Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Huitième livre/Chapitre 04

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 165-174).


CHAPITRE IV.
COMMENCEMENT DE LA SECONDE PARTIE, ET, PREMIÈREMENT, DU MOIS.


Après avoir parlé de l’année, il nous reste à parler du mois.

I. Or, le mois est un espace de temps où la lune, s’éloignant du soleil, vient se réunir à lui après avoir achevé son cercle ou terminé son cours ; et on dit mois, mensis, a mensurando, de mesurer, parce que le mois sert de mesure à l’année ou sert à mesurer l’année. Ou bien on dit mois, de menis, mènis, qui signifie manque, défaut, éclipse ; parce que la lune, chaque mois, est éclipsée ou plutôt disparaît à nos yeux. Ou bien, selon saint Isidore, mois vient de mènè, mot grec qui signifie lune, luna en latin. Chez les Grecs, les mois légitimes ne sont pas comptés par le cercle du soleil, mais par le cours de la lune, ce qui a lieu de l’heure de none à l’heure de none (de neuf en neuf heures).

II. Or, l’année est partagée en douze mois, parce que le soleil, en parcourant le Zodiaque, passe par douze régions de signes, où il demeure l’espace de douze mois. Cependant Romulus voulut qu’il n’y eût seulement que dix mois dans l’année, en commençant par le mois de mars, qu’il consacra à Mars, dieu de la guerre, qu’il croyait être son père ; ce qui a fait dire à Ovide, dans le premier livre des Fastes :

Tempora degereret, cum conditor urbis, in annum
Instituit menses quinque bis esse suos.

« Il vivait lorsque le fondateur de la ville établit que l’année aurait deux fois cinq mois. »

III. Mais Numa Pompilius, voyant que l’année était incomplète par ce nombre de dix mois, y en ajouta deux, au commencement, savoir janvier et février. Janvier, januarius, se dit de janua, porte (LXXXI, d. i, Jejunium), parce que, de même que c’est par la porte que nous entrons dans une maison, ainsi c’est par le mois de janvier que nous entrons dans l’année, car c’est le seuil ou le commencement de l’année ; ou bien janvier, januarius, se dit du dieu Janus (a Jano), que les anciens disaient être le principe et la fin de toutes choses. En effet, ce mois lui fut consacré par les Gentils ; de là vient que ce même Janus est représenté avec un double visage, pour désigner qu’il est le commencement et la fin de l’année. Nous avons parlé de cela dans la sixième partie, au chapitre de la Circoncision.

IV. Février, februarius, se dit des fièvres (a febribus), qui alors se contractent facilement, ou bien a februis, c’est-à-dire a purgationibus, des purifications. Or, les februœ sont des offrandes faites pour les morts. Les Romains, en ce mois, faisaient la mémoire des âmes et les purifiaient, en célébrant les funérailles des morts. D’où vient que, selon saint Isidore, février vient de februus, c’est-à-dire de Pluton, auquel on sacrifiait en ce mois.

V. Mars, martius, est ainsi nommé du dieu Mars, père de Romulus ; ou bien encore, parce que c’est en ce temps que tous les animaux aguntur ad marem (mas, maris, mâle), c’est-à-dire c’est en ce temps que les femelles recherchent les mâles, et sont entraînées par le besoin de s’accoupler. On appelle aussi quelquefois ce mois mensis novorum, mois de la nouvelle année, parce qu’il est le commencement de l’année ; ou bien novum ver, nouveau printemps, parce que c’est en ce temps que verdissent les fruits, ce qui prouve que les anciens sont tombés de l’arbre.

VI. Le mois d’avril, aprilis, est ainsi nommé comme si l’on disait aperilis, qui ouvre, parce qu’alors la terre ouvre son sein pour laisser passer les germes des semences qui lui ont été confiées. Les fleurs s’entr’ouvrent aussi, et les arbres commencent à pousser des rejetons. Ou bien avril se prend dans le sens de Vénus, comme si l’on disait aphrilis, dérivant de Aphroditè, en latin Venus.

VII. Maius, mai, se dit a majoribus natu, des aînés, des anciens, qui étaient les princes de la république, ou de Maia, mère de Mercure.

VIII. Junius, juin, se dit a junioribus, des plus jeunes, car jadis, dans la ville de Rome, les anciens, c’est-à-dire les plus vieux, qui étaient appelés pères, restaient toujours dans la ville et pourvoyaient à son gouvernement ; minores, les plus jeunes, combattaient pour la défense de la république. C’est pourquoi mai reçut son nom des anciens, juin des jeunes gens, et ces deux mois furent établis en leur honneur ; ou bien encore junius, juin, vient de Junon (a Junone).

