Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Huitième livre/Chapitre 05

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 174-183).


CHAPITRE V.
DE LA SEMAINE.


Parlons maintenant de la semaine.

I. La semaine renferme sept jours naturels dont la répétition forme les mois, les années elles siècles. Chez les Grecs, semaine se dit hebdomada, et chez les Hébreux sabbatum, sabbat. Semaine se dit a septem, de sept, et a mane, de matin. On prend la partie pour le tout, savoir le matin, mane, pour toute la journée ; ou bien semaine vient de manet, demeurer, durer, parce qu’elle dure pendant sept jours ; ou bien on dit semaine, septimana, comme si l’on disait septem luces, sept lumières, sept jours ; car le matin, mane, brille la lumière, lux, le jour, selon saint Isidore. Le même espace est encore appelé hebdomada, semaine, ab epta, de epta, mot grec qui signifie sept, et tropos, qui signifie jour, ou modus, qui signifie mesure ; et, d’après cela, hebdomada est un mot plus commun ou qui a une acception plus large que septimana, semaine ; d’où il est dit dans Daniel : « Après soixante-et-dix semaines, etc. » Ici on prend hebdomada dans le sens de semaines d’années, c’est-à-dire pour soixante-dix fois sept années. Or, les semaines ne peuvent avoir de noms fixes et certains, parce qu’elles n’ont pas de commencement positif, certain et fixe. En effet, chaque année elles diffèrent ou varient d’un ou deux jours qui quelquefois se trouvent en surplus des semaines entières.

II. Tous les jours des semaines sont inscrits suivant les sept premières lettres de l’alphabet. De même les jours, d’après les Gentils, reçoivent leur nom des planètes : denominantur a planetis. Le premier jour reçoit son nom du soleil, qui est le prince de tous les astres. Aussi le même jour est-il le chef, caput, de tous les autres jours. Le second jour emprunte son nom de la lune, qui, pour l’éclat et la grandeur, est l’astre qui se rapproche le plus du soleil et emprunte sa lumière de ce dernier astre ; le troisième tire son nom de l’étoile de Mars, que l’on appelle Vesper ; le quatrième, de l’étoile de Mercure, que certains appellent Cercle blanc, Circulum candidum ; le cinquième, de l’étoile de Jupiter, que l’on appelle Phaéton ; le sixième, de l’étoile de Vénus, que l’on appelle Lucifer, parce que, parmi tous les astres, c’est celui qui est le plus brillant ; le septième, de l’étoile de Saturne, qui, placée au sixième ciel, met trente années, dit-on, à achever son cours. Nous en avons parlé au commencement de la huitième partie.

III. Mais on demande pourquoi les jours ne sont pas rangés, dans la semaine, dans le même ordre que les planètes le sont dans le ciel, puisque dans le ciel elles sont placées dans l’ordre indique par ce vers :

Sol, Ve., Mer., et Luna, Saturnus, Jupiter et Mars.
« Le Soleil, Vénus, Mercure, la Lune, Saturne, Jupiter et Mars ; »


ou par celui-ci :

Saturnus, Jove, Mars, Sol, cum Vene., Mer., Luna.
« Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus, Mercure, la Lune. »


Voici la solution : nous disons que les jours, dans la semaine, ne sont point placés selon l’ordre des planètes, mais suivant leur influence ou leur règne en chaque jour ; de là vient que, comme les philosophes ont remarqué que le soleil régnait (ou avait sa plus grande influence) à la première heure du dimanche, c’est pourquoi ils ont nommé ce jour a sole, du soleil ; de même, comme ils s’aperçurent que la lune régnait ou avait sa plus grande influence à la première heure de la seconde férie, c’est pourquoi ils nommèrent ce jour a luna, de la lune, et ainsi des autres, comme il paraît évidemment par la distinction des heures du jour, faite par ordre successif. De plus, les philosophes ont emprunté des noms auxdites planètes, parce qu’ils ont voulu que chacune de ces planètes fût quelque chose dans l’homme ou eût du rapport avec les passions bonnes ou mauvaises de l’homme. Ils ont emprunté de Saturne, la candeur ; de Jupiter, la tempérance ; de Mars, l’ardeur ; du Soleil, l’esprit ; de Vénus, la volupté ; de Mercure, l’éloquence ; de la Lune, le cœur. Et comme l’ordre des planètes ne dépasse point le nombre septénaire, mais par une circonvolution revient ensuite au premier nombre, c’est pourquoi les sages n’ont placé que sept jours dans la semaine.

