Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 06

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 42-56).


CHAPITRE VI.


DE L’ARRIVÉE DU PRÊTRE ET DU PONTIFE A L’AUTEL, ET DE LA PROCESSION.


I. Pendant qu’on chante l’introït, le pontife ou le prêtre, paré et orné des sacrés vêtements, sort de la sacristie (de sacra œde) et s’avance vers l’autel, pour marquer que le Christ, attente des nations, ayant tiré sa très-sainte chair de la chair sans corruption d’une vierge, sortit, pour venir dans le monde, de l’impénétrable demeure des cieux ou de sa secrète retraite, c’est-à-dire du sein virginal, comme un époux de son lit nuptial. Et l'évêque ou le prêtre s’avance de la sacristie à l’autel entre deux personnes, savoir : un prêtre et un diacre ; ce dernier est précédé du sous-diacre portant le livre des évangiles fermé. Devant lui marchent deux portes-cierges, précédés eux-mêmes d’un clerc qui porte l’encensoir et l’encens. Enfin, l’évêque ou le prêtre, en arrivant à l’autel, ôte sa mitre, dit le Confiteor, ouvre le livre et le baise. Le prêtre ou l’évêque représente le grand-prêtre par excellence, qui est le Christ, dont l’Apôtre dit : « Le Christ, pontife des biens futurs, etc. » Le prêtre et le diacre qui l’accompagnent figurent la loi et les prophètes, selon ce que le Seigneur lui-même établit dans la parabole du Samaritain blessé : « Un prêtre, dit-il, passa par le chemin, et, ayant vu le blessé, il passa outre ; un lévite passa et fit de même. » Moïse et Elie, pour figurer la loi et les prophètes, apparurent sur le Thabor, s’entretenant avec le Christ ; et le prêtre et le diacre conduisent l’évêque, parce que la loi et les prophètes annoncèrent et promirent le Christ au monde. De là vient que Moïse dit : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères, et vous l’écouterez comme moi-même. » Et Isaïe : « Voici qu’un grand prophète viendra, et il renouvellera Jérusalem. »

II. L’évêque ou le prêtre, marchant entre les deux personnes susdites, symbolise le Christ entre l’Ancien et le Nouveau-Testament. Le Christ est, en effet, hautement annoncé au monde par les deux Testaments, par les prophètes et par les apôtres. Et comme le Christ, qui devait venir dans le monde, a envoyé devant lui les prophètes, les sages et les scribes ; ainsi, pour tenir lieu des scribes, le pontife ou le prêtre est précédé du sous-diacre qui porte les Écritures, et qui est apte (sapiens) à apprêter les vases sacrés pour la messe des dimanches. Parfois un archidiacre et un prêtre accompagnent le pontife, que précèdent immédiatement le diacre et le sous-diacre, symboles des apôtres et des disciples que le Christ envoya devant lui ; et encore chaque jour des prédicateurs et des évêques de l’Église sont envoyés pour préparer, dans un sens spirituel, la voie devant le Seigneur. Le sous-diacre qui précède le pontife marque encore saint Jean-Baptiste, qui, avec l’esprit et la vertu d’Élie, fut le précurseur destiné à préparer au Seigneur un peuple parfait ; et le sous-diacre porte devant le pontife le livre des évangiles, parce que Jean commença avant le Christ la prédication de l’Évangile en disant : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. » Quant au diacre, il représente les prophètes qui annoncèrent la vie future, enseignée et promise par l’Évangile. L’évêque suit l’évangile pour marquer qu’il doit toujours y fixer ses yeux et l’avoir présent à son esprit ; et on le porte devant lui, parce que c’est la doctrine de l’Évangile qui prépare la voie au Christ, qui est la vie.

