres, s’unir par une chaîne d’intermédiaires, dont les nuances, ou les dégradations insensibles se confondent toujours au point de contact ; 2°. Parce que la même latitude présente souvent divers climats, c’est-à-dire de grandes variétés dans l’ensemble des circonstances physiques, propres à chaque canton ; et qu’alors, non-seulement chaque nature de sol produit sa race particulière, mais que, si par hasard quelques cantons ressemblent exactement à des régions éloignées, les hommes des uns paroissent formés sur le modèle de ceux des autres, et que l’analogie de climat triomphe de l’influence même du voisinage, et de cette confusion du sang et des habitudes, qu’amène inévitablement la fréquence des communications ; 3°. Parce qu’on observe chaque jour, dans les pays dont le climat a des caractères prononcés, qu’au bout d’un petit nombre de générations, les étrangers reçoivent plus, ou moins son empreinte[5] : 4°. Enfin, parce que les défenseurs de cette théorie sont obligés, pour la soutenir, de se livrer à une foule de conjectures. J’ajoute que presque tous leurs argumens sont négatifs, et que la ténacité de quelques caractères propres à certaines races, qui paroissent résister à leur transplantation et à leur dissémination parmi les autres peuples, ne prouve absolument rien. En effet, les observations et les expériences nécessaires pour rendre cette remarque solide et concluante, n’ont point été faites : la courte durée des individus permet trop rarement d’apprécier au juste la part que peut avoir le temps, dans toutes les opérations de la nature ; et rien cependant ne seroit plus nécessaire : car, disposant à son gré, de cet élément, comme de tous les autres moyens, la nature l’emploie, aussi bien qu’eux tous, avec une étonnante prodigalité.

Mais, au reste, la question de la variété des espèces dans le genre humain, est presqu’entièrement étrangère à celle de l’influence du climat sur le tempérament : l’une pourroit demeurer indécise, sans qu’il en rejaillît le moindre doute sur les preuves, dont la réalité de cette influence est appuyée ; et quoique les deux effets paraissent devoir être regardés comme dépendans des mêmes causes, ils sont loin d’être tellement inséparables, qu’ils ne puissent avoir lieu que simultanément.

L’influence du climat sur le tempérament, ou l’analogie générale des tempéramens avec les climats respectifs, est une pure question de fait extrêmement simple. Il s’agit donc de voir, dans l’histoire physiologique et médicale des divers peuples, si tous les pays présentent absolument les mêmes habitudes physiques chez les hommes sains et malades ; si, lorsque les circonstances qui constituent le climat, différent assez pour avoir des caractères distincts, ces habitudes ne diffèrent pas dans un ordre correspondant ; enfin si, lorsque les dernières se ressemblent, les premières ne se rapportent pas à celles-ci, suivant des règles faciles à saisir par l’observation.

§. vi.

En examinant l’influence du régime sur les idées et sur les penchans, nous avons passé successivement en revue toutes les causes partielles, mais principales, qui concourent aux effets de ce qu’on doit entendre par ce mot de régime. Nous avons vu que l’air, suivant son degré de température, et suivant le caractère des substances dont il est chargé ; les alimens et les boissons, suivant leur nature ; les travaux, suivant les facultés qu’ils exercent ; en un mot, que tous les corps, ou tous les objets qui peuvent agir sur l’homme, et lui donner des impressions particulières, ont en même temps, la puissance de modifier son état moral. Mais nous avons vu aussi que c’est en changeant les dispositions et les habitudes des organes, que ces impressions influent sur les actes de la pensée et de la volonté, dont l’état moral se compose : et quand les habitudes et les dispositions des organes deviennent fixes, elles forment, de leur côté, ce qu’on désigne par le mot tempérament.

Cependant nous avons dit ailleurs, qu’il y a dans les tempéramens, un fond dépendant de l’organisation primitive, dont le genre de vie peut bien déguiser momentanément l’action, mais qui résiste avec force, à toute cause contraire, et qui ne semble pas pouvoir être entièrement effacé. Ceci demande quelque explication.

Nous avons dit, en effet, et l’expérience journalière prouve que la base des tempéramens originels bien prononcés, est intimement identifiée avec l’organisation elle-même ; mais en même temps, nous n’avons point oublié d’observer qu’il y a des tempéramens acquis. Les circonstances de la vie peuvent faire éprouver des modifications à tout ce qui n’est pas cette base, et changer entièrement les tempéramens plus indéterminés ; et nous avons senti la nécessité de nous en occuper à part. Il n’y a donc point ici de contradiction véritable. Dans tous les tempéramens, les caractères accessoires peuvent, en général, être altérés : dans un assez grand nombre, tout, jusqu’à leur base, peut subir d’importantes modifications. Enfin, quelquefois le tempérament lui-même est susceptible de changer complètement de nature : il peut même arriver alors, qu’indécis originairement, il se place, par l’effet de certaines causes extérieures accidentelles, au nombre de ceux dont les caractères ont la plus forte empreinte. Observons en outre, que lorsque ces causes sont insuffisantes pour opérer d’une manière décisive sur les individus, elles n’en exercent pas moins une puissante influence sur les races : car des causes fixes et constantes, comme l’est en particulier le climat, agissent sans relâche, sur les générations successives, et toujours dans le même sens ; et les enfans recevant de leurs pères, les dispositions acquises, aussi bien que les dispositions originelles, il est impossible que les races échappent à cette influence de causes, qui s’exercent durant des espaces de temps illimités, quelque foible qu’on suppose leur action à chaque instant.

Mais, je le répète, les faits prononcent bien plus directement, sur toutes les questions de ce genre ; et les faits sont ici très-positifs et très-nombreux.

Nous avons vu qu’Hippocrate, en peignant les habitudes morales d’une peuplade répandue dans le voisinage des Palus Mœotides, et d’une horde de Scythes fixée dans un canton, dont le climat offre des caractères particuliers, fait découler ces habitudes de celles du tempérament, et celles du tempérament de l’ensemble des circonstances physiques locales, à l’action desquelles les corps se trouvent constamment soumis. Les observations de ce grand homme frappent toujours par leur grande exactitude : on peut vérifier encore de nos jours, dans tous les climats analogues, celles dont nous parlons en ce moment ; et les règles qu’il en a tirées, sur les modifications que les mêmes natures de terrein ne manquent point de faire subir à l’homme, sont parfaitement identiques avec les résultats des faits que nous pouvons nous-mêmes observer et recueillir.

Voici comment il peint les rives du Phase, et le naturel de leurs habitans : L’Europe offre encore des régions entières dont Hippocrate semble avoir emprunté les traits principaux de sa description.

« Passons, dit-il, aux habitans du Phase. Leur pays est humide, marécageux, chaud, couvert de bois. Des pluies abondantes l’arrosent sans cesse, ou plutôt l’inondent avec violence. Les demeures des hommes sont établies au sein même des marais : ils s’y construisent, avec des roseaux et du bois, des cabanes dont les frêles fondemens plongent dans les eaux. Rarement vont-ils dans les villes et dans les marchés voisins. Des troncs d’arbres, grossièrement creusés, leur servent de barques : ce sont leurs seuls moyens de communication ; c’est avec ce secours, qu’ils naviguent çà et là, sur les nombreux canaux qui coupent leur territoire. Des eaux stagnantes, putréfiées par le soleil, et que les seules pluies renouvellent, sont leur unique boisson.

Ajoutez que le Phase est lui-même le fleuve le plus inerte et le plus lent dans son cours. Les fruits et les plantes que ses bords nourrissent, ne reçoivent jamais un entier et convenable développement. Ils ont peu de ces qualités propres qui doivent caractériser chaque espèce en particulier, et qui lui donnent son genre spécifique de salubrité. L’humidité qui règne par-tout, retient ces plantes et ces fruits, dans un état d’imperfection : ils ne sauroient parvenir à la maturité requise. L’air, enfin, se charge de brouillards infects, exhalés des marais ; et l’horizon se trouve comme investi de malfaisantes vapeurs.

Par l’action de toutes ces causes réunies, les habitans du Phase forment un peuple particulier : ils ont des traits distinctifs qui les caractérisent. Leur taille est haute, surchargée d’embonpoint. Leurs articulations et leurs vaisseaux semblent perdus dans une mauvaise graisse. Tout leur corps est pâle ; ou plutôt ils approchent, quant à la couleur de la peau, des personnes qui ont la jaunisse : et comme l’air qu’ils respirent est impur, nébuleux et très-humide, ils ont la voix la plus rauque qui puisse sortir d’une bouche humaine. Ils sont d’ailleurs remarquables par une extrême lenteur dans tous leurs mouvemens, et par un défaut presqu’absolu d’activité ».

Pour ne rien oublier dans la peinture du climat, auquel il attribue ces habitudes physiques et morales, habitudes qui sont évidemment celles que nous avons dit dans un autre Mémoire, appartenir au tempérament, où les fluides en général, et particulièrement les fluides muqueux, prédominent, Hippocrate revient bientôt après sur ses pas, pour ajouter ce qui suit :

« Le climat du Phase n’éprouve que peu de variations, par rapport à la température de l’air. Les saisons de l’année, les retours périodiques du froid et du chaud y marchent régulièrement et sans transitions subites. Les vents du sud y soufflent presque continuellement. Il en est un qui semble particulier au pays : on l’appelle Cenchron. Ce vent est quelquefois très-violent : la chaleur qu’il répand dans l’air, accable et résout les forces. Le vent du nord s’y fait rarement sentir ; et lorsqu’il souffle par hasard, il est foible, peu vif, peu pénétrant ».

Hippocrate a donc déterminé le genre de climat qui produit le tempérament appelé pituiteux. Mais, comme il parle d’un pays presque sauvage, où la culture et l’industrie n’avoient fait encore presqu’aucun progrès, on peut demander si les causes, regardées par lui, comme essentiellement inhérentes au local, ne sont pas du nombre de celles que l’industrie de l’homme peut combattre avec succès, et réduire à l’impuissance. Les faits répondent encore à celle difficulté.

L’art exerce sans doute un empire très-étendu sur le sol : il peut quelquefois transformer des marécages en fécondes prairies, des coteaux arides en vignobles rians, des forêts ténébreuses et malsaines en plaines salubres, couvertes de riches moissons. Cependant il est impossible de citer un climat bien caractérisé, qui n’ait pas résisté constamment à tous les progrès de la société civile, et à tous les travaux d’amélioration qu’elle fait entreprendre. Les traits qui distinguent un pareil climat, sont tellement identifiés avec ceux qui en caractérisent les terres et avec la disposition du sol ; ils ont été si fortement imprimés par la puissante main de la nature, que les efforts de l’homme s’épuisent en vain pour les effacer. Quelque changement qui puisse s’opérer à la surface de la terre, ses qualités intimes, sa latitude, l’abondance, ou la rareté des eaux, le voisinage, ou l’éloignement des mers et des montagnes, le caractère et la direction des fleuves, lui conservent toujours ses principales propriétés originelles : et soit immédiatement et par lui-même, soit médiatement et par le genre, ou par les qualités particulières de ses productions, le climat exerce toujours son influence sur le tempérament. On peut facilement s’en convaincre par l’exemple des habitans de la ci-devant Belgique et de ceux de la Batavie : les derniers, sur-tout, se rapprochent par plusieurs traits essentiels, de ces peuples du Phase qu’Hippocrate a peints avec tant de vérité, et qui vivoient comme eux, dans des lieux humides, et sous un ciel souvent enveloppé de brouillards.

§. vii.

Dans le Mémoire sur l’influence du régime, nous avons vu que les climats froids et âpres augmentent la force musculaire ; qu’ils émoussent au contraire, et cela dans le même rapport, les forces sensitives. Leur effet direct est donc de développer cette espèce de tempérament, qui se manifeste par la grande prédominance de la faculté de mouvement sur celle de sensation. Et l’on voit sans peine, que les choses doivent être nécessairement ainsi ; sans quoi l’homme auroit, dans ces climats, ou trop de sensibilité pour pouvoir résister aux impressions extérieures, ou trop peu de puissance d’action pour fournir à ses besoins. Car, d’un côté, toutes les impressions y sont fortes ; et presque toutes seroient pénibles pour des corps mal aguerris : de l’autre, la subsistance de chaque personne y demande un grand volume d’alimens ; et tous les besoins directs y sont, en général, plus multipliés et plus impérieux.

Suivant Hippocrate, les habitans de certains pays montueux et de quelques autres terrains dont l’âpreté forme le caractère principal, ont à-peu-près les mêmes habitudes de tempérament, et les mêmes mœurs que ceux des pays très-froids.