IX. Julius, juillet, est ainsi appelé a Julio Cœsare, de Jules César, qui naquit dans ce mois, ou bien parce que ce fut alors qu’il triompha de ses ennemis ; car il vainquit alors Cléopâtre, reine d’Egypte, avec Marc-Antoine, son mari, dans un combat naval. (Ici l’auteur, ou plutôt ses copistes, attribuent par erreur à César ce qui ne doit l’être qu’à Auguste, c’est-à-dire le gain de la bataille d’Actium.) Auparavant, le mois de juillet était appelé quintilis, quintile, parce qu’il est le cinquième, (quintus) à compter de mars, qui, d’après Romulus, était le premier mois de l’année,

X. Augustus, août, est ainsi appelé ab Octaviano Augusto, d’Octavien Auguste, qui naquit alors, ou parce qu’il vainquit alors ses ennemis. Auparavant on l’appelait sextilis, sextile, parce qu’il est le sixième (sextus) à compter de mars.

XI. September, septembre, est ainsi appelé du rang qu’il occupe dans la série des mois, dont il est le septième, à partir de mars (septenus), et de imber, pluie, parce qu’il est pluvieux.

XII. De même, les mois d’octobre, october, novembre, november, décembre, december, ont reçu leur nom de l’ordre qu’ils conservent dans le nombre des mois, et des pluies auxquelles ils sont sujets[1]. Décembre est placé le dernier de tous, parce que le nombre dix termine le nombre des mois précédents, à partir de mars. On peut voir dans les vers suivants le nombre de jours que renferme chaque mois :

Junius, aprilis, september, novemberque tricenos :
Plus unum reliqui, sed habet februs octo vicenos ;
Cui si bissextus fuerit, superadditur unus.


C’est-à-dire : « Juin, avril, septembre et novembre ont trente jours ; les autres mois en ont trente-un ; mais février n’en a que vingt-huit, et vingt-neuf dans les années bissextiles. »

XIII. Or, il faut savoir que primitivement chaque mois avait trente jours, qui, multipliés par douze, donnent trois cent soixante. Des cinq jours qui restent, on en donne un à janvier, parce qu’il est le commencement de l’année, et aussi en raison du nombre lui-même, parce que le nombre impair (est mundus), est pur ou simple, et que numero Deus impare gaudet (et que Dieu se réjouit du nombre impair) (XXXII, q. i, Nuptiœ). Le second a été accordé à mars, à cause de cette même imparité ; le troisième à mai, le quatrième à juillet, le cinquième à octobre. Or, César Auguste, voulant que le mois qui lui est consacré fut égal en nombre de jours au mois de juillet, retrancha un jour au mois de février, mois de tristesse et de deuil, et l’ajouta au mois d’août ; et ainsi février n’eut plus que vingt-neuf jours, et août en eut trente-un. Enfin, les astrologues romains retranchèrent un autre jour du mois de février, et le reportèrent au mois de décembre, pour que la fin correspondît au commencement de l’année. De cette sorte, février n’eut plus que vingt-huit jours, et décembre en eut trente-un. Cependant, pour compenser en quelque sorte le mois de février, un jour, c’est-à-dire un jour bissextile, a été rendu à ce mois, de quatre en quatre ans. On dira, au chapitre de la Semaine, en quel jour ou à quelle férie commence le mois.

XIV. En chaque mois, il y a trois jours remarquables, qui seuls ont des noms spéciaux, et les autres tirent leurs noms de ceux-ci ; ces jours principaux sont les calendes, les nones et les ides, que les Romains établirent à cause des jours de fête et des offices des magistrats. Car en ces jours on se rassemblait dans les villes (De consec., i, Si quis).

XV. On appelle calendes, les premiers jours du mois, comme si l’on disait colendœ, jours devant être honorés, respectés ; parce qu’alors avait toujours lieu la fête de Junon, d’où ce vers d’Ovide :

Vendicat Ausonias Satumia Juno Calendas.

« Junon, fille de Saturne, revendique ou s’approprie les Calendes d’Ausonie ; »
ou parce qu’alors les commencements des mois étaient célébrés par le peuple romain, comme le font les Hébreux (XXVI, q. ult., Non licet, et seq.), d’où vient qu’Ovide dit :

Salve, festa dies, meliorque revertere semper,
A populo rerum, digna patente coli.

« Salut, jour de fête, reviens-nous toujours meilleur, jour digne d’être honoré par le peuple maître de l’univers. » Ou bien encore, calendes vient de kalô, voco, j’appelle ; car, au premier jour du mois, un hérault avait coutume d’appeler le peuple ad nundinas, aux nondines, marchés qui avaient lieu tous les neuf jours. Ils criaient autant de fois kalô, voco, qu’il y avait de jours jusqu’aux nones. C’est pour cela que l’on dit calendœ, calendes, au pluriel, à cause des diverses appellations que l’on faisait alors. Ou bien encore, calendes vient de kalon, qui est le bon présage, le bon augure que l’on devait conserver pendant tout le mois (XXVI, q. ult., Non observetur). Car alors on se transmettait mutuellement un nouveau mois prospère (mot à mot la dédicace du mois).