III. On peut dire aussi que parle sous-diacre qui porte le livre des évangiles et par le diacre qui en est le hérault, sont désignés les saints du Nouveau-Testament. Le livre des évangiles symbolise le Nouveau-Testament ; les porte-cierges et les thuriféraires, les saints qui ont ouvert les voies au Nouveau-Testament ; et les deux chandeliers, avec leurs cierges allumés, rappellent la loi et les prophètes, qui annonçaient le Christ, lumière du monde.

IV. Or, on ne doit pas sacrifier sans feu (Extra De celeb. miss., cap. Si), selon cette parole du Lévitique, chap. vii : « Le feu brûlera toujours sur mon autel. » On a dit, dans la première partie, au chapitre des Peintures, ce que signifient et la lumière et les chandeliers. On porte les cierges sur des chandeliers, lesquels désignent un fondement, parce que la lumière des prédicateurs doit briller devant les hommes sur le fondement de l’Évangile. C’est donc par une magnifique raison que le diacre et le sous-diacre suivent les chandeliers qui précèdent l’évangile, parce que la loi et les prophètes précédèrent la loi de grâce. Dans certaines églises, il y a trois cierges, dont celui du milieu se rapporte à cette parole : « Partout où deux ou trois personnes seront assemblées en mon nom, je serai au milieu d’elles. » Dans d’autres églises, il y a sept cierges[1], parce que les sept dons du Saint-Esprit illuminent toute l’Église. Nous parlerons de cela ailleurs, à l’article de l’Évangile.

V. Le thuriféraire marche devant les porte-cierges et les autres, pour marquer que la mystique de l’encens est la même dans le Nouveau que dans l’Ancien-Testament, et que dans tous deux elle figure les saints. L’encensoir marque clairement le cœur humain, qui doit être ouvert par le haut pour recevoir, et fermé par le bas pour garder et retenir : il doit contenir le feu de la charité et l’encens de la dévotion, ou d’une très-suave oraison, ou des bons exemples qui tendent en haut, ce que marque la fumée odorante qui monte de l’encensoir. Or, de même que l’encens exhale un parfum suave dans le feu de l’encensoir et monte en haut, ainsi la bonne œuvre ou la prière qui procède de la charité embaume par-dessus tous les parfums. L’encensoir garni d’encens désigne encore le corps du Christ plein de suavité ; les charbons figurent l’Esprit saint ; l’encens, l’odeur de la bonne œuvre. On parlera aussi de cela dans la cinquième partie, au chapitre de Matines et de Laudes, et plus bas, au chapitre de l’Encensement.

VI. Quand on est arrivé à l’autel, les cierges qui avaient marché devant sont mis de côté, pour désigner l’enseignement avant la naissance du Christ, et la lumière qui suivit cet événement. Les acolytes tiennent à la main les chandeliers jusqu’au commencement du Kyrie, eleison, pour marquer que celui qui enseigne doit mettre en pratique les leçons qu’il donne, et qu’il ne doit pas abandonner le peuple ignorant avant qu’il sache dire : « Seigneur, aie pitié de nous. » Quand le Kyrie est commencé, les acolytes mettent quelquefois les chandeliers sur le pavé, autant parce qu’après avoir fait de bonnes actions nous devons nous humilier et reconnaître que nous sommes poussière, que parce que les docteurs, au milieu des bonnes œuvres et de la prédication, doivent reconnaître qu’ils ne sont que de la boue. Mais quand l’office commence, on doit les soulever de terre, parce que chacun, et surtout le prélat, doit s’élever par les bonnes œuvres, afin qu’à cette vue les autres glorifient leur Père qui est dans les cieux. En arrivant à l’autel, le pontife ôte sa mitre, comme on l’a dit dans la troisième partie, au chapitre de la Mitre ; puis il dit le Confiteor.