« Il y a, dit-il, des pays montueux et des terreins hérissés, dépourvus d’eaux, où les saisons ont une marche, et où leurs changemens suivent des lois toutes particulières. Une nature sévère y communique ses dures empreintes aux habitans. Les hommes y sont grands et vigoureux : ils naissent tels ; et toutes les circonstances semblent avoir pour objet de les préparer aux plus rudes travaux. Mais de pareils tempéramens enfantent des mœurs agrestes, et nourrissent des penchans farouches. »

Dans le même Mémoire, nous avons encore vu que les climats très-chauds produisent au contraire, en général, ces habitudes de tempérament, où la sensibilité prédomine sur les forces motrices : et non-seulement nous sommes sûrs que cet effet est réel et constant ; nous savons en outre, à quelles causes il doit être rapporté. Car nous avons reconnu que dans les climats brûlans, 1°. les forces, sans cesse appelées à l’extérieur, n’ont point occasion d’acquérir ce surcroît d’énergie qu’elles reçoivent de leur concentration, ou plutôt de leur balancement alternatif et continuel entre le centre et la circonférence. 2°. Les extrémités nerveuses y sont plus épanouies, et par conséquent plus susceptibles de vives impressions. 3°. L’extrême chaleur, rendant pénible toute action forte, invite à chercher constamment le repos. 4°. Les hommes y recherchent d’autant plus avidement les sensations, qu’ils sont plus sensibles ; que leur activité n’est point consommée en mouvemens musculaires ; que la nature a véritablement placé près d’eux, les objets d’un plus grand nombre de sensations agréables. 5°. Enfin, tous leurs besoins sont infiniment plus bornés ; et se sentant riches de la libéralité du sol et du climat, ces mortels favorisés par le sort, ont moins de motifs de secouer la douce paresse qui suffit à leur bonheur.

À ces raisons principales et directes, il faut joindre encore l’énervation musculaire, qui résulte de l’abus des sensations, et sur-tout celle qui tient à la prématurité (s’il est permis de s’exprimer ainsi) des organes de la génération. En effet, dans l’un et dans l’autre cas, qui se confondent pour l’ordinaire, la mobilité nerveuse devient excessive : et l’on sait que les désirs de l’amour, les caprices d’imagination qui s’y rapportent, les erreurs de sensibilité qui les entretiennent, survivent trop souvent à la faculté de satisfaire ces désirs ; état de désordre physique et moral, funeste par lui-même, mais capable d’ailleurs, de produire secondairement, une foule de désordres nouveaux, plus graves et plus funestes encore.

Hippocrate, que je ne me lasserai point de citer dans ce Mémoire, avoit observé chez les Scythes, une espèce particulière d’impuissance, commune sur-tout parmi les gens riches. Il crut pouvoir en chercher la cause, 1°. dans l’exercice du cheval, auquel les chefs de ces peuplades se livroient habituellement ; 2°. dans certaines saignées abondantes, faites à la veine qui rampe derrière l’oreille : car ils abusoient, selon lui, de ce remède, pour le traitement d’un genre particulier de fluxion articulaire, dépendant du même exercice, du moins encore suivant l’opinion de cet illustre médecin. J’avoue que, malgré toute mon admiration pour lui, je ne vois là qu’une suite d’explications hypothétiques. L’exercice du cheval ne rend point impuissant : l’expérience de tous les siècles et de tous les pays l’a suffisamment démontré. La situation pendante des jambes ne rend point les hommes de cheval plus sujets que d’autres aux fluxions articulaires[6] : c’est encore ce qui demeure bien prouvé par les faits. Enfin, les saignées abondantes peuvent affoiblir beaucoup la constitution : mais elles n’agissent point d’une manière spéciale sur tel ou tel organe ; et toutes les saignées, de quelque veine qu’on tire le sang, produisent, à peu de choses près, les mêmes effets généraux.

Ici, contre son ordinaire, Hippocrate va chercher bien loin ce qui venoit s’offrir naturellement à lui. Il n’avoit pas manqué d’observer qu’en général, les Scythes étaient une race peu sensible aux plaisirs de l’amour. « Les désirs de l’amour se font, dit-il, sentir chez eux, assez rarement, et n’ont que peu d’énergie : aussi ce peuple tout entier est-il peu propre à la génération ». On voit qu’il en étoit des Scythes comme de toutes les hordes errantes, dont la vie est précaire, qui supportent de grandes fatigues, et qui vivent exposées à toutes les intempéries d’un ciel rigoureux, sans qu’une nourriture animale abondante renouvelle constamment leurs corps épuisés. Parmi eux, les gens riches pouvoient se procurer plus facilement de belles esclaves pour leurs plaisirs : ils ne laissoient pas le temps à leurs languissans désirs de se former ; ils devoient donc être plutôt énervés que les autres : rien encore de plus naturel. Les circonstances sociales qui fournissent aux hommes trop de moyens de satisfaire leurs passions, ne nuisent pas moins en effet à leur véritable bonheur, que les climats où la nature

semble aller au-devant de tous les besoins, n’altèrent et n’affaiblissent leur énergie et leur activité.
§. viii.

Le tempérament, caractérisé par l’aisance et la liberté de toutes les fonctions, par la tournure heureuse de tous les penchans et de toutes les idées, se développe rarement et mal, dans les pays très-froids et dans les pays très-chauds. Dans les uns, les résistances extérieures sont trop puissantes, et les impressions trop souvent pénibles : dans les autres, la bile contracte des qualités trop stimulantes ; l’affoiblissement des organes de la génération est trop précoce ; les forces centrales sont trop constamment débilitées par leur distraction et leur dispersion continuelles ; enfin, trop souvent un estomac foible produit des affections nerveuses, qui font naître à leur tour, les habitudes de la crainte et de l’abattement.

Les climats tempérés, les terrains coupés de coteaux, arrosés d’eaux vives, couverts de vignobles ou d’arbres à fruits, et dont le sol, tout-à-la-fois fertile et léger, est naturellement revêtu de verdure et de doux ombrages, sont les plus propres à développer dans les individus et à fixer dans les races, le tempérament heureux dont nous parlons. Il est encore sûr que l’usage modéré du vin peutimprimer, à la longue, une partie des habitudes physiques et morales dont ce tempérament se compose. Un air serein, une heureuse température, la présence continuelle d’objets rians, des alimens succulens et doux, mais stimulans et fins, en secondant ce premier effet, ne sauroient manquer de faire prendre au systême toutes ces favorables habitudes : et pour peu que les institutions sociales laissent le climat exercer en paix son influence, pendant quelques générations, un pays tel que celui qui vient d’être décrit, est toujours habité par une race d’hommes dont la tournure d’esprit, les passions, ou les goûts ont ordinairement le même caractère, et se manifestent par des traits analogues ou correspondans.

Sans doute le passage suivant d’Hippocrate ne doit pas être regardé comme entièrement relatif à ces pays et à ces hommes : mais on voit que le caractère du terrain dont il parle, et celui qu’il attribue à ses habitans, sont parfaitement conformes l’un à l’autre, et qu’ils confirment les vues qui viennent d’être exposées. « Les habitans des lieux élevés, et qui ne sont point trop inégaux et montueux ; d’où les vents ballayent incessamment toutes les vapeurs malfaisantes, et que de belles et vives eaux arrosent sur tous les points, sont, dit-il, en général, d’une haute taille ; ils différent peu les uns des autres. Leur esprit est calme ; leurs sentimens sont doux. »

On vient de voir que la chaleur exalte la bile : jointe à la sécheresse, elle produit cet effet bien plus promptement et bien plus fortement. Ainsi donc, les climats chauds et secs doivent être féconds en tempéramens bilieux ; c’est-à-dire, en hommes chez lesquels le système hépatique, et l’humeur qu’il a pour fonction d’élaborer, prédominent particulièrement[7]. Mais ces climats ne sont pas les seuls qui les enfantent : Hippocrate détermine avec son exactitude ordinaire, les caractères principaux du pays le plus propre à produire cette même espèce de tempérament.

Voici comment il s’exprime :

« Dans un pays nu, ouvert de toutes parts, hérissé de rocs arides, et brûlé par des étés ardens, que suivent des hivers rigoureux, les hommes sont secs, musculeux, robustes, velus : ils ont les articulations fermes et bien prononcées. Ardens à former des entreprises, ils sont industrieux à les mettre en exécution. Quant à leurs mœurs, elles sont dures et presque sauvages : leur cœur s’ouvre rarement aux sentimens doux. Ils sont présomptueux, colères, opiniâtres. Ils cultivent les arts avec intelligence, et paroissent apporter en naissant, toutes les qualités militaires. »

Les anciens avaient observé que les hommes du tempérament mélancolique, dont les caractères principaux sont le resserrement de la poitrine, l’extrême rigidité des solides, l’embarras dans la circulation des humeurs, la sensibilité particulière des organes de la génération, &c sont en même temps, les plus sujets aux maladies atrabilaires ; c’est-à-dire, à ces maladies dont le symptôme dominant est une bile épaisse, poisseuse, noirâtre, ou profondément verte, qui farcit les intestins, s’attache à leurs parois villeuses, se porte quelquefois sur certains organes, dont elle dénature les fonctions et les humeurs, quelquefois aussi se répand dans toutes les parties du corps, et les teint d’une couleur obscure, ou les couvre de tumeurs hideuses et d’ulcères rongeans extrêmement malins. Ils avoient, en outre, observé que ces maladies sont plus communes dans les pays chauds, mais où la température de l’air est variable, que dans les régions glacées, ou dans celles qui n’éprouvent ni des chaleurs brûlantes, ni des froids rigoureux. Enfin, ils avoient vu que, si les tempéramens mélancoliques semblent primitivement disposés aux maladies atrabilaires, ces maladies, de leur côté, ne tardent pas d’imprimer à l’économie animale, les habitudes de ce même tempérament : et l’on peut regarder comme une règle générale, que les effets moraux, directement résultans pour l’ordinaire, de certaines dispositions organiques, ont la propriété de déterminer ces dispositions, lors même qu’ils sont produits par des causes qui n’ont primitivement avec elles, aucune espèce de rapport.

En lisant avec attention les écrivains anciens de médecine, l’on voit que les maladies atrabilaires, et sur-tout les altérations qu’elles peuvent occasionner dans l’état des deux systèmes, lymphatique et cutané, étaient autrefois bien plus communes qu’aujourd’hui. Les raisons de cette différence ne sont pas, à beaucoup près, toutes immédiatement physiques. Le perfectionnement de la police[8], et la destruction de quelques erreurs de régime, qui l’un et l’autre sont dus aux lumières et à l’augmentation de l’aisance générale, chez les peuples modernes, doivent être regardés comme les principales de ces raisons[9]. Mais il est encore vrai que l’état du sol et de quelques-unes de ses productions, la direction et même l’emploi d’une certaine partie de ses eaux, leur caractère en tant qu’il dépend de leur direction, la nature des exhalaisons qui s’élèvent de la terre ou des eaux, et par conséquent aussi l’état de l’air ; en un mot, que le climat lui-même peut, du moins à quelques égards, et jusqu’au point indiqué ci-dessus, être modifié par la main de l’homme. Voilà ce qu’une active et savante industrie a réellement opéré dans quelques pays, dont la nature inhospitalière sembloit rejeter également la race humaine, et celles des animaux dociles dont nous avons fait les instrumens de nos besoins ; mais où le courage, la constance et cette énergie qui n’est propre qu’à la liberté, se sont créé des sources artificielles de richesses et de bonheur. Voilà même encore ce qui rend si importante l’étude des effets de tout genre, qui peuvent être produits par les diverses circonstances locales purement physiques ; afin que ces causes, une fois bien connues et bien déterminées, on puisse ou trouver, ou perfectionner les moyens d’améliorer les circonstances favorables, et de remédier, autant qu’il est possible, à celles dont les résultats sont pernicieux.

Nous avons dit que les anciens rapportoient le tempérament mélancolique à l’automne, saison pendant laquelle les maladies atrabilaires sont en effet plus fréquentes, et qui, d’ailleurs, semble particulièrement propre à faire naître les affections de l’âme essentielles à ce tempérament. Ils avoient aussi très-bien vu que des nourritures grossières peuvent produire, ou du moins aggraver considérablement quelques-uns de ses phénomènes principaux. Ils n’ignoroient pas, enfin, qu’un climat sombre et sévère fait contracter à l’âme des habitudes tristes ; que ces habitudes occasionnent souvent des engorgemens de la rate et du foie ; d’où naissent, à leur tour, de profondes affections hypocondriaques, qui, transmises pendant quelques générations, amènent graduellement toutes les dispositions propres au tempérament mélancolique, et le fixent enfin dans les races, par des empreintes qui ne s’effacent plus.

