Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 11

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 250-255).
Livre troisième


CHAPITRE XI.
DE LA DALMATIQUE[1] (40)[2].


I. Le pontife revêt immédiatement la dalmatique par-dessus la tunique, d’après l’institution du pape Sylvestre, et on la croit empruntée de la tunique sans couture du Seigneur, et du collobium des apôtres. Or, le kollobion est un vêtement sans manches, comme on le voit par la cucule monacale ; mais le pape Sylvestre le changea en dalmatique, en y ajoutant de larges manches, et établit qu’on la porterait aux sacrifices de l’autel.

II. Et elle a été appelée dalmatique, parce qu’elle a été inventée en Dalmatie, et après tous les autres vêtements sacerdotaux. Par sa forme, elle signitîe la générosité (largitatem), parce qu’elle a des manches larges et longues ; d’où vient, selon l’Apôtre, qu’il faut que l’évêque ne soit pas avide d’un lucre sordide, mais hospitalier. Il ne doit donc pas avoir la main resserrée pour donner, et étendue pour recevoir ; mais il doit mettre en pratique ce que le Prophète conseille : « Romps ton pain avec celui qui a faim, et fais entrer dans ta demeure les pauvres errants, etc. » Et c’est peut-être à cause de cela que les sous-diacres se servent surtout de la dalmatique, parce que, dans le principe, ils furent élus par les apôtres pour servir d’office à la table sainte et à celle des agapes.

III. Au reste, la dalmatique du diacre a des manches plus larges que la tunicelle du sous-diacre, que l’on appelle en quelques endroits subtile, parce qu’il doit avoir une charité plus étendue que le sous-diacre, à cause des dons plus grands que lui confère sa charge elle-même. La dalmatique du pontife a des manches encore plus larges que celles du diacre, pour marquer qu’il est plus dégagé et plus libre, n’ayant rien qui resserre sa main, parce qu’il doit donner tout généreusement en vue et en échange des biens célestes ; car la charité doit s’étendre même jusqu’aux ennemis particuliers (inimicos). Assurément, la tunicelle du sous-diacre, la dalmatique du diacre et la chasuble du prêtre remplacent la tunique d’hyacinthe, qui était de couleur céleste, c’est-à-dire aérienne (bleu de ciel), pour marquer que tous les ministres de l’autel doivent avoir une conversation et une vie célestes, quoique en plus ou en moins ; ce qu’indique la largeur ou le resserrement des manches de la dalmatique ou de la tunicelle, comme on l’a dit ci-dessus.

IV. Donc, comme le prêtre doit être très-dégagé et très-libre pour parvenir aux biens du ciel, voilà pourquoi il ne porte pas ces ornements ni autre chose qui serre les bras. Mais l’évêque se sert en même temps et de la dalmatique, et de la tunicelle, et des ornements de tous les ordres, pour montrer qu’il a parfaitement tous les ordres, comme celui qui doit les conférer aux autres. Les prêtres d’un ordre inférieur ne les confèrent pas, et voilà pourquoi ils ne les portent pas, eux à qui une seule chose suffit, qui est la vie du ciel, symbolisée par la chasuble. De plus, le pontife, revêtu de ses ornements et remplissant sa charge, représente d’une manière plus expressive l’image du Sauveur que le simple prêtre ; et les symboles attachés aux ornements lui conviennent davantage. Voilà pourquoi il se sert de plusieurs ornements.

V. Or, la dalmatique doit avoir deux bandes d’écarlate des deux côtés, devant et derrière, depuis le haut jusqu’en bas, afin que le pontife montre qu’il a l’ardeur de la charité pour Dieu et le prochain, dans la prospérité et dans l’adversité, selon le précepte de l’Ancien et du Nouveau-Testament, qui est : « Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et ton prochain comme toi-même. » D’où vient que saint Jean dit : « Très-chers, je ne vous écris pas un commandement nouveau, mais un commandement ancien que vous avez eu dès le commencement. Et néanmoins je vous écris un commandement nouveau, ce qui est vrai en Jésus-Christ et en vous, parce que les ténèbres sont passées et que la vraie lumière luit déjà. » Parfois les bandes sont de pourpre, et signifient que la foi, née du sang du Christ, était nécessaire aux deux peuples, hébreu et chrétien. Au côté gauche de la dalmatique aussi, il y a d’ordinaire des franges, qui signifient les sollicitudes de la vie présente, que l’évêque doit avoir pour ceux qui sont sous sa conduite, selon ce que dit l’Apôtre : « Outre les choses qui sont du dehors, chaque jour je ressens les instances de ma sollicitude pour toutes les églises. » Et par le côté droit, qui n’est pas garni de franges, est symbolisée la contemplation des choses du ciel sans les sollicitudes de la vie présente, et tranquille loin de la foule des perturbations de ce monde.