VII. Pendant le Confiteor, le sous-diacre tient le livre des évangiles fermé devant la figure du pontife, à gauche. Il se tient à gauche, parce qu’il tient en quelque sorte la place des prophètes, que tu lis souvent dans l’église ; il tient le livre devant les yeux du pontife, afin qu’il ait toujours présent à la mémoire la prédication de l’Évangile ; et ce livre est tenu fermé, parce que la loi de l’Évangile est contenue et mystiquement enfermée dans les prophètes. Le Confiteor étant achevé, le prêtre ouvre le livre et le baise, comme on le dira au chapitre du Baisement de l’Autel.

VIII. Selon le pape Innocent III, le pontife romain, lorsqu’il célèbre une solennité dite de station (stationalis[2] solemnitas), il va en procession, de la sacristie ou du lieu où il s’est habillé et paré, à l’autel, pour marquer que le Christ est sorti de son Père et est venu dans le monde ; et il est assisté de six ordres de clercs dont on a parlé dans la préface de la seconde partie. Cet ordre de procession représente l’ordre de la génération du Christ, que saint Mathieu l’évangéliste a décrit, et dans laquelle on trouve six ordres de personnes, desquelles, selon la chair, le Christ tire son origine, et par la génération de qui il est venu dans le monde : ce sont les patriarches, les prophètes, les rois, les princes, les pasteurs et les chefs (duces), le patriarche Abraham, le prophète David, le roi Salomon, le prince Salomon, le pasteur Judas et le chef Zorobabel.

IX. Les deux diacres qui accompagnent le pontife représentent Abraham et David, qui reçurent deux fois la promesse de l’incarnation du Christ. Au premier il fut dit : « Dans ta race toutes les nations seront bénies. » Au second il fut dit : « Je placerai quelqu’un de ta postérité sur ton trône. » Et voilà pourquoi l’évangéliste met figurativement en tête de la généalogie du Christ ces deux personnages, en disant : « Livre de la génération de notre Seigneur Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. » Ce sont les deux colonnes que l’ancien pontife plaça dans le vestibule du temple, devant la porte, et que réunit un cordon de douze coudées, c’est-à-dire que la foi des douze apôtres embrasse, par le moyen desquels la porte du Christ est ouverte à ceux qui croient.

X. Quatre ministres portent au-dessus de la tête du pontife un voile (mapulam) dont les quatre extrémités s’appuient sur quatre bâtons, ce qui leur a fait donner le nom de mapularii. Ce voile, qui est orné de diverses figures et images, désigne la sainte Écriture, qui est ornée richement d’un grand nombre de mystères divers. On porte ce voile étendu sur la tête du pontife, au moyen de quatre bâtons, parce que la sainte Écriture se rapporte de quatre manières au Christ ; car on peut l’exposer historiquement, allégoriquement, anagogiquement et tropologiquement, comme on l’a dit dans la préface du premier livre. C’est le fleuve qui arrosait le paradis terrestre, parce qu’elle sort, comme lui, de quatre sources ; c’est la table de Proposition, qui se dressait sur quatre pieds. On porte donc ce voile étendu sur le pontife, pour montrer que celui dont la loi et les prophètes avaient parlé est venu. Car le Christ, en commençant par Moïse et les prophètes, était l’objet de l’interprétation de toutes les Écritures, qui parlaient de lui, et c’est pourquoi il est dit ailleurs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi à moi, car c’est de moi qu’il a écrit. ? »

XI. Les quatre ministres porteurs du voile sont les quatre évangélistes qui proclament la sainte Écriture et exaltent la foi. D’où vient qu’on place leurs images au haut des bâtons, et qu’on porte devant ce dais deux flambeaux et l’encens, parce que la loi et les prophètes ont, avec les psaumes, annoncé par avance l’avénement du Christ, comme le Christ même l’atteste lorsqu’il dit : « Il est nécessaire que soit accompli tout ce qui a été écrit touchant ma personne dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. » Dans les fêtes majeures (majoribus solemnitatibus), on porte sept chandeliers devant le pontife, en mémoire de ce que décrit saint Jean dans l’Apocalypse : « M’étant retourné (dit-il), je vis sept chandeliers d’or, et au milieu quelqu’un de semblable au Fils de l’Homme, vêtu d’une longue robe comme lui. » Par là on montre qu’il est arrivé Celui sur qui l’esprit de grâces aux sept formes s’est reposé, selon cette prophétie d’Isaïe : « Une tige sortira de la racine de Jessé, et la fleur de cette racine montera, et sur elle reposera l’esprit du Seigneur, etc. »