D’après les observateurs modernes, et sur-tout d’après les médecins praticiens qui nous ont donné des recueils d’histoires de maladies, sans dessein d’établir aucune théorie particulière, nous avons deux remarques à faire sur les vues des anciens. D’abord, l’automne est d’autant plus fertile en maladies atrabilaires, et il laisse des traces d’autant plus funestes de ses ravages, qu’il succède à des chaleurs plus sèches et plus ardentes, et qu’il est lui-même plus humide, ou plus froid et plus variable. En second lieu, les climats nébuleux et sombres ne produisent des effets complètement analogues à ceux de l’automne, qu’autant que leur influence se trouve secondée par des vices de régime, notamment par l’abus des nourritures grossières et difficiles à digérer : comme, à leur tour, ces nourritures causent rarement les mêmes désordres dans la constitution, à moins que les circonstances locales n’agissent dans le même sens.

Ainsi donc, en se renfermant dans les faits les mieux constatés, l’on doit réduire l’action du climat sur la production du tempérament mélancolique, à ces points simples.

1°. Dans les pays chauds, mais où la chaleur est fréquemment et brusquement interrompue par des froids humides, ou par des vents aigus et glacés, ce tempérament sera très-commun.

2°. Il le sera moins, mais il le sera cependant encore, dans les pays où la nature est comme couverte d’un voile de brouillards, et qui ne présentent que des objets sombres, monotones et décolorés : il le sera sur-tout si le caractère des alimens, secondant l’influence de ces impressions, en fortifie les résultats. Mais on remarque alors, que le tempérament, quoique bien caractérisé par les dispositions constantes qui le constituent, ne l’est que rarement par les formes extérieures ; et, par conséquent, on pourroit ne le croire qu’accidentel et passager.

3°. Certaines erreurs de régime en général, et l’abus de quelques mauvais alimens en particulier, peuvent aussi contribuer à produire le tempérament mélancolique : mais l’action de ce genre de causes est insuffisante, si le climat ne lui prête une force nouvelle, et n’achève de caractériser des effets, qui restent quelquefois assez long-temps incertains ; l’énervation de l’estomac et l’altération des humeurs qu’elle occasionne, pouvant porter plusieurs désordres très-différens dans la constitution.

§. ix.

Comme l’influence du climat sur la production des maladies tient, par plusieurs côtés, à son influence sur la formation des tempéramens, je crois que le petit nombre de considérations qui suffisent pour fixer les idées sur ce point, trouve ici naturellement sa place. En effet, d’une part, il est peu de maladies très-marquées, dont les caractères ne se rapportent, plus ou moins, à ceux de quelque tempérament : de l’autre, l’extrême de tout tempérament quelconque est un état maladif ; de sorte que l’on voit souvent tour-à-tour, naître l’un de l’autre, la maladie et le tempérament. Mais de plus, l’influence du climat sur les dérangemens de l’économie animale, est trop notoire pour avoir besoin d’être prouvée en elle-même. Il est peu de personnes qui puissent ignorer que certaines maladies sont endémiques dans différens pays, et qui ne soient même convaincues que ces maladies y dépendent uniquement des circonstances locales : et dans tous ces cas particuliers, soit que la cause ait été déterminée, soit qu’elle reste encore incertaine, on l’attribue toujours à la nature du sol et au caractère des lieux. Ainsi donc, sans négliger entièrement le fond de la question, ce qui paroît ici le plus essentiel est d’examiner si les maladies dont l’influence sur l’état moral est incontestable et directe, ne sont pas du nombre de celles qui se trouvent, à leur tour, le plus soumises à l’influence du climat ; et si les meilleurs observateurs de tous les siècles ne les ont pas, en effet, attribuées unanimement à certains pays particuliers.

D’abord, il est bien reconnu que le scorbut, et toutes les dégénérations d’humeurs qui s’y rapportent, sont plus communs dans les régions humides et froides, sur les côtes des mers polaires, au sein des bois entrecoupés d’étangs et de marais, que dans les pays chauds ou tempérés, secs, découverts, arrosés d’eaux vives. Il est également reconnu que les bas-fonds, les terrains où l’argile retient les eaux près de la surface du sol, les lieux voisins des marais, ou dans les environs desquels pourrissent des matières végétales, amoncelées et mêlées avec quelques substances animales, fourmillent de fièvres intermittentes et rémittentes, qui se rapprochent les unes des autres, par différentes particularités de leur type, et qui sont plus ou moins graves, suivant le caractère de l’année, la saison, et les diverses circonstances relatives à l’individu.

Dans d’autres pays, au contraire, les fièvres intermittentes sont extrêmement rares : il en est même où quelques-uns des types de ces fièvres sont absolument ignorés ; par suivant l’assertion des médecins d’Édimbourg, et notamment de Cullen, l’on n’a jamais observé la fièvre quarte en Écosse.

On sait encore que certains engorgemens glanduleux, certaines coliques, certaines affections rhumatismales, certaines éruptions psoriques règnent exclusivement dans quelques endroits particuliers : et quoiqu’on ne puisse pas toujours en assigner la raison précise, comme cependant on les rencontre ailleurs beaucoup plus rarement, ou qu’elles y sont moins prononcées, on est suffisamment en droit de les imputer à la nature, ou à l’état du sol, des eaux, de l’air, en un mot, au climat. Enfin, d’autres maladies, telles que le trismus, ou tetanos des enfans nouveaux-nés, le dragoneau, ou vena-medinensis, le malis furialis, ou furie infernale de Linné, les crinons décrits par Etmuller et Horstius, les bêtes rouges des savanes de la Martinique, l’yaw, ou pian, la plique polonaise, &c. &c., paroissent tellement affectés à certaines régions de la terre, qu’on ne les observe dans d’autres, que lorsqu’elles y sont transportées par les malades

eux-mêmes, ou lorsqu’elles sont, comme le pian, de nature contagieuse : et alors, il arrive presque toujours, qu’elles dégénèrent en peu de temps, dans ce nouveau climat, qui ne leur est pas propre ; quelquefois même, l’expatriation du malade suffit pour les dissiper entièrement[10].
§. x.

Parmi les maladies qui troublent immédiatement les opérations de l’intelligence et de la volonté, on doit placer les inflammations du centre cérébral, sur-tout ces inflammations lentes, dont l’effet, moins marqué d’abord, devient par la suite plus fixe et plus tenace. Il ne s’agit point ici d’expliquer comment agissent ces inflammations, qui, pour l’ordinaire, portent uniquement sur quelques points isolés de ce centre, ou même sur quelque portion particulière des membranes qui l’enveloppent : mais il est prouvé par une multitude de faits incontestables qu’elles peuvent produire des dérangemens d’esprit, soit aigus, soit chroniques, et plus ou moins complets, suivant le siége, le caractère et le degré d’intensité qu’elles ont ont elles-mêmes. Or, ces faits prouvent également que les maladies dont nous parlons sont, comme propres à certains pays, et que si des causes morales peuvent les développer quelquefois dans d’autres pays très-différens des premiers, les causes physiques dont elles dépendent le plus souvent, se rapportent toutes, ou presque toutes, au climat, ou au genre de régime qu’il détermine. Il faut en dire autant de l’inflammation de la matrice et des ovaires, ou de la nymphomanie, et de celle des organes correspondans chez les hommes, ou du satyriasis. Ces dernières maladies, qui changent si profondément tout l’état moral des individus, qui même peuvent effacer entièrement des habitudes que la pudeur sembloit avoir identifiées avec l’instinct ; ces maladies, d’après les plus exacts et les plus sages observateurs, appartiennent, pour ainsi dire, exclusivement, à certains climats : elles sont très-communes dans les pays chauds et secs ; elles ne se montrent presque jamais dans les pays humides et froids.

En Italie, et dans quelques-uns de nos départemens méridionaux, les phthisies pulmonaires dépendent ordinairement de l’inflammation lente des organes de la respiration. Mais quand la maladie est avancée, elle devient ordinairement contagieuse ; ce qui fait qu’on ne peut plus alors la rapporter au genre des phlogoses : et même elle est si souvent héréditaire, que les enfans d’un père, ou d’une mère qu’elle a fait périr, vivent dans des transes continuelles, jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’époque où les dispositions inflammatoires se calment, et où le poumon se trouve raffermi par la durée même de ses fonctions.

Dans les pays humides et froids, l’inflammation lente du poumon ne se présente que rarement ; et même sa véritable inflammation aiguë, est loin d’être aussi commune que les théoriciens paraissent l’avoir imaginé. La phthisie y tient, pour l’ordinaire, à d’autres causes, telles que les engorgemens du foie ou du mésentère, certaines affections stomacales consomptives, des tubercules, des dégénérations muqueuses du poumon. Dans tous ces cas, elle ne paraît point contagieuse[11] : il est même rare qu’elle fasse des impressions assez profondes sur tout le système, pour devenir héréditaire, si ce n’est dans le cas de tubercules, dont les causes prédisposantes, pour parler le langage des médecins, peuvent, en effet, se transmettre des pères aux enfans.

Or, ces maladies produisent des changemens notables dans l’état moral ; et ces changemens sont très-différens, selon qu’elles prennent tel ou tel caractère, qu’elles suivent telle ou telle marche, qu’elles ont telle ou telle terminaison.

Dans les phthisies purement inflammatoires, si-tôt que la fièvre lente est bien établie, le malade paraît éprouver une heureuse agitation de tout le système nerveux : il se berce d’idées riantes, et se repaît d’espérances chimériques. L’état de paix, et même quelquefois de bonheur, dans lequel il se trouve, se joignant aux impressions inséparables de la défaillance progressive, qu’il ne peut s’empêcher d’appercevoir en lui-même, lui inspire tous les sentimens bienveillans et doux, plus particulièrement propres à la foiblesse heureuse. Presque toujours, en effet, le méchant est devenu tel, ou par la conscience pénible d’un état habituel de mal-être, ou par celle d’une force, en quelque sorte trop considérable : car une telle force, lorsqu’elle n’est pas soumise à la réflexion, devient facilement malfaisante, en se laissant emporter au hasard par une aveugle activité.

Dans les phthisies causées par des engorgemens hypocondriaques, ou par des affections stomacales, qu’accompagne presque toujours une disposition vaporeuse et spasmodique, les malades ne nourrissent, au contraire, que des idées sombres et désolantes. Bien loin de porter des regards d’espérance dans l’avenir, ils n’éprouvent que craintes, découragement, désespoir : ils sont moroses, chagrins, mécontens de tout ; et ils répandent sur les personnes qui les soignent, tous ces sentimens pénibles dont ils sont habituellement tourmentés.

C’est dans les pays où les eaux sont dures et crues, l’air âpre, les alimens grossiers, que tantôt le système lymphatique, tantôt le tissu cellulaire, s’engorge et s’endurcit profondément, de manière à produire une suffocation graduelle de la vie, ou de plusieurs de ses plus importantes fonctions. Nous avons vu, dans un des Mémoires précédens, un exemple de la suffocation générale de la vie, causée par l’endurcissement du tissu cellulaire : je l’ai cité comme l’extrême d’un état qui s’offre souvent à l’observation, dans certains pays, mais que le célèbre Lorry note comme rare parmi nous. Or, les altérations qu’éprouvent alors les fonctions du cerveau, sont ordinairement proportionnées au degré de la maladie ; et même elles peuvent à peine être distinctement apperçues, tant que la maladie est encore dans son premier période, ou qu’elle reste à son premier degré. L’imbécillité des cretins ne dépend pas d’une autre cause : elle est évidemment l’effet d’un engorgement général du système lymphatique, et de l’altération des sympathies qui lient les fonctions de certains viscères du bas-ventre, à celles de tout le système cérébral. Mais quand les engorgemens lymphatiques se trouvent joints à des vices dans les matériaux même, ou dans le travail de l’ossification, quelquefois la compression que le volume augmenté des viscères du bas-ventre et de la poitrine exerce sur les gros vaisseaux, faisant porter une plus grande quantité de sang vers la tête, les os qui forment sa cavité, cèdent à cette nouvelle impulsion ; le cerveau prend plus de volume et d’activité ; et toutes les facultés morales se développent de la manière la plus étonnante. Ce phénomène doit alors être regardé comme un symptôme, ou plutôt comme un résultat de la maladie. Cependant il faut convenir qu’il n’a pas toujours lieu : assez souvent, comme je l’ai dit ailleurs, les enfans rachitiques sont, ou deviennent imbécilles, par l’effet même de l’état où se trouvent chez eux, la lymphe et tous les principes que la nature emploie à la formation des os : et, pour avoir de l’esprit, il ne suffit pas toujours que les membres soient contournés et l’épine du dos de travers.