XVI. Les nones sont les quatre ou six jours de chaque mois qui suivent les calendes, et on dit noues de nundis, nondes, comme si l’on disait nundinœ, nondines, marchés qui avaient lieu tous les neuf jours, parce que les Romains observaient les nondines. Or, dans certains mois, le commencement des nondines était tantôt le cinquième jour, tantôt le septième jour du mois, afin de ne pas laisser aux voleurs un temps fixe et connu d’avance pour tendre des embûches aux marchands. Ou bien encore, on dit nones de nonis, neuvièmes, parce que ce jour était le neuvième avant les ides ; ou bien de la négation non, parce qu’alors on ne célébrait aucune fête, d’où vient qu’Ovide a dit :

Nonarum tutela Deus erat.
« Un dieu était le protecteur des nones. »

Les ides sont les huit jours qui suivent après les nones.

XVII. Les ides se trouvent toujours le treizième ou le quinzième jour, suivant que sont placées les nones qui les précèdent. En effet, si le mois a quatre nones, les ides se trouvent le quinzième jour ; s’il en a six, les ides sont le treizième jour. Quand le Concile d’Antioche (xviii d., Propter) dit que les ides se trouvent le dixième jour, il considère les ides sous un autre rapport ; et ides se prend dans le sens de division, parce qu’alors on partageait ou divisait les nondines, ou bien parce qu’aux ides a lieu la division du mois. On dit ides de iduo, iduas, c’est-à-dire separo, as, je sépare, tu sépares. C’est de là qu’on dit vidua, veuve, comme si l’on disait idua, c’est-à-dire divisa, partagée. La plupart des Latins pensent que idus, ides, se dit ab edendo, manger, parce que ces jours, chez les anciens, étaient consacrés aux festins. Or, on appelle ainsi les jours qui suivent aussitôt après les calendes. Si c’est un mois qui a quatre nones, nous devons dire, dans le calendrier, IV nonas, le quatre avant les nones ; le troisième jour, nous dirons le trois avant les nones ; le quatrième, la veille des nones ; le cinquième, nous dirons les nones, comme il paraît évidemment en janvier et autres semblables. Mais si le mois a six nones, nous devons dire, aussitôt après les calendes, le sixième jour après les nones ; le troisième jour, le cinq avant les nones ; le quatrième jour, le quatre avant les nones ; le cinquième jour, le trois avant les nones ; le sixième jour, la veille des nones ; le septième jour, les nones, comme il paraît évidemment en mars et autres semblables.

XVIII. Or, les jours qui suivent après les nones sont ainsi dénommés en chaque mois, savoir : le huit avant les ides ; le sept avant les ides ; le six, le cinq, le quatre, le trois avant les ides ; la veille des ides ; les ides, comme ceci paraît manifestement dans le calendrier. Les jours qui suivent après les ides tirent leur nom a calendis, des calendes du mois suivant, de la manière que voici : Janvier a trente-et-un jours : retranche un de ces jours pour les calendes, huit pour les ides, quatre pour les nones ; restent seulement dix-huit jours. Or, ajoute à ces dix-huit jours les calendes ou le jour des calendes du mois suivant, tu auras dix-neuf jours ; de là vient que dans le mois de janvier nous devons, aussitôt après les ides, dire : Le dix-neuf des calendes ou avant les calendes de février ; le jour suivant, le dix-huit, et ainsi par ordre jusqu’à la fin du mois, par ordre décroissant. Remarque cependant que l’on dit : La veille des ides, la veille des nones, la veille des calendes, et 172 RATIONAL

non secundo, le second jour, parce que secundo, second, vient de sequor, je suis ; or, ce jour ne suit pas les calendes, mais il les précède. Et la préposition prœ signifie avant, c’est-à-dire ante (devant), prius (avant) ; d’où vient pridie, la veille, c’est-à-dire priori die, le premier jour ou plutôt le jour précédent ; ou bien prœ, c’est-à-dire avant le jour ; et lorsqu’on dit Quarto nonas, on entend dire le quatrième jour avant les nones, ante nonas, et ainsi des autres.

XIX. On peut voir, par les vers suivants, combien il y a de jours qui reçoivent leur nom des nones, combien des ides, et combien des calendes de tous les mois :

Sex nona Maius, October, Julius et Mars.
Quatuor at reliqui : tenet idus quilibet octo ;
Janus et Augustus denos nonosque December,
Julius, October, Mars, Maius hepta decemque,
Junius, Aprilis, September et ipse November
Ter senas retinet, Februsque bis octo Calendas.