XII. Dans certaines basiliques aussi, vers le milieu du chœur, on suspend une poignée d’étoupe à laquelle le pontife met le feu quand il passe pour aller à l’autel, afin qu’à l’instant même elle soit réduite en cendre à la vue du peuple ; et ceci a lieu en commémoration du second avènement, dans lequel le Christ jugera par le feu les vivants et les morts et le siècle entier. Car le feu brûlera toujours en sa présence (Levit., vi), et une tempête violente l’environnera (Psal. xlix), pour que personne ne reste dans une mauvaise sécurité. Doux et bon dans le premier avènement, le Christ sera terrible dans le second ; il est venu d’abord pour être jugé, et il reviendra pour juger. Cette cérémonie a lieu aussi afin que le pontife, en mettant le feu à l’étoupe, considère que lui-même doit être réduit en cendre, et que ses ornements doivent être mis en poudre, et que, de même que l’étoupe est facilement brûlée, de même aussi facilement et en un moment le monde passe avec sa concupiscence. Car (selon l’apôtre saint Jacques) « notre vie est une vapeur qui paraît un instant. » Que celui donc qui est plein de gloire ne se délecte pas dans les honneurs du temps, car « toute chair est de l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs. » Lorsque le pontife est proche de l’autel, le primicier, revêtu de la robe des chantres, baise l’épaule droite du pontife en présence des assistants, parce que, quand le Christ vint au monde, l’ange qui faisait partie de la multitude de la milice céleste qui louait Dieu annonça aux bergers la naissance de Celui dont le Prophète dit : « Un petit enfant nous est né, et un fils nous a été donné, et il portera sur son épaule la marque de sa principauté. » Enfin, les trois prêtres qui viennent avec respect au-devant du pontife qui marche à l’autel, et qui s’inclinent et lui donnent un baiser sur la bouche et sur la poitrine, symbolisent ces trois mages qui vinrent à Jérusalem en disant : « Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ? » et qui, tombant à terre, l’adorèrent, et, ouvrant leurs trésors, lui offrirent en dons de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Le double baiser est une proclamation de la double nature du Christ, la divine et l’humaine : la divine, qui est comme cachée dans la poitrine ; l’humaine, qui s’épanouit sur les lèvres. Ces deux natures furent aussi figurées d’une manière mystique par les présents des Mages. Or, le baiser est le signe du respect, comme on le dira au chapitre du Baiser de paix.

XIII. La procession rappelle, par sa disposition, une armée rangée en bataille[3]. Car les plus grands et les plus forts, comme l’avant et l’arrière-garde, l’ouvrent et la ferment ; les ordres mineurs, comme des soldats plus faibles, sont rassemblés au milieu. Les évêques marchent devant, et les prêtres les suivent immédiatement, puis viennent le pontife et les diacres. Au milieu, on place les sous-diacres et les acolytes ; quant aux chantres, comme les trompettes, ils marchent en tête de l’armée pour l’enflammer et la pousser au combat contre les démons. L’Apôtre dit, en parlant de cette bataille : « Nous avons à combattre non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les esprits de malice répandus dans l’air. » — « C’est pourquoi sonnez de la trompette en ce premier jour du mois, au jour célèbre de votre grande solennité. »