Nous avons également vu que les affections scorbutiques, tout en altérant profondément les forces musculaires et le travail de la sanguification, ne portent cependant presque aucune atteinte aux fonctions du cerveau. Les malades conservent toute leur connoissance, jusqu’au dernier moment : tout l’organe nerveux paroît s’isoler du reste système ; du système ; et, sauf cette aversion pour tout mouvement qui caractérise le dernier période de la maladie, on diroit que le cerveau et les autres parties du corps n’y conservent d’autre communication entre eux, que ce qu’il en faut précisément pour que la vie ne cesse pas. Mais ces affections n’ont point par-tout le même caractère. Quoique plus communes dans les pays humides et froids, on les observe aussi dans les climats tempérés : elles s’y compliquent même avec beaucoup d’autres maladies chroniques, dont tantôt elles prennent le caractère, et auxquelles tantôt elles impriment leurs traits les plus distinctifs. Dans ces derniers climats, elles ne dépendent point des mêmes causes que dans les premiers : elles n’ont ni la même marche, ni le même genre d’influence sur le moral : elles ne guérissent point par le même traitement. C’est, pour l’ordinaire, dans l’affoiblissement primitif du système nerveux, ou dans l’imperfection de la digestion stomachique, qu’il faut alors en chercher la cause. Leurs progrès sont lents, et n’ont rien de régulier. En s’associant aux maladies spasmodiques et vaporeuses, elles en empruntent la tournure inquiète et les désordres d’imagination. Enfin, les remèdes qui guérissent le scorbut presqu’aigu des pays froids, aggravent souvent le scorbut plus chronique des pays chauds, ou tempérés.

§. xi.

Le tempérament caractérisé par la prédominance des fluides sur les solides, et par la surabondance des matières muqueuses incomplètement animalisées, paraît être celui sur lequel l’action du climat est le plus remarquable. Il y a des pays entiers où ce tempérament est comme endémique. Leurs anciens habitans en offrent les profondes empreintes : les habitans nouveaux le contractent au bout de peu de générations : quelquefois même il se développe et se marque chez les individus qui sembloient en être le plus éloignés ; et cette première impression se transmet, et devient plus distincte de père en fils.

La nature du terrain, celle des eaux, l’état habituel de l’atmosphère, le caractère que ces circonstances réunies impriment à toutes les productions : telles sont les causes qui rendent le tempérament muqueux si commun dans certains pays. Ces mêmes circonstances, c’est-à-dire un sol humide et marécageux, mais gras et fertile, des eaux stagnantes et chargées de matières étrangères, une atmosphère brumeuse et sombre, des alimens aqueux, mais abondans et nourrissans, peuvent agir de concert, sur des corps débiles, ou mal disposés ; et leurs effets sont dans ce cas, plus remarquables et plus constans. Mais quand elles agissent avec un certain degré de force, sur des corps d’ailleurs très-sains, elles déterminent en eux encore, des altérations d’humeurs, ou de fonctions, qui se rapportent au tempérament muqueux, et qui n’en sont que l’extrême ou l’excès. En effet, c’est alors qu’on voit paroître en foule, les affections rhumatismales lentes, les catharres de toute espèce, les dégénérations pituiteuses, les œdématies et les épanchemens lymphatiques qui les terminent, &c., &c. et nous savons que ces maladies impriment à toutes les idées, à tous les sentimens, leur caractère froid, inerte et sans détermination.

Les observations recueillies par les médecins des pays chauds, prouvent également qu’il s’y développe des maladies qui sont exclusivement propres à ces pays : elles prouvent, en outre, que les maladies qui leur sont communes avec les autres régions de la terre, présentent, sous les climats brûlans, des phénomènes entièrement nouveaux.

Toutes les fois qu’à la chaleur du sol se joint son humidité, et qu’en même temps, l’atmosphère est habituellement chargée de brouillards, les maladies aiguës penchent toutes vers le caractère des lentes malignes ; les maladies chroniques se rapprochent de celles dont le scorbut et les œdématies putrides forment la base : elles tiennent, ou du moins elles tendent toutes à l’énervation de tous les mouvemens vitaux, à la dissolution de toutes les humeurs. Quand, au contraire, la sécheresse de la terre et de l’air n’oppose aucun obstacle à l’action d’un soleil embrasé, les maladies aiguës, tantôt prennent le véritable caractère inflammatoire ; tantôt, et plus souvent, elles paroissent se couvrir de ce caractère extérieur, comme d’un symptôme superficiel, pour voiler le fond bilieux dont elles dépendent alors pour l’ordinaire : tantôt enfin, des vomissemens noirâtres y font reconnoître, ou la vraie atrabile des anciens, c’est-à-dire la bile altérée par une excessive concentration, ou d’abondantes hémorragies internes ; car le sang dégénéré dans les intestins, prend toujours cette couleur obscure. Les maladies chroniques dépendent presque toutes, dans les pays chauds et secs, d’inflammations lentes, d’engorgemens hypocondriaques, ou de dégénérations atrabilaires, introduites dans toutes les humeurs. Or, les changemens que ces divers états physiques impriment à l’état moral, ont été déjà déterminés, soit dans ce Mémoire, soit dans les précédens.

En général, les maladies des climats brûlans, paraissent intéresser particulièrement le système nerveux. C’est dans ces climats, qu’on observe le plus fréquemment, des affections spasmodiques profondes, qui troublent tout l’ordre des fonctions, et même celui des sensations. C’est-là, et l’on peut même dire, là, presque uniquement, que les extases et les catalepsies se montrent dans toute leur intensité : enfin, c’est encore là, que toutes les maladies, sans exception, tendent à devenir convulsives, et qu’on peut suivre dans tous ses degrés, cette prédominance de la faculté de sentir sur la puissance de mouvement.

Mais nous savons d’avance quels sont les effets moraux de ce défaut d’harmonie entre les principales forces, ou les principales fonctions, et de ces dispositions habituelles du système, qui le rendent susceptible de toutes les bizarreries et de tous les écarts.

Je termine donc ici ce que j’avois à dire touchant l’influence du climat sur la production des maladies. Non-seulement la réalité de cette influence, considérée en général, reste prouvée pour tout homme de bonne-foi ; mais il est encore évident qu’elle s’exerce d’une manière particulière sur les maladies elles-mêmes, capables d’influer à leur tour, le plus directement, sur les fonctions qui constituent le système moral.

Cependant, il me paroît indispensable d’ajouter quelques remarques, relatives aux modifications qu’exige le traitement des mêmes maladies dans les différens climats ; rien n’étant plus propre à faire reconnoître, en quelque sorte, au doigt et à l’œil, les changemens que leur action prolongée peut introduire dans l’état de l’économie animale. Mais pour éviter de nous perdre dans des détails minutieux, nous ne sortirons point des généralités les plus sommaires.

§. xii.

Si l’histoire naturelle a besoin d’une bonne géographie physique, la science de l’homme a besoin d’une bonne géographie médicale. Quoique ce dernier travail soit plus incomplet encore que le premier, les faits rassemblés par les médecins observateurs peuvent cependant fournir déjà plusieurs résultats précieux.

Baglivi, rendant compte du succès de ses traitemens, et cherchant à tirer de son expérience, des règles plus sûres de pratique, croyoit devoir ajouter par restriction : vivo et scribo in aëre romano. Bien loin de penser, comme beaucoup de théoriciens audacieux, qui, non contens d’avoir établi les préceptes les plus généraux sur quelques observations isolées, veulent encore appliquer à tous les pays ce qu’ils ont à peine expérimenté dans un seul, Baglivi reconnoissoit que, d’une ville à l’autre, on est forcé souvent de varier ses moyens de curation, et qu’il n’y a pas plus de médecine universelle pour tous les climats, que pour toutes les maladies. Mais il faisoit entrer dans les motifs de cette opinion, confirmée par des nombreuses observations mieux faites encore peut-être, depuis lui, plusieurs considérations délicates trop éloignées de notre objet. Or, nous voulons nous renfermer dans ce que la question présente de plus général.

La sensibilité subit des dégradations continues, depuis son extrême en excès dans les régions équatoriales, jusqu’à son extrême en défaut sous les zones polaires. L’homme des climats brûlans est affecté des plus légères irritations : l’homme des pays glacés ne peut être excité que par les stimulans les plus vifs et les plus forts.

Le premier passe rapidement de sensations en sensations : il parcourt dans le même instant, toute l’échelle, si l’on peut s’exprimer ainsi, de la sensibilité humaine. Chez lui, du spasme à l’atonie, il n’y a qu’un pas. Il faut sans cesse, et tour-à-tour, le calmer par des tempérans, ou le ranimer par des aromatiques, par des spiritueux : et pour peu que ces incommodités deviennent graves, il faut à chaque instant, consolider et maintenir les forces de la vie, par des toniques, dont un des effets directs est en même temps de prévenir leurs écarts, soit en plus, soit en moins. Les partisans des causes finales remarqueront avec plaisir, que les remèdes dont on a besoin de se servir le plus fréquemment dans les pays chauds, y semblent répandus par la nature, avec une singulière profusion. Mais ils regretteront avec nous, de trouver cette règle si souvent en défaut, relativement aux remèdes qu’exigent plusieurs maladies, communes à tous les climats, ou particulières à quelques-uns.

L’habitant des pays glacés n’est pas susceptible de recevoir autant d’impressions à-la-fois : il les reçoit plus isolées, plus lentes, plus faibles. Mais les déterminations de ses organes sont plus durables ; de nouveaux objets, c’est-à-dire de nouvelles impressions les changent, ou les intervertissent plus difficilement. Elles se maintiennent avec constance, parce qu’elles ont commencé sans précipitation ; elles s’exécutent avec régularité, parce qu’elles ne sont pas troublées par de nouvelles déterminations, survenues tout-à-coup.

Ici, loin d’exiger qu’on les modère, ou qu’on les fixe, les mouvemens veulent être sans cesse provoqués, ranimés, soutenus. Or, voilà ce que produisent très-bien les vives sensations du froid, l’exercice violent qu’il rend nécessaire, et l’usage des nourritures animales et des liqueurs spiritueuses, dont le climat lui-même fait un besoin pour l’homme du Nord.

Si les maladies s’y forment plus lentement ; si elles ne s’y manifestent qu’après avoir long-temps miné les forces : elles sont aussi plus rebelles ; elles exigent des secours plus actifs et plus constans. Leur nature catharrale et tenace ne cède qu’aux fondans héroïques : les dissolutions putrides générales qu’elles entraînent après elles, ne peuvent être corrigées que par les anti-scorbutiques les plus âcres : les purgatifs et les vomitifs doivent être violens et donnés à haute dose : les sudorifiques doivent se rapprocher de la nature des poisons. Aussi, quand on veut les transporter dans nos contrées plus méridionales, les remèdes des pays froids ont-ils besoin d’être employés avec une extrême circonspection. Avant que Sanchez indiquât à Van-Swieten le sublimé-corrosif[12], comme un moyen très-efficace dans le traitement des maladies vénériennes, cette préparation mercurielle étoit employée dans celui des obstructions et des maladies de la peau, par les Russes d’Asie et les Sibériens. Les médecins allemands ont essayé les solanum, les ciguës, la laitue vireuse : l’aconit même est assez familièrement employé dans le Nord : on y a tenté jusqu’à l’arsenic[13], mitigé par les alkalis fixes, dans le traitement des fièvres intermittentes ; et quoique les essais de ce dernier poison paroissent avoir été par-tout malheureux, ces expériences, que quelques médecins français n’ont pas craint de répéter dans nos climats, y ont été bien plus funestes encore, et bien plus promptement mortelles.

Enfin, si l’on veut chercher des faits analogues chez un peuple grossier, où les pratiques vulgaires ne peuvent être dues aux théories, souvent si vaines, des hommes de l’art, qu’on jette les yeux sur le voyage de Linné en Laponie : on y trouvera que cet immortel naturaliste vit les habitans du pays manger dans la soupe, les jeunes pousses d’aconit, comme nous mangeons ici les pointes d’asperges, ou les choux ; et les personnes auxquelles il voulut faire quelques observations sur cette prétendue imprudence, ne répondirent qu’en riant, à ses graves conseils. On verra de plus, dans le même ouvrage, que les Lapons se purgent familièrement avec l’huile de tabac, et qu’ils employent à large dose ce terrible remède dans le traitement de certaines coliques auxquelles ils sont très-sujets. Enfin, l’on trouvera dans le voyage de Pallas que les paysans russes mangent impunément en beaucoup d’endroits les espèces de champignons vénéneux, les plus dangereuses pour les hommes des pays chauds ou tempérés.

