Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 45

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 324-327).


CHAPITRE XLV.
DE LA DIXIÈME PARTIE DU CANON.


I. Memento etiam, Domine, etc. (21), est la dixième partie du canon. Cette conjonction etiam réunit ce qui suit à ce qui précède, sans quoi on pourrait dire qu’elle est superflue. Car, dans les anciens livres, précédait immédiatement une oraison commençant ainsi : Memento mei, quœso, Domine, etc. ; « Souviens-toi de moi, je t’en supplie, Seigneur, etc. ; » dans laquelle le prêtre priait pour lui, afin de pouvoir offrir dignement le sacrifice ; puis suivaient naturellement ces mots : Memento etiam, Domine, famulorum, etc. ; « Souviens-toi aussi de tes serviteurs, etc. » Mais comme cette oraison ne se trouve pas dans beaucoup de Missels modernes, c’est pour cela que, d’après ces livres, elle est superflue, ou, ce qui est mieux, a trait à autre chose. Dans le Mémento qui précède, le prêtre a prié pour les vivants ; dans celui-ci, il prie pour les morts.

II. Notre pieuse mère, l’Église, prie donc, non-seulement pour les vivants, mais encore pour les morts ; elle fait cette prière pour les morts, et les recommande à Dieu le Père par l’intercession de la sainte victime, croyant d’une foi assurée que ce sang précieux qui a été versé pour beaucoup, pour la rémission des péchés, est non-seulement efficace pour le salut des vivants, mais aussi pour l’absolution des morts. C’est pourquoi le concile de Chalons (De consec., d. i, Visum) a statué que, dans la célébration de toutes les messes solennelles, au lieu convenable, c’est-à-dire en cet endroit de la secrète, ou dans les jours non solennels (car, le dimanche, on croit que les âmes des défunts jouissent du repos à cause de la résurrection du Christ), l’Église prierait le Seigneur pour les morts, d’après ces paroles de saint Augustin : « On ne doit pas omettre les prières pour les ames des défunts ; et j’approuve et je loue l’obligation de ces prières pour tous les défunts dans la société chrétienne catholique. » Et comme quelquefois les défunts n’ont pas de parents, d’enfants, d’alliés, d’amis qui prient pour eux, l’unique et pieuse mère, c’est-à-dire toute l’Église, comprend sous une commémoration générale tous les morts, et se met en communion avec eux sans faire mention de leur nom. Le pape Innocent a aussi statué (Eadem dist., De nominibus) qu’on ne réciterait pas le commun des défunts avant la consécration, car il pourrait être récité par le peuple. Mais cela n’est pas nécessaire pour Dieu, à qui rien n’est caché. Qui cum signo fidei nos prœcesserunt, a qui nous ont précédés avec le signe de la foi, » c’est-à-dire qui nous ont précédés devant le Seigneur (XIII, q. ii, Quam prœposterum, in fine). Non que là se trouve la foi ou l’espérance, car où est l’espérance là se trouve la réalité ; car la foi cesse, mais la charité ne tombe jamais ; mais parce que le signe de la foi est pris pour le caractère de la foi de la chrétienté (De pœ., d. ii, Charitas), qui distingue les fidèles des infidèles, d’après ces paroles : « J’ai entendu le nombre des élus, qui est de cent-quarante-quatre mille, tirés de toutes les tribus d’Israël. » Et dormiunt in somno pacis, « et dorment dans le sommeil de la paix, » d’après ces paroles : « Je dormirai, et je dormirai dans la paix ; » car l’Écriture se sert souvent, pour les défunts, de cette expression : dormientes, « dormant. »

III. Par la raison que, de même que ceux qui sont endormis se réveillent, ainsi les morts ressusciteront, selon ce que dit l’Apôtre : « Je ne veux pas que vous soyiez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne soyiez pas contristés, comme ceux qui n’ont pas d’espérance. » Et le Christ dit dans l’Évangile : « Lazare, notre ami, dort ; » pro ipsis, et omnibus in Christo quiescentibus. En cet endroit, le prêtre doit faire une mention spéciale des défunts qu’il préfère. On a terminé la mémoire de la mort du Christ, et c’est pourquoi notre mort ne fait que suivre. Le Christ nous a précédés dans la mort, et nous marchons sur ses traces.

IV. In Christo quiescentibus, « reposant dans le Christ. » Mais est-ce que ceux qui sont morts dans la foi et qui dorment du sommeil de la paix dont on a parlé ci-dessus ne reposent pas dans le Christ ? et ainsi ne paraît-il pas que ces mots soient superflus ? Mais comme le prêtre, après ces paroles : in somno pacis, avait fait mention spéciale pour quelques âmes seulement, voilà pourquoi il ajoute : pro ipsis Dominus ; et bientôt il prononce encore, et non sans raison, cette formule générale : et omnibus in Christo quiescentibus, « et pour tous ceux qui reposent dans le Christ, » et dont il avait déjà fait mention auparavant.

V. Ici, on appelle quiescentes in Christo ceux qui sont morts dans la charité, mais qui cependant ont encore quelque chose à expier, parce qu’ils n’ont pas pleinement satisfait pour les péchés qu’ils ont confessés ; c’est pour opérer cette satisfaction qu’ils sont descendus dans le purgatoire, où ils ont besoin du suffrage de l’Église militante, comme n’ayant pas en réalité la paix et le rafraîchissement de la gloire. Cependant ils sont dans l’espoir certain et infaillible d’entrer un jour dans le lieu du rafraîchissement, où ne se trouve pas la peine qui brûle ; dans la lumière, dans laquelle n’existe pas l’obscurité des ténèbres ; dans la paix, où l’on n’éprouve plus la lutte des combats. Car Dieu séchera toute larme de leurs yeux, et alors il n’y aura plus de deuil, plus de cris, plus de douleur, parce que cet état primitif est passé ; mais ils se réjouiront et nageront dans la paix, puisqu’ils seront agréables au Seigneur, et resteront en sa présence dans la région des vivants. Or, le paradis est appelé lieu de rafraîchissement, à cause de l’ardeur du feu du purgatoire, par lequel passent les âmes, d’après ces paroles du Psalmiste : « Nous avons passé par le feu et par l’eau, etc. » Le lieu de la lumière est en opposition avec les ténèbres de l’enfer, dont parle saint Mathieu, xxiii : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures ; » c’est un lieu de paix à cause de la tranquillité de l’ame, et en opposition avec le ver de la conscience de ceux qui ne seront pas sauvés. D’où vient qu’Isaïe dit : « Le ver qui les ronge ne mourra pas, et le feu qui les brûle ne s’éteindra jamais. »