XIV. Nous avons d’abord parlé de la procession du Souverain-Pontife ; prenons-en occasion de dire quelque chose aussi des autres processions. Sur quoi il faut remarquer, en général, que, de même que dans la messe est figurée l’ambassade du Christ en notre faveur sur la terre, de même dans nos processions nous représentons notre retour à notre patrie, dont la solennité imite presque en tous points la sortie des Israélites de l’Égypte. Or, de même que ce peuple fut arraché par Moïse aux mains de Pharaon, ainsi le peuple de Dieu a été délivré par le Christ de la gueule du lion. Et, de même que les tables du Témoignage furent reçues par Moïse sur le mont Sinaï et portées devant le peuple (Exod., cap. xxxiv et xlv), ainsi le livre des évangiles est pris de dessus l’autel et porté en procession. Une colonne de feu précédait les Israélites, et la flamme du cierge marche devant nous. Devant leurs tribus on portait des étendards ; nous nous faisons précéder de croix et de bannières. Là, des prodiges s’opéraient, et chez nous les miracles ne cessent jamais. Là, les lévites portaient le tabernacle de l’Alliance, et nos diacres et nos sous-diacres portent des paix et des châsses. Là, l’arche du Seigneur était portée par les prêtres, et chez nous le coffre ou la fierté, remplie de reliques, est portée par les prêtres. Chez eux, Aaron, le grand-prêtre, suivait paré de ses habits sacerdotaux ; et chez nous l’évêque, la mitre en tête. Chez eux. Moïse portait sa baguette ; chez nous le roi suit la procession, sceptre en main, et l’évêque appuyé sur sa crosse. Là, résonnait le fracas des trompettes ; chez nous retentissent les cloches. Là, le peuple était en armes ; ici, le clergé se pare des saints vêtements, et le peuple de ses vertus. Là, le peuple recevait une aspersion de sang ; ici, l’eau bénite avec le sel sert à l’asperger. Amalech, altéré de sang, venait à leur rencontre ; la troupe des démons nous tend, à nous, d’incessantes embûches. Leur vainqueur était Josué, et notre Jésus nous a obtenu la victoire. Lorsque nous allons processionnellement à quelque église, c’est comme si nous portions nos pas vers la Terre de promission. Lorsque nous entrons dans l’église en chantant, c’est comme si, pleins de joie, nous étions arrivés à la patrie. Lorsque nous portons autour de l’église la fierte[4] au son des cloches, c’est comme si, avec l’arche, le son des trompettes et les cris du peuple, nous entourions Jéricho. Jéricho s’écroule et est détruite, quand la concupiscence est vaincue en nous. Et quand nous allons du chœur à un autel, et que nous y faisons une station, cela signifie que nos âmes vont au Christ et désirent être associées aux troupes angéliques.

XV. En second lieu, c’est aussi David et Salomon qui nous ont formés aux processions, lorsque tous deux portèrent l’arche de Dieu, le premier dans le tabernacle, le second dans le temple, au chant des hymnes et des cantiques, et qu’ils la mirent sous les ailes des chérubins ; ainsi l’humanité du Christ s’élève de la terre et entre au ciel, où les anges l’adorent éternellement et où l’ame fidèle l’accompagne. Troisièmement, aussi, la procession nous fait souvenir que le Christ est venu du sein de son Père dans le monde ; de la crèche au temple, et de Béthanie à Jérusalem, et de Jérusalem sur la montagne, où nous désirons retourner de ce monde à la patrie et d’une Église à l’autre, c’est-à-dire de la militante à la triomphante, en suivant la croix, c’est-à-dire les traces du Crucifié, et en crucifiant en nous nos vices et nos concupiscences ; en suivant aussi les traces des saints, les préceptes de l’Évangile, revêtus des vêtements sacrés, qui sont la cuirasse de la justice, le ceinturon de la continence, le bouclier de la foi et le casque du salut éternel. Le prêtre qui doit célébrer les saints mystères se revêt des vêtements sacrés comme d’une armure pour combattre « contre les esprits de malice répandus dans l’air, » comme nous l’avons dit dans la préface de la troisième partie.