§. xiii.

Si nous n’avons pas perdu de vue la signification du mot régime, qui se trouve à la tête du Mémoire précédent, et celle du mot climat, qui se trouve à la tête de celui-ci, nous n’aurons pas de peine à comprendre que le climat doit influer sur le régime ; et que si, dans l’ensemble des pratiques de la vie, dont le régime se compose, il en est quelques-unes que l’art peut rendre presque indépendantes des localités, le plus grand nombre sont déterminées par des causes qui tiennent au sol, à sa latitude, à la nature des eaux, à l’état de l’air.

Le climat influe de deux manières différentes sur le régime : 1°. par la nature, ou le caractère des alimens qu’il fournit ; 2°. par le genre des habitudes qu’il faît naître ; habitudes dont on ne peut méconnoître la source lorsquelles sont, comme il arrive assez souvent, nécessaires à la conservation des races et au bien-être des individus, dans un local donné.

Nous n’avons pas sans doute, besoin de prouver longuement que la nature et le caractère des alimens fournis par le sol, diffèrent suivant les climats. Parmi les végétaux et les animaux employés à la nourriture de l’homme, il en est qui sont spécialement propres à certains pays ; on ne les trouve point ailleurs. Quant à ceux qui sont communs à presque tous les pays habités, l’aliment qu’ils tirent eux-mêmes, soit du sol et de ses productions, soit de l’air et des eaux, les différencie souvent, de la manière la plus remarquable, d’une vallée, ou d’un coteau à l’autre, dans le même canton. Enfin, la nature des eaux, et l’état de l’air, varient essentiellement par rapport aux divers terrains. Or, ces dernières causes agissent plus puissamment encore sur l’organisation souple de l’homme, que sur celle des autres animaux : et quand les circonstances locales quelconques sont assez puissantes pour modifier le caractère des végétaux et des fruits, on est très-sûr qu’aucune nature vivante n’échappe à leur action. Ainsi, les alimens[14] dont nous connoissons l’influence sur les plus importantes fonctions de l’économie animale, sont très-différens dans les différens pays : et le climat leur imprime des caractères que nous avons aussi reconnus capables de modifier profondément cette influence ; caractères qui les rendent eux-mêmes plus, ou moins favorables à l’action de tout le système en général, ou seulement à certaines fonctions en particulier.

Depuis que les relations commerciales des peuples policés ont pris une activité constante, les productions de chaque pays sont devenues plus ou moins communes à tous les autres. Par conséquent, peut-on nous dire, l’influence que le climat est capable d’exercer sur le régime, est loin d’être analogue, ou proportionnelle à celle qu’il exerce en effet, sur la nature et sur les qualités des productions de la terre. Je ne nie point les importans résultats de cette communication, tous les jours croissante, entre les différentes régions du globe, de cet heureux échange des biens que la nature leur accorde, ou que l’industrie y crée par de savans efforts. Mais le plus grand nombre des productions naturelles d’un pays ne sont point susceptibles d’être transportées au loin : il faut nécessairement les consommer sur les lieux qui les ont vu croître. Celles même qui peuvent être plus facilement déplacées, et qui se conservent assez long-temps, pour que le commerce puisse entreprendre d’aller les répartir dans d’autres climats, sont, en général, consommées en bien plus grande abondance par les peuples qui les récoltent directement, que par ceux qui les achètent à grands frais, dans des marchés lointains. Car la classe pauvre, qui malheureusement, est par-tout la plus nombreuse, ne peut faire un usage habituel des objets de consommation venus de l’étranger : ou si quelquefois, elle s’en procure la jouissance, ce ne peut être qu’un extraordinaire pour elle ; le fonds e sa nourriture se compose toujours de productions qui naissent à ses côtés.

Ainsi, par exemple, le vin qui se transporte assez facilement, et dont on fait un usage journalier dans plusieurs pays qui n’en produisent pas, agit pourtant d’une manière moins générale et moins uniforme sur leurs habitans, que sur ceux des pays de vignobles, particulièrement des cantons qui produisent plutôt une grande abondance de vin, que des vins précieux et recherchés.

Quoique l’opium puisse se retirer des différentes espèces de pavots, répandues presque en tous lieux par la nature, les espèces qui croissent dans les régions brûlantes de l’Asie et du nord de l’Afrique, le fournissent en plus grande quantité et plus actif. Ainsi donc, son usage, dont l’abstinence du vin[15] fait d’ailleurs un besoin plus vif pour tous les Musulmans, n’est véritablement populaire que dans les pays où ses récoltes ont pu devenir facilement une des richesses du sol, et dans ceux qui en sont très-rapprochés par le voisinage et par des communications continuelles. On peut, par conséquent, à juste titre, regarder l’influence de l’opium, comme locale et dépendante du climat. Or, les observateurs les plus réservés ne balancent pas à croire que cet abus continuel d’une substance, qui met le cerveau et tout le système dans un état si particulier, entre pour une part considérable, comme cause déterminante, dans les habitudes physiques, et dans les mœurs des orientaux.

Ainsi encore, le café que les deux Indes nous envoyent, et dont l’usage est si général parmi nous, se consomme bien plus largement et plus généralement dans les pays qui le produisent, ou dans ceux qui en sont très-voisins. Quoique sans doute, on ne puisse plus resserrer ses effets dans l’enceinte d’un, ou de plusieurs pays, distincts de tous les autres ; quoique même, en transportant en Europe son usage journalier, on y ait aussi transporté, pour ainsi dire, une partie du climat nécessaire à l’arbrisseau qui le produit, le café n’en demeure pas moins encore lui-même une preuve que la puissance des localités résiste à tous ces rapprochemens artificiels, et qu’il est toujours très-différent pour un objet de consommation quelconque, fût-il devenu de première nécessité, d’être produit sur les lieux, ou de venir d’un pays lointain.

Hippocrate, comme nous l’avons déjà vu, s’est occupé très en détail, des eaux et de leurs effets sur l’économie animale. Après avoir parlé des eaux qui croupissent dans les endroits marécageux, et de celles que versent les rochers élevés, il établit, en répétant ce qu’il avoit dit ailleurs, que les sources tournées vers le soleil levant, sur-tout vers celui d’été, sont les meilleures ; que leurs eaux sont plus limpides, plus légères, et leur odeur plus agréable. Il ajoute que les plus mauvaises, sont les eaux salines et dures, qui cuisent difficilement les légumes et les viandes. Enfin, je crois devoir noter particulièrement ici, qu’il rapporte la fréquence de quelques affections maniaques dans certains pays, à l’usage inconsidéré des mauvaises eaux dont ces mêmes pays sont arrosés.

Voici, du reste, en peu de mots, à quoi se réduisent les considérations qui semblent résulter sur ce point, des faits les plus directs.

Les eaux qui sortent du sein de la terre, ou qui roulent long-temps à sa surface, s’imprègnent des substances qu’elle contient. Ainsi, tantôt elles sont salines, tantôt sulphureuses, tantôt chargées de fer, de cuivre, ou de différentes espèces d’air. Les eaux vraiment minérales, c’est-à-dire celles qui contiennent une quantité notable de substances métalliques, ou salines ; celles même de source, de puits, de fontaine, de rivière, qui ne sont jamais entièrement dégagées de ces substances, ont les unes et les autres, sur l’économie animale, une action qui favorise, ou dérange plus ou moins, les fonctions de la vie et l’équilibre de la santé.

D’après les observations les plus constantes, nous savons que les eaux dures et crues, peuvent causer des engorgemens lymphatiques ; que les eaux stagnantes et rapides, émoussent la sensibilité, énervent les forces musculaires, disposent à toutes les maladies froides et lentes. Il est également notoire que dans plusieurs pays, d’ailleurs fertiles et riches, les habitans sont forcés à s’abreuver de ces mauvaises eaux. Les incommodités qu’elles produisent, ne tardent pas à faire sentir leur action dans tous les points du système : la langueur passe bientôt des organes aux idées, aux penchans, en un mot, au moral. Cette influence est donc évidemment soumise aux localités.

Je prends un autre exemple. Parmi les substances minérales dont les eaux et les productions de la terre peuvent être chargées, il n’en est aucune peut-être, qui soit plus commune, et qui cependant agisse avec plus d’efficacité sur les corps vivans, que le fer : aucune n’est plus capable d’augmenter la vigueur générale des organes, de communiquer à l’âme ce degré d’énergie, qui peut en être regardé presque toujours, comme l’effet immédiat. Une grande quantité de sources contiennent le fer, tantôt plus ou moins oxidé, tantôt en état salin, plus ou moins complet. Ce métal existe en nature, dans les liqueurs des animaux et de plusieurs végétaux. Enfin, dissous par l’oxigène de l’air, et peut-être par l’air lui-même, il flotte quelquefois dans son sein, soutenu par sa combinaison, ou par son extrême ténuité. Ainsi, dans tous les pays dont le sol est très-ferrugineux, on le mange, on le boit, on le respire. Ici, l’influence du climat sur le régime, se retrouve et s’observe avec la dernière évidence, dans toutes les fonctions les plus importantes de la vie : elle est, en quelque sorte, l’ouvrage de tous les élémens.

§. xiv.

Il est difficile de séparer les habitudes d’un peuple, de ses travaux. Dans plusieurs pays, quelques travaux ont été déterminés par les habitudes. Plus souvent encore, les habitudes sont le produit nécessaire et direct des travaux auxquels se livre, ou la partie la plus nombreuse du peuple, ou celle qui exerce le plus d’influence dans la société.

Ainsi, les mœurs, dans quelques pays, ont repoussé certains genres particuliers d’occupations : elles en ont, au contraire, encouragé d’autres ; elles ont pu même quelquefois transformer ces dernières occupations, en goûts passionnés, en besoins. Les Spartiates et les Romains avaient flétri, par de barbares institutions et d’absurdes préjugés, tous les travaux de l’industrie et du commerce. Leurs arts grossiers, abandonnés aux mains les plus viles, ne pouvoient faire aucun progrès : ils étoient une espèce de désordre dans l’état. Plusieurs travaux des Égyptiens semblent avoir demandé, pour leur exécution, des mains esclaves : tous ceux des Grecs vouloient des mains libres : ceux des Phéniciens et des Carthaginois ne pouvoient convenir qu’à des négocians ingénieux, qui mettent avant tout, la richesse et les entreprises hardies, ou les efforts des arts par lesquels on peut l’acquérir ; à des esprits calculateurs, qui, sûrs de rendre tributaires de leur industrie, toutes les nations un peu civilisées, en y portant de nouvelles jouissances et de nouveaux besoins, n’employent la force des armes, que comme un voyageur en caravane, qui veut rendre sa route paisible. Les travaux des Romains, si l’on peut se servir de ce mot, pour désigner les entreprises d’un peuple conquérant et pillard, étoient encore au fond, les mêmes dans le temps de leur plus haute fortune, que dans celui où, pour vivre, ils étoient réduits à dérober les troupeaux et les gerbes de leurs voisins : leurs habitudes étoient celles d’un voleur, qui rôde, toujours prêt à détrousser les passans : et même en admirant l’énergie que Rome déploya dans beaucoup de circonstances, et les grands caractères qui se formèrent dans son sein, on est forcé de convenir qu’elle ne fut jamais en effet, qu’un grand repaire de voleurs publics ; jusqu’au moment où l’oppression qu’elle avoit fait peser sur l’univers, vint retomber sur elle-même, et la rendit le théâtre et la victime de tous les désordres, de tous les excès et de toutes les fureurs.

L’union plus fraternelle introduite par l’esprit de secte, a souvent fait exécuter certains travaux, que n’eussent point tentés les mêmes hommes dans des circonstances, d’ailleurs heureuses, mais différentes. C’est aux habitudes sédentaires de quelques peuples, que sont dus la création et le perfectionnement de certains arts, tout-à-fait inconnus, ou beaucoup moins cultivés chez les nations qui mènent une vie active. Enfin, les sauvages rejettent généralement les occupations paisibles et plus fructueuses des nations civilisées, pour continuer à vivre au milieu des fatigues et des hasards : rien n’est plus vrai. Mais s’ils semblent préférer leur existence pénible et précaire à tous les biens qu’un meilleur état social peut seul garantir, c’est uniquement à la puissance des habitudes, et non point assurément, comme l’ont avancé quelques déclamateurs, à la comparaison raisonnée des deux genres de vie, qu’il faut l’attribuer.