Ce qui signifie que les mois de mai, octobre, juillet et mars ont six jours pour les nones, mais que les autres mois n’en ont que quatre ; et chaque mois a huit jours pour les ides, de même que janvier, août et décembre ont dix-neuf jours pour les calendes ; mais juillet, octobre, mars et mai en ont dix-sept ; juin, avril, septembre et novembre en ont dix-huit ; février en a seize, et dix-sept si l’année est bissextile.

XX. Or, il faut remarquer qu’à chaque mois il y a deux jours égyptiens, c’est-à-dire tirés des Egyptiens ; car en Égypte il y avait des astronomes qui, en ces jours, trouvèrent qu’il y avait certaines constellations nuisibles ou contraires aux actions des hommes, et c’est pourquoi ils ont voulu qu’elles fussent connues des hommes. Cependant, nous ne pouvons savoir ou connaître les points de ces constellations, à cause des erreurs de notre comput ou calendrier. Peut-être encore trouvèrent-ils que ces jours étaient bien étoiles, bene constellatos, ou mieux étoilés que les autres, et c’est pourquoi ils les ont indiqués dans le calendrier, afin qu’en ces jours, plutôt que dans d’autres, on s’applique et on se livre aux entreprises. L’Eglise se garde bien de ce système, pour ne pas paraître les suivre et tomber dans leur erreur. Ou bien encore, on appelle ces jours jours égyptiens, suivant quelques-uns, parce que ce fut en ces jours que le Seigneur frappa et affligea des neuf plaies les Egyptiens. On peut voir, dans les vers suivants, quels sont les jours égyptiens, en supputant par le commencement ou par la fin du mois :

Augurior decies, audito lumine clangor :
Liquit olens abies, voluit colus, excute gallum.


Dans ces vers, il y a douze mots qui servent pour les douze mois ou qui correspondent aux douze mois. Le premier mot sert pour le premier mois, le second mot pour le second mois, et ainsi par ordre à partir de janvier ; de sorte que le jour qui correspondra avec la première lettre de la première syllabe de quelqu’un de ces mots, dans l’alphabet, sera tout un jour égyptien, dans le mot auquel correspond ce mot en supputant à partir du commencement du mois en se dirigeant vers la fin. De même, le jour entier sera égyptien, qui correspondra à l’ordre numéral, dans l’alphabet, de la première lettre de la seconde syllabe, dans le mois auquel ce mot correspond en supputant de la fin an commencement [du mois]. Par exemple, Augurior est le premier mot, et il correspond au premier mois, savoir, au mois de janvier. Au est la première syllabe, et a est la première lettre de la même syllabe et est la première lettre de l’alphabet ; donc le premier jour de janvier est un jour égyptien. De même, gu est la seconde syllabe, et g est la première lettre de cette même syllabe et la septième de l’alphabet ; donc le septième jour de janvier est égyptien, en comptant à partir de la fin du mois et se dirigeant vers le commencement, et ainsi de suite pour les autres mots, en observant que l’H, en cet endroit, n’est point placé pour lettre, ou ne tient pas lieu de lettre (sic). Or, chacun de ces jours est appelé égyptien, à cause de son heure unique. On parle de cela à la fin de cet ouvrage.

XXI. Pour ce qui est des jours heureux ou malheureux que certains astronomes ont remarqués, il n’en est point question dans le présent opuscule, parce que l’Eglise défend d’ajouter foi à de pareilles superstitions (XXXVII, q. ult., Non observetis, et c. Qui existimant, et cap. seq.). Dans certains mois aussi, il y a certains jours qui sont appelés caniculaires, a cane, du chien, ou a canicula stella, de l’étoile Canicule, située au front du Lion et devant les genoux du Taureau. Dans les mois d’été elle se trouve au centre du ciel, et, lorsque le soleil est monté vers elle, elle se réunit à lui, s’en tient tout près, et double sa chaleur, qui est telle que les corps sont énervés, affaiblis et desséchés ; de là vient que l’on dit canis, le chien, parce qu’en ce temps les corps sont très-sujets aux maladies ; et pendant soixante-douze jours, à cause de la force de la chaleur du soleil, il est dangereux de se faire saigner et de prendre des potions médicinales. On peut voir, dans les vers suivants, quand commencent et finissent ces jours ;

Incipiunt Julii pridie idus caniculares,
Et pridie nona Septembris fine resultant.

« Les jours caniculaires commencent la veille des ides de juillet, et finissent la veille des nones de septembre. »

Selon quelques-uns, ils commencent le quatorze avant les calendes d’août.

  1. Voir note 20.