Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 10

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 248-250).


CHAPITRE X.
DE LA TUNIQUE[1].


I. Après s’être mis l’étole, le pontife revêt la tunique, qu’on appelle en d’autres endroits subtile[2]. Sous l’ancienne loi, on lui donnait le nom de podèrès, c’est-à-dire robe longue (talaris), et elle signifie la persévérance. Il est écrit à ce sujet que, parmi ses frères, Joseph avait une robe longue et traînante. Car, pendant que les autres vertus courent dans le stade, la persévérance seule reçoit le prix de la victoire, parce que celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera seul sauvé. D’où vient ce commandement : « Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie. » Encore, l’on ne revêt la tunique qu’après l’aube ; car, de même que l’aube symbolise le châtiment du corps, ainsi la tunique comprend les vertus les plus intimes, vertus que l’homme parfait doit toujours avoir. Enfin, on ne ceint pas la tunique, parce qu’à cause de sa forme elle n’empêche pas de marcher, de même que les vertus qu’elle représente laissent le chemin libre à la contemplation de Dieu ; mais on ceint l’aube, comme on l’a dit à l’article du Cordon.

II. Dans l'Ancien-Testament, il y avait deux tuniques, savoir : de bysse et d’hyacinthe (Exode, chap. xxxix) ; et aujourd’hui encore, certains pontifes se servent de deux tuniques pour marquer la prérogative qu’ils ont de posséder la science des deux Testaments, afin qu’on sache qu’ils tirent du trésor du Seigneur des choses neuves et des choses anciennes, ou bien afin qu’ils montrent qu’ils sont à la fois diacres et prêtres. En outre, chacune de ces tuniques porte un type et a un caractère qui lui sont propres. Car la tunique blanche (alba), qui est de bysse ou de lin, signifie la chasteté, comme on l’a dit au chapitre de l’Aube (alba). La première tunique est aussi de soie, qui tire son origine des vers qui sont engendrés sans le concours des deux sexes (sine coïtu), et elle montre la chasteté et l’humilité de celui qui la porte. La seconde tunique doit être de couleur d’hyacinthe.

III. C’était jadis celle de la pierre de ce nom, qui imite la couleur d’un ciel serein, et elle signifie les saints qui pensent aux biens du ciel et en réalisent la perfection sur la terre ; ou bien c’est la pensée et la vie du ciel. Car, de même que cette pierre change de couleur en même temps que le ciel, sereine par un ciel serein, pâle par un temps obscur, ainsi il convient surtout que l’évêque se réjouisse avec ceux qui sont dans la joie et pleure avec ceux qui pleurent. Et quand la tunique est d’une autre couleur, elle a aussi une autre signification.

IV. Au reste, le pontife met une tunique sous l’autre pour marquer, par cette tunique recouverte et cachée, ce que le peuple ne voit pas, mais ce que les clercs seuls connaissent, c’est-à-dire la raison des choses d’en haut et les vertus que lui, prélat, doit toujours avoir et que symbolise cette tunique ; car elles ne doivent pas être révélées à tous, mais aux plus âgés et aux plus parfaits. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capiti), qui est le Christ, ce vêtement, qui dans l’ancien sacerdoce était de couleur d’hyacinthe, et avait, au lieu de franges, des grenades avec des sonnettes d’or suspendues à son extrémité, afin que quand le pontife marcherait son corps fût tout voix, comme on le dira au chapitre des Vêtements de l’ancienne loi, marque la céleste doctrine du Christ, dont tous ont eu la connaissance, et à qui le Prophète dit : « Monte sur un mont élevé, toi qui évangélises Sion. » Cependant, c’est surtout la sagesse de Dieu qui a tissé la doctrine évangélique ; Jésus-Christ a eu cette tunique et l’a donnée à ses apôtres : « Tout ce que j’ai appris de mon Père (dit-il), je vous l’ai fait connaître. » Donc elle avait ce sens, cette tunique du Seigneur que les soldats ne voulurent pas fendre, parce qu’elle était sans couture du haut en bas, ayant été tissée dans toute son étendue ; pensant, en quelque sorte, que ce serait s’attirer la plus grande colère du Seigneur. En quoi nous trouvons le symbole suivant : c’est que ceux qui, par les hérésies, s’efforcent de déchirer la doctrine évangélique, sont sous le poids de la condamnation de Dieu. Le sous-diacre se sert aussi de la tunique, ce dont nous parlerons dans le chapitre suivant.

  1. Il est parlé d’une tunica poderis (c’est-à-dire longue et traînante, a podèrès, dans Innocent III, lib. 1 : Mysterior. missœ, cap. 10, 55, et d’une tunique garnie de sonnettes. V. Missa vetus ex codire Ratoldi, abbat. Corbeiensis : « Super hœc itaque ministretur ei (episcopo) tunica gyris in tintinnabulis mirifice referta, etc. »
  2. Subtile, subtilis, a la même signification que tunicella ; c’est le vêtement des sous-diacres qu’Honoré d’Autun appelle stricta tunica (tunique serrée ou étroite). (V. l. 1, c. 229 ; lib. 3, c. 1 et 85 ; et Du Cange, voce Subtile.)