VI. Il y a encore des dalmatiques qui ont quinze glands devant et derrière, parce que dans l’Ancien-Testament il y a quinze psaumes qui sortent, comme les quinze aiguillettes de l’épaule, du sentier de la charité, et quinze aussi dans le Nouveau-Testament qui s’élèvent et croissent de la pratique de la charité[3] ; par exemple : « La charité est patiente et bénigne, etc. ; » jusqu’à : « La charité ne se lasse jamais. » Et quelques-unes ont vingt-huit franges devant et autant derrière, où l’on trouve l’Esprit aux sept formes répétées huit fois, ce qui donne les huit rangs (maneries)[4] de ceux qui louent Dieu, à savoir : les rois et les peuples, les princes et les juges, les jeunes hommes et les vierges, les vieillards et les enfants.

VII. Il y a aussi sur la dalmatique une broderie continue (varietas… sine scissura), parce que, quoique l’on fasse devant Dieu des actes divers (varia) de religion, cependant on ne cesse pas d’être uni à ses frères par les prières que l’on fait en commun. Elle est aussi ouverte des deux côtés, sous les aisselles, pour faire entendre à celui qui la revêt qu’il doit suivre les traces du Christ, qui eut le côté percé d’un coup de lance.

VIII. Encore, quand la dalmatique est étendue elle représente la forme de la croix : d’où vient qu’elle figure la passion du Christ ; voilà pourquoi on la porte à l’office de la messe où l’on représente la passion du Christ. La dalmatique signifie aussi la sainte religion, la mortification de la chair et la raison des choses d’en-haut. La dalmatique blanche signifie la vie sainte et immaculée ; la rouge, le martyre. Et la blanche (alba) ornée de diverses broderies (variata) marque la pureté et la variété (varietatem) des vertus, et elle est parée d’orfroi, selon cette parole : « La reine se tient debout à ta droite, avec un vêtement doré, orné de broderies (circumdata varietate). »

IX. Enfin, pour ce qui convient à notre chef (capiti), c’est-à-dire au Christ, la dalmatique signifie, par sa forme large, la miséricorde étendue du Christ, que lui-même, par-dessus tous les autres, il enseigna et pratiqua à la fois aux dépens de sa vie. « Soyez, dit-il, miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils mériteront qu’on leur fasse aussi miséricorde. » Il est le Samaritain, notre prochain qui nous a fait miséricorde en versant sur nos plaies le vin et l’huile. Car, par les entrailles de la miséricorde du Seigneur notre Dieu, l’Orient nous a visités d’en-haut, et il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais à cause de sa miséricorde. Il est venu pour les pécheurs, afin de leur accorder l’indulgence et le pardon de leurs péchés. « Je veux, dit-il, la miséricorde et non le sacrifice. » On lit dans le canon xxiii, de Grégoire (dist. Communis), que dans la primitive Église il n’était pas permis à l’évêque [et] ou au diacre de se servir de la dalmatique sans la permission particulière du Saint-Siège apostolique.

X. Assurément, pendant le temps de l’avènement du Seigneur [in Adventu Domini, l’Avent) les diacres interrompent l’usage de la dalmatique, parce que, quand quelque clarté de l’ordre sacré est voilée pour un temps, elle resplendit à son retour d’une manière plus brillante, et est reçue plus avidement quand elle recommence à paraître dans les âmes des dévots, parce que ce qui est rare est désiré plus vivement. Encore, pendant l’Avent le diacre ne se sert pas de la dalmatique, ni le sous-diacre de la tunique, parce que la loi, que le sous-diacre représente, était privée de l’ornement de l’Évangile avant l’incarnation du Seigneur, et que la charité de l’Évangile, que le diacre figure, n’avait pas encore apparu ; ou parce qu’il n’était pas encore venu Celui qui devait nous revêtir de la robe de l’innocence et de l’immortalité : voilà pourquoi on suspend l’usage des vêtements de joie. Mais ils se servent dans ce temps (nunc) de chasubles, ce dont on a parlé dans la seconde partie, au chapitre du Diacre. Cependant, pendant les jeûnes de la Pentecôte le diacre peut se servir de la dalmatique.

  1. Dalmatica, in Gloss. Du Cange.
  2. Voir la note 39 page 435
  3. Ce passage est assez obscur, et nous croyons devoir en donner le texte : Adhuc quœdam dalmaticœ quindecim habent fimhrias, ante et retro, quia quindecim psalmi in veteri Testamento quasi quindecim armi gradus [serait-ce un détail anatomique ? "] exeunt de tramite charitatis, et quindecim similiter in novo Testamento excrescunt [détail de botanique] de opere charitatis. ]
  4. Maneries a le même sens que maneria, manière, espèce : [Species dicuntur rerum maneries, dit Ugution, secundum quod dicitur, Herba hujus speciei, id est maneriei, crescit in horto meo.] Chron. Pepini, apud Muratori, t. 9, col. 706 : [In eodem etiom viridario omnis herbarum et arborum maneries habebatur.]