IV. Maintenant il faut voir en quel jour de la semaine entre ou commence chaque mois. Il y a pour cela deux manières de

le savoir. La première est renfermée dans les vers suivants :

Alta domat Dominus, gratis beat œqua gerentes,
Contemnit fictos, augebit dona fideli.

« Le Seigneur dompte les orgueilleux, il donne une félicité gratuite à ceux qui pratiquent la justice, il méprise et dédaigne l’hypocrisie, et il comblera de dons l’ame fidèle. »

Dans ces vers il y a douze mots qui se rapportent aux douze mois ; le premier mot, au premier mois ; le second, au second ; et ainsi par ordre, en commençant à janvier ; de sorte que, quelle que soit la lettre initiale de quelques-uns de ces mots, la même lettre sera celle des calendes du mois auquel se rapporte ce mot ; par exemple, Alta est le premier mot, et A est la première lettre de ce mot Alta ; donc A est la première lettre de janvier ; de même, domat est le second mot, qui sert pour le second mois, savoir pour le mois de février, et d est la première lettre de ce mot ; donc d est la première lettre de février, et ainsi des autres. De même, le vers suivant indique par syllabes ce que le vers précédent indique par mots : Adam degebat, ergo Kinos andinos.

Lorsque l’on a la lettre des calendes, on peut savoir facilement en quelle férie entre ou commence chaque mois. En effet, procède par la lettre dominicale de cette année, en supputant par les lettres subséquentes, jusqu’à la lettre qui se trouve aux calendes du mois dont tu désires savoir en quel jour il commence, et le jour qui accompagnera cette lettre sera celui du commencement du mois. La seconde manière de savoir en quel jour commence le mois a lieu au moyen des nombres réguliers et concurrents. Or, remarque que dans l’année solaire il y a cinquante-deux semaines et un jour, ou deux si l’année est bissextile, et c’est à cause du jour bissextile que varient chaque année les commencements des mois ; car, si en cette année janvier commence par un dimanche, pendant toute cette année. A, qui est la première lettre de janvier, sera dominicale. Or, lorsqu’on sera parvenu à la fin de l’année, l’A final du calendrier, qui est inscrit devant le jour qui est en surplus des semaines entières, représentera le dimanche : donc l’A suivant, qui est encore la lettre initiale de janvier, représentera le lundi ; et ainsi cette variation subsistera pendant toute cette année. C’est de la même manière que chaque année les commencements des mois sont variables et arrivent à divers jours. Si l’année est bissextile, il y aura une double variation ; la première aux calendes de janvier, la seconde à la fête de saint Matthias. Or, afin de pouvoir connaître en quel jour, chaque année, commençait chaque mois, les calculateurs ont trouvé deux nombres : un invariable, qui est appelé régulier solaire, férial ; l’autre variable, nommé concurrent, dont nous allons dire quelques mots.

V. D’abord il faut voir ce que c’est que le nombre régulier solaire d’où il tire son nom, son origine, et combien chaque mois a de nombres réguliers. Le nombre régulier solaire est un nombre invariable donné au mois, lequel nombre, réuni au nombre concurrent, marque en quel jour de la semaine commence chaque mois dont il est le nombre régulier. Or, on dit regularis, régulier, a regula, règle, parce qu’il est invariable comme la règle (iii d., Canon). On l’appelle solaire, solaris, pour le distinguer du lunaire, lunaris, dont on parlera plus bas. Les nombres réguliers tirent leur origine du mois de mars, car dans le mois de mars il y a cinq nombres réguliers ou cinq nombres pour servir de règle, pro regulari. En effet, mars a commencé à la première année du monde ou du siècle ; bien plus, on dit que le monde a été créé en ce mois, le jour où l’on dit, ou bien où est marqué le quinze des calendes d’avril ; ou, selon d’autres, le huit des calendes (ou avant les calendes) ; car, si l’on compte dans un ordre rétrograde les jours de la semaine jusqu’aux calendes de mars, on trouvera que le monde a commencé un jeudi ou cinquième férie, si toutefois il a commencé avant mars, et c’est la raison pour laquelle mars a eu le nombre cinq pour régulier. Les nombres réguliers des autres mois sont ainsi formés : additionne les nombres réguliers avec les jours du même mois, et soustrais de la somme le nombre sept autant de fois que tu le pourras, et le reste t’indiquera le nombre régulier du mois suivant. Par exemple : mars a cinq jours pour nombre régulier et trente-un jours ; additionne le tout, et tu auras trente-six ; retrancbe sept autant de fois que tu pourras, et il reste un jour que l’on donne au mois suivant pour nombre régulier. De même, avril a trente jours et un jour pour nombre régulier, qui font trente-un jours ; retranche sept autant de fois que tu pourras, et il restera trois, que l’on donne au mois de mai, pour nombre régulier ; et ainsi des autres jusqu’à mars. Nous pouvons encore savoir les nombres réguliers des mois, par les vers suivants :