XVI. Dans quelques églises, la procession est ainsi ordonnée : en tête marchent sept acolytes avec des flambeaux ; ils symbolisent tous ceux qui, par la grâce des sept dons de l’Esprit saint, ont donné la lumière de la science aux fidèles. Ils sont suivis de sept sous-diacres portant des paix, et qui signifient ceux qui, par la même grâce, ont enseigné que la plénitude de la divinité devait habiter corporellement dans le Christ. Après ceux-ci viennent sept diacres représentant tous ceux qui, par la même faveur, ont eu l’intelligence spirituelle, c’est-à-dire celle que l’Évangile donne du Christ. Et, après eux, viennent douze prieurs, figurant tous ceux qui ont brillé par la foi en la sainte Trinité ou en trois personnes, ou par les œuvres des quatre vertus ; ces douze prieurs sont accompagnés de trois acolytes, avec encensoirs et navette, lesquels symbolisent les trois mages qui apportèrent des présents au Christ. Puis vient un sous-diacre qui porte le livre des évangiles ; il symbolise la loi, et il précède le pontife, parce que la loi, qui contenait en elle le mystère de la Passion dont parle l’Évangile, a précédé l’avénement du Christ ; et il porte ce livre fermé, pour marquer que, sous la loi, il fut obscur avant que l’Agneau eût ouvert les sceaux du septième livre. Ensuite le pontife est porté par deux personnes, comme dans un char, et il est accompagné de la foule qui prie et qui marque que le peuple suit le Christ dans le ciel. La suite du pontife se compose de dix ordres, savoir : les portiers, les lecteurs, les exorcistes, les acolytes, les sous-diacres, les diacres, les prêtres, les chantres, les laïques, les hommes et les femmes, parce qu’il est dit que le char de Dieu est environné de plus de dix mille, pour marquer leur perfection. Et on compose principalement la procession des diacres, des sous-diacres et des acolytes parés de leurs vêtements, selon cette parole : « Voici que je vous envoie les prophètes, les sages et les scribes. » Les prophètes, ce sont les diacres ; les sages, les sous-diacres ; les scribes, les acolytes. Le vicaire du Christ, christ lui-même, est conduit par eux en public, comme par une troupe de jeunes filles jouant du tympanon. Et lorsque les chantres, partagés en deux chœurs, reçoivent avec des transports de joie ceux qui chantent l’introït, en leur répondant par le Gloria in excelsis, ces chantres ou clercs en aubes, qui se réjouissent, ce sont les anges qui reçurent le Christ lors de son ascension, avec gloire et louanges au plus haut des cieux. Les deux chœurs qui chantent ces louanges, ce sont les deux peuples, savoir, les Juifs et les Gentils, qui viennent au-devant du Christ en chantant ses louanges. La procession elle-même, c’est la voie qui mène à la céleste patrie. L’eau bénite qu’on porte en tête est la pureté de la vie. Les lumières sont les œuvres de miséricorde, selon cette parole : « Que vos reins soient ceints, et portez des lampes ardentes en vos mains, etc. » Donc le pontife ou le prêtre, qui est à peu près placé au milieu, entre le clergé et la croix qui marche devant lui, et le peuple qui le suit, offre en lui le type de médiateur de Dieu et des hommes. En outre, les premiers du chœur sont les derniers à la procession, parce que le salut s’opère par l’humilité. D’où vient que Zachée, prince des publicains, étant monté sur un sycomore, parce qu’il était petit, pour voir passer Jésus, Jésus lui dit : « Zachée, descends, parce qu’aujourd’hui il faut que je m’arrête dans ta maison. » Et Zacbée descendit, et il reçut Jésus avec joie dans sa demeure. Les Juifs s’asseyaient sur des sièges élevés, et leurs maîtres avaient les premières places dans les synagogues.