D’un autre côté, il est évident que les habitudes des nations, comme celles des individus, dépendent le plus souvent de la nature de leurs travaux. La grande différence qui se remarque entre les peuples Chasseurs et les peuples Pasteurs, entre ceux qui vivent de pêche et ceux qui cultivent la terre, entre des hordes errantes et des sociétés régulières, attachées au sol qui les nourrit : cette grande différence ne tient-elle pas essentiellement à celle de l’objet et du genre de leurs occupations ? Les mœurs des nations guerrières ne peuvent être celles des nations agricoles ; les navigateurs entreprenans ne ressemblent point à des artisans timides, fixés dans leurs ateliers. Quelle en est la cause ? N’est-il pas sensible qu’il faut la chercher particulièrement, et l’on pourroit dire presqu’uniquement, dans la nature des travaux qui remplissent la vie des uns et des autres ? De-là, dépend donc aussi la nature de leurs sentimens et de leurs idées : certaines impressions particulières, liées à ces mêmes travaux, doivent nécessairement ramener pour eux, chaque jour, et ces idées, et ces sentimens. Le caractère pillard des peuples Nomades, le caractère perfide et cruel des peuples Chasseurs ; enfin, le caractère plus doux des agriculteurs, des commerçans, des artisans industrieux, dont l’aisance et le bien-être sont plus assurés, se rapportent entièrement à la nature des soins respectifs auxquels ils se livrent, au genre de mouvemens que ces soins exigent. S’ils se fussent adonnés aux mêmes occupations que les Spartiates, les Athéniens seroient devenus hautains et cruels : les entreprises de l’industrie et du commerce, la culture de la philosophie et des arts, auroient rendu les Spartiates aimables et polis comme les Athéniens. La férocité romaine ne s’adoucit jamais qu’imparfaitement par le commerce des Grecs plus éclairés, et même par la culture des lettres, dans lesquelles les Romains furent presque leurs rivaux : et cela, parce qu’elle rejeta toujours avec dédain, les travaux de l’industrie manufacturière et du commerce, travaux les plus propres peut-être à civiliser rapidement une nation toute entière ; qu’elle méprisa les arts où la main doit être employée, même ceux où cet organe ne fait qu’exécuter et rendre sensibles les créations du génie : aussi, Rome n’a-t-elle jamais pu compter parmi ses citoyens, un seul sculpteur, un seul peintre, un seul architecte digne d’être encore nommé avec éloge par la postérité.

Maintenant, il ne s’agit plus que de savoir si les habitudes et les travaux, qui dépendent à différens degrés les uns des autres, sont eux-mêmes soumis à l’influence du climat : telle est, en effet, la dernière question. Mais cette question n’est-elle pas résolue d’avance ? Du moins, pour écarter le petit nombre de difficultés subtiles, dont on pourroit peut-être encore l’embarrasser, ne suffit-il pas de rappeler quelques considérations sommaires, ou quelques faits généralement connus ?

Les habitudes d’oisiveté, d’indolence, appartiennent aux pays chauds : le climat les détermine presque impérieusement. Les habitudes d’activité, de constance dans le travail, appartiennent aux pays froids ou tempérés. Dans les terrains fertiles, dont la température est douce, les sens épanouis par une nature riante, et par la facilité de satisfaire les premiers besoins, sont toujours ouverts aux impressions agréables. Les travaux assidus, les habitudes régulières, les réflexions que ces travaux exigent, semblent étrangers à leurs habitans : le goût du plaisir, les affections vives, mais peu durables, forment le fond de leur caractère ; et leur légèreté même rend leur amabilité plus générale et plus habituelle. Sur un sol, au contraire, où la nature offre peu de moyens de subsistance, dont le séjour ne peut devenir habitable qu’à grands frais, les hommes sont forcés à la constance dans leurs entreprises ; il faut qu’ils deviennent sobres, réfléchis, industrieux : l’art et le labeur peuvent seuls triompher des localités : les habitans ont besoin de subjuguer le climat, s’ils ne veulent pas que le climat les dévore. Les fugitifs qu’on vit aller chercher dans les lagunes du fond de l’Adriatique, un asyle contre les dévastations et contre la tyrannie, qui, sous différens noms, désolèrent si long-temps toute l’Italie[16], devoient absolument changer la face de ces marais infects, ou périr moissonnés par les maladies pestilentielles et par la misère. Le sol de la Batavie devoit imprimer à ses habitans, un esprit laborieux, attentif, patient, soigneux jusqu’à l’excès ; il devoit faire naître en eux des habitudes d’ordre et de parcimonie, les forcer à se créer des genres d’industrie nouveaux, à s’emparer d’un grand commerce : en un mot, il falloit que la Batavie couvrit son territoire de manufactures, et les mers les plus lointaines de vaisseaux, ou qu’elle rendit à l’Océan, ce même territoire que la liberté et les soins les plus attentifs et les plus laborieux ont pu seuls arracher à ses envahissemens.

Mais, pour descendre à quelques faits un peu moins généraux, le caractère du sol, la nature de ses productions, la température des lieux, et leurs rapports particuliers avec tout le voisinage, n’invitent-ils pas de préférence à la culture de certains arts ? Ne la commandent-ils pas même, en quelque sorte ? N’interdisent-ils point en même temps, celles de certains autres arts, dont on ne peut s’y procurer qu’avec peine et à grands frais, les matériaux, ou les instrumens ? Sur les hautes montagnes, où croissent spontanément des herbages féconds, mais où la culture ne pourroit obtenir aucune autre récolte aussi profitable, les hommes doivent se borner à l’éducation des troupeaux : ils deviennent pasteurs ; ils préparent le beurre, ils fabriquent le fromage : et le commerce de ces produits de leur industrie, ou celui de leurs animaux eux-mêmes, est souvent le seul nœud qui les unisse aux habitans des vallons les plus voisins. Dans les plaines, où le labourage est plus facile, où les récoltes en grains, en légumes, en fruits, sont plus riches et plus variées, les hommes deviennent agriculteurs. Sur le penchant des heureux coteaux où la vigne prospère, ils deviennent vignerons. Au fond des bois, ils mènent une vie grossière ; et, pour ainsi dire, compagnons des bêtes farouches, ils deviennent, comme elles, sauvages et cruels. Les bords de la mer invitant à des pêches plus hasardeuses, en même temps que plus lucratives, exercent le courage de leurs habitans, leur fournissent plus de réflexions sur l’art de braver les flots et les orages, développent en eux le goût des voyages lointains et des aventures romanesques : enfin, et cette circonstance seule suffit pour créer un genre particulier et très-étendu de travaux, ces mêmes bords offrent de nombreux entrepôts au commerce, et des asyles aux navigateurs.

Et, pour ce qui regarde spécialement le commerce, nous pouvons observer que la nature de celui dont chaque peuple s’empare, est pour l’ordinaire, déterminée par la situation géographique du territoire, par le genre de ses productions : conséquemment les effets moraux du commerce en général, peuvent être souvent rapportés au climat.

Les pays qui fournissent à l’homme une nourriture facile, sur-tout quand la chaleur y vient encore augmenter le penchant à l’oisiveté qu’inspire l’abondance ; ces pays, énervent les forces corporelles. Mais comme on y a plus de temps pour la réflexion, l’esprit se développe plus complètement, les mœurs sont plus douces et plus cultivées. Dans les pays froids, comme nous l’avons déjà dit plusieurs fois ailleurs, il faut des alimens plus abondans ; et la terre est souvent plus avare : mais aussi, de plus grandes forces musculaires y mettent en état de supporter les pénibles et longs travaux ; ces travaux, ou de violens exercices destinés à les suppléer, y sont même nécessaires au maintien d’une santé vigoureuse. Ainsi donc, l’homme de ces pays sera supérieur à celui des pays chauds, dans tous les travaux qui demandent un corps robuste : il lui sera souvent inférieur ( et il le seroit toujours, si les autres circonstances étaient toujours égales ) dans les travaux qui tiennent à la culture de l’esprit, particulièrement dans les arts d’imagination.

La seule exploitation des mines pourroit facilement nous fournir un article étendu. Les idées, les goûts, les habitudes des mineurs, leur vie toute entière, en un mot, différe essentiellement de celle des autres hommes. Or, il est bien évident que cette différence dépend de la nature de leurs travaux, et que ces travaux eux-mêmes ne peuvent avoir lieu, que dans un sol riche en matières minérales ; c’est-à-dire, qu’à leur tour, ils sont presque nécessairement déterminés par une circonstance qui fait partie du climat.

§. xv.

Mon intention n’est point de revenir ici, sur l’influence morale des travaux, quoiqu’il fût très-facile d’appuyer de beaucoup de nouvelles preuves, ce que j’en ai dit dans le Mémoire précédent. Mais je crois convenable d’observer encore que tous les arts ne cultivent pas également tous les organes. Cette seule différence en met déjà nécessairement beaucoup, dans leurs effets sur les habitudes. Il y a très-peu de travaux manuels, par exemple, qui distribuent le mouvement d’une manière égale dans toutes les parties du corps. Pour l’ordinaire, ils exercent outre mesure, celle qu’ils emploient particulièrement ; ils laissent les autres dans l’inaction. Tantôt ce sont les bras, tantôt ce sont les jambes qui se fortifient : c’est tour-à-tour, l’oreille, l’œil, ou le tact qui se perfectionne. De là, dis-je, ces différences observées de tous temps, dans le cours des idées, dans les goûts habituels des artistes et des artisans divers. Lorsqu’un sens devient plus juste, ou lorsqu’il recueille plus de sensations, l’esprit porte des jugemens plus sûrs, ou les idées se multiplient, sur les objets auxquels ce sens s’applique spécialement. Il est d’ailleurs bien certain que la plupart de nos penchans tiennent au développement de certains organes particuliers. La force des bras est loin de supposer toujours celle des jambes. Les correspondances du système font que les changemens opérés dans une partie, tantôt se communiquent à tout le système, tantôt uniquement à la partie la plus sympathique, soit pour augmenter, soit pour diminuer, soit enfin pour intervertir les fonctions. Si donc, par exemple, certains travaux éveilloient souvent l’attention des organes de la génération, ces travaux augmenteroient le penchant à l’amour, ou le goût de ses plaisirs ; ils feroient naître en foule et prématurément, les idées et les habitudes qui se rapportent à cette passion. S’il y avoit, au contraire, des travaux dont l’effet constant fut de prolonger l’enfance de ces mêmes organes, ils empêcheroient long-temps de naître, et dans la suite ils pourroient affaiblir beaucoup les dispositions morales fondées sur le développement physique qu’ils auroient suspendu.

Mais ceci nous ramène plus directement encore à l’influence des climats.

En effet, certains pays hâtent évidemment, et d’autres retardent l’explosion de la puberté. Dans les pays chauds, elle prévient la terminaison de l’enfance : dans les pays froids, elle se manifeste à peine au commencement de la jeunesse ; et, pour l’ordinaire, la force des organes du mouvement est alors déjà consolidée, avant que les premiers désirs de l’amour se fassent sentir.

Nous avons fait observer ailleurs, que cette circonstance influe singulièrement sur toutes les habitudes des peuples des pays chauds. Comme les jeunes gens y sont très-souvent énervés avant que le corps ait pris tout son accroissement, les hommes languissent dans un état d’impuissance précoce : et cet état leur est d’autant plus importun, qu’autour d’eux tout respire la volupté, tout leur en retrace sans cesse les images, et va réveiller dans leur cœur éteint, les dernières étincelles du désir. Mais les sens ne se raniment pas toujours au gré de l’imagination. Voilà pourquoi l’usage, et par conséquent l’abus des drogues stimulantes, est presque général dans les pays chauds. Or, cet abus achève d’user des corps radicalement affoiblis : il les livre à tous les dégoûts, et à toutes les incommodités d’une vieillesse hâtive. Les maladies hypocondriaques les plus sombres, les penchans les plus bizarres et les plus égarés, l’immoralité la plus profonde, la cruauté la plus froide, en sont fréquemment la suite fatale : et l’homme tout entier se trouve dénaturé par un enchaînement d’effets successifs, qui se rapportent tous à ce simple changement, introduit dans l’ordre du développement de certaines forces et de certains besoins.

Mais les résultats d’une puberté précoce sont peut-être encore plus remarquables et plus étendus chez les femmes que chez les hommes : et, par l’influence immédiate ou médiate des femmes sur la vie domestique et civile, ils prennent un nouveau degré d’importance, relativement aux hommes eux-mêmes. On peut en suivre la trace jusques dans les plus intimes élémens de l’ordre social.