Est astris clara fulgentibus ara deorum,
Grata bonis extat, gratissima cuique fideli.

Dans ces vers il y a douze mots qui servent pour les douze mois. Le premier mot pour le premier mois, le second pour le second, et ainsi par ordre, en commençant à partir de mars ; de sorte que le mois a autant de jours réguliers que la première lettre du mot qui s’y rapporte compte de chiffres ou de degrés dans l’ordre qu’elle occupe dans l’alphabet. Par exemple, Est est le premier mot qui sert pour le premier mois, qui est mars, et E est la première lettre de ce mot et la cinquième lettre de l’alphabet ; donc mars a cinq jours pour nombre régulier. De même, astris est le second mot et sert pour le second mois, c’est-à-dire pour le mois d’avril ; A est la première lettre de ce mot et la première lettre de l’alphabet ; donc avril n’a qu’un jour pour nombre régulier, et ainsi des autres.

VI. Parlons maintenant des nombres concurrents. On les appelle concurrents, parce qu’ils se rencontrent, concurrunt, ou se rapportent entre eux, comme il paraît dans leur formation, ou bien parce qu’ils concourent avec les nombres réguliers à démontrer le jour initial des mois, chaque année. Or, le nombre concurrent est l’excédant d’un ou de plusieurs jours des cinquante-deux semaines de l’année solaire. J’ai dit vel plurium, « ou de plusieurs, » parce que dans l’année bissextile il y a un excédant de deux jours. Dans les autres années il n’y a qu’un excédant d’un seul jour, et c’est cet excédant qui est l’origine des nombres concurrents. Les autres nombres concurrents qui suivent après le premier sont formés en ajoutant un jour ou l’unité à chaque terme ou année, de telle sorte cependant qu’ils n’excèdent point le nombre sept, parce qu’il n’y a que sept féries ou sept jours dans la semaine. Toutes les fois que le septième jour est concurrent en cette année-là, les mois ont le même commencement que celui qu’ils ont eu dans la première année du monde, car chaque jour ou chaque férié de la semaine est éloignée d’elle-même par un intervalle de sept jours, ou bien revient tous les sept jours.

VII. Les nombres concurrents sont désignés dans cette ligne :

I. II. III. IV, VI. VII. I. II. IV. V. VI. VII. II. III. IV. V. VII. I. II. III. V. VI. VII. II. III. IV. V. VI.


Car la première année du cycle solaire a un nombre concurrent, la seconde en a deux, la troisième trois, la quatrième quatre, la cinquième six, parce qu’elle est bissextile ; la sixième en a sept, la septième en a un, parce qu’on ne va pas au-delà du nombre sept, mais on revient au nombre un ; et nous devons aller ainsi jusqu’à vingt-huit années ; alors nous retournons à la première année du cycle, et nous procédons comme auparavant. Le cours ou l’espace de vingt-huit ans se nomme cycle solaire ou des nombres concurrents ; et l’on dit cycle, comme si l’on disait cercle, par similitude. Or, si nous voulons savoir quelle est l’année du cycle solaire, nous devons diviser les années du Seigneur par vingt-huit, autant de fois que nous le pouvons, et y ajouter neuf avant la division, parce qu’à la naissance du Christ ce cycle était arrivé à ce point, et que les années qui restèrent de la division formèrent tout le cycle des années ; le nombre d’années qui restera après la division sera celui du cycle ; s’il n’y a point de reste, c’est que nous sommes dans la dernière année du cycle solaire ; d’où ces vers :

Annis adde novem Domini, partire per octo
Viginti, cyclus sic tibi notus erit.