XVII. Or, la croix passe la première dans les processions, comme un étendard royal et un signe triomphal : Premièrement, pour que ceux qui la haïssent fuient de devant sa face » (Psal. lxvii). Elle est, en effet, le signe de la victoire du Christ, selon cette parole : « Les étendards du roi s’avancent, etc. » Par lui les démons sont vaincus ; car, à sa vue, ils tremblent et fuient. Et pour cette raison, en certains lieux, on oppose la croix aux tempêtes de l’air, afin de mettre en fuite les démons et de leur faire cesser le trouble qu’ils répandent dans l’air. Le mystère de la sainte croix est, en effet, notre signe de ralliement et notre drapeau ; ce qui a fait dire à Isaïe : « Aussitôt que ce signe de ralliement aura été dressé, les peuples lui adresseront leurs supplications, et son tombeau sera glorieux. » En second lieu, le drapeau de la croix va devant, parce que, comme le dit l’Apôtre aux Galates, « loin de nous la pensée de nous glorifier, si ce n’est dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde doit être crucifié avec nous et nous avec le monde. » On parlera encore de ceci au chapitre de l’Évangile. Parfois aussi, les bannières marchent en tête de la procession, comme on le dira dans la sixième partie, au chapitre des Rogations.

XVIII. C’est avec raison, comme on l’a vu plus haut, que pendant la procession on sonne les cloches. Car, de même que les rois de la terre ont dans leur armée des signaux d’ordonnance, tels que les trompettes et les drapeaux, ainsi le Christ, roi éternel dans son Église militante, a les cloches, qui lui tiennent lieu de trompettes, et des croix, qui sont ses étendards ; et on a parlé de cela dans la première partie, au chapitre des Cloches. Le son retentissant des cloches représente encore les prophètes, qui annoncèrent d’avance, et d’une manière figurative, l'avénement du Christ. De plus, des draps et autres objets sont tendus dans les endroits par où doit passer la procession et où elle doit s’arrêter pour chanter, selon cette parole de Tobie, vers la fin : « Ses places seront pavées d’or pur et luisant, et dans ses rues on chantera Alléluia. »

XIX. Et sachez qu’il y a quatre processions solennelles, savoir : celle de la Purification de la bienheureuse vierge Marie, celle des Rameaux ou des Palmes, celle de Pâques. Il sera parlé de ces trois processions en leurs lieux. La quatrième a lieu le jour de l’Ascension du Seigneur, pour représenter la dernière marche que les disciples firent à la suite du Seigneur, le jour de son ascension dans le ciel, en venant avec lui au mont des Oliviers, d’où il fut enlevé à leurs yeux ; et c’est pour figurer cette marche qu’on fait la procession tous les dimanches.

XX. Sachez aussi que la primitive Église solennisait le dimanche comme nous le faisons aujourd’hui, et que ce jour-là elle faisait la procession en mémoire de la résurrection ; elle observait aussi la cinquième férie (le jeudi), et ce jour-là elle faisait une procession en mémoire de l’ascension du Seigneur ; mais, les festivités des saints se multipliant de jour en jour, on supprima la solennité de la cinquième férie, et la procession qu’on faisait ce jour-là fut reportée au dimanche par le pape Agapet, afin qu’elle pût être faite solennellement avec le concours du peuple, qui se rend ce jour-là à l’église. La cinquième férie, à cause de cela, a retenu le nom vulgaire de jeudi (dies Jovis), qu’elle partageait, dès la plus haute antiquité, avec le dimanche. Donc, en faisant la procession les dimanches, nous rappelons la mémoire de la résurrection du Seigneur, puisque nous représentons la marche faite par les disciples à la suite du Seigneur, non pas cependant qu’ils l’aient faite un dimanche, comme on l’a dit ci-dessus. En sortant et en rentrant, nous retournons en quelque sorte de Jérusalem à Jérusalem, comme ils firent, et nous suivons la croix, comme eux suivirent le Crucifié ; et, quoiqu’ils revinrent sans Jésus, nous revenons pourtant avec la croix, parce qu’il a dit lui-même : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle. » Cette procession doit se faire avant qu’on dise tierce, comme on le dira dans la sixième partie, à l’article de l’Ascension.