Et d’abord, ces femmes qui deviennent pubères au sein de l’enfance, avant que leur éducation soit même commencée, peuvent-elles obtenir des hommes un autre genre d’affection, que celui qui se fonde sur l’attrait direct et momentané du plaisir ? Leur sort n’est-il pas d’être sacrifiées à des maîtres impérieux ? de devenir, tour-à-tour, les esclaves de leurs caprices, et les victimes de leurs dégoûts ? Pour que la femme soit la vraie compagne de l’homme ; pour qu’elle puisse s’assurer ce doux empire de la famille, dont la nature a voulu qu’elle régit l’intérieur : il faut que toutes ses facultés ayent eu le tems de se mûrir par l’observation, par l’expérience, par la réflexion ; il faut que la nature lui ait fait parcourir toute la chaîne des impressions, dont l’ensemble forme, si je puis m’exprimer ainsi, les provisions véritables du voyage de la vie. Sans cela, passant d’une adolescence prématurée à une vieillesse plus prématurée encore, il n’y a presque point d’intervalle pour elle, entre l’enfance du premier âge et celle du dernier : et, dans toutes les deux, elle reste également étrangère aux vrais biens de la vie humaine ; elle n’en connoît que les longues amertumes et les douleurs : heureuse encore lorsque l’irréflexion et l’ignorance sont assez complètes chez elle, pour la dérober au sentiment de ses maux, ou pour l’aider à s’y résigner stupidement, en ne lui laissant pas même soupçonner que sa destinée puisse être plus douce dans d’autres pays.

Le retard de la puberté, lorsqu’il se prolonge trop avant dans la jeunesse, peut nuire sous quelques rapports, au développement des facultés intellectuelles. Mais il développe des corps vigoureux ; il conserve aux sentimens une énergie, et, pour ainsi dire, une fraîcheur particulière : or, ces avantages paroissent compenser amplement quelques inconvéniens partiels et passagers.

Je ne pèserai point sur ce double fait : il suffit de l’indiquer aux réflexions des penseurs. Ils n’auront pas de peine à voir quelle puissante influence le climat, par son action, sans doute très-incontestable à cet égard, peut indirectement exercer sur toutes les habitudes des individus et sur les principes même de l’ordre social.

§. xvi.

Si l’opinion de ceux qui rapportent la différence des langues à celle des climats, étoit solidement établie, elle fortifieroit beaucoup encore le résultat général des recherches et de l’examen auxquels nous venons de nous livrer. Depuis Locke, on avoit soupçonné l’influence des langues sur les idées : depuis Condillac, on sait que les progrès de l’esprit humain dépendent, en grande partie, de la perfection du langage propre à chaque science, et sur-tout de celui qui est commun à toute une grande nation. Ce philosophe, et quelques-uns de ses disciples, ont même voulu ramener uniquement à des langues bien faites, chaque science en particulier, et la raison humaine en général. Il est certain que les langues, plus ou moins bien faites, à raison des circonstances qui président à leur formation, et du caractère des hommes qui les créent, paroissent gouverner bientôt les hommes, et par eux, faire naître ou subjuguer les circonstances elles-mêmes. Ce fut le langage, comme le disent des fables ingénieuses, qui jadis réunit les hommes sauvages, adoucit leur férocité, leur bâtit des villes et des remparts, les fixa dans l’enceinte de ces villes et dans l’état de société : en un mot, ce fut lui qui leur donna des lois. Le sage ne découvre des vérités nouvelles qu’en épurant son langage, en lui donnant plus de précision. Le sophiste ne déguise ses erreurs, qu’en laissant, ou donnant avec art, aux mots qu’il emploie, des sens indéterminés. Un peuple dont la langue est bien faite, doit nécessairement, à la longue, se débarrasser de tous ses préjugés, porter le flambeau de la raison dans toutes les questions qui l’intéressent, compléter les sciences, agrandir les arts : il doit donner des bases solides à sa liberté, accroître journellement ses jouissances et son bonheur. Un peuple dont la langue est mal faite, ne paroît guère pouvoir franchir certaines bornes dans les sciences et les arts ; il reste sur-tout nécessairement très en arrière, par rapport au perfectionnement de la société. S’il veut avancer, c’est à tâtons qu’il le fait, et presque au hasard. En s’agitant pour secouer l’erreur, il ne fait souvent que s’éloigner encore plus de la vérité. Il faut que la lumière lui vienne de ses voisins, ou que des esprits éminens la fassent luire tout-à-coup à ses yeux, comme par une espèce de révélation : et ce n’est jamais alors, sans que sa langue s’améliore considérablement, qu’il fait des progrès réels.

Voilà sur-tout ce qui fit des Grecs un peuple si supérieur, presque dès sa naissance, à tous les autres peuples connus de son temps. Voilà pourquoi, si les Romains, en détruisant sa liberté, n’eussent bientôt fait dégénérer sa belle langue, ce même génie, qui avoit inspiré tant de chefs-d’œuvre de poésie et d’éloquence, qui déjà posoit les véritables bases de la philosophie rationnelle et de la morale ; ce même génie alloit marcher rapidement à tous les résultats utiles, à toutes les vérités : il alloit transformer en science, en art pratique, les sentimens profonds de ces âmes, les plus libres dont puisse s’honorer l’espèce humaine ; et ses efforts auroient sans doute hâté de plusieurs siècles, les progrès de la véritable liberté.

Voilà aussi pourquoi les Chinois, qui, malgré cette éminente sagesse que quelques personnes leur attribuent, sont, à plusieurs égards, une nation tout-à-fait barbare, resteront éternellement soumis aux préjugés qui les gouvernent, ne feront aucune grande découverte, n’ajouteront rien peut-être à celles qui leur ont été transmises par quelqu’autre peuple inventeur. Car, c’est sur-tout l’écriture qui fait prendre une forme régulière aux langues : c’est elle qui les perfectionne, en rendant plus sensibles leurs beautés et leurs défauts ; en conservant à jamais leurs formes les plus heureuses et les plus belles ; en élaguant par degrés tout ce qu’elles ont de défectueux. Pour apprécier une langue, il suffit donc de connoître le mécanisme des signes qui la représentent à l’œil. Nos langues d’Occident, et les plus belles de l’Orient, reproduisent tous les mots avec un petit nombre de lettres diversement combinées. Dans la langue chinoise, presque chaque mot a son signe propre : l’étude de l’écriture exige donc un temps infini. Le vague et l’indétermination du sens des mots, passant tour-à-tour du langage oral à l’écriture, et de l’écriture au langage oral, produisent une confusion dont les plus savans ont toutes les peines du monde à se tirer[17]. Il est évident qu’une pareille langue n’est bonne qu’à perpétuer l’enfance d’un peuple, en usant sans fruit, les forces des esprits les plus distingués, et en obscurcissant dans leur source même, les lumières de la raison.

Mais la différence des langues, qui sans doute, ne sauroit être rapportée à un seul ordre de causes, dépend-elle véritablement, à plusieurs égards, de l’influence des climats ? J’ai du penchant à le croire : mais j’avoue cependant que cela ne me paroît pas suffisamment prouvé. Quoique dans ces derniers temps, on ait fait d’heureuses recherches sur les antiquités et sur l’origine des peuples ; quoique même, on soit parvenu à déterminer avec assez d’exactitude, les points du globe d’où plusieurs d’entre eux sont partis, lors des émigrations qui les ont amenés sur leur territoire actuel, il est impossible d’affirmer positivement que la langue grecque, par exemple, appartient au Midi plutôt qu’au Nord ; l’anglo-saxonne, mère de l’allemande et de l’anglaise, à l’Europe plutôt qu’à l’Asie. Ainsi, dans un travail, d’où les hypothèses doivent être bannies d’autant plus sévèrement, qu’il a pour objet d’établir des vérités d’une grande importance pour la science de l’homme, je ne me permettrai point d’appuyer ces vérités, d’argumens encore douteux.

Cependant, il est difficile de ne pas penser que la nature des impressions habituelles a dû modifier l’instrument qui sert à les combiner et à les reproduire ; que leur caractère sombre ou riant, âpre ou doux, profond ou passager, doit se retrouver, à certain degré, dans leurs signes représentatifs. En un mot, l’homme qui vit sous un ciel heureux, sous des ombrages frais, au milieu des émanations des fleurs ; qui n’entend habituellement que le chant des oiseaux et le murmure des sources vives et limpides, ne doit, ni s’exprimer par les mêmes sons, ni les appuyer du même accent et des mêmes inflexions de voix, que l’homme qui vit entouré des horreurs d’une nature sauvage, qui se perd chaque jour dans de noires et profondes forêts, dans les gorges de montagnes inaccessibles, hérissées de rocs et de neiges éternelles ; qui n’entend que les mugissemens d’une mer irritée, ou les torrens qui tombent dans des abîmes sans fond. Des circonstances, des images, des sensations si différentes, ne peuvent manquer d’agir sur tous les organes humains, éminemment imitateurs : et le phénomène inexplicable seroit que le langage, c’est-à-dire le tableau fidèle des impressions reçues, ne s’en ressentît pas. Il est bien certain que le climat influe sur l’état habituel et sur les dispositions des organes de la voix : or, ces dispositions et cet état pourroient-ils ne pas influer à leur tour, sur le choix des sons, et le choix des sons sur le caractère général du langage ? Aussi, n’a-t-on pas manqué d’observer des traits d’analogie entre les langues et le climat des nations qui les parlent : on a vu, ou l’on a cru voir que certains sons, certains accens, certaines aspirations, et les proportions différentes entre le nombre des consonnes et celui des voyelles, peuvent servir à distinguer les langues propres aux différentes latitudes, ou plutôt aux différentes circonstances physiques, prises toutes dans leur ensemble, et considérées dans les cas où leur influence doit avoir le plus d’intensité. Madame de Staël a même essayé de tracer, dans un ouvrage plein d’idées profondes et de vues neuves, la ligne de démarcation entre la littérature du Nord et celle du Midi, qu’elle regarde comme formant les deux grandes divisions de toute littérature connue : et quoiqu’on puisse ne pas être de son avis dans la préférence qu’elle donne à celle du Nord, il est impossible de nier qu’elle ne les ait caractérisées l’une et l’autre, avec autant d’exactitude que de talent.

Mais, je le répète, nous laisserons ici de côté, les preuves qui pourroient se tirer de la différence des langues sous les diverses latitudes, et de leur analogie dans des circonstances locales identiques, ou ressemblantes. L’influence du climat sur les habitudes morales de l’homme, est, en quelque sorte, surabondamment prouvée d’ailleurs ; et l’examen que nous venons de faire, j’ose le dire, avec une entière impartialité, ne me paroît pas pouvoir laisser, sur ce point, le moindre doute dans les esprits[18].

On se demandera peut-être, comment une vérité si simple et si frappante a pu, dans un siècle de lumières, être méconnue par des hommes qui ont eux-mêmes contribué si puissamment aux progrès de la raison. Cela ne viendroit-il pas de ce que d’autres philosophes avoient établi d’une manière trop absolue, et comme fait général, la correspondance du caractère du climat avec celui du gouvernement ? Car, véritablement, aussi-tôt qu’on en vient aux applications particulières, de nombreux exemples prouvent qu’il n’y a rien de moins général que cette correspondance : par conséquent, la doctrine sur laquelle son auteur prétend la fonder, pèche en quelque point, puisqu’un de ses principaux résultats est contredit par les faits. Mais aussi ce n’est point là, la vraie doctrine d’Hippocrate. Ce médecin-philosophe reconnoît que les habitudes morales d’un peuple sont le produit d’une foule de causes, très-distinctes les unes des autres : il attache dans leur évaluation comparative, autant d’importance aux institutions sociales, que l’a pu faire Helvétius lui-même ; et nous allons en voir la preuve, dans une dernière citation de son Traité des Airs, des Eaux et des Lieux. Mais Hippocrate pensoit que l’action du climat doit être comptée pour beaucoup ; il la regardoit comme une de ces forces constantes de la nature, dont les effets sont toujours assurés à la longue, parce que l’homme ne peut guère leur opposer que des résistances partielles, et transitoires, comme lui-même : et les moyens employés pour la combattre, venant à cesser d’agir, cette action reprend toute sa force, et reproduit bientôt des phénomènes qui n’étoient, pour ainsi dire, que suspendus. Cette considération, nécessaire aux médecins et aux moralistes, ne l’est pas moins aux idéologistes et aux législateurs. Ces derniers la négligeront sans doute, quand il s’agira de coordonner ces lois éternelles et générales, dont les motifs, communs à tous les temps et à tous les lieux, sont placés par la nature, dans l’organisation même de l’homme et dans les dispositions constantes de la sensibilité : mais elle pourra leur fournir des lumières, pour le choix de certaines institutions, qui ne sauroient être les mêmes, ni produire les mêmes effets dans tous les pays.