« Ajoute neuf années aux neuf années du Seigneur, divise le tout par vingt-huit ; c’est ainsi que tu connaîtras le cycle. »

VIII. Nous pouvons donc savoir les nombres concurrents de chaque année par la lettre dominicale de cette année, comme le marquent les petits vers suivants :

A, sex ; B, quinque ; C ; quatuor ; E, duo ; très, D :
Primus concurrens, F littera ; septimus est G ;


et ainsi des autres.

Ce qui signifie que quand A est la lettre dominicale, cette année-là, il y a six pour nombre concurrent ; quand c’est B, c’est cinq ; quand c’est C, quatre ; quand c’est E, deux ; quand c’est D, trois ; quand c’est F, un ; quand c’est G, sept. Quand on a trouvé le nombre concurrent, on doit le joindre aux nombres réguliers du mois dont nous voulons connaître le jour des calendes, c’est-à-dire le commencement, et, si la somme ne dépasse pas sept, le mois commencera le jour de la semaine marqué par le résultat de cette somme totale ; mais si la somme dépasse sept, le mois commencera le jour de la semaine obtenu dans l’excédant de la somme. Or, les lettres dominicales varient comme les nombres concurrents. En effet, dans la première année du cycle solaire la lettre dominicale est F ; dans la seconde, E ; dans la troisième, D ; dans la quatrième, C ; dans la cinquième, A ; car alors, à cause de l’année bissextile, on passe outre la lettre B ; c’est ce qui est marqué dans ces vers :

Fert ea dux, cor omet, gens, fautor eum coluit bis.
Ars genus est de corde bono, gignit ferreus ensis.
Dicta beant aqua gens, fons dut cunctis bonus author.

Dans ces vers il y a vingt-huit mots, correspondant aux vingt-huit années du cycle solaire ; le premier à la première, le second à la seconde, et ainsi par ordre, en commençant à partir de la première année du cycle ; de sorte que la lettre initiale de chacun de ces mots sera la lettre dominicale dans l’année à laquelle correspond ce mot. Par exemple : Fert est le premier mot et sert à la première année du cycle solaire, et F est la première lettre ; donc F est la lettre dominicale dans la première année du cycle solaire, et ainsi des autres. Et remarque que l’année à laquelle se rapporte quelque mot terminé en T, comme Fert, est bissextile ; et ainsi la première année du cycle est toujours bissextile, puisqu’elle se rapporte à un mot terminé en T, savoir Fert. C’est pourquoi la première lettre du mot terminé en T ne sera pas une lettre dominicale pour l’année à laquelle sert ce mot, si ce n’est ultérieurement, à partir de l’endroit bissextile, parce que la lettre dominicale change conjointement avec l’année bissextile, ou le jour, ou le mois. Or, à partir des calendes de janvier précédent jusqu’à l’endroit du jour bissextile, la lettre dominicale sera celle qui suit immédiatement dans le calendrier après celle qui devrait être la lettre dominicale. C’est pourquoi, dans la première année du cycle, F est la lettre dominicale depuis l’endroit bissextile jusqu’aux calendes de janvier suivant. Depuis les calendes de janvier précédent jusqu’à l’endroit du bissexte, G est la lettre dominicale, et ainsi des autres. Or, l’année à laquelle sert ce mot peut être connue par le moyen exposé plus haut touchant le cycle solaire. Or, le système de la lettre dominicale alors courante, commence et se termine de la même manière.

IX. Disons maintenant quelques mots de l’indiction : c’est un laps de temps que les empereurs romains marquaient aux nations pour payer le tribut. Si nous voulons savoir le quantième de l’indiction, nous devons ajouter trois années aux années du Seigneur, et ensuite diviser les années du Seigneur par quinze, autant de fois que nous le pouvons, et ce qui restera d’années, après la division, sera toute l’indiction ; s’il n’y a pas de reste, nous sommes dans la dernière année de l’indiction, et alors nous retournons à la première indiction, parce que l’indiction ne dépasse pas quinze années ; d’où ces vers :

Si, tribui adjunctis Domini, diviseris annos,
Per te quinque datur indictio certificata.

« Si, après avoir ajouté trois aux années du Seigneur, tu les divises par cinq, tu auras le quantième de l’indiction »

Nous avons traité plus complètement de l’indiction dans le Speculum judiciale ; dans le traité De instrumentorum edictione (§ I, vers. Post annos). Nous en parlerons encore plus bas, en traitant des Cycles. Nous avons parlé plus haut de l’Ère.