XXI. Il ne faut pas non plus oublier de dire qu’aux processions des dimanches nous devons seulement chanter quelque chose du Nouveau-Testament, et saluer la Vierge, enchantant quelque chose qui ait particulièrement rapport à sa gloire. De là aussi s’est implantée l’habitude où l’on est de construire dans les cloîtres un oratoire de la Vierge, qu’on salue le premier dans la station, selon l’usage primitif.

XXII. Quoiqu’il soit dit que le Christ, en ressuscitant, apparut d’abord à Madeleine, cependant il est plus vrai de croire qu’il se montra à sa Mère avant toutes autres personnes ; mais il n’appartenait pas aux évangélistes de dire cela, parce que leur office était de produire des témoins de la résurrection, et qu’il ne convenait pas de produire une mère en témoignage pour son fils. Or donc, si les paroles des femmes étrangères paraissent un effet du délire aux incrédules, combien plus auraient-ils cru au délire d’une mère aimant tendrement son fils ! Et l’Église romaine semble penser ainsi, car, le premier jour après la résurrection, savoir, le jour de Pâques, elle fait une station dans Sainte-Marie-Majeure, mettant ainsi en quelque sorte au premier rang Jérusalem, c’est-à-dire la Vierge, qui a vu la paix[5] avant les autres, et qui a eu les prémices de son allégresse. Et c’est pourquoi, dès le premier jour, nous avons recours à sa miséricorde, en allant à Sainte-Marie-Majeure ; de même, en son honneur, nous lui consacrons la première station aux processions des dimanches, afin qu’en la comblant de louanges et nous pressant à son oratoire, nous paraissions dire avec l’Époux : « J’irai au mont qui produit la myrrhe et à la colline qui porte l’encens. » Le mont, c’est cette chaste Vierge à laquelle son Fils ressuscité vint en lui apparaissant, et à qui nous allons en l’adorant. Mais il n’est pas nécessaire de dire : Quia nunquam disparuity et quod semel melius est, etc. ; mais on le dit ainsi à cause des ignorants, et seulement pour ceux qui sentent, mais qui ne comprennent pas. Enfin, il est à remarquer que, dans certaines églises, après la procession, tous les clercs viennent s’incliner devant le crucifix et lui dire : « Salut, notre Roi béni. » Et ceux qui ont porté le pluvial[6] ou autres vêtements de fêtes les déposent devant l’autel : premièrement, pour montrer que les fils des Hébreux jetaient leurs vêtements par terre sur le chemin par où passait le Christ, dans l’entrée qu’il fit à Jérusalem ; deuxièmement, pour montrer que ceux qui sont appelés à s’acquitter de l’office divin doivent rejeter loin de leur esprit toutes les superfluités de ce monde.

  1. Voir la note 4 à la fin du volume.
  2. V. les diverses acceptions du mot station dans le Glossaire de Du Cange, au mot Statio.
  3. Voir la note 5 à la fin du volume.
  4. Châsse en forme de cercueil, contenant le corps entier d’un saint (Fererum).
  5. Allusion au nom de Jérusalem, qui signifie vision de la paix.
  6. Sorte de chape. — Anciennement, comme les processions qu’on faisait aux mémoires ou oratoires éloignés des églises étaient assez fréquentes, on se munissait d’un manteau que les anciens Sacramentaires et Rituels nomment pluviale, pluvial. C’était donc uniquement pour se garantir de la pluie. Par la suite, on employa à la confection de ce vêtement, qui, dans l’origine, était en étoffe grossière et forte, le tissu moelleux de la soie, orné de fleurs brochées ou brodées en couleurs ou en or, et parfois en or et en diverses nuances.