Voici le passage d’Hippocrate dont je viens de parler. L’auteur, après avoir décrit le climat de l’Asie, et déterminé les effets moraux qui, selon lui, ne peuvent manquer d’en résulter, poursuit en ces mots :

« Mais ici, les institutions politiques ont secondé puissamment l’action des circonstances locales ; elles en ont singulièrement aggravé les mauvais effets.

La plus grande partie de L’Asie vit sous la domination des rois. Or, des hommes qui n’ont point contribué aux lois par lesquelles ils sont régis ; qui ne s’appartiennent point à eux-mêmes ; dont la tête est courbée sous un joug despotique, n’ont aucun motif de cultiver les arts militaires : ils ont, au contraire, de trop bonnes raisons de ne point paroître belliqueux. Rien de commun entre eux et leurs chefs : ni les travaux et les dangers, que les premiers supportent seuls ; ni les avantages et la gloire, qui devraient en revenir aux uns comme aux autres, mais auxquels le simple soldat n’a presqu’aucune part. Lorsque ces malheureux esclaves, forcés de quitter leurs foyers, leurs femmes, leurs enfans et leurs amis, vont chercher dans les camps, les fatigues et le carnage, toutes les victoires obtenues par leurs efforts, ne servent qu’à grossir les richesses de leurs maîtres avides : et pour eux, les périls, le» blessures, la mort, sont les seuls fruits qu’ils en recueillent. Ainsi donc, indifférens sur les succès de la guerre, ils sont incapables de la soutenir : ils sont même absolument inhabiles à cultiver un sol, où nulle jouissance certaine, nulle espérance vraisemblable n’excite leur activité. De tels hommes laissent tomber en friche, et se dépeupler à la longue, la terre ingrate qu’ils habitent ; ou s’il se trouve parmi eux des âmes douées par la nature, de quelque courage et de quelque énergie, elles maudissent et rejettent des lois qui ne méritent que leur haine.

Un autre grand fait vient à l’appui de ce que j’avance. Les peuples les plus belliqueux de l’Asie, sont des Grecs, ou des Barbares, qui, foulant aux pieds toute espèce de pouvoir despotique, conservent encore leur indépendance naturelle. Comme ils ne forment que des entreprises de leur choix, ils en recueillent tous les fruits. S’ils affrontent les dangers, c’est pour eux-mêmes, c’est pour eux seuls. Ils reçoivent donc toujours la récompense de leur courage ; et toujours ils portent la peine de leur lâcheté ».

Hippocrate compare encore sous ce point de vue, les Européens aux Asiatiques. « Si les premiers, dit-il, ont une supériorité si marquée sur les derniers, c’est qu’ils ne vivent point, comme eux, sous des rois. Les peuples soumis aux volontés arbitraires d’un seul, sont nécessairement lâches. Des âmes foulées et dégradées par la servitude, perdent bientôt tout ressort et toute vertu ».




  1. Si je ne me suis pas servi de la traduction du cit. Coray, c’est que j’avois écrit ce Mémoire avant qu’elle parût. Personne, au reste, ne rend plus de justice que moi, aux travaux de ce savant célèbre, dont j’honore autant la personne, que j’admire la sagacité de sa critique et sa vaste érudition.
  2. C’est ici véritablement, le point le plus délicat et le plus décisif de la question.
  3. George le Roi, dans ses lettres sur les animaux, observe que quoique le chien n’arrête point naturellement, les excellentes chiennes d’arrêt font des petits qui, très-souvent, arrêtent sans leçon préalable, la première fois qu’on les mot en présence du gibier.
  4. Voyez l’excellent écrit de Hazard sur les haras, et ceux de Daubenton, de Gilbert, de Tessier, &c. sur l’éducation des bêtes à laine.
  5. Je citerai ici, le fait attesté par plusieurs voyageurs, touchant ces familles portugaises établies dans les îles du Cap-Verd, depuis la fin du quinzième siècle tout au plus ; lesquelles, dans cet espace de temps, que nous devons regarder comme très-court, sont devenues presque entièrement semblables aux Nègres indigènes du pays, et à ceux du continent voisin. Ce fait semble fournir une preuve directe contre la théorie de la diversité des espèces.
  6. L’exercice du cheval, lorsqu’il est continuel et violent, dispose aux varices ; il cause souvent des anévrismes : mais ce double effet tient à d’autres causes que celles dont Hippocrate fait mention.
  7. Ce tempérament est encore caractérisé par la prédominance du système sanguin, dont le volume de la poitrine, joint à la production d’une plus grande quantité de chaleur animale, favorisent beaucoup le développement.
  8. Ainsi que nous l’avons observé déjà plusieurs fois.
  9. Peut-être faudroit-il ici mettre en première ligne, l’assainissement des terres, résultat des progrès de l’agriculture, et de l’hydrographie, appliquée à la direction des fleuves et à la construction des canaux.
  10. Hippocrate, en comparant les diverses expositions où peut être située une ville, trouve qu’il doit en résulter des différences notables dans les dispositions physiques et morales de ses habitans, quand même d’ailleurs la latitude et la nature du sol seroient à-peu-près semblables. « Si, dit-il, cette ville est garantie des vents du nord par des hauteurs, et battue, au contraire, des vents chauds qui soufflent entre l’occident et l’orient, ces hauteurs qu’elle a derrière elle, et qui la couvrent, lui versent des eaux abondantes, presque toujours chargées de sels. Ces eaux sont nécessairement froides l’hiver, et chaudes l’été : d’où s’ensuivent des inconvéniens, que n’éprouvent pas les villes plus heureusement situées à l’égard des vents et du soleil. Mais ces inconvéniens seront plus graves encore pour celles qui boivent des eaux de marais, ou de lacs, que le soleil ni les vents ne peuvent corriger ».

    Après avoir fait uni longue énumération des maladies qui se développent dans ces deux circonstances, et noté les modifications que le caractère et la marche des saisons peuvent leur faire subir, Hippocrate ajoute : « Ces maladies doivent être regardées comme dépendantes du sol. S’il survient quelque épidémie, elles auront assez d’influence sur elle, pour lui communiquer leur caractère.

    Mais les choses se passent autrement dans les villes situées à l’exposition contraire, c’est-à-dire, dans celles qui sont tournées au nord, et battues par les vents glacés, sur-tout par ceux qui soufflent entre le levant et le couchant d’été. Ces vents aigus et secs sont les seuls qui s’y fassent sentir. Ceux qui sont plus chauds et plus mous, tels que l’auster, y sont entièrement inconnus ».

    Voici, suivant Hippocrate, ce qui résulte de-là.

    « Les eaux dont on fait usage dans ces villes, sont froides et dures, souvent douceâtres. Les hommes sont secs et robustes ; ils ont le bas-ventre resserré, indocile : chez eux, la bile domine sur la pituite : ils ont la tête saine et forte ».

    Ici, l’auteur entre encore dans le détail des maladies qui leur sont familières, et qui toutes se trouvent parfaitement analogues à leur tempérament, lequel, à son tour, est conforme au climat.

    Il parle ensuite d’une ville tournée à l’orient.

    « Son séjour, dit-il, est plus sain que celui des villes tournées vers le nord, ou vers le midi. En effet, le

    froid et le chaud y sont tempérés. Les eaux que frappent les premiers rayons du soleil, sont limpides, agréables à l’odorat, molles et bienfaisantes : car l’action de cet astre, sur-tout à l’heure de son lever, les épure et les corrige ; et l’air, sur lequel la lumière matinale agit avec plus de force, s’y trouve, en quelque sorte, pénétré des principes vivifians qu’elle verse en abondance dans l’atmosphère.

    Les habitans d’une ville placée dans cette exposition, sont, en général, plus vifs et plus alertes ; ils ont un teint mieux coloré, plus animé : tout, jusqu’au son de leur voix, se ressent de l’influence qu’exerce sur eux un local favorable. Sensibles et prompts, ils sont susceptibles de sentimens passionnés : mais un instinct heureux les dirige et les ramène au sang-froid de la sagesse. Ces alternatives, ou ce passage continuel et rapide d’un état à un état tout différent, mais également naturel, rend chez eux, toutes les frictions de la vie plus complètes et plus parfaites. Je ne doute pas que leur supériorité sur la plupart des autres hommes, ne soit due en grande partie à ce que, dans un terrain si bien situé, toutes les productions sont plus nourrissantes, ou plus savoureuses ; qu’elles y contractent,

    par la culture, des qualités inconnues par-tout ailleurs. Comme dans la ville dont je parle, le froid et le chaud se balancent et se tempèrent mutuellement, il ne naît dans son sein, que peu de maladies ; et quoique leur caractère se rapproche de celui des maladies qu’on observe dans les villes exposées aux vents chauds, elles sont en général assez douces, et présentent rarement des symptômes funestes et malins ».

    Enfin, passant à la dernière des principales expositions qu’il a voulu décrire, Hippocrate établit qu’une ville tournée à l’ouest, et que les vents d’orient ne sauroient atteindre, mais qui se trouve ouverte de toutes parts, aux vents chauds, et qui peut en même temps être effleurée de côté, par les vents froids du nord, est dans une situation, très-malsaine et très défavorable à tous égards.

    Il en donne ensuite les raisons. 1°. Les eaux n’y peuvent être bonnes et limpides ; leur transparence et leurs autres qualités premières étant altérées par les brouillards du matin, qui règnent tous les jours, se dissipent avec peine, et ne permettent au soleil de se montrer, que lorsqu’il est au haut de l’horizon. 2°. Les chaleurs y deviennent insupportables en été,

    par la longue présence du soleil, dont l’action, continnant depuis le matin jusqu’au soir, ne laisse, eu quelque sorte aucune prise à la fraîcheur des nuits. 3°. Les vents d’ouest ont toujours une tendance marquée à prendre le caractère de ceux d’automne ; et dans l’exposition donnée, tous les changemens que peut subir la température de l’air, depuis le degré du matin jusqu’à celui du soir, se font sentir tour-à-tour, et se remplacent brusquement.

    On voit quelle importance Hippocrate attachent, non-seulement au climat pris dans son ensemble, mais à chacune des circonstances, qu’il en regardo comme les parties constitutives. J’ai voulu citer ici ces passages, par la raison même que les observations qu’ils renferment, portent, pour la plupart, sur des nuances fines et délicates. Ou verroit enpore mieux avec quel scrupule il examine toutes les circonstances, si nous le suivions dans le détail des effets qu’il attribue aux différentes eaux : mais ses vues, sur ce point, quoique curieuses et piquantes, ne fournissent que peu de lumières véritables pour l’examen du fond de la question. Des preuves trop minutieuses, ou dont l’application peut paroitre fondée sur des apperçus trop subtils, ne doivent pas être employées à soutenir une opinion surabondamment établie d’ailleurs.

  11. Il n’est cependant pas démontré que dans son dernier période, la phthisie tuberculeuse ne puisse se communiquer par une véritable contagion. Plusieurs observations me font même pencher fortement pour l’opinion contraire.
  12. Ou muriate suroxygéné de mercure.
  13. Russel, médecin de la compagnie anglaise des Indes, affirme, dans une bonne histoire qu’il a donnée des serpens du Bengale, que les naturels du pays employent avec succès contre la morsure des espèces les plus dangereuses, l’arsenic combiné avec l’opium et avec divers aromates stimulans.
  14. Sous cette dénomination générique, il faut comprendre, avec toutes les substances qui peuvent servir à la nourriture de l’homme, l’air toujours indispensable au soutien de la vie, et l’eau, sans laquelle aucun pays ne peut conserver d’habitans.
  15. Suivant le témoignage de Lechevalier, depuis que l’usage du vin devient plus commun en Turquie, la consommation de l’opium diminue journellement.
  16. Ce fut lors de l’invasion de l’Italie par Attila, que commença cette émigration.
  17. Les relations des derniers Voyageurs nous apprennent que les lois même, c’est-à-dire, les ordres du gouvernement, sont sujets, dans l’exécution, à être interprétés de plusieurs manières, par les différens mandarins ; et cela arrive presque toujours, sans la moindre intention de la part de ceux-ci, de dénaturer l’ordre, ou de violer la loi.
  18. Un ami très-éclairé me fait observer que l’effet du climat n’est pas le même pour le riche que pour le pauvre. Rien n’est plus vrai. Le climat agit encore très-inégalement sur les différentes classes d’artisans et d’ouvriers : son influence est même plus ou moins puissante, suivant les divers degrés de l’état social. Sur un sujet si fécond, il est impossible de dire tout. J’y reviendrai dans un autre ouvrage, dont le sujet sera le Perfectionnement de l’homme physique ; et je traiterai ces nouvelles questions, plus en détail que je n’eusse pu le faire dans le Mémoire sur le Régime, on dans celui-ci.